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Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Pierre de Ronsard

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PIERRE DE RONSARD

1524-1585


RONSARD



Pierre de Ronsard, qu’un roi de la race artiste des derniers Valois et de qui de beaux vers nous sont restés, sacra, d’accord avec tout son siècle, Prince des poëtes français, — et que le jugement définitif a bien maintenu au premier rang des Lyriques de France, — Pierre de Ronsard jamais n’élève son ode à de si magnifiques puissances ou si délicieusement ne l’incline à quelque rêveuse mélancolie que lorsqu’il chante la Forest, haute maison des oiseaux bocagers hantée des Nymphes qui vivoient dessous la rude escorce, abri du Cerf solitaire et des Chevreuls légers, et les testes sacrées des chesnes, et les bois dont l’ombrage incertain lentement se remue. Mais s’il s’émeut ainsi, c’est au pays natal, dans sa forêt de Gastine qui fait qu’à toutes les fois lui respondent les Muses, aux bords de sa fraîche fontaine Bellerie, nymphe éternelle de sa terre paternelle, et sur les chères rives de Loir.

À Fontainebleau, il semble bien que le château lui ait un peu caché la forêt. Je dis : le Château ; il faut entendre : la Cour, les princes, et les grands, qu’il est bon d’approcher. En une pièce, la deuxième du « Recueil des Poèmes retranchés par l’auteur aux dernières éditions de ses œuvres », il remémore qu’il a sollicité et obtenu telle faveur de Charles, cardinal de Lorraine ; et il ne veut nullement mériter le nom d’ingrat ; ains (mais), affirme-t-il,


Ains je diray, Seigneur, à nos peuples François
Le bien que m’avez faict pour la seconde fois,
Vous suppliant naguiere au chasteau qui s’appelle
Du gracieux surnom d’une fontaine belle.


La Cour, et la Cour à Fontainebleau, c’est aussi, pour l’époque, le monde où l’on s’amuse, où l’on donne des bals et des concerts, où l’on se déguise, tire des feux d’artifice, assiste à des représentations théâtrales. Ronsard le note en détail dans la seconde partie de son Bocage Royal. Il s’adresse à très-illustre et très-vertueuse princesse la Royne Catherine de Médicis, mère de trois Roys :


Quand voirrons-nous par tout Fontainebleau
De chambre en chambre aller les mascarades ?
Quand voirrons-nous au matin les aubades
De divers luths mariez à la vois,
Et les cornets, les fifres, les haubois,
Les tabourins, violons, espinettes.
Sonner ensemble avecque les trompettes ?
Quand voirrons-nous comme balles voler
Par artifice un grand feu dedans l’air ?
Quand voirrons-nous sur le haut d’une scene
Quelque Janin ayant la joue pleine
Ou de farine ou d’encre, qui dira
Quelque bon mot qui vous rejouira ?
Quand voirrons-nous un autre Polynesse
Tromper Dalinde ?….


Le commentateur du Bocage Royal, Pierre de Marcassus, au mot Janin, met cette remarque : Excellent farceur de son temps ; et cette autre après Dalinde et Polynesse : C’estoit une certaine pièce qui fut représentée de son temps. — Cela manque un peu de précision ! Était-ce là une tragédie, une comédie romanesque ? Quel en est l’auteur ? Il est difficile de se montrer mieux renseigné sur ces points que Marcassus n’y prétend lui-même, lui qui était presque un contemporain.

Mais à ces fêtes d’art, comme à ces divertissements, Ronsard ne se contenta pas de figurer comme simple spectateur.

Je suis persuadé, — je le suis, ou je veux l’être parce que cette Bergerie, dialogue entremêlé de chants et de danses, est un beau poëme, important par les onze cents vers qu’il compte, élégant et varié, fourmillant, de l’avis de Sainte-Beuve, en trouvailles heureuses de pittoresque et de naturel, — et je puis l’être, en somme, à cause de la date de 1565 ou 1567 qui correspond à l’époque où Ronsard travailla pour Fontainebleau, à cause encore de mille allusions descriptives d’arbres et de rocs, de sablons, de fontaines et de vignes, — je suis donc quant à moi persuadé qu’une pièce qui vint succéder sur la scène du Palais à Polynesse et Dalinde, ce fut la Pastorale première du livre intitulé « Les Eclogues de P. de Ronsard, gentilhomme vendomois ».

La distribution vaut d’être rapportée dans son intégrité et dans son aspect originel, et original. Ne semble-t-il pas qu’elle affecte l’apparence d’une affiche de théâtre, ou, pour le moins, d’un programme ?

BERGERIE
LES PERSONNAGES
Le premier Joüeur de lyre dira le Prologue.
S’ensuit après le chœur des Bergères.
ENTRE-PARLEURS
Orleantin, Angelot, Navarrin, Guisin, Margot.
PUIS
Le premier Pasteur voyageur, le second Pasteur voyageur.
PUIS
Le second Joüeur de lyre.
PUIS
Deux pasteurs dedans un antre, l’un représentant la Royne,
l’autre Marguerite, duchesse de Savoie.


Orleantin, également nommé Xandrin, c’est Henri Alexandre d’Orléans, qui sera Henri III. Angelot, c’est François de France, duc d’Anjou, autre frère du roi Charles IX, quatrième et dernier fils de Henri II et de Catherine de Médicis. Navarrin, c’est le roi de Navarre, qui sera Henri IV. Guisin, c’est le duc Henri de Guise. Margot, c’est Marguerite, fîlie de François Ier, mariée au duc de Savoie.

Ces grands personnages ont-ils tenu réellement les rôles inscrits sous leurs noms ? Ont-ils prononcé par eux-mêmes les discours qu’un poète leur met en la bouche ? Louis XIV a bien dansé les ballets de Bensseradde ! Mais ces princes, et surtout le duc d’Anjou, chargé d’un couplet de trente-quatre vers et d’un autre couplet de quatre-vingt-douze vers, étaient extrêmement jeunes à l’époque un peu indéterminée — car je n’ignore pas que la date de 1567 n’est strictement que celle de l’édition qui rassemble les œuvres pour la première fois, — où la Bergerie put être récitée. Il faut pourtant remarquer que Ronsard les met en scène très expressément et nous prévient que ce ne sont pas bergers d’une maison champestre, mais de haute famille et de race d’ayeux… Vers la fin, quand il veut, sans concevoir l’audace de faire monter la Reine-mère sur les planches, attribuer à Catherine de Médicis et à Marguerite de Savoie une série alternée de beaux quatrains moraux analogues et supérieurs à ceux que Pibrac rédigera, il a bien l’habileté de susciter deux Pasteurs pour redire mot à mot les sages paroles par eux jadis entendues. Il semble donc permis de croire qu’en effet Ronsard eut pour interprêtes les princes du sang qu’il a désignés.

Il y a, je l’avoue aisément, quelques conjectures en ce qui précède. Mais nous trouvons plus de certitudes quand nous ouvrons « Les Mascarades Combats et Cartels faits à Paris et au carnaval de Fontaine-bleau ».

Si les quatre premiers Cartels, encore que toujours marqués 1567, ne portent pas d’indication de lieu bien précise, — et pourtant l’un d’eux parle d’une Isle que l’on serait tenté d’identifier avec l’Isle du Palais, dans un instant nommée, — il se présente ensuite :

Le Trophée d’Amour, à la Comedie de Fontaine-bleau.

Le Trophée de la Chasteté, en la mesme Comedie.

Les Sereines représentées au canal du jardin de Monseigneur le duc d’Orléans, à Fontaine-bleau… La Première parleProphétie de la seconde Sereine

Cartel fait pour un combat que fist le Roy en l’Isle du Palais.

Vers recitez sur le Theatre par le Seigneur Mauvissier sur la fin de la Comedie représentée à Fontaine-bleau.

Quel est, assurément, ce Seigneur Mauvissier ? Et de quelle comédie s’agit-il ? Il faudrait ici un érudit. Je le suppose, et je note pour lui le commencement d’une strophe que dit la Première Sereine :

Nous venons donc, ô Roi, selon raison,
Te saluer en la belle maison
Que ta largesse à ton frère a donnée.

Cela, joint à ce sous titre : au canal du jardin de monseigneur le duc d’Orléans, à Fontaine-bleau, établit que le Château et ses dépendances furent, du vivant de Charles IX, et de son consentement, l’apanage du futur Henri III. Laissons à l’historien ce document. Il nous importe plus de savoir qu’un grand nombre de vers de Ronsard, en leur nouveauté, ont éveillé les échos des spacieuses salles, se sont envolés parmi le murmure des feuilles. Mais ce sont, pour la plupart, des vers de commande et de circonstance. Où est, en tout cela, ce que nous voulions trouver : un souvenir mélancolique, empreint de rêverie et parfumé de nature, où se profilent des silhouettes d’arbres dans les lointaines perspectives, où rêve, un peu triste, un inentendu gazouillis d’eau vive ?

Voici.

Le premier livre des Poèmes de P. de Ronsard contient plusieurs morceaux dediez à tres-illustre et tres-vertueuse Princesse Marie Stuart, Royne d’Escosse, Marie Stuart, après la mort prématurée de son époux, a dû quitter le doux et cher pays de France où elle ne fut reine qu’un moment, et renoncer à la vie claire et facile qui lui convenait tant ; elle est rentrée dans sa rude contrée, et se débat au milieu d’hommes grossiers et de laides intrigues, si déjà elle n’est dans les prisons d’Elisabeth d’Angleterre. Ronsard, qu’elle aimait, sait qu’elle souffre là bas. Et quand il l’évoque en sa pensée, il ne la revoit pas aux heures heureuses, en drap d’or habillée et couronnée de joyaux. Non. Le poëte est atteint d’un pressentiment qui ne sait pas d’embellie entre la douleur passée et la douleur future, et son angoisse est forte au point de ne pas même admettre les joies qui précédèrent. Elle est en deuil déjà, enveloppée d’un crespe long, subtil et délié.

De tel habit vous estiez accoustrée
Partant, hélas ! de la belle contrée
Dont aviez eu le sceptre dans la main.
Lorsque pensive, et baignant vostre sein
Du beau crystal de vos larmes roulées.
Triste marchiez par les longues allées
Du grand jardin de ce royal château
Qui prend son nom de la beauté d’une eau.

Mais qu’elle reste belle en ce funèbre apparat !

Lors les rochers, bien qu’ils n’eussent point d’ame,
Voyans marcher une si belle dame,
Et les déserts, les sablons et l’estang
Où vit maint cygne habillé tout de blanc,
Et des hauts pins la cyme de verd peinte,
Vous coutemploient comme une chose sainte.
Et pensoient voir (pour ne rien voir de tel)
Une Deesse en habit d’un mortel
Se promener, quand l’aube retournée
Par les jardins poussoit la matinée,
Et vers le soir, quand déjà le Soleil
A chef baissé s’en-alloit au sommeil.

Toujours des cygnes habillés tout de

blanc errent sur la pièce d’eau, devant les fenêtres du château de Fontainebleau, où ne s’est pas aboli le souvenir des belles dames d’antan, et ne sentira-t-on point, grâce à Ronsard, la fine jeune reine, qui fut veuve et exilée à dix-huit ans, et ne devait pas vieillir… triste, marcher par les longues allées du grand jardin…



À propos de cette phrase de Ronsard :

Quand voirrons-nous un autre Polynesse
Tromper Dalinde ?…


et de la note de Marcassus :

C’estoit une certaine pièce qui fut représentée de
son temps…


j’ai dit : « Cela manque un peu de précision. Était-ce là une tragédie, une comédie romanesque ? Quel en est l’auteur ? Il est difficile de se montrer mieux renseigné sur ces points que Marcassus n’y prétend lui-même, lui qui était presque un contemporain. »

Il était pourtant facile d’ouvrir Les Dames Illustres de Pierre de Bourdeille, sieur de Brantôme, à la vie de Catherine de Medicis, et d’y lire que la Reine « prenoit plaisir de donner tousjours quelque recreation à son peuple et à sa Court, comme en festins, bals, dances, combats, couremens de bagues dont elle a faict trois fort superbes en sa vie : l’un qui fut faict à Fontainebleau au mardy gras amprès les premiers troubles où il y eut et tournois et rompement de lances et combats à la barriere, bref toutes sortes de jeux d’armes, avecques une commedie sur le subject de la belle Genievre de l’Arioste, qu’elle fit representer par madame d’Angoulesme et par ses plus honnestes et belles princesses, et dames et filles de sa court, qui certes la representarent très bien, et tellement qu’on n’en vit jamais une plus belle. »

Cette date : « après les premiers troubles » nous reporte bien à l’une des cinq ou six années qui précédèrent 1567.

Il était tout aussi facile, ensuite, d’ouvrir l’Orlando Furioso, et de constater que les Chants IV, V et VI racontent tout au long l’aventure de Ginevra, de Dalinda, et du trompeur Polinesso. Voici, en un résumé, bref autant qu’il est possible, cette romanesque et compliquée histoire.

Ginevra, fille du roi d’Écosse, a pour suivante et fille d’honneur Dalinda, et cette Dalinde est la maîtresse de Polinesso, duc d’Albanie. Chaque nuit Dalinde, d’un balcon, jette une échelle de corde à son amant, et le reçoit dans une des chambres de l’appartement particulier de la princesse. Mais un jour le duc lui avoue qu’il est épris de la princesse elle-même, et il prie Dalinde de l’aider, tout au moins, à devenir le gendre du roi, et de favoriser ainsi son ambition, l’assurant d’ailleurs qu’elle sera toujours la préférée et que leurs relations continueront après le mariage. Et elle, complètement asservie et dont les sentiments sont d’une analyse assez difficile, y consent, elle s’efforce de procurer Ginevra à Polinesse, mais n’y peut parvenir. Il ne reste plus au traître qu’une pensée, celle de se venger. Il va trouver Ariodarite le preux chevalier, qui est aimé de Ginevra, qui l’aime et lui est fiancé : il lui offre de lui montrer Ginevra au balcon, lui jetant l’échelle de corde, à lui, Polinesse, et l’accueillant avec toutes les marques d’une passion qui n’a plus rien à refuser. En effet Dalinde, ce soir-là, sur de fourbes instances, a consenti à revêtir les habits de Ginevra. Et Ariodante, désespéré, va se jeter dans la mer. Mais son frère Lurcanio a tout vu ; il révèle et proclame le déshonneur de la fille du roi, qui est condamnée à périr dans le délai d’un mois si personne ne veut soutenir sa cause en champ clos. Dalinde, voyant que cela se gâte, se réfugie auprès de Polinesse, et celui-ci, — suprême et fatale canaillerie ! — tente de la faire assassiner. Au dénouement lout s’arrange, grâce à l’intervention du paladin Renaud. Renaud a tiré Dalinde des mains des sbires qui voulaient la tuer, et il a reçu ses aveux. Il établit l’innocence de Ginevra, laquelle épousera son Ariodante, sauvé des flots ! Polinesse, après avoir confessé ses crimes, meurt, d’un grand coup de lance qui le transperce. Et Dalinde, graciée, entre au couvent.

Un beau sujet de drame ! D’un, presque identique, pris des Histoires Tragiques de Bandello, traduites en français par Belleforest, Shakspere a fait Beaucoup de bruit pour rien. Quel fut le Shakspere, à qui Catherine de Medicis fit appel ?

Car, assurément, il ne s’agit pas d’un simple scénario extrait du poëme italien, sur lequel les « belles et honnestes dames » auraient brodé leurs fantaisies. Vers 1565, il y avait déjà beau temps que les poètes travaillaient pour le théâtre, et l’on pourrait même dire pour le théâtre de la Cour. Le Plutus de Ronsard date de 1549. Jacques Bourgeois, en 1545, et Pierre de Mesmes, en 1552, avaient déjà traduit les Supposés du même Arioste. La Sophonisbe du Trissin, mise en prose et en vers français par Mellin de Sainct Gelays, avait été représentée à Blois, en 1554, 1556 ou 1559, devant Henri II et Catherine de Medicis. Il est donc à peu près certain que la Reine-Mère dut commander à un écrivain en renom cette adaptation de l’Arioste qui, au moins, eut le mérite d’être la première et de précéder de quelque vingt ans la Bradamante de Robert Garnier.

Un livre collectif qui parut en 1572 : Imitation de quelques chans de l’Arioste par divers poëtes français… contient Roland furieux, Rodomont, deux complaintes de Bradamant, le premier livre d’Angelique, par Philippe Desportes ; Genevre, le commencement par Saingelais et la suyte par I. A. de Baïf ; Fleurdépine, par I. A. de Baïf ; Renaud, par Loys d’Orléans. Mais aucun de ces poèmes n’a la forme dramatique.

Les frères Parfaict connaissent, en 1609, une tragi-comédie de Genevre, de Claude Billard de Courgenay, Bourbonnois. Ils en attribuent une autre, assez problématiquement, à Nicolas Chrestien Des Croix. Elle serait de la même époque. Ce n’est donc pas non plus cela.

Et le nom du véritable auteur est encore à trouver. Mais c’est, sans doute, non moins facile que le reste.