Aller au contenu

Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Un Pasquil

La bibliothèque libre.


UN PASQUIL



L’auteur de ce Pasquil (un pasquil, ou pasquin, c’est une pièce satirique du même genre que furent les Mazarinades : — à Rome, deux vieilles statues mutilées, baptisées Pasquino, ou Pasquillo, et Marforio, se faisaient face ; or il était peu de matins que l’on ne vit attaché à l’un de ces sortes de Termes, ou bornes antiques, quelque placard injurieux ou burlesque ; et, le lendemain, l’autre donnait réponse à la diatribe de la veille, ou en présentait la contrepartie ;) l’auteur donc de ce Pasquil, un voyageur venant de Paris, eut à peine dépassé l’extrême orée de la Forêt, qu’il se vil entouré d’une nuée tourbillonnante d’oiseaux étrangement bavards.


En m’acheminant l’autre jour
A Fontainebleau, beau séjour.
Pensant mon voyage parfaire
Et consulter un mien affaire,
Je rencontray en mon chemin
Un subject de rire tout plein :
Ce fut grand nombre de cocus
De diverses plumes vestus…


Heureusement, très heureusement pour prévenir nos ires à bon droit surprises, que nous sommes bien avertis des variations phonétiques de la langue, et savons que le nom de l’oiseau bien connu, de l’ordre des grimpeurs, catalogué, par onomatopée de son cri, sous cette double syllabe plus ou moins harmonieuse : coucou, — que ce nom ne fut pas toujours prononcé, peut-être, ou orthographié, en tout cas, comme il l’est maintenant.


Ronsard nous en est un sûr témoin :


Dieu vous gard, messagers fidelles
Du printemps, gentes arondelles,
Huppes, cocus, rossignolets,
Tourtres, et vous oiseaux sauvages.
Qui de cent sortes de ramages
Animez les bois verdelets.

Afin qu’il n’y ait pas d’erreur possible, le rimeur, piètre, de la pasquinade nous décrit tout au long ces intéressants volatiles, de diverses plumes vestus,


Les uns grands, les autres bien gros.
Autres à voler bien dispos ;
Les uns vestus à la légère
Tenoient la place de derrière :
Comme les grues, sans desordre.
Ils y voloient tous en bel ordre,
Faisant, ainsy que fait la foudre,
De tous costez voler la poudre.
D’airondelles si grand ensemble
Aucun n’ay point veu, ce me semble,
Soit qu’en voulant la mer passer
Et nostre climat délaisser.
Elles aillent en autre contrée
Eviter les coups de Borée,
Ou soit qu’arrière retournans
En nostre saison au printemps.
Au dedans de nos cheminées
Qui du feu ne sont enfumées
Ou bien en quelque autre endroict
Elles se logent plus à droict.


Une particularité étonne cependant, c’est que ces coucous-là, contrairement à toutes les règles admises, chantent en un mois autre qu’avril ou mai.


Ce n’est maintenant la saison
Que les cocus doivent chanter.
Laisse le printemps retourner…

Et Dieu sait s’ils chantent, jacassent, s’escrient de façon à assourdir le voyageur, tantôt laissant parier l’un ou l’autre d’entre eux, tantôt faisant chorus. Ils ont je ne sais quels motifs de plainte qu’ils exposent avec une véhémence confuse. Pourtant le Pasquin ne les juge pas du tout malheureux ; car, dit-il :


Bien peu de cocus ont souffrance ;
Cocus ont toujours abondance.
Jamais ils ne manquent de rien,…


Mais il semble qu’il n’aille pas jusqu’à envier leur félicité.


Puis succèdent d’autres habitants emplumés de ces bois : force corneilles, qui parloient et disoient merveilles.

Les merveilles qu’elles disent n’ont plus de rapport bien exact avec l’ornithologie. Ces babillardes, par exemple, ont lu la Rhapsodie VIII de l’Odyssée et ri le rire Homérique déchaîné lorsque le Dieu du feu imagina sa plus forte vengeance et


Forgeant des chesnes en diligence
Se pleust luj mesme d’avoir pris
En ses lacs Mars avec ypris.


Et elles font l’application de leur texte


Aux femmes qui font résidence
En la céleste demeurance
Du fameux séjour de nos roys,
(Où tout ploie sous leurs lois)
A Fontainebleau, le village
Où l’on ouyt souvent le ramage…


… le ramage de ces oiseaux dont les premiers vers de la pièce nous ont suffisamment indiqué l’intarissable loquacité.


La conclusion est ce qui suit :


Ne soyez donc pas trop marris.
Marchands et bourgeois de Paris,
Si la Court fait sa quarantaine
En ces bois où la douce haleine
Des nymphes de Fontainebleau
Captive les esprits plus beaux.


Pour l’intelligence historique de ce dernier détail, il sied d’exposer que : Le Pasquil du Rencontre des cocus de Fontainebleau, in-8, date de 1623 et se range parmi plusieurs libelles faits cette année-là à l’occasion d’un long séjour de Louis XIII au Château. Voici quelques titres de cette série : Le Caquet des poissonnières sur le departement du Roy et de la Cour, in-8 ; L’Affliction des Dames de la Cour sur le depart de leurs serviteurs et amis suivant la Cour, avec la Consolation qui leur est faite à ce sujet par Cleandre, in-8 ; Le Ballet donné à Fontainebleau par les Dames d’Amour, ensemble leurs Complaintes, in-8. La troisième plaquette est plus récente de deux ans, mais elle se rattache bien au groupe. Et notons que ce Ballet fut réglé par un singulier maître à danser, le roi Chaste ayant fait infliger le fouet aux susdites galantes Dames.

La première et la dernière de ces pièces, et notre Pasquil aussi, se peuvent lire dans les Variétés historiques et littéraires d’Édouard Fournier qui font partie de la Bibliothèque EIzevirienne de Daffis et Jannet. Le Pasquil, il est assez long, figure au tome III, publié en 1855, pages 217 à 228. Les curieux auront raison de recourir au volume. Car, on l’a bien senti, à cause d’un sentiment de prudence qu’inspirèrent d’assez fortes crudités, ce qui fut transcrit ici n’est pas ce qu’il y a certes de plus intéressant. La peinture de mœurs est vive, à coup sûr, mais non pas sans valeur. Je parle de la peinture, plutôt que de l’écriture.

Le mauvais railleur qui fît ces vers incorrects, — c’était prendre une inutile peine que de s’amuser à noter ceux qui sont trop longs et ceux qui en revanche sont trop courts, ni ceux qui rimeraient avec excès et ceux qui ne riment véritablement pas assez, non plus qu’à relever les erreurs de grammaire ou de style — l’impertinent, donc, termine ainsi :


Mais je veux finir mon voyage,
Vous apprenant, en homme sage.
Qu’en ce lieu de Fontainebleau
On entend partout l’air nouveau,
Du plaisant oiseau le ramage.
Qui dit Coucou en son langage…


Il ne semble pas songer que la même chanson résonne, parbleu ! tout aussi bien dans n’importe quelle autre ville plus ou moins sise en terrain boisé.