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Répertoire national/Vol 1/Colas et Colinette, ou le Bailli dupé

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Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 7-56).

1788.

COLAS ET COLINETTE OU LE BAILLI DUPÉ[1]

COMÉDIE EN TROIS ACTES, ET EN PROSE, MÊLÉE D’ARIETTES.
les paroles et la musique par m. Joseph Quesnel.[2]


ACTEURS.

m. dolmont, Seigneur de la paroisse.

le bailli du village.

colinette, jeune paysanne élevée chez M. Dolmont.

colas, jeune paysan, amoureux de Colinette.

l’épine, domestique de M. Dolmont.


ACTE PREMIER


Le théâtre représente l’avenue du jardin de M. Dolmont.

Scène I


COLINETTE (entrant par le fond du théâtre, avec une poignée de fleurs à la main). Le Soleil est déjà bien haut et Colas ne vient point ! Il devait se rendre ici de grand matin pour cueillir ensemble le bouquet que je veux présenter à M. Dolmont, dont c’est demain la fête… aurait-il oublié ce matin ce qu’il désirait hier avec tant d’empressement ?… Eh bien, en l’attendant faisons toujours le bouquet. (Elle s’assied à gauche du théâtre, pose les fleurs sur ses genoux et travaille à faire un bouquet).

ARIETTE.

Cher protecteur de mon enfance,
C’est pour toi seul qu’en ce bosquet,
Ma main façonne ce bouquet,
Que t’offre la reconnaissance ;
Du sort éprouvant la rigueur,
En naissant je perdis mon père ;
Sans toi quel était mon malheur ?
Mais tu me vis, je te fus chère,
Et tu devins mon bienfaiteur.
Cher protecteur de mon enfance,
C’est pour toi seul qu’en ce bosquet,
Ma main façonne ce bouquet,
Que t’offre la reconnaissance.

Mais ce négligent de Colas, qui peut donc l’avoir arrêté !… Oh, je veux le quereller, le quereller… Pourtant je sais qu’il m’aime et il n’ignore pas aussi mes sentiments pour lui. Il est si bon !… Il est si franc, si sincère !… Une chose pourtant me déplaît en lui, il est jaloux. C’est un défaut que je hais et dont je voudrais qu’il se pût corriger… je ne crois pas qu’on puisse être heureuse en ménage quand la jalousie vient en troubler la paix. Allons, il est temps bientôt d’aller présenter ce bouquet à M. Dolmont, car les miliciens vont venir et en voilà pour toute la matinée Ah ! Ah !… j’entends quelqu’un ! C’est sans doute Colas… Non, c’est M. le Bailli qui vient encore m’ennuyer de ses propos. Oh ! que je voudrais qu’il fût loin d’ici !



Scène II


COLINETTE, LE BAILLI.

le bailli. Hé bon jour, belle Colinette.

colinette. Bonjour, monsieur le Bailli.

le bailli. Que fais-tu donc ici si matin ?

colinette, (se levant.) Vous le voyez ; je fais un bouquet.

le bailli. Sera-t-il pour moi ?

colinette. Pour vous ?

le bailli. Oui. J’aimerais beaucoup un bouquet de ta jolie main. (Il veut lui baiser la main.)

colinette. Finissez.

le bailli. Dis-moi, seras-tu toujours aussi farouche ?

colinette. Aussi farouche ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

le bailli. C’est que si tu voulais m’aimer, je saurais te rendre fort heureuse ; tu ne sais pas tout le bien que je pourrais te faire.

colinette, (ironiquement.) Je vous suis obligée de votre bienveillance.

le bailli. C’est répondre assez mal à mon empressement ; tu n’ignores pas que je t’aime, et tu ne fais que rire de mon amour.

colinette, (riant.) Eh ! que voulez-vous donc que je fasse ?

le bailli. Tu badines toujours, mais je te parle sérieusement moi ; il ne tiendrait qu’à toi de devenir en peu ma petite femme.

colinette. Votre petite femme ?

le bailli. Oui, je te donnerais mon cœur et tout ce que je possède.

colinette. Vous avez bien de la bonté.

le bailli. Je me flatte que M. Dolmont n’y mettrait point d’obstacles.

colinette. Vous vous flattez peut-être un peu légèrement.

le bailli. Pourquoi ?

colinette. Parce que M. Dolmont pourrait bien n’y pas consentir.

le bailli. Il n’y consentirait pas ?… Mais si tu y consentais toi ?

colinette. Oh ! pour cela, non, je vous assure.

le bailli. Diantre ! tu me parais bien décidée, est-ce que tu serais assez folle pour refuser la main d’un homme qui t’aimerait ?

colinette. Je serais du moins assez sage pour ne pas accepter celle d’un homme que je n’aimerais pas.

le bailli. C’est parler clairement, mais j’espère que tu deviendras moins insensible, et que tu pourras m’aimer quelque jour.

colinette. Cela pourra venir.

le bailli. Eh bien ! tâche donc que cela vienne, et considère que je suis riche, et que ce n’est pas une chose à dédaigner.

colinette, (à part.) Voici de quoi faire à Colas une histoire assez jolie.

le bailli. Tu n’ignores pas, mon enfant, que l’argent dans le ménage…

colinette, (l’interrompant.) Tenez, M. le Bailli, je ne songe point à me marier ; souffrez que je vous quitte, pour aller porter ce bouquet à M. Dolmont, avant l’arrivée des miliciens.

le bailli. Eh ! quoi, si pressée ? reste donc encore un moment ; les enrôlemens ne commencent pas si matin et nous pouvons causer encore.

colinette. Je n’en ai pas le tems. (Elle s’enfuit.)


Scène III


le bailli. Elle est charmante, mais c’est dommage qu’elle ne m’aime pas ; cependant ne désespérons de rien. Le cœur d’une jeune fille est comme l’amadou, une étincelle suffit pour l’embraser, j’espère qu’elle s’apprivoisera. (Il rêve.) Je me croirais heureux avec cette enfant-là ! c’est un cœur tout neuf, cela s’attachera à son mari ; cela se ferait à mes caresses, et dans peu, elle m’aimerait à la folie ; mais d’autre part, épouser une fille si jeune à mon âge !… Il y a bien quelques risques à courir… ceci demande quelques réflexions.

Pendant la ritournelle, il se promène sur le bord du théâtre d’un air pensif.


ARIETTE.

Colinette est jeune et jolie,
De l’épouser ferai-je la folie,
L’amour dit oui, mais, hélas, la raison
En l’écoutant me dira toujours non.
      Non, non, non, non,
      Pourtant, pourtant sa mine
      Sa mine est si mutine !
                 Si fine !
Non, non, mon cœur n’y saurait résister ;
Lequel des deux dois-je écouter ?
C’en est fait, elle a su me plaire,
Oui, je veux hâter cette affaire,
Colinette sera mon lot ;
Sitôt que l’amour dit un mot,
C’est la raison qui doit se taire.


Me voilà tout-à-fait décidé, à quoi sert de délibérer ? Je n’ai pas de tems à perdre pour prendre un parti, mais je me crois encore très propre à faire le bonheur d’une femme ; il s’agit seulement de lui plaire, et quand j’aurai gagné ce point-là, il me sera facile de renverser les obstacles que M. Dolmont pourrait mettre à notre mariage. C’est une espèce de misantrope que ce M. Dolmont… Eh puis, la petite friponne n’est peut-être pas sans avoir déjà quel qu’amoureux, je l’ai vue quelquefois avec un certain Colas des environs… La jeunesse a de grands avantages, et cela ne laisse pas que de me donner quelque inquiétude.

Colas chantant sans être aperçu.

Allons danser sous les ormeaux, etc.

Mais le voici ! tâchons de découvrir ce qui en est.



Scène IV


COLAS, LE BAILLI.

colas. Serviteur à M. le Bailli.

le bailli. Ah ! te voilà, maitre Colas, tu me parais bien gai ce matin.

colas. Pas beaucoup, M. le Bailli.

le bailli. Comment ? il me semble qu’on n’est pas triste quand on chante.

colas. Je ne sis pourtant pas ben content, je vous assure.

le bailli. Qu’as-tu donc, es-tu malade ?

colas. Je m’porte assez ben, mais je n’mange ni n’dors, et pis par fois j’poussons des soupirs comme si m’étions arrivé quelque malheur.

le bailli. Mais c’est être malade que de ne pouvoir manger ni dormir.

colas. C’est une maladie sans mal, je sentons seulement là dedans queque chose qui m’tarabuste furieusement, et je viens pour en parler à M. Dolmont.

le bailli. À M. Dolmont ? est-ce qu’il est médecin ?

colas. Non, c’est l’Seigneur du village.

le bailli. Et bien ! que peut-il faire à cela ?

colas. Ly ! y pourrions d’un seul mot m’rendre gai comme un pinçon.

le bailli, (à part.) Je crains bien d’avoir deviné, (haut) Sais-tu que je suis un peu devin, moi, et que je puis te dire d’où vient cette langueur ! Voyons, montre-moi tes yeux.

colas. Regardez.

le bailli, (le regardant fixement.) C’est cela même. Eh bien ! je connais à présent la cause de ton mal.

colas. Vous badinez ?

le bailli. Je te parle sérieusement.

colas.. Oui ? Eh bien ! comment appelez-vous ça ? C’est ty dangereux ?

le bailli. Non, c’est ce qu’on appelle la maladie de l’amour.

colas, (riant niaisement.) De l’amour. Hé à quoi diantre connaissez-vous ça, vous ?

le bailli. Je ne m’y trompe jamais, et je te dirai de plus le nom de celle que tu aimes.

colas.. Oh ben, ça serait drôle, voyons, dites-le moi.

le bailli. C’est Colinette.

colas. Colinette ?

le bailli. Oui, l’orpheline de M. Dolmont.

colas, (riant.) Mais, mais, vous êtes pire qu’un sorcier.

le bailli, (à part.) Voilâmes soupçons confirmés, (haut) Eh bien ! n’ai-je pas deviné ?

colas. Tenez, je n’voulions pas l’dire, mais morguenne v’zavez mis l’nez dessus drès l’premier coup. Est-ce que vous la connaissez ?

le bailli. Comme ça, je l’ai vue quelquefois, chez M. Dolmont.

colas. Eh bien ! comment la trouvez-vous ?

le bailli. Mais assez gentille.

colas. Dites plutôt, qu’elle est ben jolie.

le bailli. Eh bien ! soit, jolie si tu veux. Y a-t-il longtems que tu la connais ?

colas. Pardine drès toute petite ; j’avons été élevés par ensemble ; sa mère et mon père étions amis et voisins ; y s’étions ben promis d’nous marier un jour par ensemble, mais malheureusement, je les avons perdus tous deux.

le bailli. Et c’est sans doute pour cela que tu veux parler à M. Dolmont ?

colas. Justement, mais c’est que j’suis si honteux que ça m’coute à l’y en parler ; j’ons été ben souvent au château dans c’t’intention, mais drès que j’suis à la porte le cœur me bat, j’n’ose entrer, et j’m’en reviens sans avoir rien dit.

le bailli. Le pauvre Colas ! mais crois-tu que Colinette ait aussi de l’amitié pour toi ?

colas. Oui, je l’crois.

le bailli. Comment t’en es-tu aperçu ?

colas. Oh ! dame, à ben des choses.

le bailli. T’a-t-elle dit quelquefois qu’elle t’aimait ?

colas. Si elle me l’a dit ? Oh ! oui, pus d’cent fois.

le bailli. Et jamais tu ne t’es brouillé avec elle ?

colas. Oh ! pour ça, si fait ; mais tant y a toujours, que si j’nous brouillons par ensemble je n’tardons pas à nous raccommoder ; enfin tenez, M. le Bailli,


AIR :

Colinette est un vrai trésor,
Tout plait en c’te jeune bergère,
Joli minois, taille légère,
On n’peut s’tenir d’l’aimer d’abord,
    C’est comme un sort.
Pour moi que l’amour engage,
À songer au mariage,
Je sens bien, sauf vot respect,[3]
Que Colinette est tout mon fait, (bis.)

Quand aux bois elle va sautant,
Je la guettons pour aller avec elle,
Elle r’fuse d’abord, d’abord ell’me querelle,
Mais j’l’en prions si poliment,
    Qu’elle y consent.
Pour moi que l’amour engage,
À songer au mariage,
Je sens bien, sauf vot respect,
Que Colinette est tout mon fait, (bis,)

Si queuq’fois j’la veux embrasser,
Contre moi elle s’met en colère,
Mais j’crois pourtant qu’elle m’laisserait faire,
Si j’osions un peu la presser,
   Et r’commencer.
Pour moi que l’amour engage,
À songer au mariage,
Je sens bien, sauf vot respect,
Que Colinette est tout mon fait, (bis.)

le bailli, (à part.) Je vois bien qu’il n’est que trop vrai qu’elle l’aime, (haut) Mon cher Colas, je m’intéresse à ton amour, et comme je connais M. Dolmont, je lui parlerai pour toi si tu veux.

colas. Ah ! si vous vouliez faire ça, quelle obligation je vous aurais.

le bailli. Oui dà, je le ferai ; je crois que ce parti-là te convient beaucoup, mais je ne me chargerai de parler pour toi qu’à certaines conditions ; M. Dolmont n’est pas un homme fort traitable, il faut savoir le prendre, ainsi il faut que tu me promettes d’être soumis à tout ce qu’il te dira.

colas.. Qu’à ça n’tienne, je vous l’promets.

le bailli. Et de ne rien répliquer à tout ce que je ferai pour toi.

colas. Oui, oui, j’frons tout ce que vous voudrez, pourvu que…

le bailli. Tu me le promets ?

colas. Oui, d’un grand cœur.


xxxxxxDUO.
le bailli.
Tu peux compter sur moi,

Je parlerai pour toi.

colas.
Vous savez mon affaire ?
le bailli.
Oui, oui, laisse-moi faire,

Je parlerai pour toi.

COLAS.
Ah ! si de ma maîtresse

Vous m’obtenez la main,
Je veux par politesse,
Vous prier du festin.

LE BAILLI.
Par mon heureuse adresse,

De ta jeune maîtresse
Je t’obtiendrai la main ;
Serai-je du festin ?

COLAS.
Vous serez du festin.
LE BAILLI.
Tu peux compter sur moi.
COLAS.
Parlerez-vous pour moi ?
LE BAILLI.
Je parlerai pour toi.
COLAS.
Vous savez mon affaire ?
LE BAILLI.
Oui, oui, laisse-moi faire,

Tu peux compter sur moi.

COLAS.
Parlerez-vous pour moi ?
LE BAILLI.
Je parlerai pour toi.

le bailli. Oh ça, tu te souviendras de ce que tu m’as promis ?

colas. Oui, oui, Monsieur le Bailli.

le bailli. Car autrement je ne me mêlerai pas de ton affaire.

colas. Vous serez content de moi, je vous assure.

le bailli. Tu sens bien que ce que j’en fais n’est que pour t’obliger et te rendre service.

colas. Oui certes, et j’vous en remercie.

le bailli. Eh bien ! écoute-moi, je serai chez M. Dolmont dans une demi-heure ; tu n’as qu’à venir m’y trouver et je te présenterai à lui.

colas. Ça suffit, M. le Bailli, grand merci de vot bonté.


Scène V.

colas, (seul.) Morgué j’suis ben heureux d’avoir rencontré M. l’Bailli, si à propos pour m’aider à parler à M. Dolmont ! C’est une chose qui coûte tant que d’aller demander queuqu’un en mariage, surtout quand on n’a pas la parole en bouche.



Scène VI.


COLAS, COLINETTE.

colinette. Te voilà donc enfin ! Il est bien tems de venir quand l’ouvrage est fait.

colas. Quoi donc ?

colinette. Le bouquet que nous devions présenter à M. Dolmont.

colas. Ah !… Mais c’est que je n’y ons pas songé du tout.

colinette. Belle excuse ! voilà comme tu es, tu ne songes à moi que quand tu me vois.

colas. Tu savons ben l’contraire.

colinette. Voilà un amoureux bien empressé ; il me donne un rendez-vous et il n’y vient pas !

colas. C’est ben vrai, je n’sais pas comment j’ons pu oublier ça.

colinette. Ni moi. J’aurais été bien aise que tu fus venu, mais cependant je n’y ai rien perdu, car pendant que j’étais seule ici un beau monsieur m’est venu trouver qui m’a bien désennuyée.

colas. Que veux-tu dire ?

colinette. Je te dis que j’ai fait la connaissance d’un monsieur bien riche et qui m’a dit qu’il m’aimait.

colas. V’là un beau conte que tu m’fais là !

colinette. Ce n’est point un conte.

colas. Tout de bon ?

colinette. Oui. Il m’a même fait des propositions de mariage.

colas. Des propositions de mariage ! Et que l’y as-tu répondu ?

colinette. Eh dame ! j’ai répondu…j’ai répondu comme il convenait de répondre.

colas. Mais sans doute que tu ne l’y as pas donné d’espérances ?

colinette. J’ai fait plus, car je lui ai presque donné ma parole.

colas. Tu l’y as donné ta parole ?

colinette. Oui, ma parole, mon consentement.

colas. Serait-t-y possible que tu pourrais en aimer un autre après toutes les promesses que tu m’as faites ?

colinette. Il est vrai, je ne sais pas comment j’ai pu oublier cela.

colas. Je l’sais ben moi. C’est que ton amiquié est pus changeante que I’vent. Mais dis-moi, est-t’y convenable à une fille d’écouter les cajolleries d’un queuqu’un quand elle s’étons promise à un autre ? Comment as-tu pu oublier c’que tu m’as dit cent fois, c’que tu m’disons tous les jours ? Ah ! Colinette, je n’te croyais pas capable de ça.

colinette. Allons, voilà encore les reproches. Eh ! n’as-tu pas toi-même oublié qu’hier au soir tu me demandas avec empressement la permission de venir ce matin me trouver au jardin ? Était-ce une chose à oublier ?

colas. Tu as raison. Mais dis-moi donc, est-t-y ben vrai qu’un monsieur… ?

colinette., (l’interrompant.) Tiens, c’est une petite vengeance dont j’ai voulu avoir le plaisir, pour t’apprendre à ne pas manquer une autre fois au rendez-vous.

colas. Tu es trop méchante aussi de m’faire endêver comme ça.

colinette. Eh bien ! laissons cette plaisanterie qui te cause du chagrin et sois sûr que je suis toujours la même pour toi.

colas. Tu me remets le cœur. Eh ben, puisque tu n’es point fâchée, dis-moi donc encore une fois que tu m’aimes.

colinette. Je te l’ai répété cent fois, mais je veux bien encore t’assurer de mes sentimens.

ARIETTE.

Le tendre amour qui pour Colas m’engage,
Ne changera jamais d’objet ;
Les vains dehors d’un brillant étalage,
Sur moi ne font aucun effet ;
Ton cœur constant, ton cœur fidèle,
Pour le mien est un don flatteur :
C’est dans une ardeur mutuelle
Que l’on peut goûter le bonheur.


colas. Chère Colinette ! te me rends le bonheur.

colinette. Es-tu content de cette assurance ? et cela te guérira-t-il de ta jalousie ?

colas. Pardonne-moi, ma chère, c’est parce que j’t’aimons que j’ons toujours peur de t’perdre, et pisque tu m’aimes aussi n’me donne donc pus d’chagrin ; mais à propos, y faut que j’te conte queuque chose qui nous regarde tous deux.

colinette. Qu’est-ce que c’est ?

colas. C’est pour à l’égard de not mariage.

colinette. As-tu parlé à M. Dolmont ?

colas. Non, mais j’ai trouvé queuqu’un qui s’est chargé de l’y en parler avec moi, et j’y vas aller tout-à-l’heure.

colinette. Que veux-tu dire ? Conte-moi donc cela.

colas. Tiens, v’là comme ça s’est passé, je m’suis levé c’matintout triste comme d’ordinaire, et j’ai dit en moi-même : c’est demain la fête à M. Dolmont, faut pas que je manque d’aller l’voir ; c’est un bon jour pour l’y demander une grâce, faut que j’l’y conte mon amiquié pour Colinette, et que je la l’y d’mande en mariage ; il a l’cœur bon, il est généreux, peut-être qui m’l’accordera.

colinette. Et tu ne songeais point au bouquet ?

colas. Pas un brin, j’avions trop d’choses en tête.

colinette. Eh bien.

colas. J’ons donc été au château, mais com’y n’était pas l’vé j’n’ons pu l’y parler, et j’en avais ben du chagrin ; mais en revenant j’ons rencontré M. le Bailli qui m’a dit com’ça : D’où qu’tu viens Colas ? Moi j’l’y ai dit que j’venais d’cheux M. Dolmont ; vl’a t’y pas qu’y s’est mis à deviner à mes yeux que j’avions d’l’amour pour toi. Ah ! m’a t’y dit, j’sais bien c’que tu as, t’es amoureux d’Colinette ; moi quand j’ai vu ça, j’ai dit tout ingénument que c’était vrai, mais que j’n’osions l’y en parler. Eh bien ! Colas, y m’a dit, j’veux m’intéresser pour toi ; viens tantôt m’trouver cheux M. Dolmont, et je l’y en parlerai ; moi ben content j’l’ons remercié, et j’sommes accouru t’chercher pour te conter ça.

colinette. Tu as fait là une belle affaire.

colas. Vas-tu point encore me quereller ?

colinette. Qu’avais-tu besoin de t’aller confier à ce vilain Bailli ?

colas. C’est qu’y va parler pour nous.

colinette.. Qu’avais-tu besoin de lui parler de cela ?

colas. J’te l’dis, y m’a promis d’prendre nos intérêts ; et pis c’est que c’est un homme qu’a la langue ben pendue, va.

colinette. Je te dis moi qu’il ne faut point s’y fier. Il faut que tu lui parles toi-même, ou ne plus songer à notre mariage ; mais voyez un peu quelle confiance !

colas. Pardine j’ons ben du guignon ! Je n’puis jamais t’contenter ; ne vois-tu pas qu’c’est un service que voulions me rendre M. l’Bailli ?

colinette. Et moi je ne veux pas que tu lui ayes cette obligation.

colas. J’n’oserai jamais l’y en parler.

colinette. As-tu peur qu’il te mange ? Fi donc ! tu n’as pas plus de courage qu’une poule.

colas. Allons, je vas prendre ma résolution et aller l’y parler, coûte qui coûte, mais comment que j’dirai ?

colinette. Il faut premièrement demander à lui parler, et s’il n’est pas occupé, tu te feras introduire, tu le salueras, et tu lui diras : Monsieur, j’ai pris la liberté de vous troubler pour avoir l’honneur de vous souhaiter une bonne fête. Là-dessus il te répondra quelque chose, et aussitôt tu lui demanderas son consentement pour notre mariage.

colas. C’est bon, je m’y en vas.

colinette. Tu te souviendras bien de cela ?

colas. Oh ! que oui.

colinette. Eh bien ! voyons, répète-moi ce que je viens de te dire.

colas. Tiens, je suppose que tu es M. Dolmont ; j’ôte mon chapeau, et j’l’y dis : Monsieur, je prends l’honneur d’avoir la liberté…

colinette, (le contrefaisant). L’honneur d’avoir la liberté. … Quel galimatias fais-tu donc ?

colas. Eh dame aussi il y en a si long ! j’puis t’y me souvenir de tout ça, moi ?

colinette. Comment, ne peux-tu pas répéter mes paroles ?

colas. Eh sarpedié, j’ies dis toutes les paroles.

colinette. Oui, tu les arranges joliment.

colas. Tiens, laissons ça, vaut bien mieux que j’l’y dise tout franchement c’que j’ai dans l’âme.

colinette. Oui ; mais tâches de t’expliquer le plus poliment que tu pourras, et cours vite, car il sera occupé toute la matinée.

colas. Je dirai com’tu m’as dit, et j’y cours tout d’suite ; mais où te trouverai-je ?

colinette. Je vais t’attendre là-bas dans le jardin, mais ne vas pas faire comme ce matin.

colas. N’y a pas d’risque ; attends-moi, je s’rons bientôt r’venu.


ACTE SECOND.

Le théâtre représente l’appartement de M. Dolmont, on y voit une table, du papier, des plumes, etc.


Scène I


m dolmont, (écrivant à son bureau). Cinq et cinq font dix, et dix font vingt ; vingt-quatre et six font trente, et sept font trente-sept, et huit font quarante-cinq, et deux font quarante-sept. Voilà toujours quarante-sept miliciens d’enrôlés depuis deux jours. Ma paroisse en doit fournir cinquante, c’est encore trois qu’il me faut, je les aurai aujourd’hui, j’espère, et le nombre sera complet pour demain, qu’ils doivent partir après la revue. (Il regarde à sa montre.) Comment, déjà neuf heures ! il devrait s’être déjà présenté quelqu’un, et j’ai donné ordre à mon imbécile de valet de les faire entrer, mais il n’en aura rien fait.



Scène II


M. DOLMONT, L’ÉPINE.

m. dolmont. L’Épine.

l’épine. Monsieur.

m. dolmont. Est-il venu quelqu’un ce matin se présenter pour la milice ?

l’épine. Oui, monsieur, il est venu queuqu’uns.

m. dolmont. Où sont-ils ?

l’épine. Je leur ai dit de revenir tantôt.

m. dolmont. Pourquoi cela ? ne t’avais-je pas donné ordre hier au soir de les faire entrer ?

l’épine. Oui, monsieur.

m. dolmont. Pourquoi donc ne l’as-tu pas fait ?

l’épine. C’est que je n’y ons pas songé, monsieur.

m. dolmont. Tu n’as pas plus de mémoire qu’un lièvre ; et mon cabinet que je t’ai dit d’arranger, celà est-il fait ?

l’épine. Non, monsieur.

m. dolmont. Pourquoi non, encore ? Ne t’avais-je pas aussi donné cet ordre hier au soir ?

l’épine. Oui, monsieur, c’est ben véritable.

m. dolmont. Et pourquoi donc ne l’as-tu pas fait ?

l’épine. Ah ! c’est que…Pour vous dire la vérité, monsieur, c’est que je n’y ons point non plus songé.

m. dolmont. Tu ne songes donc à rien ? Quel ouvrage as-tu fait ce matin ?

l’épine. Quel ouvrage, monsieur ?

m. dolmont. Oui, qu’as-tu fait depuis que tu es levé ?

l’épine. D’abord, monsieur, j’ai déjeuné, et puis ensuite…

m. dolmont. Ah ! tu as songé à cela ?

l’épine, (riant niaisement). Oui, monsieur.

m. dolmont. Mon pauvre L’Épine, tu es un fort honnête garçon, mais un fort méchant valet ; cependant je t’aime à cause de ton honnêteté, mais je te conseillerais, pour te déniaiser un peu et te rendre plus actif, de t’enrôler dans la milice ; je suis certain que tu t’en trouverais bien.

l’épine. Oh ! nenni pas, monsieur, je n’aime pas la guerre, moi.

m. dolmont. Est-ce que tu as peur d’un fusil ?

l’épine. Oh non ! monsieur, mais…

m. dolmont. Sais-tu que rien n’est plus honorable que de servir le roi ?

l’épine. Oh ! je crois ben, monsieur, mais…

m. dolmont. Allons, je vois bien que tu ne serais pas meilleur soldat que tu n’es bon valet ; mais dis-moi, était-ce des jeunes gens qui se sont présentés ce matin ? car il ne me faut que de la jeunesse.

l’épine. Oui, monsieur, c’étions tous des jeunes garçons ; il y en avait un surtout, ben joli, qui paraissait avoir grand’hâte de vous parler, y m’a ben demandé à quelle heure y pourrions vous voir, et j’crois ben qu’y r’viendra bentôt.

m. dolmont. Ne manque pas de faire entrer dans mon cabinet tous ceux qui se présenteront, et tu m’en avertiras aussitôt.

l’épine. Ça suffit, monsieur ; pour le coup, je n’l’oublierons pas.



Scène III


l’épine. C’est un ben brave homme que mon maître ! du depuis quinze ans que j’suis à son service, c’est vrai qu’y m’a querellé un p’tit brin, mais y n’m’a pas encore donné tant seulement une tappe ; aussi j’fais t’y d’mon mieux pour le contenter. Mais pour ce qu’est de m’enrôler dans c’te milice, com’y voudrait me l’conseiller, c’est une chose que je n’ferai point, quand on devrait m’tuer. J’n’ons morgué pas envie d’aller m’faire estropier pour l’y plaire, et d’m’en r’venir cheux nous avec une ou deux jambes de moins ; puis gagne ta vie comme tu pourras. Non, non, je n’suis pas si fou qu’ça. Ils ont beau dire que c’est une belle chose que l’service, et qu’un jeune homme fait ben d’s’y mettre, v’là d’beaux contes ! Eh ben ! qu’les pus pressés courions d’vant. Pour c’qu’est d’moi, je m’trouve ben com’je suis. Mais j’aperçois monsieur le Bailli, faut que je l’consulte là-d’sus.



Scène IV


L’ÉPINE, LE BAILLI.

le bailli. Bonjour, L’Épine, ton maître est-il ici ?

l’épine. Oui monsieur, il y est…c’est-à-dire…non, y n’y est pas.

le bailli. Il y est, il n’y est pas ! voilà une réponse bien claire.

l’épine. C’est qu’y n’est pas ici, monsieur, mais il est dans sa chambre.

le bailli. Qu’importe ; est-il occupé ?

l’épine. Je n’peux vous dire ça, mais y m’a dit d’l’aller avertir si v’nait queuq’zuns.

le bailli. Vas m’annoncer.

l’épine, (s’en allant). J’y vas. (revenant,) J’voudrais ben, monsieur l’Bailli, que vous m’feriez l’amiquié de m’donner votre avis sus queuqu’chose ?

le bailli. De quoi s’agit-il ?

l’épine. Mon maître m’conseille d’m’enrôler dans la milice ; y dit com’ça, qu’ça m’ferait du bien.

le bailli. Il a raison, rien ne convient mieux à un jeune homme.

l’épine. Com’c’est un homme qui m’estime, et qui m’aimons, voyez-vous, com’son enfant, j’voudrais ben tâcher de l’contenter.

le bailli. C’est très-bien fait à toi.

l’épine. Que m’conseillez-vous à c’t’égard-là ?

le bailli. Mais je suis fort de l’avis de M. Dolmont et je crois que tu ne saurais mieux faire.

l’épine. Croyez-vous ?

le bailli. Oui. C’est aussi mon opinion.

l’épine. C’est que, voyez-vous, j’étais ben aise de savoir vot sentiment sus ça.

le bailli. C’est, te dis-je, le meilleur parti que tu puisses prendre.

l’épine. Oh bien ! j’suis pourtant ben décidé à n’le prendre pas.

le bailli. Et pourquoi, diable, t’avises-tu donc de me consulter ?

l’épine. C’est ben véritable, monsieur, j’n’y songions pas.

le bailli. Allons, va-t-en. Je n’ai jamais rien vu de plus stupide.



Scène V

le bailli. Je me suis chargé d’une singulière commission, mais j’ai mes vues… L’entreprise est un peu scabreuse, et quand on viendra à découvrir… Qu’importe, tout moyen est bon quand il conduit au but qu’on se propose. Cependant il me faut sonder les sentimens de M. Dolmont ; peut-être ne serait-il pas aussi opposé… Et puis la loi fournit des moyens… Ah ! petite friponne, vous aimez Colas ! Patience, patience, nous en avons vu d’autres… On trouvera le moyen de l’empêcher de te voir, et si tu m’échappes tu seras bien fine.

ARIETTE.

        En amour plein d’expérience,
        Je sais l’art de gagner un cœur :
        Si l’on résiste à mon ardeur,
        Il faut céder à ma persévérance.


Ainsi que le chat qui guette
Pour attraper la souris,
S’il aperçoit la pauvrette,
D’un coup, paf, autant de pris ;
De même, près d’une belle,
Jamais je ne perds mes pas,
Devant moi la plus cruelle
Met bientôt les armes bas.


        En amour plein d’expérience,
        Je sais l’art de gagner un cœur :
        Si l’on résiste à mon ardeur,
        Il faut céder à ma persévérance.



Scène VI


LE BAILLI, M. DOLMONT.

m. dolmont. Comment se porte M. le Bailli ?

le bailli. Pour vous rendre mes services.

m. dolmont. Je vous ai fait un peu attendre ?

le bailli. Et moi, je vous ai interrompu peut-être ?

m. dolmont. Nullement, j’étais occupé de quelques affaires qui regardent mes vassaux.

le bailli. Toujours occupé d’eux !

m. dolmont. On fait ce qu’on peut. Ces pauvres gens ont souvent besoin de moi, et il en coûte si peu quelquefois pour faire du bien que c’est se priver d’un grand plaisir que de n’en pas faire.

le bailli. Excellente morale ! mais à propos de plaisir, il me semble qu’on en goûte bien peu en vivant aussi retiré que vous, et qu’on doit furieusement s’ennuyer.

m. dolmont. C’est ce qui vous trompe, monsieur, l’ennui n’est fait que pour l’homme désœuvré ou qui ne trouve pas de ressource en lui-même ; au reste, chacun a ses jouissances et voici les miennes :


ARIETTE.

De l’indigence autour de moi,
Adoucir la peine extrême,
Faire du bien, voilà ma loi,
Mon goût, mon système.
À l’abri des soins divers,
     Et des revers
     De la fortune,
Sans rechercher la grandeur,
En ces lieux je trouve le bonheur,
Nul désir ne m’importune.
Écartant de moi les soucis,
Les chagrins, les tristes ennuis,
Si l’on me blâme, je m’en ris ;
Pour moi le plaisir suprême,
Est de me faire des amis,
Et de jouir de moi-même.


le bailli. Avec cette philosophie on doit se faire effectivement beaucoup d’amis.

m. dolmont. Et l’on ne fait souvent que des ingrats ; mais venons au sujet qui vous amène.

le bailli. Vous avez adopté une jeune personne à laquelle vous voulez du bien.

m. dolmont. Vous parlez de Colinette peut-être ?

le bailli. Oui, c’est une aimable enfant.

m. dolmont. Il est vrai que j’ai pris plaisir à l’élever, et j’ai bien lieu de ne m’en pas repentir.

le bailli. Vous avez dessein sans doute de lui procurer un bon établissement ?

m. dolmont. Je n’ai encore aucune vue à cet égard ; mais quand elle prendra un parti, je me réserve seulement le droit de l’éclairer sur son choix.

le bailli. J’entends, c’est-à-dire, l’empêcher de se laisser éblouir par le clinquant de la jeunesse, et la porter à lui préférer la solidité de l’âge mûr.

m. dolmont. Il est vrai que l’amour et la raison vont assez rarement de compagnie.

le bailli. Je pense comme vous, monsieur ; et la jeunesse doit avoir de grandes obligations à ceux qui la détourne d’un choix dont elle pourrait avoir lieu de se repentir.

m. dolmont. Cela est vrai ; mais à quel propos me faites-vous cette question ?

le bailli. C’est une indiscrétion peut-être, et c’est cependant en partie le motif de ma visite : chargé par quelqu’un de vous faire une proposition qui regarde Colinette, je voulais auparavant essayer de pénétrer les vues que vous avez sur elle, mais la conformité de vos principes et des miens m’enhardit à vous parler plus clairement.

m. dolmont. Qui est-ce qui vous a chargé de cette proposition ?

le bailli. Un garçon d’un certain âge, mais riche et qui l’aime passionnément.

m. dolmont. Quel est son nom ?

le bailli. Il ne m’a pas permis de le nommer qu’en cas que la proposition fût agréée.

m. dolmont. Son amour est bien mystérieux ! au reste, je n’ai rien à répondre à cette proposition, car il n’entre pas dans mon plan de chercher à fixer le choix de Colinette d’après mon goût, mais seulement de la guider dans celui qu’elle pourrait faire.

le bailli. Cependant vous convenez que la raison de l’âge mûr…

m. dolmont. N’est pas toujours fort propre à amuser une jeune femme.

le bailli. Mais convenez du moins que la richesse…

m. dolmont. Ne rend presque jamais heureux deux époux quand ils n’ont d’autre félicité que celle qu’elle procure.

le bailli. Ainsi donc, monsieur, vous ne consentiriez pas aux propositions de cette personne…

m. dolmont. Je ne dis pas cela, mais je ne puis rien promettre sans consulter auparavant le goût de Colinette dont j’ignore les sentimens à cet égard ; cependant je lui en parlerai, et nous en causerons une autre fois.

le bailli. Cela suffit. Je me suis aussi chargé de vous parler pour un jeune homme qui désire beaucoup de s’enrôler dans la milice, avez-vous encore besoin de quelqu’un ?

m. dolmont. Oui vraiment, le nombre n’en est pas tout-à-fait complet.

le bailli. Le jeune homme dont je vous parle fera, je crois, votre affaire, cela est vigoureux, assez bien pris, de bonne volonté, et c’est de quoi faire un bon soldat.

m. dolmont. Où est-il ?

le bailli. Il devrait être déjà ici, car je lui avais indiqué l’heure que je devais m’y trouver pour vous le présenter. Il est un peu timide, mais cela se dégourdira dans le service.

m. dolmont. Ce n’est rien, l’essentiel est qu’il soit jeune et de bonne volonté.



Scène VII


M. DOLMONT, LE BAILLI, L’ÉPINE.

l’épine. Monsieur, le jeune homme de c’matin est ici, j’l’ons fait entrer dans l’cabinet, et l’y a longtems qu’il attendons pour vous parler.

m. dolmont. Qu’il entre.

l’épine. De c’coup j’nons pas oublié.

m. dolmont. Va-t-en.

l’épine, (s’en allant). Oh dame ! c’est que quand on m’charge de queuque chose, moi…



Scène VIII


M. DOLMONT, LE BAILLI, COLAS.

colas, (faisant des révérences). Monsieur, j’ons pria l’honneur de vous troubler pour…

le bailli. J’ai parlé pour toi à monsieur Dolmont.

colas. Grand merci, monsieur l’Bailli.

le bailli, (bas à Colas). Tu vois que je ne t’ai pas oublié.

colas. Monsieur, m’accordons t’y la grâce… ?

m. dolmont. Mon ami, ceci n’est point une grâce ; je me prête seulement à ton inclination et à ton goût.

colas. Ah ! pour c’qu’est d’ça, monsieur, j’vous assure que c’est ben mon goût et mon inclination.

m. dolmont. C’est une preuve que tu as du courage.

le bailli. Du courage ! Oh cela ne lui manque pas.

colas. Non, non, quand il faudra travailler…

m. dolmont. Sa taille est assez convenable ; mais rempliras-tu bien tous les devoirs de l’état où tu vas entrer ?

colas, (souriant). À moi l’soin, monsieur.

m. dolmont. Tu as besoin d’une bonne santé.

le bailli. Il est très bien portant.

colas. Je n’suis jamais malade.

m. dolmont. Il faut de la vigueur.

le bailli. Il en est plein.

colas. J’en avons, monsieur.

m. dolmont. Pouvoir résister à la fatigue du jour.

le bailli. Il y est accoutumé.

colas. J’y sommes accoutumé.

m. dolmont. Oui, mais à celle de la nuit ?

colas, (un peu interdit). Si j’fatiguons trop la nuit, j’nous r’poserons le jour.

m. dolmont. Oh ! mon ami, cela ne s’arrange pas de même, et l’on a souvent de repos ni le jour ni la nuit.

le bailli. Il est jeune, il résistera à toutes ces fatigues-là.

colas, (riant). Oui, oui, ça nous regarde.

m. dolmont. Allons, tu me parais avoir un goût décidé pour cet état-là. Nous allons de suite procéder à ton affaire. Écrivez, M. le Bailli, la formule est prête, il n’y a plus que le nom à mettre.

le bailli, (s’arrangeant pour écrire). Volontiers.

colas. Quoi ! tout-à-l’heure ? Ah que j’suis content !

m. dolmont. Comment t’appelles-tu ?

colas. Colas le Franc, monsieur, pour vous servir.

le bailli, (écrivant). Colas le Franc.

m. dolmont. Le nom de ton père ?

colas. Eustache le Franc, et ma mère Thérèse Robert, ils étions tous de la paroisse ; oh ! les bons parens que c’étaient ! Et s’ils n’étions pas morts, qu’il y aurait longtems que…

le bailli. Il ne s’agit point de cela.

m. dolmont. Ton âge ?

colas. Vingt-deux ans.

le bailli, (écrivant). Agé de vingt-deux ans.

m. dolmont, (prenant le papier des mains du Bailli). Voyons cela.

colas, (bas au Bailli). Faut-t’y pas que l’nom d’Colinette soyons sur l’contrat ?

le bailli. Il n’est pas nécessaire.

colas, (bas). Mais faudrait-t’y pas du moins qu’elle fût présente ?

le bailli. Tais toi. N’interromps pas monsieur.

m. dolmont, (lisant haut). Le nommé Colas le Franc, de la paroisse Dolmont, âgé de vingt-deux ans, (bas) br. br. br. br. br. br. (haut) volontairement et de plein gré, (bas) br. br. br. br. br. br. (haut) cela suffit ; sais-tu signer ?

colas. Oui, monsieur, j’faisons ben la croix.

m. dolmont, (lui donnant le papier). Fais-la ici… Voilà qui est fini, mon ami, tu n’as qu’à préparer tes hardes et te tenir prêt pour demain.

colas. Oui, monsieur, tant matin qu’il vous plaira.

m. dolmont, (tirant une cocarde de sa poche). Tiens, mets ceci à ton chapeau.

colas. Grand merci, monsieur ; oh ! le beau ruban !

le bailli, (lui ôtant son chapeau). Donne, que je t’arrange cela.

colas. Nanni, vraiment, j’craindrais de l’salir ; ce sera pour demain.

m. dolmont. Oh ! tu peux le mettre dès à présent ; mais ne manque pas ce soir de venir chercher ton fusil.

colas. Un fusil ?

le bailli. Oui, c’est un fusil que monsieur te donne.

colas. Aussi ?

m. dolmont. Un fusil et un havresac.

colas. Un havresac ! et pour quoi faire ?

m. dolmont. Comment, pour quoi faire ? Un havresac et une giberne, ce sont des meubles dont tu as besoin.

colas, (à part). Ah ! pour la chasse peut-être.

m. dolmont. Ne manque pas même de prendre ta giberne dès le matin.

colas, (à part). Une giberne pour me marier !



Scène IX.


LES ACTEURS PRÉCÉDENTS, LÉPINE.

l’Épine. Monsieur, v’là des gens qui vous demandent.

m. dolmont. De quoi s’agit-il ? (au Bailli) Je reviens tout-à-l’heure.



Scène X.


LE BAILLI, COLAS.

colas, (riant). Qu’est-ce qui veut donc dire avec c’te giberne ?

le bailli. Tais-toi tu le sauras.

xxxxxxDUO.
colas.
Monsieur l’Bailli,

Expliquez moi
Cette affaire-ci,
Car sus ma foi
J’veux être un sot
Si j’comprends l’mot
À tout ceci.

le bailli.
Tais-toi, tais-toi,

Pauvre étourdi,
Tu n’es qu’un sot,
Tu n’entends mot
À tout ceci.

colas.
Monsieur l’Bailli

Expliquez-moi…

le bailli.
Chut, chut, tais-toi.


colas.
Expliquez-moi

Monsieur l’Bailli.

le bailli.
La peste soit de l’étourdi !


colas.
C’est qu’voyez-vous,

Je n’comprends pas.

le bailli.
Encore ! tais-toi,

Parle plus bas.

colas.
Monsieur l’Bailli.


le bailli.
Eh bien ! eh bien !


colas.
Expliquez-moi.


le bailli.
Tu n’entends rien.


colas.
C’est qu’sus ma foi,

J’veux être un sot
Si j’comprends l’mot
À tout ceci.

le bailli.
Tu n’es qu’un sot,

Je le sais bien,
Tu n’entends rien
À tout ceci.


Scène XI.


LE BAILLI, COLAS, M. DOLMONT

M. dolmont, (du fond du théâtre). Qu’ils attendent un instant, j’y vais aller bientôt, (revenant) Ce sont des jeunes gens qui demandent à me parler, (à Colas) Oh ça ! tu peux te préparer pour demain, et n’oublie pas ce que je t’ai dit. (au Bailli) Je vous quitte pour aller voir les gens qui m’attendent.

le bailli. Je vous suivrai, s’il vous plaît.



Scène XII.


colas. En v’là une fantaisie ! me marier avec une giberne sus l’dos ; j’crois, Dieu m’pardonne, qu’y sont fous…Il y a dans c’t’affaire-là un micmac que j’n’entends pas…mais après tout faut voir jusqu’au bout, car enfin j’n’ons t’y pas promis d’les laisser faire, et de n’rien leur répliquer ? un honnête homme n’a qu’sa parole ; et si ça leur faisons plaisir de m’voir avec c’t’accoutrement-là, hé bien ! qu’estqu’ça m’fait à moi ? si s’mettons à rire, j’rirons itou, mais rira bien qui rira l’dernier, car enfin vl’à toujours mon contrat dressé, et demain j’épousons Colinette. Queu bonheur ! mais à propos elle m’attend, y faut l’y aller conter tout ça.



Scène XIII.


COLAS, L’ÉPINE.

l’épine. Eh bien ! qu’est-ce l’ami ? vous v’là d’une joie ! on croirait à vous voir que vot fortune est faite.

colas. Je sis morgué pus content qu’si elle l’étions.

l’épine. Grand bien vous fasse ; c’est donc fini avec M. Dolmont ?

colas. Oui, c’est fini. Sitôt qu’il a vu qu’c’étions mon goût et mon inclination, il a consenti et j’vas tout préparer pour demain au matin.

l’épine. Bon voyage et ben du plaisir. colas. Oh ! j’te réponds que j’nons jamais eu l’cœur si content ; j’avais peur pourtant que Monsieur Dolmont m’allit refuser, mais non, Dieu merci, c’est fini, et pour toute la vie.

l’épine. Comment pour toute la vie ! je croyais que c’n’était qu’pour trois ans com’les autres.

colas.. V’là d’beaux contes ! où as-tu jamais vu ça, toi !

l’épine. Et dame, que sais-je t’y moi. Ma foi ils ont beau dire, c’t’état-là n’me plairions point, on y court trop d’risques, et qui sait si toi-même….tu m’entends bien ? car enfin y ne faut qu’un malheur….

colas. Parle donc, gros sot, que veux-tu dire ? c’est bon si c’était toi, entends-tu.

l’épine. Holà ! holà ! monsieur Colas, n’vous fâchez pas, ne croyez-vous pas d’être pus exempt d’ça qu’les autres.

colas. Tiens, toutes ces gausseries-là n’sont point d’mon goût, j’t’en avertis, et j’m’en vas, car j’pourrions ben te donner queuque niole qui ne te coûterait qu’à prendre.

l’épine, (après que Colas est sorti.) Qu’a-t-y donc à s’fâcher ! j’crois, Dieu m’pardonne, que y m’a menacé, (il court à la porte) Dites donc l’ami, à qui en avez-vous ? c’est t’y ben à moi qu’vous parlez, par hasard ? Hein ? Il est parti ! (revenant au bord du théâtre).. Il a morgué ben fait de décamper….C’est qu’je n’sis point endurant moi….Mais voyez un peu c’grossier qui m’cherchons querelle à cause que j’l’y parle pour son bien ! aussi s’il attrapons queuque horion, y l’aura ben gagné, et j’en rirons tout mon sou. Mais j’m’amuse trop longtems ici, faut qu’j’aille voir si mon maître ou mamselle Colinette n’avons point besoin d’mon service.


ACTE TROISIÈME.

Le théâtre représente le même bois ou jardin qu’au premier acte.


Scène I.


COLAS, COLINETTE.

colinette. Oui, te dis-je, c’est un tour du Bailli, tu vois que j’avais bien raison de me méfier de lui.

colas. C’est bien vrai ; mais pouvais-je t’y jamais penser ça !

colinette. Cela était pourtant assez clair ! le fusil, la giberne, et même la cocarde à ton chapeau ; mais, mais en vérité… !

colas. Est-ce que j’avons jamais vu faire d’enrôlemens, nous ?

colinette. Aller signer son engagement !

colas. J’t’e dis qu’ils ont fait une espèce de contrat où c’qu’ils m’ont fait signer, com’quoique…

colinette. Comme quoi tu es un imbécile.,

colas, (avec colère). Laisse-moi, cruelle, et ne viens point augmenter mon chagrin par des reproches, j’nons déjà ben assez.

colinette, (pleurant). J’en ai moi-même bien autant que toi.

colas, (avec attendrissement). Tu pleures, ma petite Colinette ! c’est donc ben vrai que tu as du chagrin à cause de moi ; hé ben ! laisse-moi faire, j’te réponds qu’il me l’payera, et j’y vas de ce pas…

colinette. Où ?

colas. L’aller chercher ; et où je l’rencontrerons, l’rosser d’importance, jusqu’à ce que…

colinette. Arrête et calme-toi, c’est un mauvais parti que celui-là, et tu gâterais toute l’affaire.

colas. Eh ben ! conseille-moi donc, et dis-moi c’qui faut faire ? Conterai-je ça à Monsieur Dolmont ? voudra t’y m’écouter ?…Oui, y m’écoutera et je suis sûr que… reste ici, Colinette, je vas l’y aller parler.

colinette, (le retenant). Attends, il me vient une idée J’imagine que peut-être Mais non cependant oui, oui, j’entrevois un bon moyen de nous venger du Bailli.

colas. Dis-moi donc c’que c’est ?

colinette. Cela n’est pas nécessaire, mais tu n’as qu’à me laisser faire, et je te dirai mon dessein quand il en sera tems.

colas. Quéque tu veux donc faire ?

{{Personnage|colinette. Je veux lui parler seule, je sais qu’il est amoureux de moi, et j’espère que…

colas. Comment, il est amoureux de toi ? tu ne m’avions pas dis ça.

colinette. Ne vas-tu point encore être jaloux ? Tiens, le voilà là-bas qui vient vers nous, retire-toi promptement.

colas. Le pendard ! Oh ! si tu voulais me laisser faire !

colinette. Décampe vite.

colas. Mais quelle affaire… ?

colinette. Sauve-toi, je vais bientôt t’aller rejoindre, et prends bien garde de paraître.

colas, (s’en allant). Quelle chienne de manigance !



Scène II.


colinette. Le voici, le fourbe ; s’il me parle encore de son amour, feignons d’y répondre et tendons-lui un piège à mon tour.



Scène III.


COLINETTE, LE BAILLI.

le bailli. Le hasard me sert à souhait, belle Colinette, je mourais d’envie de te voir, pour te parler de mon amour et des peines que tu me causes, et j’ai en ce moment le bonheur de te rencontrer. Hé bien ! dis-moi, seras-tu toujours insensible à ma tendresse ?

colinette. Que vous êtes pressant ! cela dépend-il de moi ? vous savez ce que je vous ai dit tantôt.

le bailli. Oui, chère mignonne, tu m’as parlé des obstacles qui s’opposent à mon bonheur, mais qu’il serait bien facile d’aplanir, si tu avais quelqu’amitié pour moi.

colinette. Que me servirait de vous aimer, si monsieur Dolmont ne nous donne pas son consentement ?

le bailli. Cet obstacle n’est rien, mais c’est l’aversion que je t’inspire que je voudrais essayer de vaincre ; rends-moi donc plus de justice, ma chère, et regarde-moi avec moins de prévention, car enfin, dis-moi, qu’ai-je donc de si désagréable dans ma personne ?

colinette. Je ne dis pas cela.

le bailli. Y a-t-il quelque chose sur ma physionomie qui te puisse déplaire ?

colinette. On pourrait s’y accoutumer.

le bailli. N’ai-je point l’air encore assez leste ?

colinette. J’en conviens.

le bailli. Et quant à mon âge, je suis peut-être plus jeune que tu ne penses.

colinette. Je ne vous dis pas non, il n’y a que le premier coup-d’œil qui ne vous est pas favorable.

le bailli. Hé bien ! ma belle enfant, te voilà donc sans le savoir déjà disposée à m’aimer ; envisage maintenant les avantages dont tu jouiras, vois l’aisance que je te procurerai, les plaisirs qui suivront tes pas, et par-dessus tout, songe aux soins, aux prévenances, aux attentions, à l’amour que j’aurai pour toi, et juge si tout cela ensemble ne te portera pas en peu à m’aimer à la folie.

colinette. Cela pourrait être.

le bailli. Va, va, Colinette, tu m’aimeras, je t’assure, et beaucoup plus que tu ne penses.

colinette. Je commence à le croire.

le bailli. Il faut pourtant que je te dise une petite inquiétude que j’ai eue à cet égard.

colinette. Sur quel sujet ?

le bailli. Je t’ai vue quelquefois avec un certain Colas… Est-ce que tu aurais de l’inclination pour lui ?

colinette. Pour Colas ? qui est-ce qui vous a dit que j’avais de l’inclination pour lui ?

le bailli. Je ne te dis pas qu’on me l’a dit, mais je te demande si cela est vrai ?

colinette. Je ne saurais répondre de ses sentimens, mais parce qu’il est jeune, assez joli garçon, et qu’on a quelqu’attention pour lui, il s’imagine peut-être qu’on l’aime.

le bailli. Ainsi donc, tu ne l’écoutes pas ?

colinette. Et que ferais-je d’un jeune homme comme lui ? cela ne sait que chanter, danser et rire, répéter cent fois le jour qu’il m’aime. Oh ! que je sais mieux ce qui me convient.

le bailli. Que je suis ravi de te voir dans ces dispositions ! voilà ce qui s’appelle penser en fille prudente, et je vois bien qu’on ne te connaissait pas quand on m’a dit que tu n’en voulais qu’aux jeunes gens.

colinette. Mais qui est-ce qui a dit cela ?

le bailli. Il n’importe, j’ai toujours eu de toi une meilleure opinion ; car enfin, que ferais-tu avec ce Colas ? ça n’a rien du tout, et l’amour, comme l’on dit, ne donne pas de quoi vivre. Écoute, ma chère enfant, et retiens bien ceci :

ARIETTE.

Sans argent dans le ménage,
Il n’est aucune douceur,
Sans argent le mariage
N’est qu’un joug, qu’un esclavage
Plein de peine et de rigueur ;
Mais dans l’opulence,
Quelle différence !
L’hymen est un nœud flatteur,
Où l’on trouve le bonheur.

Si quelques légers chagrins
Troublent nos heureux destins,
La fortune nous console ;
Avec les jeux badins,
Les danses, les festins,
La peine aisément s’envole.
Sans argent, etc.

colinette. Je vous crois, mais, en un mot, je dépends de monsieur Dolmont, et que voulez-vous que je fasse, s’il n’y veut pas consentir ?

le bailli. Mais pourquoi n’y consentirait-il pas ?

colinette. C’est un homme si extraordinaire qu’il ne fait presqu’aucun cas de la richesse, qui pense que les convenances d’âge, de goût et d’humeur sont les choses que l’on doit le plus rechercher dans le mariage, et qui n’imagine pas qu’une jeune femme puisse être parfaitement heureuse avec un mari dont l’âge n’est pas assorti au sien.

le bailli. Voilà, il faut l’avouer, un système bien ridicule !

colinette. Oui, mais c’est le sien, et vous ne l’en ferez pas changer.

le bailli. Je le crains, car il n’est rien de plus têtu que ces prétendus philosophes ; mais enfin je t’aime, et je voudrais faire ton bonheur ; faudra-t-il que ce beau système te fasse perdre les avantages que la fortune te présente ?

colinette. C’est à quoi je dois m’attendre, et à recevoir quelque jour de sa main un époux qui n’aura rien sans doute, et cela, sous prétexte qu’il sera jeune, qu’il m’aimera, et que je pourrais l’aimer aussi.

le bailli. Tout cela est bel et bon, mais enfin tu es toujours la maîtresse d’épouser ou de n’épouser pas ; je serais donc d’avis que tu lui parlasses de mes intentions, ensuite…

colinette. Moi lui parler de cela ? C’est une chose que je ne ferai pas, je serais trop mal reçue.

le bailli. Je voudrais bien qu’il s’avisât de te maltraiter, mon enfant, te voilà bientôt majeure, je connais un peu la loi, et l’on pourrait le forcer à…

colinette. Oui, mais d’ici à ce tems-là, il se passera bien des choses.

le bailli. Tiens, si tu veux m’en croire, tu lui demanderas d’aller passer quelque tems dans un couvent où, sous différens prétextes, tu pourras rester jusqu’à ta majorité.

colinette. Oui, mais s’il vient à se douter de quelque chose, il me refusera et me veillera ensuite de si près qu’à l’avenir vous ne trouverez plus l’occasion de me parler.

le bailli. C’est bien pensé ! mais encore faut-il chercher un moyen de te soustraire à sa tyrannie.

colinette. Pour moi je n’en connais aucun.

le bailli. Hé bien ! j’en connais moi. Oui, mon enfant, il est un moyen que les circonstances justifient, et dont l’exécution est très facile.

colinette. Quel est-il ?

le bailli. C’est de t’enlever dès ce soir et de t’épouser secrètement.

colinette, (à part). Voilà où je l’attendais.

le bailli. Que penses-tu de cela, Colinette ? c’est bien là le meilleur parti que nous puissions prendre.

colinette. M’épouser secrètement ! m’enlever ! mais n’y aurait-il pas de mal à cela ?

le bailli. Quel mal peut-il y avoir ? on voit cela tous les jours.

colinette. Mais que dira monsieur Dolmont ? que pensera-t-il de moi ? voudra-t-il me pardonner cette démarche ?

le bailli. Quand la chose sera faite, il faudra bien qu’il y consente ; d’ailleurs tout s’arrange, et comme je t’ai dit, ce n’est pas le premier mariage qui se sera fait ainsi.

colinette. Je crois cela, mais…

le bailli, (lui prenant la main). Mais quoi ? songe donc, mon enfant, que le tems presse, et qu’il faut prendre un parti ; réfléchis sur cela.



Scène IV


LE BAILLI, COLINETTE, COLAS (au fond du théâtre).

colas, (à part). Oh ! oh ! qu’est-ce que j’vois ! j’avais ben raison de m’méfier d’eux, écoutons. (Il se cache derrière un arbre.)

colinette. Mais qui vous répondra du succès de ce projet ?

le bailli. Il ne peut manquer de réussir, et voici comment : ce soir, après le coucher du soleil, tu viendras te promener sous ces arbres ; je m’y trouverai avec ma voiture et je te conduirai à ma maison de campagne, près d’ici, où se trouvera à point un notaire affidé qui nous mariera sur le champ.

colinette. Vous ébranlez ma résolution ; mais il faut que du moins j’emporte les hardes dont j’ai besoin, et je crains que cela ne fasse soupçonner…

le bailli. C’est ce qu’il faut éviter avec soin, tu es assez bien vêtue comme cela, laisse-moi faire, je pourvoirai à tout.

colinette. Oui, mais vous ne me donnerez pas peut-être…

le bailli. Je te donnerai tout ce qui te plaira, et en attendant accepte cette bourse de cent louis, pour commencer ta garde-robe.

colinette. Eh bien ! j’y consens ; mais pour éviter les soupçons, j’irai me cacher ici aux environs à l’heure indiquée, vous viendrez m’y trouver, et nous partirons sans être aperçus.

le bailli. D’accord. Le soleil va bientôt terminer sa carrière,[4] et dans peu l’obscurité secondera nos desseins. Oh ! que tu vas être heureuse ! nous allons habiter ma jolie maison de campagne, et là, assis à l’ombrage… Mais à propos, laisse-moi donc prendre d’avance un petit baiser.

colinette. Oh ! non.

le bailli. Pourquoi non ?

colinette. Tantôt, tantôt.

le bailli. Seulement rien que…

colinette, (aperçevant Colas). Retirez-vous, je crois apercevoir quelqu’un là-bas, et je tremble qu’on ne nous voie ensemble.

le bailli. Allons, jusqu’à tantôt, prends bien garde à l’argent. (Il s’enfuit.)



Scène V.


COLAS, COLINETTE.

colas. Ah ! pour le coup, perfide, j’t’y prends.

colinette. Eh bien, qu’as-tu donc ?

colas. J’ons vu toute la manigance, mais tu ne me tromperas pas davantage.

colinette. Pourquoi es-tu aux écoutes ?

colas. Pourquoi, ingrate ? Oh ! tu croyais d’m’attraper, mais je m’doutions ben de c’qu’est arrivé.

colinette. Et moi, je me doutais bien aussi que ta jalousie te ferait prendre la chose de travers, et c’est pourquoi je voulais t’envoyer.

colas. Pour me tromper plus à ton aise. Qui t’aurait cru capable de cette trahison !

colinette. Mais, Colas, tu m’offenses ! ne vois-tu pas que c’est un jeu ?

xxxxxxDUO.
colas.
colinette.

Non, c’en est trop, cruelle,
Ah ! dis-moi donc pourquoi
Tu me manques de foi,
Tu te moques de moi ?
Ingrate ! infidelle !

C’en est trop, infidelle,
Tu me manques de foi,
Ah ! dis-moi donc pourquoi ?

Non, laisse-moi,
Ingrate, laisse-moi.

Non, c’en est trop, cruelle,
Tu m’as manqué de foi.

J’savons morgué ben c’qu’il en est.
J’savons ben ce que c’est.
Non, c’en est trop, cruelle,
Ah ! dis-moi donc pourquoi
Tu me manques de foi ?
Perfide ! ingrate ! infidelle !

Tu te fâches ! pourquoi ?
Ce n’est qu’un jeu, crois-moi,
Je suis toujours fidelle,
Mais tu perds la cervelle !


Ce n’est qu’un jeu, crois-moi,
Je suis de bonne foi,
Je suis toujours fidelle.


Écoute-moi,
Colas, écoute-moi,
Je te suis toujours fidelle,
Ceci n’est qu’un jeu, crois-moi,
Quand tu sauras ce que j’ai fait…
Écoute, voici le fait…

Colas, tu perds la cervelle !
Je suis pour toi,
De bonne foi,
Constante et fidelle.

colinette. Eh bien ! veux-tu m’écouter ?

colas. Non, je n’veux rien entendre, je n’en ons que trop entendu ; partez, mariez-vous aveuc lui, pisque ça vous fait plaisir, j’en crèverai d’chagrin, c’est vous qu’en , serez la cause, mais ça m’est égal.

colinette, (avec feu). Eh ! non, tu te trompes, te dis-je, c’est autre chose que je veux te conter… mais j’aperçois monsieur Dolmont, je n’en aurai pas le tems, et je te laisse avec lui, mais je te prie, ne lui parle pas de ceci.

colas. Allez, allez, ça m’est égal, j’vous dis ; j’en suis ben consolé, et j’ons pris not parti là-dessus.



Scène VI.


colas. Ah ! si monsieur Dolmont savait c’qui s’passe ! la tromperie que m’a fait l’Bailli et ses manigances avec Colinette, ce serions vraiment de belles nouvelles à l’y apprendre ; mais non, c’est fini, et j’pars avec les miliciens.



Scène VII.


COLAS, M. DOLMONT.

m. dolmont. Eh bien ! Colas, songes-tu à te préparer pour le départ ?

colas. Oui, monsieur, je partirai drès à c’t’heure si vous voulez.

m. dolmont. Je t’ai dit que c’était pour demain, mais qu’as-tu ? tu me parais triste ?

colas. Au contraire, monsieur, j’suis ben aise de quitter le pays.

m. dolmont. Tu ne le quittes pas pour toujours ; tu reviendras sous trois ans.

colas. J’en serais ben fâché, et j’espère que queuqu’bon coup d’fusil…

m. dolmont. Peste ! comme tu y vas ; tu me parais bien avide de gloire ?

colas. Je n’suis point glorieux, monsieur, mais…

m. dolmont. J’espère bien, moi, qu’il ne t’arrivera aucun accident.

{{Personnage|colas. Ça m’est égal, monsieur.

m. dolmont, (à part). Il a, je crois, quelque chagrin. (haut) Est-ce que tu serais fâché de t’être engagé ?

colas. Non, monsieur, j’en suis ben aise à c’t’heure, j’vous assure.

m. dolmont. Tant mieux pour toi, mon ami, tu as dû faire tes réflexions auparavant, ceci n’est pas un jeu d’enfant ; tu as voulu servir le roi et tu serviras.

colas. Oui, je servirons, et si j’suis tué, fiez-vous qu’il y a queuq’z’uns qu’en auront pus d’chagrin qu’moi.

m. dolmont, (à part). Je ne sais, mais j’ai des soupçons. (haut) Oh ça ! mon ami, souviens-toi de passer chez moi tantôt, et je te ferai délivrer ce qu’il te faut pour le voyage.

colas. Ça suffit, monsieur, j’n’oublierons pas ça.



Scène VIII.


colas. Enfin, v’ià qu’est donc fini, j’suis enrôlé tout de bon, et j’vas m’éloigner d’Colinette ! Oh l’ingrate ! l’engeoleuse ! me quitter pour s’enfuir avec c’maudit vieillard ! après ça fiez-vous à la parole des filles ! Allons, faut prendre une résolution et n’y plus songer. Je serais ben fou après tout de r’gretter une perfide qui me trahit après m’avoir emmiaulé, et fait accroire qu’elle m’aimions. Non, non, c’est fini, je ne l’aimons plus du tout… Cependant elle avions queuque chose à m’dire que peut-être… Mais, bah ! queuqu’menterie qu’j’ons ben fait de n’pas écouter… Si pourtant c’était queuqu’bonne raison… ! c’est ben dur au moins d’là rembarrer com ça ! Ah ! si mes yeux m’avions trompé ! Si c’n’étions qu’un jeu com elle dit, que j’aurais de plaisir à me raccommoder aveuc elle ! C’est ma faute aussi, fallait du moins écouter ses raisons, et puis… Mais la voici, faisons toujours le fier, et voyons ce qu’elle va dire.



Scène IX.


COLAS, COLINETTE.

colinette. J’accours pour t’expliquer enfin l’affaire de tantôt : tu sais que je dois partir ce soir avec le Bailli.

colas. Hé bien ! queq’ça m’fait à moi ?

colinette. Plus que tu ne penses, car il faut que tu sois du voyage.

colas. J’vois ben qu’tu cherches à te raccommoder, mais j’suis trop fâché pour ça.

colinette. Tant pis pour toi, si tu te fâches mal à propos.

colas. Comment, mal à propos ! après ce que j’ons vu et entendu…

colinette. Ne vois-tu pas que c’est une plaisanterie que j’ai imaginée pour nous venger de lui ?

colas. Hé ben ! qu’est-ce que c’est donc ?

colinette. Tiens, voici mon projet : il va venir, il faut que nous allions nous cacher là-bas sous ce feuillage, où il doit me prendre ; aussitôt qu’il sera près de moi fais-lui peur, tu as le bras bon, prends-le moi au collet comme tu ferais à un voleur et ne le lâche pas, en cas qu’il veuille faire résistance ; pendant ce tems-là je me sauverai et ne te mets pas en peine du reste.

colas. Queu diantre d’invention ! C’est-t’y ben vrai ce que tu m’dis-là ?

colinette. Tu m’importunes avec tes questions et ta jalousie. Il y a une heure que je veux t’expliquer cela.

colas. Mais enfin c’t’argent qui t’avons donné, et que j’ons ben vu aussi ?

colinette. Tiens, le voilà ; serre cette bourse, qui me gêne, tu me la rendras tantôt ?

colas. Sarpegué, qu’elle est pesante !

colinette. Je veux la remettre à monsieur Dolmont.

colas. Comment ! tout c’complot de tantôt… ?

colinette. N’est qu’une ruse pour le surprendre.

colas. Oh ! c’est ben différent ! Mais que dira monsieur Dolmont, quand y saura…

colinette. C’est mon affaire, fais seulement ce que je t’ai dit.

colas. Ne t’embarrasse pas, va, je l’étrillerai d’une façon…

colinette. Que veux-tu dire ? ne vas pas t’aviser de…

colas. Non, non, seulement queuque petites taloches, sans que ça paraisse.

colinette. Prends bien garde, il faut l’arrêter sans te donner le moindre tort.

colas. Mais où c’que tout ça aboutira ? faudra-t’y pas toujours partir demain pour c’te milice ?

colinette. Non, j’espère que quand monsieur Dolmont sera informé de tout, il te donnera ton congé.

colas. Oh ! ma chère Colinette, si ça arrive comme tu dis, tâchons donc d’nous marier ben vite pour finir tout c’train-là.

colinette. Mais, dis-moi, quand nous serons mariés, crois-tu que nous puissions être heureux ? car enfin tu n’as rien, ni moi non plus ; et on dit que la misère engendre souvent les querelles du ménage.

colas. La misère ! Oh ! je n’la crains point, j’ons des bras pour travailler ; et pour les querelles, va, va, laisse-moi faire, je trouverons ben l’moyen d’les appaiser.

AIR.

Dans not petit ménage,
S’il survient queuqu’orage,
Ca n’peut durer longtems ;
Et malgré la misère,
Va, j’aurons bien, ma chère,
Encor de bons petits moments.

Ni l’or ni la richesse
Ne valons la tendresse,
Ca n’peut rendre contents.
Même dans la misère,
Il est encore, ma chère
Souvent de bons petits moments.

colinette. Je l’espère, mais après tout, j’en courrai les risques avec toi.

colas. Comme je vas encore plus t’aimer après tout ça ! et que j’aurai de plaisir à nous venger de c’coquin d’Bailli.

colinette. J’en aurai bien autant que toi ; mais voilà que déjà le soleil est couché, c’est l’heure du rendez-vous qu’il m’a donné, et il ne doit pas tarder.

colas. Comment, morguenne ! c’est-t’y pas lui qu’on voit là-bas ! regarde.

colinette. Où cela ?

colas. Là-bas, au fond de l’avenue. C’est ben lui que j’vois. Oh ! comme le cœur me bat de plaisir.

colinette. Oui, c’est lui-même ; allons vite nous cacher sous ces arbres touffus, et souviens-toi bien de ce que je t’ai dit.

colas. Bon, bon, donne-moi la main, tu n’as qu’à me laisser faire. (Il prend la main de Colinette, et ils courent se cacher a l’un des bouts du théâtre.)



Scène X.


Le théâtre n’est plus éclairé que par les lampions du devant et la lumière des premières coulisses. Le Bailli entre par une des coulisses opposées au côté où sont cachés Colas et Colinette. Il a l’air du mystère, marche sur la pointe du pied et parle à mi-voix.

le bailli. Voici l’heure du rendez-vous. Colinette m’attend sans doute. Quel plaisir je goûte d’avance en songeant que par mon adresse je vais à la fois tromper un argus, supplanter un rival et lui enlever sa maîtresse ! Jamais, non, jamais on ne fut plus heureux que je le suis !… Voyons, cherchons l’endroit où la friponne s’est cachée. (Il cherche Colinette au fond, du théâtre, au côté opposé à celui où ils sont cachés.)

le bailli Colinette, Colinette ?

colinette. Ct, ct, ct, ct, ct, ct.

le bailli. J’entends quelqu’un de ce côté-là !

colinette, (bas). Ct, ct, par ici, par ici.

le bailli, (bas, à part). C’est elle-même, je reconnais sa voix. Est-ce toi, Colinette ?

colinette, (bas). Oui, oui.

le bailli, (bas). Où t’es-tu donc cachée ?

colas, (bas). Me voici, me voici.

le bailli, (courant vers l’endroit où est caché Colas qu’il prend pour Colinette). Ah ! te voilà, ma chère mignonne ! Il est donc bien vrai que tu vas combler mes vœux ! viens, mon enfant, viens, ma petite ; viens et fuyons au plus vite, la voiture est ici près qui nous attend. (Colinette, voyant approcher le Bailli, s’enfuit.)

DUO.
colas.
Alte là.
le bailli.
Qui va là ?
colas, (le prenant au collet)

N’avance pas
Ou je te romps les bras.

le bailli, (à part).

Quoi, c’est Colas !
Ô ciel ! quel embarras !

colas.
Ici que viens-tu faire ?
le bailli.
Ce n’est pas ton affaire.
colas.
Quel est ton nom ?
le bailli.
Laisse-moi donc.
colas.
Réponds, réponds.
le bailli.
Non, non, non, non.
colas.
le bailli.
Tu m’as l’air d’être un fripon. Ahi ! tu m’écorches le menton.
colas, (lui donnant un coup de poing).
Parle donc, ou je t’assomme.
le bailli.

La peste soit de l’homme !
Ne me reconnais-tu pas ?
Si tu ne me lâches pas,
Coquin, tu t’en repentiras.

colas, (feignant la surprise).

Mais, qu’est ceci !
Comment, c’est vous, M. l’Bailli !

le bailli.

Eh ! oui, morbleu, oui.
J’enrage.
Quel affront ! quel outrage !

colas.
Mais vous n’êtes pas sage.
colas.
le bailli.
Que diantre aussi, Je suis brisé, meurtri.
Que v’nez-vous faire ici ? Je suis joué, je suis trahi.

le bailli. Ah coquin ! ah traître ! ah scélérat ! tu l’as fait exprès, mais tu me le payeras.



Scène XI.


COLAS, LE BAILLI. M. DOLMONT, (dans la coulisse).

m. dolmont. Qu’est-ce donc que ce vacarme ! Comment, on se bat, on se tue chez moi !

colas, (à part.) C’est monsieur Dolmont ! décampons. (Il s’enfuit.)

le bailli, (à part.) Quel contretemps !



Scène XII.


LE BAILLI, M. DOLMONT.

m. dolmont, (paraissant.) Qui sont donc ces coquins-là ? Ah ! c’est vous, monsieur le Bailli ? (ironiquement) Je suis ravi de vous trouver ici.

le bailli. Je vous rencontre aussi bien à propos pour vous porter ma plainte contre ce maroufle-là.

m. dolmont. Contre qui ?

le bailli, (cherchant des yeux.) Où est-il allé ? Le drôle a décampé, c’est de ce coquin de Colas dont je veux parler.

m. dolmont. De Colas ! Qu’est-ce qu’il vous a fait ?

le bailli. Ce qu’il m’a fait ? le coquin m’a roué de coups, quelque chose que j’aie pu dire pour me faire reconnaître, et je demande justice de son insolence.

m. dolmont. Justice ? je vous la rendrai, monsieur, je suis instruit de vos menées.

le bailli, (à part.) Il a tout découvert !

m. dolmont. Nous verrons ce que mérite un séducteur qui avait tramé le complot d’enlever de chez moi une fille sur laquelle j’ai les droits d’un père.

le bailli, (à part.) Il faut payer d’effronterie. (haut) Qui vous a dit cela, monsieur ?

m. dolmont. Elle-même.

le bailli. Colinette ?

m. dolmont. Oui, monsieur, Colinette, qui, pleine de mépris pour votre indigne proposition, n’a feint d’y consentir que pour se jouer de vous.

le bailli, (à part.) La coquine ! (haut) Cela n’est pas possible ! sachez, monsieur, qu’elle m’a promis sa foi, et que c’est elle-même qui, pour s’affranchir de l’esclavage où vous la tenez, a volontairement accepté la proposition que je lui ai faite de la soustraire à votre autorité en l’épousant dès ce soir.

M. dolmont. Vous ?

le bailli. Moi.

M. dolmont. Allez, vous êtes un vieux fou.

le bailli. Comment, monsieur, un vieux fou ?

m. dolmont. Oui, monsieur, un vieux fou. Et de quel droit avez-vous osé présumer de la soustraire à mon autorité ?

le bailli. Du droit que lui donne la loi, monsieur, nous la connaissons la loi, on n’est pas homme de loi pour rien ; Colinette est libre de se donner à moi, elle y a consenti, j’en ai une preuve incontestable, et personne n’a le droit de s’y opposer.

m. dolmont. Quelle impudence ! Eh ! bien, je vous dis ? moi, que je m’y oppose formellement.

le bailli. Cela m’est égal, j’ai sa promesse.


Scène XIII et dernière.


M. DOLMONT, LE BAILLI, COLINETTE, COLAS, L’ÉPINE.

colinette, (riant.) Oh ! la bonne promesse qu’a monsieur le Bailli !

le bailli, (à part.) La traîtresse ! (haut) N’est-il pas vrai, Colinette, que tu m’as promis…

m. dolmont, (ironiquement.) Est-il quelque loi qui autorise à épouser quelqu’un contre son gré ?

le bailli. Qu’appelez-vous contre son gré ? Une fille qui vient se jeter dans mes bras.

colinette, (du ton le plus méprisant.) Me jeter dans vos bras ! j’aimerais mieux me jeter à la rivière.

m. dolmont. Eh bien ! monsieur ?

le bailli, (à part.) J’enrage ! (haut) Comment tu ne m’as pas dit ?…

colinette. J’ai dit ce que j’ai voulu, pour me jouer de votre crédulité, et venger Colas de la fourberie que vous lui avez faite.

le bailli. O serpent !

m. dolmont. Comment ? quelle fourberie ?

le bailli, (apercevant Colas.) Le voilà le coquin…

M. dolmont. Ah ! te voilà. C’est donc toi qui t’avises de maltraiter les gens, de nuit ?

colas. Excusez-moi, monsieu, n’y a que l’bout d’mon bras qui l’y avons touché l’dos.

le bailli. Impertinent !

colas. Et puis, monsieu, j’voulions vous dire…

m. dolmont. Qu’as-tu à me dire, pourquoi n’es-tu pas venu chercher ton fourniment, comme je te l’avais ordonné ?

colinette. Colas ne s’est pas engagé, monsieur.

m. dolmont Comment ? tu ne t’es pas engagé ce matin ?

colas. Oui, monsieu, mais c’est ly qui m’avons joué ce tour-là.

l’épine, (à part.) Ah ben, v’là qu’est drôle !

m. dolmont, (à part.) Le misérable ! j’avais raison de soupçonner… (haut) Explique-toi.

colas. Eh ben ! monsieu, pis que vous m’permettez… C’est que, sous vot respect, j’nous aimons Colinette et moi.

m. dolmont. Est-il vrai, Colinette ?

colinette. C’était, monsieur, le vœu de nos parents ; j’espère de votre bienveillance, qu’elle ne mettra point d’obstacle à notre union.

colas. C’est là, monsieu, la grâce que j’vous demandais, et j’ons été à c’matin pour vous parler à c’dessein-là, quand j’ai rencontré c’monsieur l’Bailli qui m’avons promis d’vous parler pour moi.

colinette. Oui, monsieur, il vous l’a présenté comme milicien, vous l’avez accepté, et Colas a pris son engagement pour un contrat de mariage.

l’épine, (à part.) Ah ben, v’là une drôle d’histoire !

m. dolmont. Je vois tout cela, (au Bailli) Il faut que vous soyez un grand scélérat !

le bailli. Je suis surpris, monsieur, que vous preniez le parti d’un rival de son espèce. Au reste, ce n’est pas ma faute s’il plaît à cette perfide de se dédire, elle a présidé à son choix, elle m’a promis sa main, et pour preuve de cela, c’est qu’elle a accepté une bourse de cent louis que je lui ai donnée tantôt.

m. dolmont. Tu as accepté une bourse ?

colinette. Oui, monsieur, c’était pour acheter ma garde-robe.

colas, (au Bailli) La v’là, la v’là.

m. dolmont, (l’arrêtant.) Un moment, il faut voir ce qu’elle contient, (au Bailli) Quelle somme doit-il y avoir dans cette bourse ?

le bailli. Cent louis d’or bien comptés.

colas. Ce qu’étions d’dans y est encore.

m. dolmont, (comptant Targent.) Dix, vingt, trente, quarante, cinquante… et cinquante font cent.

le bailli, (tendant la main.) C’est le compte juste.

m. dolmont. Tiens, Colas, garde ceci ; cet argent t’est dû, et je te le donne.

le bailli. Mon argent ! je ne lui donne pas moi, en voilà bien d’un autre !

m. dolmont. Il lui appartient en dédommagement du chagrin que vous lui avez donné.

le bailli. Mais, monsieur, quand je vous demande justice de…

m. dolmont. Je vous la rends, monsieur.

colas. Oh, monsieu, pour c’qu’est d’l’argent…

colinette. Ne l’accepte pas.

m. dolmont. Je le veux.

le bailli. Mais enfin, monsieu…

m. dolmont. Si vous n’êtes pas satisfait de ce jugement, ayez recours à la loi, monsieur l’homme de loi.

le bailli. Je dis que vous n’avez pas le droit…

m. dolmont. Le droit, monsieur ? Le droit serait de vous chasser pour avoir osé vous jouer de moi, et de vous interdire un emploi que vous déshonorez ; ainsi, croyez-moi, donnez-lui cet argent, et restez-en là.

le bailli. Allons ! puisqu’il faut le donner…

colas, (mettant la bourse dans sa poche.) Allons ! puisqu’y faut l’prendre…

m. dolmont. C’est le meilleur parti que vous puissiez, prendre. Quant à moi je me contenterai de vous rendre le témoin du consentement que je leur donne. Mariez-vous, mes enfants, et soyez heureux. Nous célébrerons demain tout à la fois et votre fête et la mienne.

colas, baisant la main de Colinette.) Ah ! monsieu ! ah ! Colinette ! que je suis heureux !

l’épine. Jarni, que v’là qu’est ben jugé !

le bailli, (à part.) Voici une aventure qui ne m’a pas réussi.

colas. Mais Rengagement dans la milice…

m. dolmont. Il est frauduleux, par conséquent nul ; je te donne ton congé.

colas. Grand merci de tout mon cœur.

l’épine. Allons, l’ami, j’te félicite du bonheur qui t’arrive, ça vaut mieux que d’s’aller faire tuer à la guerre, et j’te pardonne de bon cœur tout ce que tu m’as dit tantôt.

colas. Et moi, dans un jour com’celui-ci, je n’veux point itou conserver d’rancune. (au Bailli) J’vous pardonne donc aussi, mais à condition que quand j’srons mariés, vous vous dispenserez d’nous faire des visites.


VAUDEVILLE.
le bailli.


Ruse, détour, tout devient inutile,
On ne saurait frauder l’amour,
À mon ardeur Colinette indocile,
En est une preuve en ce jour ;
A mes dépens je viens d’apprendre,
Qu’en amour un jeune tendron
Peut toujours duper un barbon,
Et tel est pris qui croyait prendre.

colinette.

Qu’un vieux galant parle de son martyre,
Qu’il se plaigne de nos rigueurs,
Sans se fâcher, le meilleur est d’en rire,
Et se moquer de ses sottes langueurs ;
Mais lorsqu’il cherche à nous surprendre,
On lui fait voir que sans éclat,
La souris peut duper le chat,
Et tel est pris qui croyait prendre.

colas.

Quand on est franc, honnête et sans malice,
Si l’on n’est pas un peu futé,
Vient un méchant, qui, par son artifice,
Surprend bientôt notre bonté ;
Mais quand c’tila qui veut surprendre
À son piège est pris comme un sot,
On rit d’bon cœur mais on n’dit mot,
Car tel est pris qui croyait prendre.

m. dolmont.
Qu’un gros richard, tout bouffi d’arrogance,

Et cousu d’or, aspire à la grandeur,
Est-il heureux ? Non, malgré l’opulence,
C’est vainement qu’il cherche le bonheur ;
Mais sans orgueil, si sa main libérale,
Sur l’indigent répand les bienfaits,
Dans son cœur il trouve la paix,
Est-il aucun bien qui l’égale ?

l’épine.
Si notre pièce a pu vous satisfaire,

Messieurs, j’vous prions d’applaudir,
De nos efforts c’est l’unique salaire,
Et pour nous le plus grand plaisir ;
À v’z’amuser j’avons osé prétendre,
Mais si j’n’avons pas réussi,
J’peux ben dire à mon tour aussi,
Que tel est pris qui croyait prendre.


CHŒUR.


colas et colette.
Rions, chantons, soyons joyeux,

L’amour enfin comble nos vœux.

tous.
Riez, chantez, soyez joyeux,

L’amour enfin comble vos vœux.

colas et colinette.
Que de plaisirs ! quelle allégresse,

Ce Dieu couronne ma tendresse !

colinette.
Ah ! quel heureux jour pour moi !


colas.
Heureux pour moi.


ensemble.
Rions, chantons, soyons joyeux,

L’amour enfin comble nos vœux.

tous.
Riez, chantez, soyez joyeux,

L’amour enfin comble vos vœux.

  1. Cette pièce fut jouée pour la première fois à Montréal en 1790.
  2. M. Joseph Quesnel est né à St. Malo, le 15 Novembre 1749. Il finit ses études à 19 ans ; et destiné par sa famille à la profession de marin, il s’embarqua pour Pondicherry, séjourna à Madagascar, sur les côtes de la Guinée et au Sénégal et revint en sa patrie au bout de trois ans. Peu de tems après il repartit de St. Malo pour visiter la Guiane Française, les Antilles et le Brésil. En 1779 il prit le commandement d’un vaisseau destiné pour New-York et chargé de provisions et munitions de guerre. Étant à la hauteur du banc de Terreneuve, il fut pris par une frégate anglaise et conduit à Halifax, où ayant trouvé des amis il séjourna quelque tems, et se rendit à Québec muni d’une lettre de recommandation pour le Général Haldimand qui avait connu sa famille en France. M. Quesnel ayant résolu de s’établir permanemment en Canada obtint des lettres de naturalisation par l’entremise du même Général Haldimand alors Gouverneur de la Province de Québec. Il se maria à Montréal et fixa sa résidence à Boucherville, à son retour d’un voyage qu’il entreprit pour visiter et connaître la vallée du Mississipi. M. Quesnel était né poète et musicien ; Molière, Boileau, et son violon, tels étaient ses compagnons de voyage. Il composait avec une grande facilité, et se plaignait souvent de cette disposition qui l’exposait à des incorrections presque inévitables. Outre des pièces fugitives et autres pièces diverses, M. Quesnel a laissé quatre ouvrages dramatiques dont il a fait la musique, savoir : Lucas et Cécile, opéra ; Colas et Colinette, comédie-vaudeville, imprimée à Québec ; l’Anglomanie, comédie en vers, non imprimée ; et les Républicains Français, comédie en prose, imprimée à Paris. Aussi un petit traité sur l’art dramatique, écrit en 1805 pour une société de jeunes amateurs canadiens de Québec.

    Ses ouvrages en musique consistent en plusieurs symphonies à grand orchestre, des quatuors et duos, nombre de petits airs de chansons, ariettes, etc., et plusieurs motets et autres morceaux de musique sacrée, composés pour l’Église Paroissiale de Montréal et qui se trouvent au répertoire de l’orgue.

    M. Quesnel est mort à Montréal le 3 Juillet 1809, à l’âge de 59 ans et quelques mois.

  3. Chaque fois que Colas dit ces mots « sauf vot respect, » il ôte son chapeau
    et salue profondément le Bailli.
  4. On commence ici à diminuer graduellement la lumière du théâtre, en commençant par les coulisses du fond.