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Réponse à l’écrit anonyme intitulé: de la formation des églises/Appendice

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Imprimerie et librairie L. Alex. Michod. (p. 112-118).

APPENDICE.

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Quoique nous ne tenions pour bien prouvé, que ce qui l’est par la Parole de Dieu ; cependant nous croyons que le témoignage de l’histoire n’est pas à dédaigner, lorsqu’il n’est point en contradiction avec les Écritures, et qu’au contraire, il nous confirme, sur les usages des primitives Églises, des choses que le récit des écrivains sacrés nous avait déjà fait entrevoir. Nous croyons donc être utiles à nos lecteurs en leur citant quelques traits de l’histoire des premiers siècles de l’Église, qui leur montreront que dans ces temps-là, le choix des Pasteurs était fait par la masse des fidèles, et que les choses n’ont commencé d’aller autrement, que depuis que l’Église s’est alliée avec l’État, environ trois cents ans après la mort du Seigneur. Nous déclarons que dans tout ce que nous avons lu de l’histoire ecclésiastique des trois premiers siècles, nous n’avons rien trouvé qui n’appuyât l’élection des Pasteurs par les troupeaux ; et nous doutons qu’on puisse contester avec quelques succès la généralité de cet usage, pendant ces premiers temps.

Avant de commencer nos citations, nous croyons devoir avertir que dans les premiers siècles on appelait Évéques, ceux que l’on appelle maintenant Anciens ou Pasteurs. On peut voir par Actes XX, 17, comparé au verset 28, que ces titres sont synonymes. Peu à peu le titre d’Évêque vint à désigner un Pasteur qui avait inspection non-seulement sur le troupeau, mais aussi sur d’autres Pasteurs.

Notre première citation est relative à l’élection de Cyprien, Évêque de Carthage, laquelle eut lieu environ l’an 246 de notre Seigneur. Elle se trouve dans l’histoire ecclésiastique de Milner, tome 1er, page 333.

Il y avait chez Cyprien tant de simplicité, de zèle et d’intelligence, que deux ans environ après sa conversion, il fut élu d’abord Prêtre, et ensuite Évêque de Carthage.

Ce n’étaient point de fausses vertus qui avaient ainsi attiré vers Cyprien la faveur populaire. L’amour de Christ l’emportait en lui sur toutes les considérations qui ne se rapportaient qu’aux choses de la terre. Sa femme s’opposait en vain à sa libéralité chrétienne. Le pauvre, la veuve et l’orphelin, trouvaient toujours en lui un bienfaiteur et un appui. Le Prêtre Caecilius bénissait le Seigneur des rapides progrès de son disciple, et en mourant il recommanda à ses soins sa femme et ses enfans. — Ce fut avec un vif regret que Cyprien s’aperçut que le peuple avait l’intention de le choisir pour Évêque. Il se retira pour éviter les sollicitations qu’il prévoyait ; on assiégea sa maison ; une plus longue résistance devenait impossible ; il céda donc, et accepta avec répugnance cette pénible prééminence : et il la trouva telle en effet.

En passant, nous extrayons d’une lettre de Cyprien un petit paragraphe, qui montre qu’alors les Évêques scrupuleux, ne se permettaient pas de conduire l’Église, sans la consulter, et de rien faire sans son approbation.

Quant au point particulier sur lequel on m’a écrit, je ne puis rien décider tout seul ; car dès les premiers temps où j’ai été élevé à la charge d’Évêque, j’ai résolu de ne rien faire sans votre approbation et sans le consentement du peuple. Mais lorsque je serai retourné auprès de vous par la grâce de Dieu, nous nous occuperons en commun de toutes ces choses.

La citation suivante est relative à l’élection d’Ambroise, comme Évêque de Milan, environ l’an 374. Quoique alors il y eut déjà de la dégénération dans l’Église, et que les empereurs influassent déjà considérablement sur le choix des Évêques ; on verra cependant par cette citation que le peuple n’en avait pas encore été exclu.

Nous avons déjà vu qu’Auxence était parvenu à tromper Valentinien par ses artifices, et qu’il avait conservé son Église jusqu’à sa mort, arrivée en 374. Les Évêques de la province se réunirent immédiatement pour lui élire un successeur. L’empereur les envoya chercher, et leur dit, que connaissant, comme ils le faisaient, le volume sacré, ils devaient mieux comprendre que lui quelles étaient les qualités nécessaires pour bien remplir une charge aussi importante. « Choisissez, » leur dit-il, « un homme qui soit propre à instruire par sa vie, aussi, bien que par sa doctrine, et nous soumettrons nous-même, avec empressement, notre sceptre à ses conseils et à ses directions ; et, sentant que nous sommes des hommes sujets à la fragilité humaine, nous recevrons comme une discipline salutaire ses réprimandes et ses exhortations. » Les Évêques le prièrent de nommer la personne qu’il désirait ; mais Valentinien était décidé à leur en laisser la détermination, les regardant comme plus capables de décider que lui. Cependant les factions étaient fortes, et le parti arien travaillait vigoureusement à donner à Auxence un successeur digne de lui. La ville était partagée ; on craignait qu’il n’y eut du tumulte : les Évêques étaient encore indécis, et Ambroise, apprenant l’état des choses, se hâta de se rendre à l’Église de Milan, et exhorta le peuple à la paix et à la soumission aux lois. Lorsqu’il eut fini son discours, une voix d’enfant dit, du milieu de la foule : Ambroise est évêque ! On saisit aussitôt cette parole ; toute l’assemblée cria : Ambroise sera nommé ! Les factions s’accordèrent aussitôt, et celui que ses emplois séculiers semblaient exclure du choix des partis, fut soudainement élu par le consentement universel.

Ambroise étonné, refusa positivement. Jamais personne n’eut plus envie d’être nommé Évêque qu’il n’en montra d’éviter cet honneur. Il employa même des moyens qui sonnent d’une manière étrange à nos oreilles, et qu’il est impossible de justifier. En exerçant une grande sévérité sur des malfaiteurs, et en encourageant des femmes de mauvaise vie à venir dans sa maison ; il chercha à convaincre le peuple qu’il n’avait pas la douceur et la chasteté qu’on lui attribuait, et qu’il avait en effet réellement. On dévoila facilement cette singulière hypocrisie. Voyant qu’il était inutile de vouloir arrêter ce torrent, il s’échappa de Milan à minuit ; mais se trompant de chemin, après avoir erré toute la nuit, il se retrouva à la porte de la ville le matin. On plaça une garde auprès de lui jusqu’à ce qu’on sût le bon plaisir de l’empereur, son consentement étant nécessaire à cause de la charge qu’Ambroise avait exercée jusqu’alors.

Notre troisième citation est importante, parce qu’elle montre qu’Augustin, Évêque d’Hippone, en Afrique, environ l’an 400, se conformait à ce qui est appelé l’usage de l’Église, en choisissant les Prêtres, de concert avec la majorité du troupeau.

Lorsqu’il consacrait des Prêtres, il avait soin de se conformer à l’usage de l’Église, et d’agir avec le concours de la majorité du troupeau.

(Milner, tome II, page 459).

Notre dernière citation est relative au pape Célestin, environ l’an 450. On y trouve encore malgré la dégénération croissante de l’Église, des traces de l’ancien droit d’élection, attribué à tous les membres du troupeau.

La conduite de Célestin ressemblait plus à celle d’un Évêque pieux, qu’à celle d’un pape. Il blâma le clergé de France d’avoir élevé tout-à-coup à la dignité épiscopale des laïques qui n’avaient pas passé par les différens degrés de la prétrise. Il décida que lorsqu’on aurait à élire un Évêque, les membres du clergé de la même Église qui avaient une réputation honorable et avaient bien rempli leurs charges, devaient être préférés à des Prêtres étrangers et inconnus ; qu’on ne devait imposer un Évêque à aucun troupeau contre sa volonté, mais qu’on devait avoir égard au vœu du clergé, du peuple et des magistrats ; qu’il ne fallait pas élire un Prêtre d’un autre diocèse, lorsqu’il se trouvait dans la même Église un Prêtre capable de bien remplir les fonctions de l’épiscopat.

Nous ne résistons pas au plaisir de terminer ces citations par un fragment de deux épîtres de ceux qu’on a appelés les Pères apostoliques. Le premier est Clément, qui fut Évêque de Rome, dans le premier siècle de l’Église, et qu’on croit être le même que celui dont Paul fait mention dans son épître aux Romains. L’Église de Corinthe, toujours divisée comme du temps de Paul, s’était adressée aux chrétiens de Rome, pour leur demander des conseils, et Clément écrivit son épître au nom de l’Église de cette dernière ville. Dans cette épître, il ne prend aucun titre, mais il s’adresse simplement aux fidèles de Corinthe, comme organe des frères de Rome.

Voici la réflexion que fait Milner lui-même, sur le morceau que nous allons rapporter : « Clément, » dit-il, « parle de personnes qui avaient toujours le mot de paix sur les lèvres, tandis que leur conduite prouvait qu’elles aimaient à troubler l’Église de Christ. Le même mal existe, hélas ! de nos jours, au grand détriment de la vraie piété ; et cependant on s’en afflige bien peu. Les humbles peuvent apprendre de Clément à distinguer entre un zèle consciencieux et un esprit de schisme. »

Maintenant voici l’exhortation de Clément aux Corinthiens :

Lisez, dit-il, l’épître du bienheureux Paul : il vous donnait, par l’inspiration divine, quelques conseils sur lui-même, sur Céphas et sur Apollos. — Il y avait alors des affections partielles parmi vous ; mais au moins penchiez-vous pour des Apôtres et pour un homme estimé parmi eux. Maintenant, ce sont des choses honteuses, oui, bien-aimés, honteuses et indignes, que celles qui se disent de vous, savoir, que l’antique Église des Corinthiens est en dispute avec ses Anciens, à cause d’une ou deux personnes, et ce bruit est parvenu non-seulement à nous, chrétiens, mais jusqu’aux incrédules ; en sorte que le saint nom du Seigneur est blasphémé à cause de vous.

Notre second fragment est tiré d’une lettre écrite par Ignace, Évêque d’Antioche, à son ami Polycarpe, Évêque de Smyrne et disciple de l’Apôtre Jean. Elle fut écrite par Ignace, pendant le voyage qu’il fit pour se rendre à Rome, où il souffrit le martyre. « Elle contient, » comme le dit Milner, « un tableau fidèle de l’intégrité, de la sagesse et de la charité d’un véritable Pasteur des âmes, et mérite d’être étudiée dans son entier par tous les y ministres de l’Évangile. »

Voici cet admirable morceau :

Plus un Pasteur est saint, plus il sent le besoin qu’il a de la sagesse et de la force divine. Les difficultés et les inquiétudes d’un pauvre pécheur, qui est appelé à lutter contre les puissances réunies du monde et de Satan, contre les penchans corrompus de sa propre nature, l’opposition déclarée des profanes, et les erreurs dans lesquelles tombent encore les enfans de Dieu ; ne peuvent être comprises par un clergé séculier qui ne songe qu’à ses aises et à ses avantages, ou du moins ne s’occupe qu’à cultiver les lettres et à observer les convenances extérieures de son état : elles ne seront pas mieux comprises par des docteurs ambitieux et turbulens, qui sont tellement absorbés par les affaires politiques, qu’ils oublient que le royaume de Christ n’est pas de ce monde.

Je t’exhorte, dit Ignace, par la grâce dont tu es revêtu, à t’appliquer à pour suivre la course qui t’est proposée, et à avertir tous les membres de ton Église, afin que tous soient sauvés. Remplis avec diligence les devoirs temporels et spirituels de la vocation. Recherche ce bien le plus précieux de tous, l’unité. Supporte tous les hommes, comme aussi le Seigneur te supporte toi-même. Trouve du temps pour prier sans-cesse. Demande une plus grande intelligence des choses saintes, que celle que tu as maintenant. Veille, et aie un esprit toujours attentif. Parle séparément à chacun, comme le Dieu tout-puissant te donnera de le faire. Supporte les infirmités de tous. — Plus tu travailleras, plus ta récompense sera grande. — Si tu n’aimes que les disciples obéissans, tu ne manifestes pas que tu aies reçu la grâce. Ramène plutôt à la soumission convenable, par ta douceur, ceux qui sont turbulens. Toutes les blessures ne se guérissent pas par les mêmes remèdes.

Veille comme un athlète divin. Ton prix est l’immortalité et la vie éternelle. Que ceux qui paraissent des chrétiens expérimentés, et qui ne sont cependant pas fermes dans la foi, ne t’ébranlent pas. Demeure ferme comme une enclume qui est frappée sans relâche. Ce qui caractérise un habile combattant, c’est d’être couvert de blessures, et cependant de vaincre. — Sois encore plus studieux que tu ne l’es. Considère les temps, et attends-toi à Celui qui est au-dessus de tous les temps, qui n’est limité ni influencé par le temps ; à Celui qui était, invisible et qui est devenu visible pour nous, à Celui qui était impassible, mais qui s’est exposé aux souffrances pour nous, et qui a supporté toutes sortes de maux pour l’amour de nous. — Que les veuves ne soient pas négligées. Après le Seigneur, prends soin d’elles. Que rien ne se fasse sans que tu le saches. Ne fais rien sans le sentiment de Dieu. Que les assemblées se tiennent plus fréquemment. Informe-toi de tous les membres de l’Église par leur nom. Ne méprise pas les esclaves de l’un ou de l’autre sexe ; et cependant qu’ils ne s’enflent pas, mais qu’ils servent plus fidèlement pour la gloire de Dieu, afin qu’ils obtiennent de Dieu une plus précieuse liberté. Qu’ils ne désirent pas d’être mis en liberté aux dépens de l’Église, de peur qu’ils ne soient trouvés esclaves de la convoitise.


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