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Proverbes dramatiques/L’Uniforme de campagne

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L’UNIFORME
DE
CAMPAGNE.

CENTIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


M. DUVERDIER, Auditeur des comptes.

Me. PAVARET, Sœur de M. Duverdier.

Mlle. BATILDE, Fille de M. Duverdier.

M. GOBERGEAU, Substitut.

M. LANDIER, Greffier.

M. DE CLAIRVILLE, Fils de M. Landier.

M. BETASSIER, Président au grenier à sel de Troyes.

LA BRIE, Laquais de M. Gobergeau


La Scene est dans la maison de campagne de M. Duverdier, à Arcueil.

Scène premiere.

Me. PAVARET, Mlle. BATILDE.
Mlle. BATILDE.

Eh bien, ma tante, que dites-vous de Monsieur de Clairville, avec le nouvel uniforme ?

Me. PAVARET.

Je dis qu’il est bien bon de l’avoir fait faire.

Mlle. BATILDE.

Moi, je suis fort aise qu’il s’occupe de plaire à mon pere.

Me. PAVARET.

Et vous avez raison, puisque vous l’aimez ; mais je n’en trouve pas moins ridicule votre pere, de vouloir avoir un uniforme à sa campagne.

Mlle. BATILDE.

Mais on dit que tout le monde en a.

Me. PAVARET.

Parce que tout le monde veut faire comme les Grands ; & qu’est-ce qui a commencé ? c’est le Roi d’abord, & puis les Princes. Je me suis fait expliquer tout cela, encore c’étoit des uniformes de chasse ; & mon frere n’avoit pas besoin de faire faire des habits verds à tous ses amis, pour tuer des lapins dans sa basse-cour.

Mlle. BATILDE.

Il tire quelquefois des moineaux.

Me. PAVARET.

Oui, & il manque toujours les hirondelles.

Mlle. BATILDE.

Ma tante, permettez-moi d’aimer les habits verds.

Me. PAVARET.

Vous êtes peut-être comme mon frere, qui a choisi cette couleur-là, parce qu’il s’appelle Monsieur Duverdier. Est-ce qu’il ne vouloit pas que les femmes fussent aussi habillées de verd ?

Mlle. BATILDE.

Cela m’auroit été fort égal.

Me. PAVARET.

Moi je ne l’ai pas voulu ; on auroit cru que j’y aurois applaudi, pendant que je suis très-fâchée qu’il ait cette fantaisie-là. Il me semble que j’entends dire : Voyez donc les airs que se donne Monsieur Duverdier, pour un Auditeur des comptes ; encore s’il étoit Président, à la bonne heure. Et feu mon mari, qui avoit pensé l’être, n’auroit jamais fait une chose pareille.

Mlle. BATILDE.

En vérité, ma tante…

Me. PAVARET.

Et puis les femmes ont déjà dit qu’elles ne porteroient jamais la livrée de Monsieur Duverdier ; enfin, cela fera que nous n’en aurons peut-être pas ici de long-temps.

Mlle. BATILDE.

Il est sûr que nous aurons des hommes.

Me. PAVARET.

Moi, j’aime les femmes ; parce qu’il faut bien quelqu’un à qui parler à la campagne, & que depuis qu’il y a un billard ici, vous voyez bien, que nous restons toujours toutes seules.

Mlle. BATILDE.

Monsieur Landier nous tient quelquefois compagnie.

Me. PAVARET.

Oui, & il ne dit pas un mot ; si vous l’aimez, c’est qu’il est le pere de Monsieur de Clairville. Pour Monsieur Gobergeau, il se moque de tout le monde.

Mlle. BATILDE.

Il est l’ami de mon père ; & je crois qu’il faudroit le mettre dans nos intérêts.

Me. PAVARET.

Pour déterminer votre mariage avec Monsieur de Clairville, n’est-ce pas ?

Mlle. BATILDE.

Oui, ma tante.

Me. PAVARET.

Et vous croyez qu’il sera fort empressé de vous servir ?

Mlle. BATILDE.

Pourquoi non ?

Me. PAVARET.

Il est vrai qu’il pourroit avoir de là occasion de vous faire des mauvaises plaisanteries, & cela pourroit bien l’engager à se mêler de vos affaires.

Mlle. BATILDE.

Ah ! voilà Monsieur de Clairville.

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Scène II.

Me. PAVARET, Mlle BATILDE, M. DE CLAIRVILLE.
Me. PAVARET.

Eh bien, Monsieur, ma niece est charmée de vous voir en habit verd ; & moi, je vous trouve bien bon d’avoir eu cette complaisance.

M. DE CLAIRVILLE.

Il n’y a pas grand mérite à cela, Madame ; d’ailleurs, vous savez ce qui m’occupe le plus : ainsi tout ce qui peut y avoir rapport ne sauroit être négligé.

Me. PAVARET.

Je ne crois pas que vous soyez inquiet de votre sort.

M. DE CLAIRVILLE.

Mais, Madame…

Me. PAVARET.

Vous avez de l’impatience ?

M. DE CLAIRVILLE.

Je l’avoue : je compte sur vos bontés ; mais Monsieur Duverdier ne termine rien.

Me. PAVARET.

Il n’avoit que son uniforme dans la tête ; cela l’empêchoit de s’occuper d’autre chose ; & c’est ce qui faisoit, quand je lui parlois de votre mariage, qu’il me répondoit oui, nous verrons cela ; rien ne presse.

Mlle. BATILDE.

Mais s’il s’engageoit avec un autre, ma tante ?

Me. PAVARET.

Je n’y donnerois pas mon consentement, ma niece.

M. DE CLAIRVILLE.

Et s’il alloit en avant ?

Me. PAVARET.

Ma niece n’auroit pas mon bien.

M. DE CLAIRVILLE.

Et j’en serois la cause ! Ah ! Madame, j’en mourrois de douleur.

Mlle. BATILDE.

Que m’importeroit d’être riche, si l’on me séparoit de vous ?

Me. PAVARET.

Votre père se tient tranquille à son ordinaire.

M. DE CLAIRVILLE.

Il m’a dit qu’il parleroit ; mais il ne pressera rien. Je n’ose parler moi-même, & je ne sais pas si je ne viens pas de me donner un petit tort vis-à-vis de Monsieur Duverdier.

Mlle. BATILDE.

Comment donc ?

M. DE CLAIRVILLE.

C’est que j’ai refusé de tirer des moineaux avec lui, pour venir ici.

Me. PAVARET.

Il est donc sorti ?

M. DE CLAIRVILLE.

Oui, il se promene le long des haies.

Mlle. BATILDE.

Ah ! voilà un Monsieur que je ne connois pas. Ma tante, allons-nous-en.

Me. PAVARET.

Je le veux bien. Il est aussi en uniforme : il faut que ce soit un ami de votre père.

Mlle. BATILDE.

Cela ne fait rien. Restez ici, Monsieur de Clairville, pour savoir qui c’est.

M. DE CLAIRVILLE.

J’irai vous rejoindre tout de suite.

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Scène III.

M. BETASSIER, M. DE CLAIRVILLE.
M. BETASSIER.

Ah ! Monsieur, je vous cherchois ; on m’avoit dit que vous êtiez ici, & je vous ai reconnu d’abord quand je vous ai vu.

M. DE CLAIRVILLE.

Moi, Monsieur ?

M. BETASSIER.

Oui, vraiment ; ce n’est pas que vous ne soyez bien rajeuni depuis dix ans que vous avez passé à Troyes ; mais je sais bien pourquoi.

M. DE CLAIRVILLE.

Moi rajeuni ?

M. BETASSIER.

Oui vraiment, & cela ne me surprend pas, parce que mon pere m’a dit que je verrois à Paris des choses bien extraordinaires.

M. DE CLAIRVILLE.

Celle-là, en effet, le seroit un peu.

M. BETASSIER.

Moi, je ne le trouve pas tant, à vous dire le vrai, parce que j’en ai bien vu des exemples.

M. DE CLAIRVILLE.

Des exemples ?

M. BETASSIER.

Oui, des gens qui sont rajeunis, & cela est tout simple : quand on a toujours porté perruque, & que l’on reprend ses cheveux, cela fait toujours cet effet-là.

M. DE CLAIRVILLE.

C’est une réflexion que je n’avois pas faite.

M. BETASSIER.

Et puis il m’étoit impossible de ne pas vous reconnoître avec votre habit verd.

M. DE CLAIRVILLE.

Comment ?

M. BETASSIER.

Oui, mon pere m’a dit que vous lui aviez écrit que tout le monde seroit en habit verd ici.

M. DE CLAIRVILLE.

C’est une raison.

M. BETASSIER.

Oui, une raison qui m’a retenu à Paris ans une auberge pendant quinze jours, & cela m’a coûté bien cher.

M. DE CLAIRVILLE.

Il falloit venir sans cela.

M. BETASSIER.

Mon pere me l’avoit bien défendu ; & le tailleur m’a fait attendre de jour en jour jusqu’aujourd’hui : tantôt c’étoit une nôce, tantôt c’étoit un deuil, tantôt… Et puis il m’a fait mon habit trop large ; & comme il avoit pris trop de drap, à ce qu’il m’a dit, il m’a fait quatre culottes & un gilet pour l’hiver, & tout cela me coûte horriblement d’argent, qu’il a fallu payer encore.

M. DE CLAIRVILLE.

Il me paroît que vous avez affaire à Monsieur Duverdier ?

M. BETASSIER.

Oui, Monsieur, & une affaire qui doit me rapporter beaucoup d’argent ; c’est ce qui me consolera de la dépense de mon habit verd.

M. DE CLAIRVILLE.

En ce cas, Monsieur, je vous laisse, cela ne me regarde pas.

M. BETASSIER.

Quoi ! vous n’êtes pas Monsieur Duverdier ?

M. DE CLAIRVILLE.

Non, Monsieur.

M. BETASSIER.

Il est singulier que vous lui ressembliez autant.

M. DE CLAIRVILLE.

Tenez, je crois que je l’entends ; je m’en vais. (Il sort.)

M. BETASSIER.

J’ai bien fait de n’en pas dire davantage. Voilà ce que c’est que de savoir garder son secret. J’ai une grande obligation à mon pere de m’avoir élevé à cela.

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Scène IV.

M. GOBERGEAU, M. BETASSIER.
M. GOBERGEAU, à part.

Quelle diable de fantaisie d’aller tirer des moineaux ! On ne trouve personne ici pour jouer au billard. Mais quel est cet homme-là : je ne l’ai jamais vu ; je pourrai m’en amuser peut-être.

M. BETASSIER.

Vous me regardez beaucoup ; je vois bien que vous me reconnoissez, Monsieur.

M. GOBERGEAU.

Il est vrai que je ne vous trouve pas du tout changé.

M. BETASSIER.

C’est ce que mon pere m’a dit : il prétend que j’ai autant d’esprit que quand j’étois petit, & vous vous en appercevrez bien ; parce que vous n’aurez pas oublié tout ce que je vous ai dit, il y a dix ans, quand vous êtes venu voir mon pere à Troyes.

M. GOBERGEAU.

Je m’en souviens bien, & je trouve que vous avez presque autant d’esprit que lui.

M. BETASSIER.

Oh ! bien davantage, à ce que m’a dit ma mere. Enfin, je suis bien aise de vous trouver ; car j’ai pensé dire notre secret à un Monsieur tout à l’heure que j’avois pris pour vous.

M. GOBERGEAU.

Et vous voyez bien à présent que vous ne vous trompez pas ?

M. BETASSIER.

Oh ! pour cela non ; mais c’est qu’il avoit un habit verd comme vous.

M. GOBERGEAU.

Il est vrai que cela change bien la physionomie ; cependant moi je vous ai reconnu tout de suite.

M. BETASSIER.

C’est que vous avez une bonne mémoire.

M. GOBERGEAU.

Mais pas trop ; car j’oublie toujours les noms.

M. BETASSIER.

Vous ne vous souvenez pas du mien quand j’étois petit ?

M. GOBERGEAU.

J’ai une idée confuse…

M. BETASSIER.

Je l’ai pourtant porté jusqu’à quinze ans, & je m’appellois Coco.

M. GOBERGEAU.

Ah ! Coco ! cela est vrai.

M. BETASSIER.

Mais à présent je m’appelle Monsieur Betassier.

M. GOBERGEAU.

Ah ! Monsieur Betassier, je suis bien votre très-humble serviteur.

M. BETASSIER.

Ah ! Monsieur Duverdier, ne me traitez donc pas comme cela avec tant de cérémonie.

M. GOBERGEAU.

Je vous rends ce que je vous dois.

M. BETASSIER.

Vous avez bien de la bonté. Vous ne savez peut-être pas d’où vient ce nom ?

M. GOBERGEAU.

Votre pere a oublié de me le mander.

M. BETASSIER.

Il vient d’un clos que nous avons où nous élevons du bétail, & le bétail chez nous est des moutons, comme vous savez.

M. GOBERGEAU.

Oui, oui, je sais cela.

M. BETASSIER.

De forte qu’un clos renfermant le bétail, nous l’appelions bétassier, & mon pere m’a fait prendre ce nom ; parce qu’en l’ajoutant à celui de Président, cela sonne bien, voyez : Monsieur le Président Betassier.

M. GOBERGEAU.

Cela est fort beau !

M. BETASSIER.

Je crois que Mademoiselle votre fille sera fort aise de s’appeller Madame la Présidente Betassier ?

M. GOBERGEAU.

Il n’en faudra pas davantage pour la déterminer à vous épouser. Mais d’où êtes-vous Président ?

M. BETASSIER.

Du grenier à sel.

M. GOBERGEAU.

Je ne m’étonne pas si vous en mettez tant dans tout ce que vous dites.

M. BETASSIER.

Cela n’est pas difficile à penser, parce que dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es.

M. GOBERGEAU.

Il me paroît que vous avez de l’érudition.

M. BETASSIER.

Eh mais, je le crois bien. Est-ce que je n’ai pas été reçu tout-d’un coup avocat à Bourges, dès que je me suis présenté ?

M. GOBERGEAU.

Vous n’avez donc pas eu besoin pour cela de vous mettre dans le fauteuil ?

M. BETASSIER.

Non. L’on m’a dit qu’il y avoit un de mes confreres qui l’occupoit, qu’il faudroit attendre trop long-temps ; je m’en suis passé pour épargner mon argent.

M. GOBERGEAU.

Cela est fort sensé.

M. BETASSIER.

C’est qu’on ne l’a pas plutôt dépensé, qu’on ne l’a plus.

M. GOBERGEAU.

Fort bien dit.

M. BETASSIER.

A propos de cela, on dit que Mademoiselle votre fille est une riche héritiere ; parce qu’elle a une tante qui est veuve, & qui ne veut pas se remarier.

M. GOBERGEAU.

Oui, c’est un excellent parti.

M. BETASSIER.

Son bien ne diminuera pas avec moi.

M. GOBERGEAU.

Vous saurez donc le faire valoir ?

M. BETASSIER.

C’est là mon grand talent. Imaginez-vous que j’ai amassé tout l’argent qu’on me donnoit pour mes menus plaisirs, quand j’étois au college.

M. GOBERGEAU.

C’est être bien habile.

M. BETASSIER.

Et depuis je n’ai rien prêté, qu’on ne m’en ait rendu bien davantage.

M. GOBERGEAU.

C’est être généreux !

M. BETASSIER.

Sûrement ; car il y a des gens qui ne prêtent jamais rien afin qu’on ne le garde pas, de peur de le perdre.

M. GOBERGEAU.

Et vous aimez beaucoup l’argent ?

M. BETASSIER.

Oh ! comme tout ! Oh ! si vous mourez de bonne heure, vous verrez comme je régirai tout votre bien : allez, allez, tous vos petits enfants seront bien riches.

M. GOBERGEAU.

Mais si la tante en question ne pense pas comme vous ?

M. BETASSIER.

Cela ne m’inquiete pas. On m’a dit qu’elle avoit bien de l’esprit.

M. GOBERGEAU.

Oui ; mais elle est très-prodigue.

M. BETASSIER.

Oh ! cela ne m’embarrasse pas, parce que je me mettrai à la tête de ses affaires, je la prendrai en pension chez moi, & elle n’aura nulle dépense à faire ; c’est même ce que mon pere vous mande dans une lettre que je devrois déjà vous avoir donnée : attendez que je la cherche. (Il cherche dans sa poche.)

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Scène V.

M. LANDIER, M. GOBERGEAU, M. BETASSIER.
M. LANDIER.

Que fais-tu donc ici, Gobergeau ?

M. BETASSIER.

Monsieur s’appelle Monsieur Gobergeau ?

M. LANDIER.

Sûrement.

M. GOBERGEAU.

Le diable t’emporte.

M. LANDIER.

Allons, viens trouver ces Dames qui t’attendent.

M. GOBERGEAU.

J’étois ici avec ton gendre.

M. LANDIER.

Mon gendre ?

M. GOBERGEAU.

Oui, je te laisse avec lui.

M. LANDIER.

Je ne sais ce que tu veux dire. (Il veut s’en aller.)

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Scène VI.

M. LANDIER, M. BETASSIER.
M. BETASSIER, à part.

Il ne me reconnoît pas. (haut.) Monsieur, un moment, je vous prie.

M. LANDIER.

Que me voulez-vous ?

M. BETASSIER.

Quoi, Monsieur, vous ne vous souvenez pas de m’avoir vu quelque part ?

M. LANDIER.

Non, jamais.

M. BETASSIER.

Ce n’est pas votre faute.

M. LANDIER.

Je le crois bien.

M. BETASSIER.

C’est que je suis bien grandi, voyez.

M. LANDIER.

Cela peut être.

M. BETASSIER.

Et puis vous ne m’avez pas vu encore en habit verd.

M. LANDIER.

Allons, je n’ai rien à vous dire.

M. BETASSIER.

Pardonnez-moi, Monsieur ; quand vous me connoîtrez, vous verrez que nous avons de grandes affaires ensemble.

M. LANDIER.

Vous vous trompez.

M. BETASSIER.

Oh que non ; si je me suis trompé deux fois, je ne me tromperai pas une troisieme. Apprenez que je suis le Président Betassier.

M. LANDIER.

Cela m’est fort égal.

M. BETASSIER.

C’est que vous ne savez pas mon nouveau nom.

M. LANDIER.

Je n’en ai que faire.

M. BETASSIER.

C’est moi qui m’appellois autrefois Coco. Vous me remettez bien à présent ?

M. LANDIER.

Point du tout. Et je vous dis que j’ai affaire.

M. BETASSIER.

Si c’est dans votre jardin, je me promènerai avec vous.

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Scène VII.

Me. PAVARET, M. GOBERGEAU, Mlle. BATILDE.
M. GOBERGEAU.

Tenez, le voilà qui s’en va avec notre ami Landier.

Me. PAVARET.

Eh ! pourquoi faire ?

M. GOBERGEAU.

Je lui ai persuadé que Landier étoit son prétendu beau-pere.

Me. PAVARET.

Mais c’est donc ce qu’on appelle absolument un sot ?

M. GOBERGEAU.

Oh ! je vous en réponds, & le plus vilain avare qu’il soit possible de rencontrer.

Me. PAVARET.

Ce sera au moins une raison à opposer à mon frere.

M. GOBERGEAU.

J’ai imaginé un bon moyen pour nous en défaire ; mais il ne faut pas perdre de temps.

Me. PAVARET.

Quel est ce moyen ?

M. GOBERGEAU.

Vous saurez que les habits verds lui tournent la tête, & qu’il croit, dès qu’il en voit un, que c’est Duverdier : il m’a pris pour lui.

Mlle. BATILDE.

Il a cru aussi que Monsieur de Clairville étoit mon père.

M. GOBERGEAU.

Où est-il Clairville ?

Me. PAVARET.

Il est allé chercher Monsieur Landier, pour l’engager à parler fortement à mon frere ; il voudroit bien que vous voulussiez aussi l’appuyer.

M. GOBERGEAU.

Nous n’aurons pas besoin de cela.

Me. PAVARET.

Que prétendez-vous faire ?

M. GOBERGEAU.

Qu’il me prenne encore pour Duverdier ; & je lui parlerai d’un ton…

Mlle. BATILDE.

Mais il vous reconnoîtra.

M. GOBERGEAU.

Non, non, laissez-moi faire. Songez donc que l’uniforme aide toujours à le tromper.

Me. PAVARET.

S’il étoit au moins bon à cela, je ne le désapprouverois plus.

M. GOBERGEAU.

Ah ! voilà la Brie.

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Scène VIII.

Me. PAVARET, M. GOBERGEAU, Mlle. BATILDE,
LA BRIE, une perruque à la main.
M. GOBERGEAU.

Est-ce bien là une perruque de Duverdier ?

LA BRIE.

Oui, Monsieur ; c’est St. Jean qui me l’a donnée.

M. GOBERGEAU.

Allons, cela est bon. Mon chapeau bordé.

LA BRIE.

Le voilà.

M. GOBERGEAU.

Et mon fusil ?

LA BRIE.

Je l’ai apporté aussi. Tenez, il n’est pas chargé.

M. GOBERGEAU.

Cela est fort bien. N’as-tu pas vu un Monsieur en habit verd que tu ne connois pas ?

LA BRIE.

Oui, Monsieur, il revient par ici : il m’a appellé ; mais je ne lui ai pas répondu.

M. GOBERGEAU.

Tu as bien fait. Va-t-en lui dire que Monsieur Duverdier l’attend ici.

LA BRIE.

Cela suffit. (Il sort.)

M. GOBERGEAU.

Et vous, Mesdames, allez-vous en ; j’irai vous dire si j’ai réussi.

Me. PAVARET.

Ne tardez pas.

M. GOBERGEAU.

J’irai, dès que j’aurai rempli mon objet.

Me. PAVARET.

Et moi, je vais chercher un autre moyen, en cas que vous ne réussissiez pas.

M. GOBERGEAU.

Allez-vous-en, car j’entends quelqu’un.

Me. PAVARET.

Allons, venez, ma niece.

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Scène IX.

M. BETASSIER, M. GOBERGEAU, LA BRIE.
LA BRIE.

Tenez, Monsieur, le voilà Monsieur Duverdier.

M. BETASSIER.

Ah ! Monsieur, j’ai eu bien de la peine à vous trouver.

M. GOBERGEAU.

C’est que j’étois allé à la chasse. Comment se porte votre pere ?

M. BETASSIER.

Fort bien, Monsieur Gobergeau : il vous fait bien ses compliments.

M. GOBERGEAU.

Pourquoi donc m’appellez-vous Monsieur Gobergeau ?

M. BETASSIER.

Ah ! je vous demande pardon ; mais c’est que j’ai parlé tout à l’heure à un Monsieur qui s’appelloit comme cela, & qui vous ressemble beaucoup, mais beaucoup.

M. GOBERGEAU.

Cela n’est pas étonnant, il est mon frere de lait.

M. BETASSIER.

Les freres de lait se ressemblent donc dans ce pays-ci ?

M. GOBERGEAU.

Comme les jumeaux.

M. BETASSIER.

Ah ! c’est la même chose ?

M. GOBERGEAU.

Sans doute. Je suis bien aise que vous ayez fait faire mon uniforme, je l’avois mandé à votre pere.

M. BETASSIER.

Il me l’avoit bien recommandé ; & cela m’a coûté bien cher.

M. GOBERGEAU.

Cela ne fait rien. L’argent est fait pour s’en servir.

M. BETASSIER.

Oui ; mais plus on peut le garder, & mieux l’on fait.

M. GOBERGEAU.

Fi donc ! Est-ce que vous seriez un avare ?

M. BETASSIER.

Point du tout.

M. GOBERGEAU.

A la bonne heure ; car vous ne conviendriez pas à ma fille ; mais je lui recommanderai de vous former en tout cas. Vous êtes fort riche ; en vous alliant avec moi, vous le serez encore davantage.

M. BETASSIER.

Cela est bien bon.

M. GOBERGEAU.

Ainsi, il faudra vous faire honneur de votre bien.

M. BETASSIER.

C’est aussi ce que je ferai.

M. GOBERGEAU.

Vous aurez bonne chere chez vous, sans doute ?

M. BETASSIER.

Oui, en moutons sur-tout, parce que nous en avons beaucoup ; aussi nous aurons un gigot tous les jours où nous aurons du monde ; & les autres jours, des épaules, & tout cela bien rôti.

M. GOBERGEAU.

C’est l’affaire du ménage, ma fille arrangera tout cela mieux que vous. Ah çà, dites-moi, lui avez-vous acheté un carrosse bien commode ?

M. BETASSIER.

Non vraiment. Je compte que nous nous en irons par la diligence, où je retiendrai deux places, quand nous serons prêts de partir.

M. GOBERGEAU.

Qu’est-ce que cela veut dire, Monsieur ? vous croyez que je souffrirai que ma fille, quand elle sera Madame la Présidente Betassier, arrive à Troyes dans une diligence publique ?

M. BETASSIER.

Mais écoutez donc, Monsieur Duverdier.

M. GOBERGEAU.

Non, Monsieur Betassier, je veux que ma fille fasse la route en poste, & avec beaucoup de monde.

M. BETASSIER.

Mais la diligence va en poste, & avec beaucoup de monde. Il n’y a pas à craindre des voleurs.

M. GOBERGEAU.

Ce n’est pas les voleurs que je crains pour ma fille, elle ne les craint point non plus ; d’ailleurs les gens riches sont faits pour être volés, ils le sont tous les jours, il faut s’accoutumer à cela.

M. BETASSIER.

Mais je ne l’ai jamais été.

M. GOBERGEAU.

C’est que vous n’avez pas encore eu une maison à vous.

M. BETASSIER.

J’espère que j’empêcherai bien qu’on me vole.

M. GOBERGEAU.

Fi donc ! Président, vous avez l’ame crasse. Ma fille aura donc une très-bonne voiture à quatre places, tirée par quatre chevaux, & par dessus tout cela une vache.

M. BETASSIER.

Ah ! je vois bien à présent que vous vous moquez de moi.

M. GOBERGEAU.

Non, parbleu, ce sont mes intentions & celles de sa tante.

M. BETASSIER.

Mais, Monsieur, on n’attele pas une vache avec des chevaux, cela seroit vilain.

M. GOBERGEAU.

Ignorant ! vous ne savez donc pas ce que c’est qu’une vache ?

M. BETASSIER.

Ah, ah, ah ! je ne sais pas ce que c’est qu’une vache, moi ? un Président, au grenier à sel encore. (Il rit.)

M. GOBERGEAU.

Oui, oui, riez ; une vache se met sur l’impériale de la voiture.

M. BETASSIER.

Elle doit l’assommer.

M. GOBERGEAU.

Non ; car c’est un pannier dans lequel on met des robes, des bonnets, & toutes les choses dont une femme a besoin.

M. BETASSIER.

Je ne comprendrai jamais cela.

M. GOBERGEAU.

Je le crois bien.

M. BETASSIER.

D’ailleurs, je n’ai pas besoin de nourrir quatre chevaux & une vache quand je serai arrivé à Troyes.

M. GOBERGEAU.

Il le faudra pourtant.

M. BETASSIER.

Ni d’avoir une voiture à quatre places quand nous ne serons que deux ; car moi, je ne veux jamais mener personne.

M. GOBERGEAU.

Et qui mènera les deux femmes-de-chambre de la Présidente ?

M. BETASSIER.

Elle n’en aura pas.

M. GOBERGEAU.

Elle n’en aura pas ! ma fille n’aura pas de femmes-de-chambre !

M. BETASSIER.

Non ; parce que nous avons un perruquier à Troyes qui coëffe toutes les femmes de la ville, elle le prendra.

M. GOBERGEAU.

Elle ne le prendra pas, ni vous non plus ; car vous n’épouserez jamais ma fille.

M. BETASSIER.

Mais écoutez donc, Monsieur Duverdier.

M. GOBERGEAU.

Et j’écrirai à votre père que vous êtes un vilain, un avare.

M. BETASSIER.

Mais si Mademoiselle votre fille vouloit de moi ?

M. GOBERGEAU.

Elle n’est pas capable de penser comme vous.

M. BETASSIER.

Que je lui parle seulement.

M. GOBERGEAU.

Je ne le souffrirai pas ; & dès ce moment tout est rompu.

M. BETASSIER.

Monsieur, que je vous dise un mot.

M. GOBERGEAU.

Non, je n’écoute plus rien, & je vous prie de sortir de chez moi, & dans l’instant.

M. BETASSIER.

Vous me chassez ?

M. GOBERGEAU.

Ah ! je vous en réponds. Allons, sortez.

M. BETASSIER.

Monsieur, savez-vous que j’ai du cœur ?

M. GOBERGEAU.

Qu’est-ce que vous ferez ?

M. BETASSIER.

Je m’en irai, & je n’épouserai point votre fille.

M. GOBERGEAU.

C’est tout ce que je demande.

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Scène X.

M. DE CLAIRVILLE, M. BETASSIER, M. GOBERGEAU.
M. DE CLAIRVILLE.

Monsieur Gobergeau, ces Dames vous prient de venir promptement ; mon pere est avec elles.

M. GOBERGEAU, bas.

La peste t’étrangle !

M. BETASSIER.

Quoi ! c’est là Monsieur Gobergeau ?

M. DE CLAIRVILLE.

Monsieur, c’est lui-même, un des amis de Monsieur Duverdier.

M. GOBERGEAU, bas à M. de Clairville.

Bourreau, que faites-vous ?

M. DE CLAIRVILLE.

Moi ?

M. GOBERGEAU, bas.

Oui, vous. Allons, allons-nous-en ; je vous dirai cela.

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Scène XI.

M. BETASSIER.

Ah, ah ! ce n’étoit pas là Monsieur Duverdier !… Aussi je ne m’y étois pas trompé d’abord ; je vois bien à présent qu’il faut toujours suivre son premier mouvement ; si je l’eus cru pourtant, je serois parti, & je serois revenu à Troyes sans l’avoir vu. Et mon pere, qu’est-ce qu’il auroit dit ?… Mais j’entends quelqu’un, il faut que je prenne bien garde à moi.

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Scène XII.

M. DUVERDIER, M. BETASSIER.
M. DUVERDIER, un fusil à la main, & un chapeau sur la tête.

Mais voyez un peu ce vilain garde ! vouloir m’empêcher de tirer des moineaux : encore je n’ai jamais pu trouver les deux que j’ai tués en trois heures de temps. Ah ! je ne crains pas son procès-verbal.

M. BETASSIER.

C’est encore Monsieur Gobergeau.

M. DUVERDIER.

Seroit-ce vous, Monsieur Betassier ?

M. BETASSIER.

Eh ! vous le savez bien ; mais je ne vous crains pas, comme vous voyez.

M. DUVERDIER.

Comment, vous ne me craignez pas ?

M. BETASSIER.

Non ; & je ne m’en irai pas que je n’aie parlé à Monsieur Duverdier.

M. DUVERDIER.

Eh bien, c’est moi qui suis Monsieur Duverdier.

M. BETASSIER.

Ah ! qu’on ne m’attrape pas comme cela trois fois. Je ne vous parlerai seulement pas.

M. DUVERDIER.

Vous ne me parlerez pas ?

M. BETASSIER.

Non, non, je vais attendre Monsieur Duverdier dans le jardin.

M. DUVERDIER.

Mais je vous dis encore une fois que c’est moi.

M. BETASSIER.

Bon, bon ; c’est pour me chasser encore que vous voulez me faire rester.

M. DUVERDIER.

Je vous ai chassé, moi ?

M. BETASSIER.

Mais, sûrement.

M. DUVERDIER.

Mais regardez-moi bien.

M. BETASSIER.

Oui, pour voir encore Monsieur Gobergeau.

M. DUVERDIER.

Vous êtes bien obstiné !

M. BETASSIER.

Mais vous l’êtes plus que moi ; puisque vous voulez toujours me faire croire que vous êtes Monsieur Duverdier.

M. DUVERDIER.

Mais est-ce qu’on peut s’y tromper ?

M. BETASSIER.

Pardi, je vous le demande, avec tous ces diables d’habits verds.

M. DUVERDIER.

Ah ! vous les désapprouvez ?

M. BETASSIER.

Et j’ai raison.

M. DUVERDIER.

Vous avez raison ? Mais approchez-vous donc, & regardez-moi.

M. BETASSIER, regardant.

Ah !

M. DUVERDIER.

Quoi ?

M. BETASSIER.

Il est vrai. Il me semble à présent que vous n’êtes pas Monsieur Gobergeau. Ah çà, dites vrai : êtes-vous bien Monsieur Duverdier ? là, ne me trompez pas.

M. DUVERDIER.

Et pourquoi diable voulez-vous que je vous trompe ?

M. BETASSIER.

C’est que vous m’avez déjà trompé plusieurs fois.

M. DUVERDIER.

Moi ?

M. BETASSIER.

Vous… ou Monsieur Gobergeau.

M. DUVERDIER.

Monsieur Gobergeau aime à plaisanter, & il se sera amusé…

M. BETASSIER.

A se moquer de moi ?

M. DUVERDIER.

Mais, oui.

M. BETASSIER.

Ecoutez donc, je pense à présent que cela pourroit bien être.

M. DUVERDIER.

Dites-moi d’abord pourquoi vous désapprouvez mon uniforme ?

M. BETASSIER.

Je n’ai point désapprouvé votre uniforme, je ne sais pas ce que c’est.

M. DUVERDIER.

Ce sont les habits verds que nous portons ici.

M. BETASSIER.

Dame, premiérement, c’est qu’ils sont bien chers.

M. DUVERDIER.

Ah ! vous êtes donc un avare ?

M. BETASSIER.

Vous voyez bien que vous êtes Monsieur Gobergeau ; car il m’a déjà dit cela.

M. DUVERDIER.

C’est-à-dire, qu’il vous connoît.

M. BETASSIER.

Non, Monsieur ; car je ne suis pas un avare.

M. DUVERDIER.

Qu’est-ce donc que vous êtes ?

M. BETASSIER.

Je suis économe.

M. DUVERDIER.

Ce n’est pas trop le vice du temps ; mais j’aime mieux cela que de faire des dettes, en dépensant plus que son revenu, comme font actuellement bien des gens dans ce pays-ci.

M. BETASSIER.

Oh ! je ne serai sûrement pas comme cela.

M. DUVERDIER.

Voilà ce que m’a mandé plusieurs fois votre père.

M. BETASSIER.

Vous connoissez donc son écriture ?

M. DUVERDIER.

Mais sûrement.

M. BETASSIER, montrant la lettre.

Tenez, voyez un peu celle de cette lettre, de qui est-elle ?

M. DUVERDIER.

De votre pere.

M. BETASSIER, donnant la lettre.

Ah ! vous êtes donc le vrai Monsieur Duverdier ; j’en suis bien sûr à présent, je suis bien votre très-humble serviteur.

M. DUVERDIER, lisant.

Il m’avoit déjà mandé tout cela. Ah ! il vous avoit recommandé de vous faire faire un habit verd ?

M. BETASSIER.

Oui, vraiment ; & je vous ai dit combien j’en avois été fâché.

M. DUVERDIER.

Sûrement, ma sœur assurera tout son bien à ma fille, lorsque vous l’épouserez.

M. BETASSIER, se frottant les mains.

Cela fera une bonne affaire !

M. DUVERDIER.

Vous paroissez bien aimer l’argent.

M. BETASSIER.

Pas mal.

M. DUVERDIER.

C’est votre affaire. Je vais vous mener chez ma sœur, & vous y verrez ma fille.

M. BETASSIER.

Cela me fera grand plaisir.

M. DUVERDIER.

Vous serez donc bien aise de vous marier ?

M. BETASSIER.

Oui, Monsieur, avec Mademoiselle votre fille.

M. DUVERDIER.

Peut-être qu’elle ne paroîtra pas vous aimer beaucoup d’abord.

M. BETASSIER.

Oh ! cela ne fait rien.

M. DUVERDIER.

Mais, par la suite, cela viendra.

M. BETASSIER.

Ou cela ne viendra pas ; mais je serai son mari toujours.

M. DUVERDIER.

C’est donc là tout ce que vous voulez ?

M. BETASSIER.

Oui, avec le reste.

M. DUVERDIER.

Ah ! ah ! vous êtes un petit malin.

M. BETASSIER.

Oh ! point du tout, je veux dire avec le bien qu’elle m’apportera.

M. DUVERDIER.

Mais fi donc ! il ne faut pas dire cela.

M. BETASSIER.

Oh ! pardonnez-moi, puisque je le pense.

M. DUVERDIER.

Je vois du moins que vous êtes franc.

M. BETASSIER.

Oui, Monsieur, c’est ce que je suis.

M. DUVERDIER.

Allons, venez, venez.

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Scène derniere.

Me. PAVARET, Mlle. BATILDE, M. DUVERDIER, M. GOBERGEAU, M. LANDIER, M. BETASSIER, M. DE CLAIRVILLE.
Me. PAVARET.

Mon frere, je viens vous faire part d’une résolution que j’ai prise.

M. DUVERDIER.

Et moi, ma sœur, je viens vous présenter Monsieur Betassier, qui sera mon gendre.

Me. PAVARET.

Ah ! c’est Monsieur ?

M. BETASSIER.

Oui, Madame, c’est moi qui aurai l’honneur…

M. DUVERDIER.

Ma fille, saluez Monsieur.

M. BETASSIER.

Ah ! Mademoiselle, ce n’est pas la peine de vous déranger.

M. DUVERDIER.

Ma sœur, notre contrat sera bientôt fait, parce que nous sommes d’accord de tout.

M. BETASSIER.

Oui, nous sommes d’accord ; & Madame doit être très-sûre que son bien sera en très-bonnes mains.

Me. PAVARET.

Qu’est-ce qu’il dit donc Monsieur Betassier ?

M. BETASSIER.

Oh ! vous savez bien, Madame.

Me. PAVARET.

Je ne comprends pas.

M. GOBERGEAU.

C’est qu’il est fort gai, à ce qu’il paroît, Monsieur Betassier.

M. BETASSIER.

Oui, Monsieur, c’est là mon défaut.

M. GOBERGEAU.

Cependant on n’a pas toujours envie de rire.

M. BETASSIER.

Oh ! moi, quand je me marie, tout m’est égal.

Me. PAVARET.

A propos de mariage, mon frere, nous pourrons faire nos deux noces le même jour.

M. DUVERDIER.

Comment nos deux nôces ?

Me. PAVARET.

Oui, celle de ma niece & la mienne.

M. DUVERDIER.

Vous vous mariez ?

Me. PAVARET.

Oui. Puisque vous ne voulez pas donner votre fille à Monsieur de Clairville qu’elle aime, je l’épouse, & je lui donne tout mon bien.

M. DUVERDIER.

Et vous y consentez, vous, Monsieur Landier ?

M. LANDIER.

C’est leur affaire, pourquoi m’y opposerois-je ?

M. GOBERGEAU.

Il a raison ; tout le monde est ici d’accord.

M. DUVERDIER.

En ce cas, Monsieur Betassier, vous êtes trop heureux.

M. BETASSIER.

Comment, trop heureux ?

M. DUVERDIER.

Oui, je craignois que ma sœur, qui protégeoit Monsieur de Clairville, ne s’opposât à votre mariage avec ma fille, & par ce moyen elle n’y met plus d’obstacle.

M. BETASSIER.

Cependant, moi j’y en trouve un.

M. DUVERDIER.

Vous êtes sans doute plus éclairé que nous.

M. BETASSIER.

Mais cela pourroit bien être ; car vous ne voyez pas que si Madame donne son bien à Monsieur en l’épousant, Mademoiselle n’aura ni le Monsieur, ni le bien.

M. DUVERDIER.

Il est vrai ; mais elle vous aura.

M. BETASSIER.

Oui, elle m’auroit, si Madame lui donnoit son bien.

Me. PAVARET.

Si je lui donne mon bien, ce sera à condition que Monsieur de Clairville l’épousera.

M. BETASSIER.

Ah ! dans ce cas-là vous le lui donneriez ?

Me. PAVARET.

Sûrement.

M. BETASSIER.

Mais vous n’aviez donc pas besoin de moi ?

Me. PAVARET.

Non, Monsieur.

M. DUVERDIER.

Mais, ma sœur…

Me. PAVARET.

Voyez le parti que vous avez à prendre.

M. DUVERDIER.

Vous voulez que ma fille épouse absolument Clairville ?

Me. PAVARET.

Oui, mon frere.

M. DUVERDIER.

Et vous, Monsieur ?

M. BETASSIER.

Ce sera comme il vous plaira.

M. DUVERDIER.

Vous êtes bien honnête. En ce cas, j’y consens de tout mon cœur.

Mlle. BATILDE.

Ah, ma tante, que je vous ai d’obligation !

Me. PAVARET.

Soyez heureux, mes enfants, & je serai trop contente.

M. BETASSIER.

Je ne vois pas pourquoi mon père m’a fait venir ici, pour être témoin de tout cela, moi.

M. GOBERGEAU.

Eh ! n’êtes-vous pas trop heureux de remporter l’uniforme de M. Duverdier à Troyes ?

M. BETASSIER.

Je voudrois ne l’avoir jamais vu, ni porté de ma vie, & je repars tout de suite. (Il s’en va.)

M. GOBERGEAU.

Par la diligence, sans doute ?

M. DUVERDIER.

Laissons-le aller ; je suis seulement fâché que ce soit un uniforme de moins que je verrai dans ma maison.

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Explication du Proverbe :

100. Le fort emporte le foible.