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Réflexions sur l’usage présent de la langue française/S

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S

Sagacité.


Ce mot s’est estably, & il est mesme du bel usage. Cét Auteur a pénétré par la sagacité de son esprit, ce qu’il y avoit à approfondir dans la Logique[1].


Des Sages-femmes, Des Sage-femmes.

Il faut écrire des Sage-femmes, & non, des Sages-femmes ; parce que, Sage-femme est consideré comme un seul mot.


De sang froid, De sens froid.

C’est le sentiment de M. Ménage & celuy de presque tout le monde, qu’il faut dire, de sang froid, à l’imitation des Italiens qui disent : di sangue freddo : l’amazzò di sangue freddo. Quelques Ecrivains néanmoins disent, de sens froid, & entr’autres l’Auteur des entretiens sur la pluralité des mondes : « On a esté réduit à dire que les Dieux estoient pleins de Nectar lors qu’ils firent les hommes ; & que quand ils vinrent à regarder leur ouvrage de sens froid, ils ne purent s’empescher de rire. »


Santé.

M. Ménage se trompe de croire que ce mot n’a de plurier que lors qu’il signifie les santez qu’on boit. On dit fort bien & en bon François, toutes les santez ne sont pas si fortes que la vostre, il y a des santez foibles qui succombent d’abord.


Sapience.

Il y a de certaines occasions où ce mot peut avoir entrée ; & j’ay veu un grand nombre de personnes fort délicates dans la Langue, qui approuvent cette phrase de M. Sarazin. Ceux que l’Univers a respectez comme les Legislateurs de la sapience[2].


Satiété.

Satiété est un mot élégant & qui se dit avec beaucoup de grace. M. Fléchier s’en sert fort à propos dans l’Histoire du Cardinal Commendon. « Il prévenoit la satiété que donne une assiduité affectée ; & il sembloit renouveller & augmenter son crédit par ses absences. »


Satisfaire à son envie.
Satisfaire son envie.

On dit satisfaire à son envie, satisfaire à ses desirs, beaucoup mieux que : satisfaire son envie, satisfaire ses desirs ; cependant on dit satisfaire quelqu’un, & non, à quelqu’un ; & voicy la régle qu’on doit suivre en cela : quand il s’agit de la personne directement, il ne faut point mettre le datif, satisfaire les gens, satisfaire tout le monde, j’ay fait cela pour le satisfaire, & non, pour luy satisfaire, mais s’il s’agit des passions de la personne, comme de son avarice, de son ambition, il faut mettre le datif, satisfaire à son avarice, satisfaire à son ambition ; c’est ainsi que Malherbe a dit :

En vain pour satisfaire à nos lâches envies
Nous passons prés des Rois tout le temps de nos vies
A souffrir des mépris & ployer les genoux,
Ce qu’ils peuvent n’est rien, ils sont comme nous sommes,
Veritablement Hommes,
Et meurent comme nous.


Sçavant homme, Habile homme.

A considérer les choses de prés, ces deux termes n’ont pas le mesmes sens ; & un des hommes qui a le mieux entendu nôtre Langue suppose mesme que l’un est différent de l’autre ; encore, dit-il, qu’il y ait grande différence entre un homme sçavant & un homme habile, je suis obligé néanmoins de vous faire voir, &c[3]. Cette différence consiste en ce que le mot de sçavant homme, marque seulement une mémoire remplie de beaucoup de choses apprises par le moyen de l’estude & du travail, au lieu que le mot d’habile homme encherit sur cela, il suppose toute cette science, & ajoûte un génie élevé, un esprit solide, un jugement profond, un discernement estendu. C’est ce qui a fait dire à la mesme personne, en parlant contre un Professeur du Collége de la Marche ; « il peut devenir sçavant par l’estude & par le travail, mais non pas habile homme ; parce qu’il trouvera bien dans les Livres dequoy remplir sa mémoire, mais non pas dequoy élever la bassesse de son génie & fortifier la foiblesse de son jugement. »


Sçavoir, Savoir.

La raison est pour savoir sans s, venant de sapere qui se dit en ce sens chez les Italiens, non sapere che far. Mais le plus grand usage est pour sçavoir avec un c. Ainsi il faut écrire sçavoir, & non, savoir.


Scélérat.

Scélérat ne se dit qu’au masculin, c’est un scélérat ; mais on ne dit pas en parlant d’une femme qui n’aura ni pieté, ni religion, c’est une scélérate, il faut se servir de quelqu’autre terme. On dit pourtant : une ame scélérate.


Se au lieu de Son.

Il y a des occasions où le pronom réciproque se est mieux que le pronom son, par exemple, ce seroit une faute de dire : il prit son épée & ouvrit son sein soy-mesme, il faut : & s’ouvrit le sein soy-mesme, ce seroit encore mal dit : il a passé l’épée au travers de son corps, il faut : il s’est passé l’épée au travers du corps ; d’où il est facile de voir qu’il faut dire aussi, il luy passa l’épée au travers du corps, & non, il passa son épée au travers de son corps. De ce principe il s’ensuit aussi qu’on doit dire : lavez-vous les mains, & non, lavez vos mains ; parce qu’on dit : se laver les mains, & non, laver ses mains, de mesme : lavez-vous la bouche, & non, lavez vostre bouche, parce qu’on dit : se laver la bouche. Ces exemples en peuvent faire entendre plusieurs autres qui ne me viennent pas à présent dans l’esprit.


Second, Segond.

M. Ménage qui veut qu’on écrive comme on parle, dit qu’il faut écrire segond, puis que c’est ainsi que l’on prononce ; mais il se trompe, car il y a un usage pour l’orthographe que la raison veut que l’on suive : & Quintilien mesme qui conseille d’écrire comme on parle, parce que les caractéres ne sont inventez que pour exprimer les sons, avouë néanmoins que si l’usage a prévalu, il faut le suivre[4].


Secourable.

Ce mot signifie une personne qui se laisse aisément toucher aux miseres d’autruy, & qui fait ses efforts pour sécourir les malheureux. C’estoit un homme doux & sécourable, dit M. Fléchier dans l’Oraison Funébre de M. de la Moignon.


Jeux séculaires, Jeux séculiers.

On ne dit jeux séculiers qu’en parlant des jeux ordinaires qui sont en usage parmy les personnes Laïques, & qui sont indignes des Ecclesiastiques, & de ceux qui par leur profession sont plus étroitement engagez à renoncer au monde & aux plaisirs du monde ; ainsi on dira fort bien, que la chasse est un divertissement séculier, que la paume est un jeu & un divertissement tout séculier. Mais il est à remarquer que si l’on parle de jeux qui ne conviennent ny aux personnes Laïques, ni aux personnes retirées du monde ; on ne doit point appeller ces jeux, des jeux séculiers, parce qu’en disant d’un divertissement, que c’est un divertissement tout séculier ; c’est supposer que si ce plaisir ne convient pas aux Ecclesiastiques, les Laïques néanmoins le peuvent prendre innocemment. Ainsi ce ne seroit pas parler avec exactitude de dire : la Comédie & l’Opéra, les Bals & les Dances sont des divertissemens séculiers ; les jeux de hazards sont des jeux séculiers.

Jeux séculaires ne se dit qu’en parlant de ces jeux qui dans l’antiquité payenne se célébroient de siécle en siécle ; & qui les appelleroit jeux séculiers, ne parleroit pas bien, c’est par l’autorité des Livres des Sybilles qu’on récommença à célébrer les jeux séculaires[5].


Sécurité.

Ce n’est plus une question à faire si ce mot est bon ; l’usage l’a si bien estably qu’il faudroit n’estre pas François pour faire difficulté de s’en servir. Il ne signifie pas la mesme chose que seureté ni asseurance, il marque seulement la persuasion où l’on est d’estre en seureté. Exemple, « quand ceux qui vivent dans le déréglement, ne peuvent se résoudre à régler leurs mœurs selon les véritez qu’ils ont abandonnées ; ils mettent toute leur estude à se les cacher, de crainte de troubler cette paix fausse & cette sécurité trompeuse dans laquelle ils veulent passer leurs jours[6]. »


Seriosité.

Seriosité ne se dit guéres. M. de Balzac s’en sert souvent, la seriosité des Grecs, dit-il, a-t’elle rien qui vaille cette raillerie fiere & impérieuse de vos Romains[7]. Et ailleurs : je n’ay pas fait vœu d’une constante & perpetuelle seriosité. Mais je ne crois pas que ce mot fust bien receu aujourd’huy.


Servage, Servitude.

Servage ne se dit point en Prose, mais on peut l’employer en Poësie ; & je ne crois pas que M. Godeau soit à reprendre de l’avoir mis en ces Vers cy.

Quand Israël sortit du rigoureux servage
Des barbares Egyptiens,
Le monarque des Cieux en brisant ses liens
Le choisit pour son heritage,
Et le combla de mille biens.

Ni le Traducteur de Saint Prosper, lequel dit avec tant de grace.

Nos pieux sentimens, nos loüables desirs ;
Nos saintes actions, nos celestes plaisirs
Sont en nous, non de nous, & sont l’unique ouvrage
Du Dieu qui nous tira d’un si honteux servage[8].


Seulement, au lieu de mesme.

Seulement se peut dire au lieu de mesme ; M. de Vaugelas a écrit le contraire ; mais ce qui l’a trompé, c’est qu’il y a des occasions où seulement ne se peut pas dire en ce sens. Si l’on demande, par exemple, fait-il bien chaud, c’est une faute, dit-il, de répondre : il fait bien froid seulement ; & il a raison, parce que la proposition est affirmative ; mais il n’a pas pris garde que quand la proposition estoit négative, seulement se pouvoit dire élégamment au lieu de mesme, comme par exemple : est-il quatre heures, il n’en est pas trois seulement. Bien loin de se fâcher contre luy, il ne luy a pas parlé seulement, il ne luy a pas dit un mot seulement : on parle tous les jours ainsi, & des Auteurs tres-polis s’expriment de la sorte dans leurs Livres : « Les pensées obscures, dit le Pere Bouhours, sont semblables à ces femmes qui vont masquées par les ruës, ou qui se cachent dans leurs coëffes, il faut les laisser passer & ne les pas regarder seulement[9]. »


Si fais bien moy.

Il y a peu de gens qui se plaisant à une chose, & qui entendant dire qu’un autre ne s’y plaist pas, ne fasse cette réponse. Si fais bien moy, par exemple, si je dis à un amy qui aimera le jeu : pour moy je n’aime guéres à joüer : il me répondra : si fais bien moy. On dit mesme : si fait bien luy, si font bien eux. Cette maniére de parler nous vient des Italiens qui disent si, quand ils veulent affirmer une chose. Quelques personnes néanmoins y trouvent à redire : mais elle me paroist si naturelle, si naïve & d’ailleurs si usitée que je ne crois pas qu’on la doive condamner ; & il me semble que cét Auteur s’en est servi assez à propos qui a dit : « Ce n’est pas au cœur que vont les choses que l’homme mange, ainsi elles ne sçauroient le soüiller si font bien celles qui en sortent[10]. » Il faut remarquer cependant que ce terme n’est pas du haut stile, & qu’il n’est bon que dans le discours familier.


Silentieux.

Silentieux ne se dit que dans le discours familier, vous estes bien silentieux aujourd’huy ; vous parlez bien peu.


Simplesse.

Ce terme peut avoir sa place, & M. de Voiture écrivant à M. Costar qui l’avoit consulté là-dessus, luy dit que simplesse se dit encore quelquefois. J’estime pour moy qu’il ne se dit bien que d’une action de simplicité, c’est une simplesse qu’il a fait, pour dire que c’est une action de simplicité. Je ne crois pourtant pas ce mot fort usité.


Sinistre.

Sinistre est un fort bon mot, il y a des gens qui croyent qu’il n’est pas bien François, mais il faut n’avoir aucune connoissance de nostre Langue pour oser le condamner. Les Auteurs mesmes les plus nouveaux s’en servent : « est-il possible de prévoir ce qu’il y aura de sinistre dans les auspices[11]. »

« Tu as annoncé de faux auspices, & comme je l’espere plus sinistrement pour toy que pour la Republique. » On dit encore de sinistres présages.


Soldatesque.

Soldatesque est tres en usage. L’Edit fut, dit un habile Ecrivain, que personne ne porteroit les armes, excepté la Noblesse, la Soldatesque, & les Officiers.


Sollicitude.

Ce mot est fort bon, & aucuns de ceux qui se piquent de bien parler, ne font difficulté de s’en servir ; au contraire, ils le regardent comme un terme élégant qui se dit avec grace.


Midy est sonné, a sonné.

Il faut dire, midy est sonné, dix heures sont sonnées, & non, a sonné : l’horloge a sonné, & non, est sonné, parce que c’est l’horloge qui sonne les heures, & que ce sont les heures qui sont sonnées par l’horloge.


Sort, hazard.

Il n’y a peut-estre pas dans toute nostre Langue de termes plus creux que ceux-là : le sort est aveugle, dit-on d’ordinaire, cela est arrivé par hazard, le hazard gouverne presque tout, mais l’on ne prend pas garde que ce sort, que ce hazard qu’on fait tant valoir n’est à parler exactement que nostre ignorance, laquelle fait qu’une chose qui a en soy des causes nécessaires & déterminées ne nous paroist pas en avoir ; & que nous ne sçaurions dire pourquoy elle est de cette maniére plûtost que d’une autre. Un homme qui tient des dez ou des cartes à la main, voit tout égal en apparence entre luy & celuy avec qui il jouë ; & dans la veuë de cette égalité, comme l’a remarqué un Auteur, il se forme un fantôme dans son imagination, lors qu’il vient à perdre ; il s’imagine un sort aveugle & capricieux qui s’est déterminé sans raison en faveur de l’autre. Cependant il est certain que le bon ou mauvais jeu dépend d’une détermination particuliére de la main qui jette les dez ou qui donne les cartes, laquelle estant supposée, il est tres-nécessaire que le jeu vienne de cette façon. Le hazard n’est donc qu’un nom vuide de sens, qu’un grand mot qui ne signifie rien. Cependant comme c’est un terme d’usage il faut s’en servir, mais l’employer pour ce qu’il vaut.


Soudain.

On se servoit de ce terme il y a quelques années, Et M. Sarazin l’employe en plusieurs endroits, soudain qu’ils furent reconnus, le dépit d’avoir si-tost lâché le pied, les ramena à la charge[12]. Et un peu plus bas : « les assiegez creuserent une traverse sur la main droite qui nous auroit fait beaucoup de peine, si Castelnau ne l’eust soudain emportée. » Je m’estonne que M. Charpentier se soit aussi servi de ce mot. Il partit soudain pour tirer raison de cette cruauté[13].


Sourdre.

Sourdre signifie, naistre, sortir, & se dit proprement des fontaines. On s’en sert quelquefois dans le figuré ; il me semble que M. d’Ablancourt ne l’a pas employé mal à propos en cét exemple : « comme on vantoit la puissance de César, Pompée dit qu’en frappant du pied contre terre, il en feroit sourdre des légions[14]. »


Sous l’esperance, sur l’esperance.

Quand il y a un article, on met sur, comme : sur l’esperance de &c. Il dit qu’il n’avoit pas quitté son peuple sur de petites esperances[15]. Mais quand on retranche l’article, on dit sous, comme sous esperance de, &c.


Soûtenir.

Ce n’est que depuis quelques années que ce mot se dit en tant de significations, comme : soûtenir sa réputation, se soûtenir dans le monde, soutenir ses actions, soutenir l’opinion avantageuse qu’on a donnée de soy. Soutenir les affaires de l’Etat, se soutenir dans un discours. Un discours soutenu.


Souvenance.

Ce mot ne peut avoir de place que dans le stile plaisant. « Je ne sçay, dit M. de Voiture, si vôtre serviteur m’a fait l’honneur de m’écrire quelque chose, je suis toûjours le sien tres-humble, & il n’y a pas trois jours que je m’enfermay dans ma chambre & qu’en souvenance de luy, je chantay une demie-heure, Pere Chambaut[16]. »


Souffreteux.

M. Patru s’est servi de ce mot dans l’un de ses Plaidoyez. Pauvre & souffreteux, mais il n’est pas à imiter en cela.


Soy-mesme, luy-mesme.

Le Pere Bouhours a fait une tres-bonne remarque là-dessus ; & je crois qu’on y peut ajoûter qu’une régle infaillible pour connoistre quand il faut mettre soy-mesme, c’est de voir si le pronom réciproque se est auparavant. S’il y est, il est indubitable que soy-mesme est mieux que luy-mesme. Il s’est tué soy-mesme, il se louë soy-mesme. Mais quand le pronom réciproque se, ne se rencontre pas, on met tantost l’un & tantost l’autre, selon le lieu & l’occasion : On dit néanmoins plus souvent luy-mesme : il y est allé luy-mesme, il me l’a dit luy-mesme. Ce que je dis icy ne regarde que les personnes ; car quand il s’agit de la chose, il est ordinairement mieux de dire soy-mesme, parce que luy-mesme semble trop marquer la personne ; encore cela souffre-t’il bien des exceptions.


Sphinx.

M. Charpentier dans sa défense pour la Langue Françoise, fait ce mot féminin, l’Orateur Hortensius faisoit porter par tout où il alloit une sphinx qu’il avoit euë de Verrez. Mais il est plus doux & plus conforme à l’usage présent de le faire masculin, comme fait M. d’Ablancourt dans sa traduction des Apophtegmes des Anciens, tu as pourtant un sphinx chez toy.


Spirituel.

Spirituel dans le figuré se dit en deux sens ; on s’en sert quelquefois pour marquer qu’une personne a ou n’a pas de l’esprit, ou qu’une chose est faite ou n’est pas faite avec esprit, comme : c’est un homme fort spirituel, il n’est pas des plus spirituels de ce monde ; ce Sonnet me paroist fort spirituel ; ces Vers n’ont rien de trop spirituel. D’autrefois on s’en sert au sens de piété & de dévotion, comme : un Chrestien doit toujours faire quelque lecture spirituelle ; Et c’est en ce sens que le Révérend Pere Ménestrier de la Compagnie de Jesus s’en est servy dans le Livre qu’il a composé sur les régles des Ballets, où il dit dans l’Epistre, pour empescher qu’on ne s’estonne qu’un homme de sa profession, se soit mêlé de donner des régles pour la danse : « Les Peres de l’Eglise ont traité autrefois de la Musique, de la Poësie, de l’Histoire & des spectacles de leurs temps, c’est ce qui pourra me justifier auprés de certains esprits qui voudroient que l’on n’écrivist que des Livres spirituels, quand on est de profession à instruire le public des devoirs du salut. »


Subjonctif nécessaire.

Exemple : Si vous estes un homme qui vous endormez dans une molle oisiveté[17]. Il y a faute en cét exemple, il falloit se servir du subjonctif & dire : si vous estes un homme qui vous endormiez dans une molle oisiveté, & non, endormez.

Supposons qu’aucun homme ne sçait cela, il faut ne sçache.

Il y a lieu de s’estonner que les Seigneurs ne parurent point durant ces tempestes ; & que depuis la Conversion d’Ignace personne ne pensast à luy[18]. Je trouve deux fautes dans cét exemple, la premiére est que l’Auteur à mis parurent à l’indicatif, au lieu de dire parussent au subjonctif ; car jamais avec le verbe estonner, nous ne mettons l’indicatif dans ces sortes de phrases, ou le que suit immediatement le verbe ; on ne dit pas, par exemple, il y a lieu de s’estonner qu’il pleut tant, mais, qu’il pleuve tant : on ne dit point non plus, qu’il dit cela, qu’il fait cela, je m’estonne qu’il est venu, qu’il va à la Campagne en un si mauvais temps, mais, qu’il dise cela, qu’il fasse cela, qu’il soit venu, qu’il aille à la campagne. L’indicatif ne pourroit se mettre en tous ces exemples, qu’en mettant de ce que au lieu de que, comme : il y a lieu de s’estonner de ce que les Seigneurs ne parurent point durant ces tempestes. Je m’estonne de ce qu’il dit cela, de ce qu’il fait cela ; je m’estonne de ce qu’il est venu si-tost, ainsi il falloit dire : il y a lieu de s’estonner que les Seigneurs ne parussent point durant ces tempestes.

L’autre faute est que l’Auteur ayant mis le premier verbe à l’indicatif, met le second au subjonctif dans le mesme ordre que l’autre qu’il met à l’indicatif, car aprés avoir dit : il y a lieu de s’étonner que les Seigneurs ne parurent point, il ajoûte, & que personne ne pensast à luy ; cependant les deux verbes se trouvent dans le mesme regime ; si l’un estoit à l’indicatif, il falloit donc que l’autre y fust.

On lit dans l’avertissement d’un Livre, dont le langage est bien plus précieux que correct : Euthyme & Théagene n’ont point crû qu’il falloit ménager des gens qui ménagent si peu le public ; ce falloit est une faute ; une personne un peu entenduë dans ce qui regarde la délicatesse de nostre Langue, auroit dit : n’ont point cru qu’il fallust ménager des gens qui ménagent si peu le public, & non, qu’il falloit. Ce qui fait que cette proposition demande ainsi le subjonctif, c’est qu’elle est négative ; si elle estoit au contraire affirmative, elle demanderoit l’indicatif, & falloit seroit alors nécessaire au lieu de fallut. Ainsi l’on doit dire : j’ay cru qu’il falloit. Je n’ay pas cru qu’il fallust. Il croyoit que c’estoit luy. Il ne croyoit pas que ce fust luy. Et ainsi de plusieurs autres exemples qui sont aisez à entendre.


Subjonctif vicieux.

Si l’on fait quelquefois des fautes, en se servant de l’indicatif au lieu du subjonctif ; on en fait aussi fort souvent, en mettant le subjonctif au lieu de l’indicatif. Exemple : « On diroit que tout l’esprit & toute la science du monde soit maintenant parmy nous, & que tous les autres peuples soient barbares en comparaison des François[19] » ; il falloit : est maintenant parmy nous, & que tous les autres peuples sont barbares en comparaison des François.

On diroit, ne demande point le subjonctif, il veut l’indicatif, & ce ne seroit pas tout-à-fait bien parler, on diroit que vous le sçachiez, pour, on diroit que vous le sçavez : On diroit qu’il soit malade, pour, on diroit qu’il est malade : on diroit qu’il aille pleuvoir, pour, on diroit qu’il va pleuvoir. Il n’en est pas de, on diroit, comme de il semble, quoyque ce soit la mesme chose pour le sens. Il semble, gouverne le subjonctif, comme : il semble que tout soit fait pour me nuire. Il semble que tous les autres peuples soient barbares en comparaison des François.


Subtilité d’esprit, délicatesse.

Ce sont deux termes fort différens, on dira d’un scolastique grand chicaneur, qu’il a de la subtilité, mais non pas, de la délicatesse. La subtilité s’accorde quelquefois avec l’extravagance, & les Casuites relâchez n’en sont qu’une trop bonne preuve. Mais pour la délicatesse de l’esprit, la délicatesse des pensées, elle ne s’accorde qu’avec le bon sens & la raison : il seroit difficile de la bien definir. Elle est de la nature de ces choses qui se comprennent mieux qu’elles ne s’expriment ; c’est sans doute pour cela que le Révérend Pere Bouhours, aprés avoir si bien expliqué ce que c’est qu’un morceau délicat, dit que si on luy demande ce que c’est qu’une pensée délicate, il ne sçait où prendre des termes pour s’expliquer[20].


Subvenir, survenir.

Ces deux verbes n’ont pas le mesme sens, & ceux qui parlent avec le plus de politesse y mettent une grande différence : survenir marque toute autre chose que subvenir, comme : la nuit survint tout-à-coup. Mais on dit, subvenir à la nécessité de quelqu’un, subvenir à la dépense, & non, survenir.

Exemple : « Ces ordres sembloient nécessaires pour subvenir aux dépenses de la guerre[21]. »

« Ce fut alors que le Ciel suscita Ignace de Loyola pour subvenir aux nécessitez du monde Chrestien[22]. »


La Superbe, L’orgueil.

La superbe est en usage, c’est une fausse délicatesse que de rejetter ce mot, qui est au moins receu dans le stile de dévotion.


Superfluitez de phrases.

Je comprends sous ce terme certaines phrases qu’on peut appeller oisives & hors d’œuvre, c’est à dire, qui ne font aucune fonction dans le discours. En voicy un exemple qui fera mieux entendre ce que je veux dire ; ce sont les premiéres paroles de la Préface d’un Livre nouveau : « Tout le monde désire de plaire ; & naturellement on s’estudie à se rendre agréable au gens que l’on pratique, & avec lesquels on entretient quelque sorte de commerce[23]. Quoyque tous les hommes cherchent avec beaucoup de soin l’Art de plaire ; il en est peu qui y réüssissent, ils ont toûjours dans leur maniére quelque chose de désagréable. »

De quel usage est cette premiére phrase ; tout le monde desire, &c. n’est-elle pas là au contraire entiérement inutile & tout-à-fait hors d’œuvre ? La seconde qui commence par quoyque, fait tout en cét endroit ; & c’est par celle-là aussi qu’il falloit commencer tout d’un coup, ou elle devoit estre ostée entiérement pour laisser quelque fonction à la premiére, qui ne se trouve là que comme une pierre détachée qui ne sert de rien. Il est vray que l’ouvrage d’où cét exemple est tiré, n’est pas fort récommandable par la diction, non plus que par les choses qu’il renferme. Mais aussi comme cette faute n’est pas si grossiére que de bons Ecrivains ne la puissent faire, j’ay crû qu’il n’estoit pas inutile de la remarquer.


Surgir.

M. Danet dit dans un certain Dictionaire, que ce verbe est vieux ; il est pourtant en usage ; & plusieurs bons Auteurs ne font pas difficulté de s’en servir. Surgir au port.


Survivre.

Survivre régit quelquefois l’accusatif aussi bien que le datif. « Le Roy ne l’ayant survécu que de quelques mois laissa à la Reine l’establissement de ses ordres de Finances[24]. »

« C’est un malheur extréme de survivre la perte de son innocence[25]. »

« Antoine le plus jeune de tous, ayant survécu tous les autres fut l’unique héritier de Commendon[26]. »


Synonimes.

Les mots Synonimes ne sont bons en François que lors qu’ils encherissent sur d’autres, ou qu’ils les éclaircissent. Il faut se souvenir de ce que dit Quintilien, qu’un mot qui ne sert ni au sens ni à la grace du discours est toûjours vicieux. Exemple : Longin entend par le sublime ce qui fait qu’un ouvrage, enleve, ravit, transporte[27] : ces trois mots sont semblables, mais néanmoins ils sont élégans, parce qu’ils encherissent l’un sur l’autre.

Les phrases Synonimes sont encore fort vicieuses en nostre Langue ; & à moins qu’il n’y ait de la nécessité à s’en servir pour éclaircir une chose obscure, on les doit toûjours éviter.


  1. Réflexions sur la Philosophie.
  2. Sarazin Dialogue.
  3. M. le Maistre plaid. 4.
  4. Nisi quod consuetudo obtinuerit sic scribendum quidque judico quomodo sonat. Quintil. inst. orat. lib. 1. cap. 7.
  5. Traduction de Saint Cyprien par M. Lumbert.
  6. Eclaircissement sur le Livre de la vie Monastique.
  7. Lettres de Balzac.
  8. Poëme de S. Prosper 3. partie.
  9. La maniere de bien penser dans les ouvrages d’esprit.
  10. Vie de Jesus-Ch. par l’Abbé de S. Réal.
  11. Traduct. de la seconde Philipp.
  12. Histoire de Dunkerque.
  13. Eloge d’Agesilaüs.
  14. Apopht. des Anc.
  15. d’Ablancourt. Commentaire de César.
  16. Lettre à Mademoiselle Paulet.
  17. Traduction de Juvenal.
  18. Vie de S. Ignace.
  19. Entretiens d’Ariste & d’Eug.
  20. La maniére de bien penser dans les ouvrages d’esprit. 2. Dialog. pag. 139.
  21. Mémoires de M. de la Rochefoucault.
  22. Vie de S. Ignace.
  23. Réflexion sur ce qui peut plaire, &c.
  24. Mémoires de M. de la Rochefoucault.
  25. M. le Maistre Plaid. 28.
  26. Vie du Cardin. Comm.
  27. Préface sur Longin.