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Rapport sur le coût de l'occupation allemande dans le domaine aéronautique/1

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1ère PARTIE

les dommages causés à l’état

CHAPITRE I

les prélèvements

1o/— Le Butin de Guerre

En vertu des articles 4 et 5 de la Convention d’armistice, l’Armée Française devait remettre aux armées allemandes le matériel d’armement des troupes stationnées en zone Nord. C’est seulement ce matériel qui aurait dû être appréhendé comme butin de guerre. L’Allemagne n’en a pas moins considéré comme tel tous les matériels appartenant à l’État saisis avant ou après l’armistice du 20 juin 1940.

Ne sont admises dans le présent rapport, au titre de Butin de guerre, que les prises effectuées, avant ou au moment de l’Armistice, sur le matériel de l’Armée de l’Air — Les autres enlèvements ont été classés dans les spoliations.

Il faut d’ailleurs noter qu’une partie du matériel considérée ainsi comme butin de guerre a pu être détruite pendant les combats ou perdus purement et simplement au cours de l’invasion — Les chiffres donnés correspondent donc en fait aux pertes de guerre.

Aucune pièce justificative ne peut être produite, en dehors des bons de perte faisant état de la différence entre les existants au 1er septembre 1939 augmentés des fabrications jusqu’en juin 1940 et les « restants » au 1er juillet de la même année.

1o/— pour le matériel d’Intendance on a admis forfaitairement une richesse de 10 000 fr. par homme : pour un effectif de 197 000 hommes en mai 1940, l’avoir dans la métropole étant donc de 1 970 millions [1].

En juillet 1940 il restait 70 millions en zone sud.

Les 1 900 millions disparus correspondent ;

  • à 1 380 millions pour l’habillement ;
  •  45 millions pour le couchage et l’ameublement ;
  •  70 millions pour le campement.

2o/— Le Service de Santé avait environ 100 000 frs de matériel par Base ce qui donne pour les 20 Bases, occupées avant l’Armistice, la somme de 2 millions (cf. Dossier no 1).

3o/— Pour le matériel technique, un recensement effectué en juillet 1940 a fait apparaître la perte de :

  • 540 avions de bombardement,
  • 700 avions de chasse,
  • 1 100 avions de reconnaissance,
  • 1 300 avions écoles,

pour un montant de 4 200 millions,

et celle de 1 850 millions de matériel divers. (dont environ 2 500 véhicules).

2o/— Les spoliations

A — ZONE NORD

Les spoliations commencèrent en zone Nord dès l’occupation du territoire pour ne cesser qu’à la libération.

Les allemands occupèrent en effet dans cette zone, aussitôt après l’armistice, les aérodromes civils, les postes de l’Office nationale météorologique (Trappes — Saint-Cyr — Mont Valérien Barbezieux Juillet 1940) les Centres de Télécommunications et les établissements techniques de l’État faisant main basse sur le matériel et procédant, comme à Barbezieux, à son évacuation.

B — ZONE SUD

Cependant, en zone Sud, les conventions d’armistice paraissent avoir été respectées jusqu’au 11 novembre 1942.

a)— Période antérieure au 11 Novembre 1942

En ce qui concerne l’Armée de l’Air, les avions et autres matériels, que les plénipotentiaires français à la Commission d’armistice avaient obtenu de ne pas livrer, restèrent stockés, sous contrôle allemand en vertu de l’article 6 de la Convention d’armistice.

Aucun prélèvement n’y fut effectué avant le 11 Novembre 1942.

Une partie de ces matériels était débloquées de temps à autre pour armer les formations autorisées.

Le matériel d’Intendance et du Service de Santé existant dans les bases, magasins et établissements de la zone sud est resté intact jusqu’au 11 Novembre 1942. N’étant pas sous contrôle, la gestion de ce matériel était libre.

Au 11 Novembre 1942, l’Armée de l’Air en partie reconstituée, comprenait :

  • 51 groupes aériens (dont 34 se trouvaient outre-mer) auxquels

s’ajoutaient les organes techniques ou écoles correspondant ;

  • 35 000 hommes dont 15 000 outre-mer.

Par ailleurs, les Services de l’Aviation Civile (Service des Ports Aériens, des Télécommunications — O.N.M.) et les Services techniques se reconstituaient et fonctionnaient à nouveau.

NOTA.— Si les conditions d’armistice paraissent avoir été respectées jusqu’au 11 Novembre 1942, il est bon de remarquer toutefois que le 24 Octobre de la même année la Commission d’armistice allemande avait demandé l’autorisation de survol de la zone libre.

La même demande a été faite à nouveau par le Consul Général d’Allemagne à M. LAVAL qui donna son accord par lettre 8875/D.S.A.C. H/6 du 8 Novembre.

Pour l’Afrique du Nord, un ultimatum fut envoyé le 8 Novembre en vue de l’utilisation par la Luftwafe des bases de Tunisie et de la province de Constantine.

Monsieur LAVAL s’inclina le 9 Novembre à 1h30 et les premiers avions arrivèrent sur ces bases le 9 Novembre au matin.

b)— Période postérieure au 11 Novembre 1942

Après le coup de force du 11 Novembre, l’Armée allemande occupa le territoire sud de la France, et invoquent la défense de l’Europe, la dépouilla d’une grande partie de ses ressources. Ces spoliations furent brutales pour l’Armée de l’Air : elles s’échelonnèrent du 11 Novembre 1942 à la libréation pour les autres services, donnant lieu tout d’abord à des prises en charges régulières, qui disparurent complètement par la suite.

Il convient de l’arrêter sur le comportement de l’Armée allemande vis-à-vis de l’Armée de l’Air, de l’Aviation Civile, des Services Techniques et d’Infrastructure.

1o/— armée de l’air

Le 11 Novembre 1942 un certain nombre de Bases aériennes furent occupées par les Unité de la Luftwafe. Ce fut une main mise, sans acte de guerre, avec cohabitation forcée initiale rapidement suivie d’expulsion.

Le 27 Novembre 1942, toutes les autres Bases de l’Armée de l’Air ont été occupées entre 07h00 et 09h00 : dans quelques unes des tractations purent avoir lieu avec les occupants qui remirent les installations et le matériel, partiellement et temporairement, à la disposition de l’Armée de l’Air[2].

L’occupation a été réalisée partout comme une opération de guerre, et, en certains cas, avec brutalité et effusion de sang.

Ce coup de force, par sa mise en œuvre, impliquait :

  • le désarmement et le licenciement du personnel,
  • la prise de possession des bases et du matériel existant, par suite, la suppression immédiate et radicale de l’Armée de l’Air française.

En ces circonstances, les forces allemandes ont portée atteinte à l’exercice du Commandement Français en lui refusant dans la plupart des cas, les moyens d’accomplir les missions dont l’avaient chargé les autorités françaises en application des accords passés avec le Commandement allemand, à savoir :

  • le désarmement et la démobilisation de son personnel,
  • la mise en place et le fonctionnement des organes liquidateurs.

Si les incidents ayant entraîné des dommages pour le personnel sont relativement peu nombreux, de nombreux actes de pillage ont été accomplis, actes individuels qui paraissent avoir été tolérés.

Les spoliations ont eu pour objet.

  • du matériel technique (1 800 avions, 6 500 véhicules dont 250 voitures radio, 1 800 moteurs, outillage, etc.)
  • du matériel ameublement, couchage, habillement,
  • des stockes de carburants et d’ingrédients,
  • des vêtements de vol, couvertures, etc.

Elles se montent à :

  • à 5,252 millions pour le matériel technique de toute nature (avions, moteurs, camions, munitions, matériel radio, etc[3]) ;
  • à 70 millions pour l’habillement, le couchage, l’ameublement et le campement ;
  • à 1,9 millions pour le Service de Santé.

Le matériel a été saisi par les forces occupantes sans qu’il en ait été donné décharge aux autorités françaises à qui il était confié.

Le Gouvernement Français protesta contre ces voies de fait et demanda au Gouvernement Allemand la limitation des prélèvements et leur paiement. Ses arguments se retrouvent dans la lettre 26-578/D.S.A. du 19-12-42[4] adressée par le Chef du Gouvernement au Chef du détachement français de liaison de Paris. Ces protestations furent vaines et dans sa lettre du 27-12-42[5] le Général allemand, représentant le Commandant en Chef pour la région ouest à Vichy, opposa une fin de non recevoir à la demande de remboursement. L’Intendance put cependant garder quelques stocks d’habillement pour la police, les Chantiers de Jeunesse etc… L’Armée de l’Air restreinte à quelques formations de Défense passive et de sécurité aérienne publique put éviter un dépouillement total.

Le bilan des spoliations a pu être établi dans de meilleures conditions que pour la zone nord. Le détail en a été déjà donné à la Commission.

Les Bases du Sud-Est ayant été occupées successivement par l’Armée allemande et italienne, il a été nécessaire de répartir les dommages causés par chacune de ces 2 armées.

Cette répartition a été faite selon les données et sur les bases suivantes :

  • tous les matériels des groupes aériens (échelons volants et roulants), sauf ceux des G.B 1/12 et 1/31 repliés à Ambérieu qui ont été saisis par les Italiens, ont été confisqués par les Allemands.
  • Les Parcs d’Istres, l’École de Salon, la Base de Marignane ont été occupés par les Allemands.

Pour les bases situées dans la zone sous contrôle italien, les pertes ont été imputées à l’Italie, le reste des pertes a été mis sur le compte de l’Allemagne.

En résumé, le matériel de l’Armée de l’Air, pris pendant la guerre et l’occupation, que ce soit en 1939 ou en 1944, l’a été sans indemnité à titre de butin de guerre, aussi bien dans la zone Nord que dans la zone Sud.

Les pertes subies tant du fait des destructions, que des saisies se montant à 13 488 millions en francs 1939.

Compte tenu des saisies italiennes (1 565 millions) et d’un avoir total approximatif de 19 milliards en Juin 1940[6], le pourcentage de l’actif mobilier de l’Armée de l’Air de 1940 perdu est de l’ordre de 80%.

NOTA.—Pour l’Armée de l’Air, il n’a pas été possible de prendre Septembre 1939, comme époque de base d’évaluation de l’actif. Le nombre des avions perdus — 5 600 n’est compréhensible que si on le rapproche de celui des avions existants en Juin 1940 — 6 850 (4 350 modernes). En effet, en Septembre 1939, il était de 3 750 (1 250 modernes).

2o/— La Direction des Transports Aériens (ex Direction de l’Aéronautique Civile).

En ce qui concerne l’Aviation Civile, il est intéressant de suivre les phases de la discussion engagée avec le Gouvernement allemand.

Seront successivement examinées, les raisons invoquées par les autorités allemandes pour justifier le prélèvement, les protestations françaises et la réponse qui fut donnée.

1) Les Raisons invoquées pour justifier ces prélèvements

1o/ Par une lettre du 27 Novembre 1942, le Général Von Neubronn a fait connaître que l’Allemagne entendait « exercer sur la France entière les droits de la puissance occupante » que lui conférait l’article 2 de la Convention d’Armistice[7] dans les régions précédemment occupées, droits qui sont définis par l’article 53 de la Convention de la Haye du 18 Octobre 1907[8] concernant les Lois et coutumes de la Guerre sur terre ;

2o/ « Il n’existe pas de terrains d’aviation civils en France, mais uniquement des terrains d’aviation militaires, dont quelques uns ont été utilisés concurremment par des Sociétés privées par exemple AIR FRANCE. Toutes les installations existant sur ces terrains d’aviation sont en conséquence des aménagements militaires (Note no 657/43 du 19 Avril 1943[9] du Plénipotentiaire allemand de la Luftwaffe). De même, le matériel radioélectrique prélevé dans le Magasin des Transmissions doit être considéré comme matériel de guerre parce qu’il « peut être employé à des fins militaires de la même façon sans modification » (Note no 406/43 du 11 Février 1943 du Plénipotentiaire allemand de la Luftwaffe[10].

S’appuyant sur ces deux considérations, les autorités allemandes prétendaient avoir le droit d’opérer d’importantes saisies dans les Magasins et sur les aérodromes ou de neutraliser les installations de ces derniers sans que ces actes fussent contraires au droit international (paragraphe 52 de la Note 657/43 déjà citée). Il est formellement établi du point de vue allemand, « que le démontage de ces installations n’est pas contraire au droit international ».

B) Les protestations françaises

En réalité ces agissements avaient le double but :

1o/ de permettre à l’Allemagne d’entrer en possession de tout ce qui pouvait servir à la conduite de la guerre ;

2o/ d’affaiblir au maximum les services français dont l’activité était tenue en suspicion.

Ce serait se perdre dans des détails inutiles que de rappeler toutes les protestations qui ont pu être faites aux échelons locaux. Il semble plus intéressant de faire état d’une protestation de caractère général qui a été adressée à la Commission allemande d’armistice à Wiesbaden pour réfuter les arguments exposés ci-dessus en démontrant leur absence totale de fondement juridique et constituer ainsi une « pièce d’archives » à laquelle il serait possible de se référer dans l’avenir.

1o/ L’origine de la protestation adressée à Wiesbaden

À la suite de la saisie par les autorités d’occupation d’installations situées sur les aérodromes civils et notamment des installations électriques et radioélectriques du terrain d’Agen, le Secrétariat Général à la Défense Aérienne avait adressé au Plénipotentiaire allemand de la Luftwaffe une protestation fondée principalement sur le caractère civil de ces installations.

Le Plénipotentiaire allemand de la Luftwaffe ayant refusé de prendre cette protestation en considération, l’affaire a été soumise à l’examen de la Commission allemande d’armistice par la Délégation française.

Confirmant la position prise par le Plénipotentiaire de la Luftwaffe, la Commission allemande d’armistice a répondu que « dans la situation actuelle il ne pouvait être fait de distinction quant au caractère des terrains d’aviation et que tous les terrains d’aviation se trouvant en France devaient être considérés comme des terrains militaires, quelque fût juridiquement le propriétaire du terrain ». La Commission allemande d’armistice concluait que tous les aérodromes étant militaires « les installations de ces aérodromes devaient également être considérées comme des installations militaires et étaient sujettes à saisie sans indemnité, conformément à l’article 53 de l’annexe à la Convention de La Haye, rapproché de la lettre du Général Von Neubronn du 27 Décembre 1942 ».

2o/ La réfutation de la thèse allemande

Par Note no 45-963/FA adressée le 20 octobre 1943 à la Commission allemande d’Armistice, les services français se sont attachés à réfuter les arguments invoqués ci-dessus :

  • en prouvant l’existence juridique d’installations aéronautiques de caractère civil ;
  • en déniant à l’Allemagne la possibilité d’invoquer l’article 53 de l’annexe à la Convention de La Haye pour justifier les prélèvements opérés.

a) Existence d’aérodromes civils en France

En vue de prouver que l’affirmation allemande ne reposait sur aucune argumentation juridique, la Note susvisée établissait :

  • que la distinction faite en France — comme du reste dans la plupart des pays étrangers — entre les aérodromes civils et les aérodromes militaires, reposait sur un régime juridique nettement précisé et différencié ;
  • que cette distinction était, avant la guerre, parfaitement connue du Gouvernement allemand et avait été reconnue par lui ;
  • qu’elle avait subsisté pendant les hostilités et après l’Armistice.

b) Régime juridique des aérodromes

Les Services français ont fait valoir à l’appui de leur thèse les arguments suivants :

La distinction faite entre les aérodromes civils et les aérodromes militaires a pour origine la différence de destination de ces terrains qui sont aménagés, au moyen de crédits nettement séparés dans le budget de l’État et sont remis, en vue de leur exploitation, à des autorités distinctes.

A cette distinction, qui n’est pas une simple question de terminologie, correspondent des différences profondes d’ordre juridique.

1— En droit public, ces aérodromes ne sont pas classés dans la même catégorie de biens domaniaux :

  • les aérodromes militaires, en raison de la discrétion dont doit être entouré leur aménagement, ont toujours été classés dans le domaine privé de l’État ;
  • les aérodromes civils font au contraire partie du domaine public affecté à la circulation. Ce caractère leur a été reconnu par une décision du Ministère des Finances et du Sous-Secrétariat de l’Aéronautique en date du 24 Juin 1925.

Il résulte de ce classement que les aérodromes sont soumis à des régimes juridiques différents suivant la catégorie de biens domaniaux à laquelle ils appartiennent. Il convient, à ce sujet, de noter particulièrement les points suivants :

a) Les autorisation d’occupation du domaine (rarement consenties sur les aérodromes militaires) ; sont accordées sur le domaine privé par des baux d’une durée déterminée. Sur le domaine public, au contraire, et par conséquent sur les aérodromes civils, elles donnent lieu à l’octroi de permissions d’occupations temporaires, sous la forme d’arrêtés de concession pris par l’autorité qui à la gestion du domaine (Service des Ports Aériens) par délégation des Préfets.

b) Les infractions commises sur le domaine privé relèvent de la compétence des tribunaux judiciaires. Les infractions commises sur les aérodromes civils et notamment les occupations irrégulières du domaine, constituent des contraventions de grande voirie et sont poursuivies devant les tribunaux administratifs (Conseils de Préfecture).

c) L’utilisation des aérodromes civils, classés dans la partie du domaine public affecté à la circulation, donne lieu au paiement de taxes diverses d’atterrissage, d’abri, d’utilisation d’outillage. Ces taxes sont perçues par un régisseur de recettes nommé spécialement à cet effet par un arrêté interministériel. Sur les aérodromes militaires aucune taxe n’est perçue.

2— En droit fiscal, la perception des taxes sur les aérodromes civils a pour conséquence d’assujettir cette catégorie de terrains et leurs installations au paiement de l’impôt foncier. La Jurisprudence du Conseil d’État est très nette à ce sujet. Par un arrêté, rendu le 8 Mai 1936, la Haute Juridiction Administrative a déclaré, en effet, qu’à l’exception des dépendances du domaine affectées à l’Armée de l’Air, qui ne sont pas productives de revenus, l’aire d’atterrissage et les installations des aérodromes devaient supporter l’impôt foncier. Depuis 1936, les impôts dont les aérodromes civils et leurs installations sont passibles, ont été régulièrement versés à l’Administration des Contributions Directes.

Les listes des aérodromes qui ont été insérées dans diverse publications officielles ou privées (Bulletin de la Navigation Aérienne, Atlas Aéronautique, Guide Michelin…), n’ont donc pas été établies d’une manière arbitraire.

La Note no 45-963/FA, ajoutait que l’affectation civile des terrains mentionnés sur ces listes, pouvait être prouvée de diverses manières, en particulier, par la production des décisions d’affectation du personnel, registres des recettes, arrêtés de la concession, avertissements d’impôts… et que ces documents pouvaient être fournis pour les aérodromes sur lesquels des prélèvements avaient été effectués par l’Armée allemande.

c) Communication des listes d’aérodromes au Gouvernement allemand

La protestation adressée à Wiesbaden continuait ainsi : Les dispositions qui réglaient les rapports des deux États en cette matière figurent dans la Convention franco-allemande du 22 Mai 1926.

Après avoir précisé que les aéronefs à destination ou en provenance de l’un des États contractants ne pourront se diriger que sur un aérodrome douanier, l’article II de cette Convention stipule que les deux Hautes Parties contractantes se communiqueront la liste des aérodromes ouverts à la circulation aérienne publique ainsi que toutes les modifications et restrictions, même temporaires du droit d’utiliser ces aérodromes.

La liste des aérodromes français avec leurs caractéristiques a été communiquée au Gouvernement allemand qui était régulièrement tenu informé de l’état d’utilisation de ces terrains. En particulier, l’Attaché français de l’Air à Berlin assurait un service régulier au Ministère de l’Air allemand du Bulletin de la Navigation Aérienne dans lequel paraissaient les listes d’aérodromes et les avis aux navigateurs aériens (la dernière liste complète de ces terrains a été insérée dans le Bulletin no 231 du mois de Juin 1939).

Au surplus, l’Allemagne a reconnu l’existence, de cette distinction parmi les terrains français puisqu’elle reproduisait, dans des documents officiels, les informations qui lui étaient communiquées par le Gouvernement français. C’est ainsi que la publication officielle du Ministère de l’Air allemand « Nachrichten für Luftfahrer », on retrouve des listes où les aérodromes et postes radioélectriques français figurent sous la dénomination de :

  • station radio civile de…
  • aérodrome civil de…

On peut consulter notamment sur ce point les numéros 44 du 5 Novembre 1938 (p. 1131) et 6 du 11 février 1939 (p. 231), de cette publication.

d) Maintien pendant les hostilités de la distinction établie entre les aérodromes

Le classement des aérodromes établi avant la guerre n’a pas disparu avec les hostilités. Si certains aérodromes civils ont été utilisés en fait par l’Armée de l’Air, cette occupation temporaire, faite sans indemnité, n’a pas changé le caractère civil initial de ces terrains. Sur la plupart d’entre-eux, le personnel non mobilisé est demeuré en place, des taxes ont continué à être perçues, les concessions n’ont été résiliées qu’en cas de nécessité et les impôts fonciers ont été régulièrement acquittés à l’Administration des Contributions Indirectes. Ceci prouve que le Gouvernement français n’a jamais considéré comme caduque la classification opérée.

D’ailleurs, si l’on admettait, ce qui est inexact, que l’occupation temporaire des aérodromes civils par les forces armées françaises, ait aboli cette classification, l’armistice l’aurait évidemment fait revivre. Il eut été illogique, en effet, de reconnaître alors, à des installations, un caractère militaire qu’elles n’avaient pas avant la guerre. Et, la distinction qui a été faite par les Notes allemandes 102/40 et 103/40 entre les terrains « maintenus armés » (parmi lesquels figurait le terrain d’Agen) et les terrains « désarmés » est sans rapport avec le caractère civil ou militaire de ces terrains, l’expression « maintenus armés » devant sans aucun doute possible être interprétée dans le sens « maintenus en état de fonctionnement ».

B) Rejet de la prétention allemande au droit de saisie.

Après avoir exposé qu’une distinction était faite avant la guerre entre les aérodromes civils et les aérodromes militaires, que cette distinction reconnue par l’Allemagne avait subsisté pendant les hostilités, a fortiori depuis l’Armistice, la Délégation française a fait connaître à la Commission allemande d’Armistice, qu’elle n’était pas fondée à faire état dans cette affaire de la lettre du général Von Neubronn du 27 Décembre 1942 ou de l’article 53 de l’annexe à la Convention de la Haye pour les motifs suivants :

La lettre du Général Von Neubronn déclare, dans son paragraphe 2, que l’Armée allemande va procéder à la prise en charge de l’ensemble des installations mobilières et immobilières des Forces Armées françaises.

Mais, il va de soi que cette distinction ne peut servir à la saisie d’installation civiles et qu’elle est ici sans application faute d’objet.

D’autre part, même si l’extension des droits de la puissance occupante à la zone sud, revendiquée, dans cette lettre, avait été reconnue par la France[11], l’article 53 de l’annexe à la convention de La Haye ne saurait être invoqué. En effet, cet article qui a trait aux biens mobiliers de la puissance occupée ne peut autoriser l’armée allemande à enlever sur les aérodromes civils des installations indubitablement immobilières.

c) La réponse allemande

À la suite de cette protestation, la Commission allemande d’Armistice a répondu à la Délégation française par Note no 741[12] du 27 Novembre 1943 que malgré l’argumentation française, elle était obligée de maintenir son point de vue parce que le seul critère dont l’Allemagne devait s’inspirer était la nécessité d’empêcher en tous cas l’utilisation des installations par les forces aériennes ennemies.

Sans faire allusion d’ailleurs au point de vue français qui refusait d’admettre l’extension à la zone sud des droits de la puissance occupante définis par l’article 53 de l’annexe à la Convention de La Haye, la Note allemande essayait de justifier la position adoptée en s’appuyant, non plus sur le paragraphe 1er, mais sur le paragraphe 2 de cet article, soulignait le caractère de nécessité des mesures prises et considérait que cette réponse mettait un point final à la discussion.

La Commission allemande d’Armistice indiquait ainsi clairement qu’elle était décidée à utiliser tous les moyens susceptibles de servir à la conduite de la guerre (ce qu’elle appelait « la Défense de l’Europe » ), sans tenir aucun compte des règles établies par le droit international. Elle avouait ainsi les spoliations allemandes.

C’est dans ces conditions qu’on été enlevés : (Cf. dossier no 2).

46,5 millions de matériel appartenant au Sce des Ports Aériens,

178,5 millions de matériel de transmissions (dont 75 voitures radio),

19 millions de matériel météorologique,

65 millions de matériel prêté à Air-France.

Le pourcentage des pertes, par rapport à l’avoir en 1939, se monte :

à 66 % pour les Ports Aériens,

à 75 % pour le Service des Télécommunications,

à 30 % pour le Service Météorologique. 3o/— Les Services Techniques et d’Infrastructure

Les établissement de la Direction Technique et Industrielle et de la Direction du Génie de l’Air subirent le même sort que les autres établissements d’État : occupation des locaux au moment de l’invasion, prélèvement du biens, prestations de service imposées.

Pour prévenir ces dommages, un certain nombre de biens meubles et immeubles avaient été prêtés par l’État aux industriels. L’atelier Industriel de l’Air de Limoges, notamment, avait été cédé entièrement à la Société Gnôme et Rhône.

Les dommages causés au matériel confié aux Industriels, seront indiqués à la 2me Partie (Dommages à l’Industrie Aéronautique).

Les spoliations subies par les Services Techniques, en ce qui concerne le matériel dont ils étaient détenteurs, se chiffrent par 840 millions (Cf. dossier no 3). Pour la Direction du Génie, elles s’élèvent à 970 millions (Cf. dossier no 4) : 118 millions ont eu pour objet des matériaux de construction.


CHAPITRE II

les dommages immobiliers et les destructions


Ce chapitre a pour objet :

1o/ les dommages d’ordre immobilier, résultant de l’utilisation des installations.

2o/ les destructions mobilières et immobilières.

1o/ Utilisation du domaine.

On rappelle, qu’à quelques exceptions près, tous les immeubles et installations, toutes les bases, tous les ports aériens, ont été occupés dans la Zone Nord à partir de l’invasion, dans la Zone Sud à partir du 11 Novembre 1942 et jusqu’à la libération. Les Services ont donc été obligés d’occuper d’autres immeubles tout en ayant la charge de l’entretien des locaux évacués.

Sont totalisés dans cette rubrique :

  • le montant de la location des immeubles ou installations occupés, soit 1 188 millions (évalué sur la base de 6 % de la valeur des immeubles ou selon les prix de location des terrains après accord avec les Domaines).
  • les frais d’entretien susvisés — soit 2 645 millions.
  • les frais d’exposés au moment des nouvelles installations, soit 177 millions
  • les frais de remise en état des lieux, soit 1 468 millions

2o/ Les destructions.

Elles ont été causées aux biens meubles et immeubles, soit par des bombardements aériens, soit par la Résistance, soit par sabotage des Allemands au moment de la Libération. Les tableaux de développement de l’Annexe 2 précisent, par origine le montant de ces destructions.

Au total :

Elles se chiffrent à 605 millions, pour les Destructions mobilières[13], à 4 560 millions pour les Destructions immobilières[14].

Le montant de l’avoir en bien immeubles était de l’ordre de 7 600 millions en 1939. Le pourcentage des pertes immobilières ressort à 61 % environ.

CHAPITRE III

les prestations de services

Il y a lieu de signaler dans ce chapitre, en dehors des réquisitions de moyens de transport et des travaux de réparations exécutés par les Services, la réquisition du personnel de l’Office National Météorologique qui, évacué de la zone Nord à Barbezieux (Charente), dut réintégrer Paris et se livrer à des travaux scientifiques.

Mais à partir de l’occupation de la zone Sud, le personnel de l’O.N.M. fut requis sur place pour travailler au profit des allemands.

Le montant de ces dommages est de 977 millions (non compris l’utilisation du domaine immobilier chiffrée par ailleurs).

CHAPITRE IV

les dommages financiers

Sont compris dans cette catégorie :

  • les frais de repliement payés au personnel, par suite des changements de résidence.
  • les frais des Commissions de Contrôle.
  • les dépenses extraordinaires des œuvres sociales.

soit au total, pour l’État, 305 millions.

  1. voir dossier n° 1
  2. Il y eut :

    Occupation totale et brusquée, avec main mise sur tous les éléments (Magasins généraux, Dépôts de stockage, groupes, Ecoles, A.I.A., Service de Santé, etc.) ...r[illisible] les matériels (techniques, Corps de troupe, Intendance, etc.) des bases :

    1re Région Aérienne :

    ...s[illisible], Salon, Marignane, Montpellier-Fréjorgues et Montpellier-Villodève, Lésignan, Le Palyvestre, le Luc, Guers, Nimes, Lyon-Bron, Saint-Rambert-d’Albon, Perpignan-la-Salanque, Perpignan-Llabanère et Perpignan Ville, Orange, Hyères, ...ieu[illisible], Montélimar, Avignon, Valence, Cavaillon, Calvi, Carcassonne, Rivesaltes, etc. (les bases de Calvi et le Luc ont été occupées par les Italiens).

    2me Région Aérienne :

    Toulouse-Francazal, Toulouse-Pérignon, Toulouse-Balma, Toulouse-Blagnac, Toulouse-Bordelongue, Agen, Bergerac, Chateauroux, Pau, Clermont-Ferrand-Aulnat et Clermont-Ferrand Chamallières.

    ...e[illisible] partielle, après tractations au Commandement Français, de certaines bases :

    1re Région Aérienne :

    ...e[illisible], Istres, Montpellier-Villodève.

    2me Région Aérienne :

    Toulouse-Francazal — Toulouse-Pérignon, Toulouse-Blagnac, Pau, Aulnat (A.I.A.), Chateauroux, Limoges, Bergerac.

    éléments français des bases citées ci-dessus ont été évincés petit à petit, la plupart très rapidement, et seuls la caserne Pérignon, siège de l’État-Major de la 2me Région Aérienne, est restée jusqu’à la libération à la disposition ...aive[illisible] du Commandement français.

  3. Justifications déjà parvenues à la Commission.
  4. Pièce justificative no 1
  5. Pièce justificative no 2
  6. 15 milliards saisis ou perdus, plus 4 milliards existant outre-mer.
  7. Article 3 de la Convention d’Armistice :

    « Dans les régions occupées de la France, le Reich allemand exerce les droits de la puissance occupante… ».

  8. Article 53 de la Convention de la Haye du 18 Octobre 1907

    L’armée qui occupe un territoire ne pourra saisir que le numéraire, les fonds et les valeurs exigibles appartenant en propre à l’État, les dépôts d’armes, moyens de transport, magasins et approvisionnements et, en général, toute propriété mobilière de l’État de nature à servir aux opérations de la guerre. Tous les moyens affectés sur terre, sur mer et dans les airs à la transmission des nouvelles, au transport des personnes ou des choses, en dehors des cas régis par le droit maritime, les dépôts d’armes et, en général, toute espèce de munitions de guerre, peuvent être saisis, même s’ils appartiennent à des personnes privées, mais devront être restitués et les indemnités seront réglées à la paix.

  9. Pièce justificative no 3
  10. Pièce justificative no 4
  11. Voir à ce sujet la Note no 45-947 du 19 Octobre 1943, déniant à l’Allemagne le droit d’opérer en zone sud des prélèvements à titre de butin de guerre. (cf. Pièce justificative no 5).
  12. Pièce justificative no 6
  13. à défaut de renseignements précis, le mobilier détruit dans les bases a été évalué à 200 millions environ (5 % de la valeur des immeubles).
  14. Voir dossier no 4.