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Répertoire national/Vol 1/Points de vue de la Descente de la Montagne de Montréal

La bibliothèque libre.
Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 225-229).

1833.

POINTS DE VUE DE LA DESCENTE DE LA
MONTAGNE DE MONTRÉAL.

Qui n’a point contemplé, dans ses vastes regards,
Le coup-d’œil enchanteur qui vient, de toutes parts,
S’offrir au voyageur dans la pente facile
Du mont majestueux qui domine la ville ?
Fatigué de la route et comme emprisonné
Dans le dédale obscur de l’étroit défilé
Qui partage en deux parts le cœur de la montagne,
L’ennui, pendant longtemps, l’assiège et l’accompagne.
Mais à peine sorti de ce sombre sentier,
Que d’objets à ses yeux viennent se déployer !
Avec quelle surprise et quel charme sa vue
D’un immense horison embrasse l’étendue !
Ce qui d’abord le fixe et l’attire toujours,
C’est le fier Saint-Laurent qui, dans son noble cours,
Entre des bords riants, pompeusement promène
Les flots toujours coulant de son urne lointaine.
Puis des prés verdoyants, des vergers, des bosquets
Parsemés de villas, de somptueux palais,

Où riches citadins viennent loin de la ville
Respirer le repos d’un séjour plus tranquille.
Puis apparaît enfin l’opulente cité,
Brillante de splendeur et de prospérité,
Qui déjà s’étendant partout dans la campagne,
Menace de s’asseoir un jour sur la montagne.
Parmi les monuments, magnifiques, nombreux,
Que ce nouveau coup d’œil vient déployer aux yeux,
Au centre, il en est un qui sur tous se signale
Par son portique altier, sa grandeur colossale.
Élevant, comme un mont, sous la voûte des cieux,
Sa masse gigantesque et son front sourcilleux,
Il semble rembrunir de sa couleur grisâtre
Tous les riants tableaux d’un horizon bleuâtre.
Temple du Tout-Puissant, il atteste aux regards
La piété d’un peuple et le règne des arts.
L’Amérique du Nord n’a rien qui rivalise,
En monuments pieux, cette superbe Église.
Honneur à Montréal, honneur à la cité,
Qui prouve ainsi sa foi, sa libéralité !
À droite, il est encore un modeste ermitage,
Que l’œil découvre à peine à travers le feuillage ;
Et, lorsque cent palais, chefs-d’œuvre de nos arts,
Semblent de tous côtés, étaler aux regards
L’opulence et le luxe, à la simple nature
Il emprunte lui seul ses grâces, sa parure.
Asile de bonheur, de paix et de vertu,
Interdits aux enfants d’un siècle corrompu,
Sous ses humbles lambris, il veut que la jeunesse
Vienne avec sa fraîcheur respirer la sagesse.
Qui peut le contempler ce séjour enchanteur
Sans qu’il sente de joie encor battre son cœur,
Au souvenir heureux de tant de jouissance
Que son sein sut offrir à son adolescence ?
Ah ! qui ne revoit pas sans un plaisir nouveau,
Sa plage où le destin a placé son berceau ?
Et l’humble presbytère et la tour du village
Qui le vit tant de fois jouer sous son ombrage,
Pourrait-il donc revoir d’un œil indifférent
L’asile où s’écoula son âge adolescent ?
Pourrait-il oublier la douce solitude
Qui charma ses ennuis et ses dégoûts d’étude ?

Pour moi qui l’ai chéri, qui le regrette encor,
L’asile qui me fit retrouver l’âge d’or,
Je ne le vois jamais que je ne me rappelle
De mes premiers printemps l’époque la plus belle.
Aussi, toutes les fois que je descends le mont
Qui déroule à mes yeux un immense horizon,
Où cent tableaux divers grandissent sur la scène,
Ce qui d’abord me fixe et sans cesse m’entraîne,
Ce n’est pas tant le fleuve avec son noble cours,
La cité florissante avec ses alentours ;
Mais c’est le seul aspect de l’aimable retraite
Où le bonheur est pur, l’allégresse parfaite.
Un charme inexprimable a ressaisi mon cœur,
Je demeure pensif, je rêve le bonheur…
Et cédant au transport de mon âme attendrie
À cette perspective, aussitôt je m’écrie :
Ils sont encor debout ces antiques ormeaux,
Témoins de mes plaisirs, de mes jours les plus beaux !
Quand tout change autour d’eux, seuls ils bravent l’orage,
Le temps qui les respecte embellit leur feuillage !
Chacun d’eux me retrace un touchant souvenir,
M’offre une jouissance et rappelle un plaisir…
Et malgré les revers d’une vie orageuse,
Je revis tout entier à cette époque heureuse.
Là, comme Télémaque, à leur ombrage assis,
D’un sage précepteur, nouveau Termosiris,
Je recueillais en paix les leçons de sagesse,
Qu’il voulait inculquer à ma frêle jeunesse.
Ici, de mes amis je goûtais l’entretien ;
Mes peines, mes plaisirs s’épanchaient dans leur sein.
Le temps qui s’est enfui depuis à tire-d’ailes,
Ne les a point changés — ils sont toujours fidèles.
Tantôt, me retrouvant sous ces autres noyers,
Avec mes livres seuls, seul avec mes pensers,
J’y variais l’attrait que donne la lecture,
Du spectacle riant de la belle nature.
Je l’avais sous les yeux… de la cime des monts
Déployant à mes pieds des plaines, des vallons.
Là Cérès balançait ses gerbes ondoyantes
Que redorait Phébus à ses ardeurs brûlantes.
Ici, des moissonneurs abattaient sous leur faulx
L’herbe mûre des prés destinée aux troupeaux.

Ailleurs, dans les vergers, présage de l’automne,
Mûrissait les trésors dont sa main les couronne.
Abrité de feuillage et foulant les gazons,
L’esprit, le cœur remplis de mille illusions,
Je croyais retrouver les hameaux de Virgile,
Ou l’homme heureux des champs qu’a célébré Delille,
En lisant tour à tour les précieux écrits
De ces auteurs rivaux, immortels et chéris.
Mais pourrai-je oublier aussi qu’à leur ombrage
De l’aimable art des vers je fis l’apprentissage ?
Oui ! c’est là que j’allai d’Apollon, de ses sœurs,
Pour la première fois rechercher les faveurs.
J’avais, pour me guider, de sages, doctes maîtres,
Les inspirations de ces sites champêtres ;
Les uns faits pour donner l’éveil à tout talent,
Les autres pour en suivre, en éclairer l’élan.
Si depuis, en courant la carrière des lettres,
J’obtins quelque succès, je le dois à ces maîtres ;
Je ne le dois pas moins au séjour enchanteur
Où tout charme les yeux, et l’esprit et le cœur.
Ô vous, dont la mémoire, après seize ans m’inspire,
Souffrez donc que pour vous vibre aujourd’hui ma lyre.
Mais quel noir souvenir autour de moi soudain
Erre comme un fantôme, et l’arrache à ma main,
Alors que pour combler ma douce jouissance,
Animé par l’élan de ma reconnaissance,
Je m’en allais pour vous soupirer des accents,
Dignes de vos bienfaits et de mes sentiments ?
Hélas ! vous n’êtes plus ! et l’heureux ermitage
A toujours la beauté, la fraîcheur en partage !
Et le deuil n’en a point exilé les oiseaux,
Et ces arbres n’ont point flétri leurs frais rameaux !
C’est que, sans doute, hélas ! c’est votre destinée
D’habiter désormais un plus bel Élysée ;
C’est que dans ce séjour où l’on ne vous voit plus,
De dignes successeurs font briller vos vertus,
Éclater vos talents, et revivre sans cesse
En vous cet art heureux de guider la jeunesse…
Et vous, fils d’Apollon, disciples fortunés,
Que ce site bientôt va revoir rassemblés,
Puisqu’il vous est donné d’y respirer encore,
Ah ! de votre bonheur sachez chérir l’aurore.

 
Trop tôt, hélas ! trop tôt dans le monde lancés,
Peut-être en verrez-vous les beaux jours éclipsés !
Dans un lointain trompeur il sourit à votre âge,
Mais plus son ciel est beau, plus il cache l’orage :
Quiconque le connaît, donnerait tous les ans
Qu’il coule dans son sein pour un de vos instants.
Sachez de votre état goûter les avantages ;
Renouvelez d’ardeur, soyez studieux, sages ;
Par vos douces vertus peut-être pourrez-vous

Du sort qui vous attend vaincre un jour le courroux.
Pierre Laviolette.