Rêveries d’un païen mystique/Lettre d’un mythologue à un naturaliste

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Rêveries d’un païen mystique, Texte établi par Rioux de MaillouGeorges Crès et Cie, éditeurs (p. 106-122).
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LETTRE D’UN MYTHOLOGUE


À UN NATURALISTE



Je cueille une branche chargée de feuilles, de fleurs et de fruits ; j’en détache une graine et je la pèse. Dans l’autre plateau de la balance je mets le même poids d’une autre partie de la plante : feuille, fleur ou tige. Voilà deux masses égales de matière organisée ; elles sont formées des mêmes éléments : carbone, hydrogène, oxygène et azote, avec un peu de chaux et de silice. La proportion de ces éléments est la même, et ils semblent groupés d’une manière identique. Pourtant, si je mets en terre ces deux poids égaux de la même substance, l’un va se résoudre, par une décomposition successive, en molécules plus simples : eau, acide carbonique, ammoniaque ; l’autre, la graine, va tirer du sol et de l’atmosphère les mêmes produits : eau, ammoniaque, acide carbonique, pour les grouper en molécules complexes, malgré leurs affinités, et les faire servir à la germination d’un végétal nouveau. Il y a là une énergie opposée aux forces chimiques et insaisissables à tous nos moyens d’analyse, c’est la Vie.

La vie n’est pas une résultante, c’est un principe. De tous ses attributs, le plus caractéristique est sa puissance d’individuation. Chaque germe, que ce soit la graine d’une plante ou l’oeuf d’un animal, contient une énergie individuelle et indivisible, qui se taille, dans le vague domaine de la matière, une petite principauté circonscrite, mais parfaitement autonome. On est arrivé à fabriquer de toutes pièces des produits organiques, mais tant qu’on n’aura pas créé une cellule germinative, on n’expliquera pas la génération spontanée des monères au sein du protoplasma.

L’individuation est une donnée primordiale. La vie est un terme abstrait représentant le mode d’activité de ces énergies particulières qui résident au sein des germes. Elles seules sont réelles et observables, non en elles-mêmes, mais dans leurs manifestations, objet immédiat de la science. Ce sont des centres d’action et de réaction, d’attraction et de répulsion, de véritables causes premières ; du moins nous sommes obligés de les considérer comme telles, puisque nous n’en connaissons pas la source et que nous ne pouvons remonter au delà de leur apparition.

Voulez-vous me permettre de les appeler des âmes ? Je suppose que vous n’avez pas peur d’un mot. L’âme, c’est ce qui anime le corps, c’est le principe de la vie individuelle des animaux. Ne m’objectez pas que j’ai pris d’abord pour exemple la graine d’un végétal ; vous savez que la philosophie grecque distinguait trois sortes d’âmes : l’âme végétale, placée dans le bas du corps, près de la terre ; l’âme passionnelle ayant son siège dans la poitrine, et l’âme raisonnable, qui réside dans la tête, la partie de notre corps la plus voisine du ciel. Ces trois âmes sont associées dans l’unité de la personne humaine comme le système nerveux et le système nutritif dans l’unité de la vie organique ; il n’y a là qu’une distinction créée pour les besoins de l’analyse et qui n’exprime que les formes multiples de notre activité.

On s’est habitué à réserver le nom d’âme à la faculté directrice de nous-mêmes, et il faut remonter à l’étymologie pour oser parler de l’âme des animaux et des plantes. Mais ne soyons pas trop aristocrates : l’intelligence est partout, même dans le règne inorganique. En voyant la régularité des formes cristallines, j’ai peine à croire que les minéraux soient aussi bêtes qu’on le dit. Quant à l’intelligence des plantes et des animaux, elle est prouvée par l’adaptation merveilleuse des organes à leurs fonctions : il y a là une finalité, c’est-à-dire un but poursuivi et atteint.

La transformation incessante des milieux entraîne la variation des espèces ; les générations successives des êtres vivants sont obligées à des efforts toujours nouveaux pour soutenir la concurrence vitale. Il faut que les âmes forment leurs corps dans des conditions suffisantes pour triompher dans la bataille de la vie. Comme il n’y a pas de place pour tous les germes qui veulent naître, la victoire doit rester aux plus forts et aux plus intelligents.

On ne peut expliquer la sélection naturelle par le hasard, car un mot n’explique pas un fait. S’il y a choix, il y a discernement ; toute énergie suppose une volonté. Mais est-ce la nôtre ? Non, c’est une force étrangère ; l’amour n’est pas une action, c’est une passion. Les puissances cosmiques nous l’envoient pour nous employer à leur œuvre créatrice en faisant descendre les âmes dans la naissance. L’amour, c’est un enfant qui veut naître ; les anciens l’appelaient de son vrai nom, le Désir (Éros, Cupido), parce qu’en effet c’est le désir qui appelle les germes à l’existence. Il y a autour de nous des âmes qui veulent s’incarner : pour cela elles se changent en désirs et sollicitent les vivants à leur donner un corps. L’art grec les représente par des enfants ailés : ce sont les désirs qui voltigent autour des amants.

La Beauté est mère du Désir, d’après la mythologie. Qu’est-ce que la beauté ? C’est une harmonie de lignes, une pondération de formes qui annonce l’aptitude à l’éclosion des germes et au perfectionnement de la race. L’ampleur des hanches, la fermeté de la gorge sont des garanties pour l’enfant qui naîtra. Les âmes errantes nous poussent vers nos complémentaires ; elles choisissent, pour entrer dans la vie, les conditions organiques dont elles ont besoin, et elles nous imposent leur choix sans nous consulter. Ce choix est rarement d’accord avec nos convenances sociales : ce n’est pas leur faute, elles ne connaissent que les convenances physiologiques.

Les romanciers ont tort de croire que l’amour a été inventé pour le bonheur ou le désespoir des amants : qu’importent nos peines et nos joies à la grande Isis ? Elle ne s’intéresse qu’à l’espèce, et ne s’inquiète pas des individus. Pourquoi n’aurait-elle pas comme nous ses haras et ses concours d’animaux reproducteurs ? La volupté est un hameçon qu’elle nous jette ; c’est un but pour nous, c’est un moyen pour elle. Le poisson saisit l’appât et croit travailler pour son compte ; il ne comprend que quand il est dans la poêle à frire. Alors, il dit : si j’avais su ! Il ment : il aurait beau savoir, il recommencerait.

La sélection ne se raisonne pas : c’est électrique. Il y a des femmes qu’on estime, d’autres pour qui on se brûle la cervelle. L’implacable désir nous traîne par les cheveux ; nous nous roulons aux pieds de quelque odieuse idole, et, quand elle nous a broyé le cœur, nous lui demandons pardon. On s’étonne que nous soyons si facilement domptés par des créatures inférieures : c’est qu’elles sont plus vivantes que nous. On peut vivre sans cerveau ni cœur, comme l’amphioxus, l’ancêtre des vertébrés. Il a légué son caractère à un grand nombre de ses descendants, et surtout de ses descendantes. Il y en a de charmantes, malgré cette lacune : voyez les héroïnes des romans de Victor Hugo : Esméralda, Cosette, Déruchette ; c’est toujours la même : une divine créature sans cœur et sans cervelle, un véritable amphioxus. C’est un des cas d’atavisme les plus fréquents.

La femme n’est pas moins spontanée que l’homme dans ses affinités électives. Elle sent sa faiblesse, il lui faut un maître, et celui qui a pu la dompter pourra la protéger au besoin. L’histoire de Mars et de Vénus est éternelle ; ce n’est pas avec l’intelligence qu’on améliore les races : tant pis pour les philosophes s’ils sont plus chétifs que les sous-lieutenants. La femme est faite pour être mère : c’est sa fonction dans la nature et dans la société ; tout ce qui ne sert pas à cette fonction est un hors-d’œuvre. Il ne faut pas trop d’esprit, cela fait des Célimènes, aussi inutiles que les fleurs doubles. L’éternelle Circé, qui change l’homme en bête, n’a pas besoin de tant de finesse pour nous enchaîner. Napoléon disait à Mme De Staël que la femme qu’il admirait le plus était celle qui avait le plus d’enfants : il ne s’occupait que de la quantité, car les hommes n’étaient pour lui que de la chair à canon ; mais s’il avait tenu compte de la qualité, son appréciation serait juste. La femme est chargée de former pour l’avenir des générations saines et fortes.

L’homme étant un animal social, selon la définition d’Aristote, la vraie femme doit posséder l’aptitude à l’éducation des enfants. C’est là son intelligence. Elle sait d’instinct la langue enfant, elle en devine les secrets, le zézaiement, les consonnes liquides prodiguées, le redoublement des syllabes. Quant à la moralité de la femme, elle se résume dans la chasteté, garantie de la pureté des races. La chasteté, pour la femme, est synonyme de vertu, comme pour l’homme la justice et le courage, car le milieu de l’homme est la cité, le milieu de la femme est la famille. L’enfant ayant besoin d’une mère pour l’allaiter et l’élever, d’un père pour le protéger et le guider dans la vie, la famille est la raison d’être et la finalité de l’amour.

L’immense importance de l’élément intellectuel et moral dans la vie de l’homme et des sociétés est la principale pierre d’achoppement de la théorie de Darwin. Un des premiers apôtres de cette théorie, M Wallace, n’a pas craint d’aborder de front la difficulté. Entre l’homme et les autres Primates, la distance est physiologiquement bien faible ; mais la faculté de concevoir les idées générales du vrai, du beau, du juste, et de les exprimer par le langage articulé, l’aptitude à découvrir la loi des choses, à créer des oeuvres d’art, à choisir librement le bien ou le mal, établissent entre le plus élevé des singes anthropoïdes et la plus infime des races humaines une différence si profonde qu’on n’imagine même pas la possibilité d’une transition.

M Wallace trouve dans l’organisation physique de l’homme, et surtout dans la constitution de son cerveau, un certain nombre de particularités qui ne peuvent s’expliquer par la sélection naturelle et qui rappelleraient plutôt les faits de sélection artificielle que l’homme lui-même parvient à diriger ou à produire dans les plantes usuelles et les animaux domestiques. On pourrait donc supposer que des intelligences supérieures à la nôtre ont conduit notre évolution organique, en vue de fournir à la vie intellectuelle et morale qui devait naître l’instrument matériel dont elle avait besoin. Il est curieux de voir la science moderne reproduire, comme dernière conclusion, la fable juive de la création d’Adam ou la fable grecque de Prométhée modelant les hommes avec de l’argile,


Quam satus Iapeto, mistam fluvialibus undis,
Finxit in effigem moderantum cuncta Deorum.


Les questions d’origine échappent à l’observation et à la science ; cependant l’esprit humain ne peut pas se désintéresser de ces grands problèmes : il faut donc qu’il se contente des solutions mythologiques, puisqu’il ne s’en présente pas d’autres. Malheureusement ce sont des hiéroglyphes écrits dans une langue qu’on ne comprend plus. Les mythologies nous offrent sous diverses formes l’idée d’une intervention divine dans les origines de l’humanité. D’après le Polythéisme grec, la race des Héros naît de l’union des Dieux avec les femmes mortelles. La mythologie hébraïque a une tradition analogue, indiquée dans quelques versets de la Genèse et développée dans cet étrange livre d’Hénoch, d’où Thomas Moore a tiré son poème des Amours des anges et Byron un de ses deux drames bibliques, le Ciel et la Terre.

Il est difficile de concevoir ce que pouvait être, avant la conquête du feu et la création du langage, une humanité dans les limbes de la morale et de la pensée. Il se peut cependant que quelque race de singes anthropoïdes soit arrivée, comme tant d’espèces d’animaux, à une grande pureté de formes. Peut-être y avait-il déjà, comme aujourd’hui, des créatures d’une beauté à séduire les anges, et n’ayant pas plus de conscience et de raison qu’une fleur. Alors, s’il existe des êtres au-dessus de nous, — et pourquoi l’échelle serait-elle interrompue ? — ils ont bien pu vouloir descendre jusqu’à l’humanité pour l’élever jusqu’à eux.

Les Dieux de l’Inde se sont incarnés plusieurs fois dans la forme humaine et même dans des formes animales, pour la rédemption du monde. D’après les livres hermétiques, le Dieu suprême de l’Égypte, pour régénérer les hommes et les instruire, leur envoie Osiris. On trouve une idée analogue dans les Grandes Éoïées d’Hésiode, à propos de la naissance d’Hèraklès, le type des héros demi-Dieux : Zeus, voulant donner un sauveur aux hommes, cherche une femme qui soit digne d’en être la mère, et il n’en voit pas de plus accomplie qu’Alkmène, femme d’Amphitryon : jamais femme n’aima autant son époux. C’est sous la forme de cet époux que le Dieu se présente à elle. Deux jumeaux naissent le même jour et sont déposés dans le même bouclier. On ajoutait, pour compléter la légende, que des serpents étouffés par Hèraklès avaient fait connaître lequel des deux frères était de la race des dieux.

La poésie a bien le droit d’attribuer aux héros une origine divine : ceux qui sont l’image des Dieux sur la terre méritent d’être appelés leurs enfants. Le symbole de la naissance du Christ, dans la mythologie chrétienne, présente la même idée sous une forme plus chaste : une vierge, épouse d’un juste, est choisie pour enfanter le Rédempteur. Jésus passe pour fils de Joseph et l’Évangile expose la généalogie qui le rattache à David, mais en réalité il est fils de Dieu ; de même Hèraklès est appelé tantôt le fils de Zeus, tantôt le fils d’Amphitryon.

Dans les fables poétiques sur l’origine des Héros, il est à remarquer que jamais les femmes mortelles n’acceptent de bonne grâce l’amour d’un Dieu. Zeus est obligé de se changer en cygne, en aigle, en taureau, il ne peut réussir qu’en prenant la forme d’une bête ; si la femme savait que c’est un Dieu, elle n’en voudrait pas. Apollon, le plus beau des immortels, n’a aucun succès en amour : Daphnè se sauve à son approche, Coronis le trompe indignement, on ne sait pour qui, pour le premier venu : il suffit que ce ne soit pas un poète. Le Féminin, qui est la matière et la vie, a une répugnance instinctive pour l’intelligence et l’idéal.

Jeune fille, dit l’ange Ithuriel, je t’ai aperçue de là-haut, quand tu te baignais dans l’eau transparente, sous les cèdres du mont Hermon, et j’ai quitté le ciel pour toi. Laisse-moi contempler tes yeux noirs, mes étoiles. Tu es trop belle pour la terre, Dieu s’est trompé en te faisant naître ici. Mais il ne t’a donné que la vie, moi, je veux te donner une âme. Dans cette forme divine j’allumerai une flamme céleste, je serai ton créateur et ton amant. Viens, nous voyagerons parmi les astres d’or, au-dessus des nuées ; je te porterai sur mes ailes puissantes, je t’enseignerai les lois éternelles.

— Tais-toi, Égrégore : tu vois bien qu’elle ne comprend pas. Les éclairs de son regard, tu as cru que c’était l’intelligence, ce n’était que la vie. Est-ce qu’elle a des ailes pour te suivre ? Tu lui parles une langue inconnue, elle a peur et elle se sauve. Ah ! La guenon du pays de Nod, elle va retrouver son grand singe anthropoïde, là-bas, dans les marais. Elle a raison, il faut des couples assortis. Mais toi, que fais-tu ici, Dieu tombé ? Va, retire-toi au désert et attends la fin de ton exil.

Les effluves du ciel peuvent descendre sur la terre, mais l’inerte matière ne peut monter vers l’esprit. Les âmes sont des étincelles du feu céleste, tombées des calmes régions de l’éther dans la sphère agitée de la vie. Vaincues par la toute-puissante fascination de la beauté, courbées sous le joug humiliant du désir, écrasées par les lourdes chaînes du corps, elles savent bien que la naissance est une chute et la conception une souillure. La pudeur leur rappelle le souvenir de la tache originelle ; sous ce voile mystique elles cachent la honte de leur incarnation. Pourquoi ces rougeurs involontaires au seul nom de la volupté ? N’est-ce pas une loi divine, cette irrésistible attraction qui enchaîne l’esprit dans la matière ? C’est la source de la vie, la base de la famille, la grande communion des êtres, et on n’ose pas en parler. Il y a là un mystère profond que devraient bien expliquer vos théories modernes de réhabilitation de la chair.

La mort aussi est un mystère, entouré comme l’autre d’un inexplicable mélange de respect et de dégoût. Lever les chastes voiles, révéler ce qui s’enveloppe de silence et d’ombre, serait aussi impur et aussi impie que de violer un tombeau. Devant les deux portes de la vie, il y a une horreur sacrée. La lumière souillerait ce qui appartient à la nuit. L’origine et la fin des choses sont les secrets des Dieux.

Note très intéressante trouvée dtns les papiers de Louis Ménard et qui n’était certainement pas le rédaction définitive de l’auteur. Nous ne la publions pas moins à titre de document, ce passage indiquant le point auquel avait abouti sa philosophie quand il le jeta sur le papier, c’est-à-dire vert les derniers temps de sa vie.

Réponse du Naturaliste au Mythologue.

Vous avez raison, mais soyons justes et pas tant de colère contre le Féminin qui fait son métier d’Érinnyes ; n’oubliez pas que les Dieux perçoivent les rayons Rœntgen. Quand l’ange Ithuriel a regardé cette fille se baigner, il a dû voir sous la transparence des chairs un tube digestif et ce qu’il y avait dedans. Si les Anges quittent le Paradis pour cette boîte à ordures, leur chute est ridicule et honteuse ; elle prouve que malgré toutes leurs protestations d’idéalisme ils sont plus sensuels qu’ils n’en ont l’air, et que l’amour céleste les ennuie.

Saint Paul a raison d’ordonner aux femmes de se voiler à cause des Anges car la beauté des filles de Caïn a séduit les Égrégores et causé leur damnation éternelle. De là est née la race meurtrière et carnivore des Géants, et pour laver la souillure du sang répandu, il a fallu noyer la terre sous les eaux du déluge.

Puisque vous aimez la Mythologie chrétienne, demandez à la Gnose de vous expliquer le mystère de la génération des êtres. Séduites par le serpent du désir, les âmes goûtent le fruit défendu de la volupté qui les fait tomber dans les bas-fonds de la matière, loin du jardin virginal de pureté inconsciente où elles dormaient dans une communion angélique avant leur incarnation. Les vêtements de peau faits par Iahveh sont une allégorie du corps terrestre, la pudeur est le stigmate d’une origine impure. Après l’ivresse de la chair, la honte et le remords : « Pourquoi te caches-tu ? Comment sais-tu que tu es nu ? » C’est que la conception est un grand mystère, le secret des Elohim et le silence est la loi de toute initiation ; l’épée flamboyante du Kéroub garde le chemin de l’arbre de vie.

L’incarnation est une chute volontaire et humiliante, la tache originelle un juste châtiment non de quelque faute antérieure à la naissance comme l’ont cru Empédocle et Hermès Trismégiste, mais de la naissance elle-même. Les âmes ont mal fait de vouloir naître et se séparer de l’unité primordiale. L’individuation implique l’égoïsme, la lutte pour l’existence, le droit de se défendre et d’attaquer. La vie est un combat de chacun contre tous. La douleur et la mort sont l’expiation de la naissance.

L’inflexible nécessité condamne tous les êtres vivants à s’entretuer jusqu’à la fin du monde. Il faut que la vie des uns se nourrisse de la mort des autres jusqu’à l’heure bénie où Brahma rentrera dans son sommeil, d’où il aurait dû ne jamais sortir.

Et pourtant, il est écrit sur les tables du Sinaï : « Tu ne tueras point ». Le Bouddha qui maudit la vie étend sa charité sur nos humbles frères les animaux, et défend de les sacrifier. Mais si la vie est mauvaise, pourquoi condamner le suicide et le meurtre ? Si nous avons eu tort de naître, pourquoi maudire la mort qui répare notre erreur ? Comment justifier le désaccord du symbole et de la loi ? Les religions qui rendent des oracles contradictoires peuvent-elles reprocher à la science de ne pas vouloir aborder les problèmes insolubles ?

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