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Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Guillaume de Brebeuf

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BRÉBEUF



Il y a pour un poète qui ne serait guère doué que de défauts (mais non de défauts négatifs, tels que la platitude, cela va sans dire — car en ce cas point de salut !) un moyen, peut-être unique, de laisser cependant une œuvre valable : il consiste à choisir un auteur ancien qui ait précisément les mêmes défauts que l’on se sent, et à le traduire. Guillaume de Brébeuf eut la bonne fortune de rencontrer Lucain sur sa route et la bonne idée de s’y arrêter. Il possédait en propre une audace imaginative toute normande, une redondante verve, une abondance inégale et fantasque, une propension aux brillants plus éclatants que purs ; il sut donc exagérer et mettre en lumière les torts de son modèle, et par cela même en restituer avec vigueur le caractère exact. Il nous donna une Phharsale plus sonore encore, plus coupée d’ombre et de lumière, plus grandiloquente, plus Lucanienne, que la Pharsale de l’épique latin lui-même.

Ses Poésies Diverses sont inférieures ; était-ce urgent de les aller chercher sous le vain prétexte d’une élégie au titre de laquelle (et là seulement) figure le nom de Fontainebleau ?


Pour Menandre, À Caliste.
Elégie
escrite de Fontainebleau où elle devoit venir.


On le devine, ce Menandre que le poëte fait parler est encore un Amant dépareillé comme nous en avons déjà tant vu. Près de sa Maîtresse, il se sentait impuissant à la dignement décrire.


Mais depuis qu’un destin et propice et contraire
Me fait voir sa clémence et sentir sa colère,
Et qu’en me bannissant si loin de vos beaux yeux.
Il m’épargne un tourment qui m’estoit précieux ;

Ma voix comme ma main seconde mieux l’idée
Par qui leur entreprise en secret est guidée ;
Sans consulter ces traits qu’on ne peut soutenir
Je forme mon dessein dessus mon souvenir.
Je sçauray mieux icy peindre un Soleil à l’ombre
Que lorsque sa clarté rend mon regard plus sombre,
Et les divins brillans dont Caliste reluit,
Pour la mettre en son jour me font chercher la nuit.


Mais Caliste doit venir, et Ménandre en fait part à tous ceux qu’il rencontre.


Oüy, leur dy-je, elle vient cette aimable farouche.
Vous verrez ces beaux yeux et cette belle bouche,
Ces charmes précieux et ces riches trésors
Qui remplissent son âme et qui parent son corps,
Et bien-tost sa beauté qui n’a point de pareilles
Va d’une Cour brillante effacer les merveilles.
Les plus rares objets qu’on adore en ces lieux
Perdront ce qu’on voyoit d’adorable en leurs yeux ;
Sans couvrir leur éclat de nuage ou de voiles,
Tous ces jeunes Soleils deviendront des estoiles…


Tant pis que cette Caliste l’empêche de rien voir, si ce n’est elle ! Brébeuf, le bon peintre (encore qu’en seconde main) de la Forêt de Marseille, nous eût donné quelque ample énumération antithétique, surchargée de magnifiantes métaphores.