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Répertoire national/Vol 1/Épitaphe de Napoléon

La bibliothèque libre.
Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 292-293).

1835.

ÉPITAPHE DE NAPOLÉON.


Shall orphan hands
Inscribe it with their fathers broken swords !
Or the warm trickling of the widows tear
Channel it slowly in the rugged rock ?
As the keen torture of the water drop
Doth wear the sentenced brain, etc.[1]
un auteur anglais.

 
Une épitaphe ? à lui !… Mais qui vous la demande ?…
Que quelque roi mesquin d’avance la commande,
De peur qu’après sa mort, abandonné, maudit,
De tous les souvenirs son nom ne soit proscrit !
Qu’il appelle à grands frais des flatteurs hypocrites ;
Qu’il donne de l’argent pour des vertus écrites…
Vous me faites pitié ! mais lui ! mais le héros !
Eh ! pour l’éterniser est-il besoin de mots ?

N’a-t-il pas, subissant votre haine mortelle,
Inscrit sur tous vos fronts une honte éternelle,
Quand sur un triste roc, seul avec son geôlier,
(De la fourbe alliance un scélérat limier,)
Il mourait jour par jour, rajeunissant les gloires
Que vous abolissiez dans vos sombres prétoires ?

Mais quoi ! son épitaphe ? elle fut à sa voix,
De sa plume de fer gravée au cœur des rois !
Puis, n’a-t-il pas aux grands, de son trône suprême,
Dicté pour l’avenir un palpitant poème ?

Et vous le condamnez, quand par d’abjects détours
L’inique Talleyrand, prostitué des cours,
Le vendait pour de l’or aux puissances craintives !

Vous voulez confier à des pierres chétives
Le soin de célébrer ses glorieux revers ?
Et son nom rebondit partout dans l’univers !

Et vous le condamnez, quand des hordes sauvages
Accouraient par millions des serviles rivages !
Honte à vous !… Il tomba… mais son sceptre brisé
Remonta jusqu’au ciel, de hauts faits pavoisé.
Lâches ! son épitaphe appartient à l’histoire :
On verra votre opprobre à côté de sa gloire,
Et la pitié lira : l’étique Wellington,
Enharnaché de croix, près de Napoléon.

Oui, l’orphelin pleure et la veuve soupire :
L’humanité se plaint, — mais le génie admire !
Anglais ! respectez-le, soyez plus généreux ;
Car, banni de la France — il fut si malheureux !

Quelque jour on dira qu’un héros sans défense
À son noble ennemi donna sa confiance :
— L’ennemi, dira-t-on, à son secours vola ?
— Non, crîra l’histoire, le traître il l’immola !

C’est assez pour sa gloire ! ah ! ne reprochez pas
Qu’on ait avec silence entendu son trépas !
Un éloge pompeux serait une satire :
Dites sur son tombeau qui oserait l’écrire ?

N. Aubin.

  1. L’orphelin pour la tracer prendra-t-il le glaive brisé de son père ? ou les larmes ruisselantes de la veuve la creuseront-elles lentement sur le rocher durci, comme l’aigre torture d’une goutte d’eau qui, tombant toujours au même endroit, perce le crâne du condamné ?