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Rapports du physique et du moral de l’homme/Sixième Mémoire

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SIXIÈME MÉMOIRE



De l’influence des tempéramens sur la formation des idées et des affections morales.




INTRODUCTION.

À chaque pas nouveau que nous faisons dans l’étude de l’univers, les rapports des objets s’étendent, se multiplient, se compliquent à nos yeux ; et, dans chaque genre, leur connoissance et leur exposition systématique constituent ce qu’on appelle la science.

Sous quelque point de vue que l’on considère les objets, on est sûr d’avance d’y trouver des rapports. Mas tous les rapports ne sont, ni également faciles, ni également importans à saisir. Il en est dont la connoissance ne peut être que le résultat de beaucoup d’observations, ou d’expériences, et qui se cachent, pour ainsi dire, dans l’intime composition des corps, ou dans leurs propriétés les plus subtiles. Il en est aussi qui, portant sur des objets, ou fort éloignés de nous, ou dont nous n’avons encore appris à faire aucun usage, semblent étrangers au but principal de nos recherches, et du moins n’excitent qu’un simple intérêt de curiosité. Quelques-uns dépendent de considérations si bizarres, ou si minutieuses, qu’ils doivent être regardés comme absolument frivoles. D’autres enfin, dont l’imagination fait tous les frais, forment le vaste domaine des visions.

Sans doute, les rapports les plus importans à observer, sont ceux qui se remarquent entre les objets que la nature a placés le plus près de nous, entre les objets dont nous faisons plus particulièrement usage. Il n’est pas moins évident que si nous devons soupçonner des rapports certains, immédiats, étendus, c’est sur-tout entre les opérations que nous présente chaque jour, l’ordre constant de la nature, et les instrumens immédiats qui les exécutent ; entre des opérations diverses exécutées par les mêmes instrumens.

À ce double titre, rien n’étoit plus utile, rien n’étoit plus naturel que de chercher des rapports entre les facultés physiques de l’homme, et ses facultés qu’on appelle morales. En effet, d’une part, l’objet le plus voisin de nous, c’est l’homme sans doute, c’est nous-mêmes ; et tout notre bien-être ne peut être fondé que sur le bon usage des facultés attachées à notre existence. D’autre part, ce mot, facultés de l’homme, n’est assurément que l’énoncé plus, ou moins général des opérations produites par le jeu de ses organes : c’est leur abstraction que les esprits les plus exacts ont souvent bien de la peine à ne pas personnifier. À proprement parler, les facultés physiques, d’où naissent les facultés morales, constituent l’ensemble de ces mêmes opérations : car la langue philosophique ne distingue ces deux modifications du physique et du moral, que parce que les observateurs, pour ne pas tout confondre dans leurs premières analyses, ont été forcés de considérer les phénomènes de la vie sous deux points de vue différens.

Ces motifs, ou d’autres parfaitement analogues, engagèrent les anciens à rechercher les lois de cette correspondance, établie entre les dispositions organiques, et le caractère, ou la tournure des idées, entre les affections directes qui résultent de l’action des objets inanimés sur les diverses parties de notre corps, et les affections plus réfléchies que produisent la coexistence et la sympathie avec des êtres sensibles comme nous. L’on dut même penser que cette recherche, non-seulement était essentielle, non-seulement devoit conduire à des résultats certains, mais qu’elle étoit encore facile, et que le besoin journalier nous ramenant sans cesse à l’observation des phénomènes physiques et moraux, la liaison des circonstances qui les déterminent, ne devoit pas tarder à se faire sentir.

En voyant combien les anciens s’étoient hâtés d’associer la médecine à la philosophie, avec quel soin ils avoient fait entrer les connoissances physiologiques dans leurs institutions civiles et dans leurs plans d’éducation, nous pouvons juger de l’importance qu’ils attachoient à cette manière générale de considérer l’homme.

Leur doctrine des tempéramens en fut peut-être le fruit principal. Ces grands observateurs ne tardèrent pas à s’appercevoir que l’action des corps extérieurs ne modifie que jusqu’à un certain point, les dispositions organiques ; et que, soit dans la structure intime des parties, soit dans leur manière de recevoir les impressions, il y a des dispositions fixes, qui semblent essentielles à l’existence même des individus, et que nulle habitude ne peut changer.

Ce que j’ai dit, dans le premier Mémoire, sur cette doctrine et sur les objections dont elle paroît susceptible, est plus que suffisant ; je n’y reviendrai pas. D’ailleurs, s’il y a quelques matières où les opinions de nos prédécesseurs peuvent être d’un grand poids à nos yeux, il y en a beaucoup d’autres touchant lesquelles peu nous importe ce qu’ils ont pensé. On consulte avec fruit les anciens sur les faits particuliers dont ils ont été les témoins, ou même sur certains faits généraux qui ne peuvent se présenter de nouveau, qu’après de longs intervalles de temps, et qu’ils ont eu l’avantage d’observer ; mais, quand il s’agit d’objets qui sont habituellement sous nos yeux, de phénomènes que le cours ordinaire des choses reproduit et ramène à chaque instant, interrogeons la nature, et non les livres ; voyons ce qu’il y a dans ces objets et dans ces phénomènes, sans trop nous embarrasser de ce que les autres ont cru y voir. Si quelquefois leurs observations nous servent de guides, et nous aident à mieux observer nous-mêmes, trop souvent aussi la paresse, sous le nom de respect, se repose sur l’autorité : on ne se sert, pour ainsi dire, plus de ses propres yeux ; on ne voit que par ceux d’autrui ; et bientôt la vérité même, en passant de livre en livre, prend tous les caractères de l’imposture et de l’erreur.

On peut, dans le sujet qui nous occupe, plus peut-être que dans tout autre, s’adresser avec confiance directement à la nature. Tous les élémens de la question sont sous nos yeux ; et les lois que nous chechons à déterminer, sont éternelles. Cherchons donc à reconnoître ce qu’il y a de plus évident et de plus simple dans les faits qui s’y rapportent.

§. i.

Quand on compare l’homme avec les autres animaux, on voit qu’il en est distingué par des traits caractéristiques qui ne permettent pas de le confondre avec eux. Quand on compare l’homme avec l’homme, on voit que la nature a mis entre les individus, des différences analogues, et correspondantes, en quelque sorte, à celles qui se remarquent entre les espèces. Les individus n’ont pas tous la même taille, les mêmes formes extérieures ; les fonctions de la vie ne s’exécutent pas chez tous, avec le même degré de force, ou de promptitude ; leur penchans n’ont pas la même intensité, ne prennent pas toujours la même direction.

Les différences qui frappent le premières, se tirent de la taille et de l’embonpoint. Il y a des hommes d’une stature élevée ; il y en a dont la stature est courte. Tantôt, ils sont ou doués de muscles puissans, ou chargés de graisse ; tantôt, ils sont maigres ou même décharnés. La couleur des cheveux, des yeux, de la peau, fournit encore quelques autres distinctions, qui doivent également être rapportées aux formes extérieures.

Si nous observons ces corps en mouvement, si nous les voyons déployer les facultés et remplir les fonctions qui leur sont propres, nous trouverons que les uns sont vifs, alertes, quelquefois impétueux ; que les autres sont lents, engourdis, inertes. Leurs maladies présentent, à plusieurs égards, les mêmes caractères que leur constitution physique : leurs penchans, leurs goûts, leurs habitudes obéissent à la même impulsion, et subissent des modifications analogues à celles de leurs maladies : et l’on voit assez souvent cet état primitif des organes étouffer certaines passions, faire éclore des passions nouvelles à certaines époques déterminées de la vie, et changer en un mot tout le système moral.

En établissant ainsi, presque dès le premier pas, la correspondance des formes extérieures du corps avec le caractère des mouvemens, et du caractère des mouvemens avec la tournure et la marche des maladies, avec la direction des penchans et la formation des habitudes, sans doute, nous franchissons beaucoup d’intermédiaires, qui n’ont été parcourus que lentement par les observateurs. Il a fallu de l’attention et du temps, pour découvrir dans les ouvrages de la nature, ces rapports directs de toutes les parties qui les composent et de tous les mouvemens dont ils sont animés : il a fallu beaucoup d’observations, pour concevoir l’idée que ces parties sont faites l’une pour l’autre, ou plutôt que leur réunion systématique en un tout, que leurs propriétés, ou leurs fonctions, dépendent de certaines lois communes qui les embrassent toutes également. Mais cette vue générale porte avec elle un si grand caractère d’évidence et de certitude, eôle naît si directement de la nature des choses et de notre manière de les concevoir, qu’il seroit très-superflu, sur-tout d’après ce que j’ai dit dans le Mémoire déjà cité, de vouloir revenir sur la suite de ses preuves. On peut donc l’admettre avec confiance, comme le résultat le plus immédiat des faits.

Ces premières remarques commencent à déterminer l’état de la question.

Mais, en étudiant l’homme, on s’apperçoit bientôt que la connoissance des formes extérieures est peu de chose. Les mouvemens les plus importans, les opérations les plus délicates ont lieu dans son intérieur. Pour s’en faire des notions exactes, il est donc nécessaire d’étudier les instrumens internes qui les exécutent. C’est ainsi qu’on remonte, du moins quand cela se peut, jusqu’aux circonstances qui déterminent le caractère de leur action.

Les progrès véritables de l’anatomie ont été fort lents ; ils ont dû l’être : mais on n’a pas eu besoin d’y faire de grandes découvertes, pour distiguer dans le volume relatif des organes, dans la proportion, ou la densité de leurs parties constitutives, certaines différences qui se rapportent à celles des formes extérieures, et par conséquent, aux propriétés dont on avoit déjà reconnu la liaison avec ces dernières. Certainement la proportion des solides et des fluides n’est pas toujours la même ; la densité des uns et des autres peut varier aussi beaucoup dans les différens individus que l’on compare. Certains corps sont, en quelque sorte, desséchés ; d’autres, au contraire, sont abreuvés et comme inondés de sucs lymphatiques et muqueux. Il en est dont les chairs et les membranes compactes et tenaces, résistent aux compressions, aux tiraillemens les plus forts, et même au tranchant du scalpel ; il en est chez lesquels elles paroissent tantôt muqueuses, tantôt comme cotonneuses, et n’ont aucune fermeté. Ces circonstances frappent les yeux les moins attentifs. Enfin, l’on n’a pas eu de peine à remarquer que le cerveau, le poumon, l’estomac, le foie, &c., peuvent être plus ou moins volumineux, sans que cette différence dépende toujours du volume total du corps.

Si ces dernières observations se lient constamment et par des rapports exacts, avec les observations précédentes, nous aurons déjà fait quelques pas dans le sujet de nos recherches.

Mais il n’est pas toujours, à beaucoup près, nécessaire de suivre péniblement la marche tardive des inventeurs. Ici, l’on peut sans danger, partir des derniers résultats auxquels la science est parvenue : car les connoissances descriptives d’anatomie portant sur des objets palpables et directement soumis à l’examen des sens, elles sont du nombre des plus certaines, du moins relativement à ces points, les plus matériels et les plus grossiers : et pourvu que nos raisonnemens physiologiques se renferment sévèrement dans les faits, nous procéderons avec une entière certitude.

Nous avons dit ailleurs, que, sous le point de vue purement anatomique, le corps vivant peut se réduire à des élémens très-simples ; savoir : 1°. le tissu cellulaire, où flottent les sucs muqueux que l’influence vitale organise, et qui, recevant d’elle différens degrés d’animalisation, fournissent à leur tour, les matériaux immédiats des membranes et des os ; 2°. le système nerveux, où réside le principe de la sensibilité ; 3°. la fibre charnue, instrument général des mouvemens : encore même, comme nous l’avons fait observer, est-il assez vraisemblable que la fibre charnue n’est que le produit d’une combinaison de la pulpe nerveuse avec le tissu cellulaire, ou avec les sucs dont il est le réservoir, combinaison dans laquelle, ainsi que dans plusieurs de celles dont la chimie nous offre les exemples, le caractère des parties constitutives disparoît entièrement, pour faire place à de nouvelles propriétés.

C’est par des expériences directes, qu’on a fait voir que, chez les animaux les plus parfaits, le mouvement et la vie sont imprimés à toutes les parties du corps, par les nerfs, ou plutôt par le système nerveux : rien ne paroît plus complètement démontré dans la physique des corps vivans[1]. C’est donc aussi de la manière dont le système nerveux exerce son action, et dont cette action est éprouvée ou ressentie par les organes, qu’il faut déduire les différences observées dans les fonctions, ou dans les facultés, qui ne sont, à leur tour, que les fonctions elles-mêmes, ou leurs résultats généraux.

Pour se faire une idée complète de l’action du système nerveux, il est nécessaire de le considérer sous deux points de vue un peu différens : je veux dire 1°. comme agissant par son énergie propre sur tous les organes qu’il anime ; 2°. comme recevant par ses extrémités sentantes, les impressions en vertu desquelles il réagit ensuite sur les organes moteurs, pour leur faire produire les mouvemens et exécuter les fonctions.

Nous avons indiqué dans un des précédens Mémoires, les principales observations qui démontrent la première manière d’agir des centres nerveux : l’évidence de cette action résulte d’ailleurs du fait même de la vie, ou de la sensibilité physique, dont ces centres sont la source. C’est en effet de-là, qu’elle découle, et va se distribuer dans toutes les parties, dès le moment même de la formation du fœtus : et vraisemblablement, c’est encore son énergie qui organise graduellement les matériaux inertes dont il est formé, en leur faisant ressentir l’impulsion vitale. Quant à la faculté qu’a le système nerveux, de recevoir les impressions par ses extrémités sentantes, et de déterminer les mouvemens qui s’y rapportent, c’est encore un fait incontestable, et d’ailleurs si facile à saisir dans l’observation journalière, qu’il porte en lui-même sa preuve, et n’a besoin proprement que d’être énoncé.

Il est possible que les circonstances particulières qui président à la formation de chaque individu de la même espèce, déterminent irrévocablement le degré d’énergie, et le caractère de sa sensibilité. Par exemple, il est possible qu’il y ait d’homme à homme, des différences primordiales dans ce qu’on peut appeler le principe sensitif lui-même : il est du moins très-sûr que ces différences ont lieu d’espèce à espèce. Mais, comme nous ne savons point de quelle combinaison dépend le phénomène de la sensibilité, tout ce que nous pouvons, est de rechercher la cause de ses modifications, dans celles des parties où cette faculté s’exerce, sans qu’une saine logique puisse jamais nous permettre de personnifier réellement la sensibilité elle-même, en lui prêtant des qualités antérieures à l’existence de ces parties, ou indépendantes des circonstances de leur organisation.

§. ii.

Quoique le système nerveux ait une organisation très-particulière, il partage cependant, à beaucoup d’égards, les conditions générales des autres parties vivantes. Le tissu cellulaire qui forme ses enveloppes extérieures, qui se glisse entre les divisions de ses stries médullaires, est tantôt plus spongieux, plus lâche, plus noyé de sucs ; tantôt il est plus dense, plus ferme, plus sec. D’ailleurs, la moelle elle-même reçoit une quantité considérable de vaisseaux qui lui portent son aliment : et de la manière dont elle s’en empare, dont ses fonctions s’exécutent, dont les résorptions s’opèrent dans son sein, il résulte de grandes différences dans la proportion, et par conséquent aussi, dans la qualité des humeurs qui s’y préparent, ou qui s’y fixent.

Ces différences de proportion ont frappé dès long-temps, les anatomistes les moins réfléchis : il ne faut que des yeux pour les reconnoître. Les différences de qualité ne se manifestent guère que dans un état extrême ; c’est-à-dire, lorsqu’elles ont produit des altérations notables, comme dans les cas d’endurcissement squirreux, d’altération de la couleur, ou d’érosion de la substance du cerveau. Mais nous savons que son état humide, ou muqueux, sa mollesse, sa flaccidité, se lient à des sensations lentes, ou foibles, que sa ténacité, sa fermeté, sa sécheresse, se lient au contraire à des sensations vives, impétueuses, ou durables. Nous savons, en outre, que les humeurs animales ont une tendance continuelle à s’exalter progressivement, à mesure qu’elles se rapprochent et se concentrent ; sur-tout lorsque cette concentration tient, comme elle le fait ici presque toujours, à l’augmentation de mouvement, ou d’action dans l’organe. Et de-là, nous tirons quelques conséquences qui jettent du jour sur la question. Car, quoiqu’on ait fait encore assez peu de progrès dans la connoissance des altérations que les diverses humeurs peuvent subir, et principalement dans celle des effets physiologiques qui en résultent, les observations les plus certaines nous ont appris qu’un surcroît d’action, de la part des organes, produit un surcroît d’énergie dans les sucs vivans ; et qu’à son tour l’extrême vitalité de ces sucs, ou l’excès des qualités qui leur sont propres, augmente la sensibilité des organes, toujours proportionnelle à l’activité de leurs stimulans naturels.

Jusqu’à présent, nous devons en convenir, l’application des idées chimiques à la physique animale n’a pas éé fort heureuse. Cependant, sans le secours de la chimie, nous n’aurions, sans doute jamais bien connu plusieurs substances qui se produisent dans les corps animés, ou qui se développent lors de leur décomposition ; et les dernières expériences des chimistes français semblent offrir de nouveaux points de vue, et de nouvelles espérances à la médecine. Ce sont eux, en particulier, qui nous ont fait mieux connoître le phosphore, dont la découverte date du commencement du siècle[2], mais dont la doctrine de Lavoisier, touchant la combustion, a pu seule assigner la place parmi les corps non encore décomposés de la nature.

On sait que le phosphore se retire des matières animales. Il se retrouve aussi dans le règne minéral. Mais on pourroit mettre en doute s’il n’y est pas produit, comme les terres calcaires, par la décomposition des débris d’animaux : on peut du moins regarder celui qui se retire directement de ces débris, comme une production immédiate de la vie sensitive, comme un résultat des changemens que les solides et les fluides animaux sont susceptibles d’éprouver ; ou, si l’on veut, comme une des substances simples qu’ils ont particulièrement la propriété de s’assimiler. Dans les corps des animaux qui se décomposent, le phosphore paraît éprouver une combustion lente : sans produire de flamme véritable, sans être du moins, pour l’ordinaire, capable de faire entrer en ignition les corps combustibles qui l’avoisinent, il devient lumineux, et répand dans les ténèbres, de vives clartés qui, plus d’une fois, ont pu donner beaucoup de consistance à ces visions qu’on redoute et qu’on cherche tout ensemble, près des tombeaux. Les parties qui semblent être le réservoir spécial du phosphore, sont le cerveau et ses appendices, ou plutôt le système nrveux tout entier : car c’est à la décomposition commençante de la pulpe cérébrale, que sont dues ces lumières phosphoriques qu’on observe si souvent la nuit dans les amphithéâtres ; et c’est principalement autour des cerveaux mis à nu, ou de leurs débris épars sur les tables de dissections, qu’elles se font remarquer. Or, un assez grand nombre d’observations me font présumer que la quantité de phosphore qui se développe après la mort, est proportionnelle à l’activité du système nerveux pendant la vie[3]. Il m’a paru que les cerveaux des personnes mortes de maladies caractérisées par l’excès de cette activité, répandoient une lumière plus vive et plus éclatante. Ceux des maniaques sont très-lumineux : ceux des hydropiques et des leuco-flegmatiques le sont beaucoup moins.

§. iii.

Depuis que les belles expériences de Franklin ont fixé l’attention des savans sur les les phénomènes de l’électricité, on n’a pas eu de peine à s’appercevoir que les corps vivans ont la faculté de produire ces condensations du fluide électrique, par lesquelles son existence se manifeste. Les animaux à fourrures épaisses, particulièrement ceux qui se tiennent propres et qui se garantissent soigeusement de l’humidité, comme les chats et toutes les espèces analogues, sont fort électriques. La propriété des pointes aide, sans doute, à mieux expliquer le fait : mais les hommes, ceux même qui sont le moins velus, condensent une quantité considérable d’électricité ; et les procédés ordinaires, employés par les physiciens, peuvent la rendre sensible. C’est un résultat direct et naturel des fonctions vitales : seulement l’exercice et les frictions artificielles augmentent beaucoup cette quantité d’électricité, que les corps vivans sont susceptibles d’accumuler et de retenir, à la manière des substances idioélectriques. Ces moyens la rendent quelquefois si considérable, que le rétablissement de l’équilibre se fait avec de vives étincelles et des crépitations dont certaines personnes sont effrayées. Il paroît même que l’organe nerveux est une espèce de condensateur, ou plutôt un véritable réservoir d’électricité, comme de phosphore. Mais il diffère certainement des autres substances idioélectriques, en ce qu’il est en même temps un excellent conducteur de l’électricité extérieure ; tandis que ces substances interceptent, à la vérité, le cours du fluide, le reçoivent et l’accumulent par frotteent, mais ne le transmettent pas, quand il est accumulé sur d’autres corps qui leur sont contigus. Peut-être, au reste, le système nerveux n’est-il si bon conducteur, que par ses enveloppes cellulaires externes, et non par sa pulpe cérébrale interne, à laquelle seule sont attachées toutes les facultés qui le caractérisent particulièrement.

Ces condensations d’électricité, qui se produisent pendant la vie, dans le système nerveux, paroissent ne pas se détruire tout-à-coup au moment même de la mort. Nous sommes fondés à croire qu’elles subsistent quelque temps encore après : et peut-être l’équilibre n’est-il entièrement rétabli que lorsque la pulpe cérébrale a subi un certain degré de décomposition. Peut-être aussi trouvera-t-on que ce changement s’opère par cette combustion lente du phosphore dont il a été question ci-dessus ; ce qui nous indiqueroit peut-être encore des rapports entre le fluide électrique et le phosphore, et pourroit jeter plus de lumière sur la nature de ces deux êtres singuliers.

Quoi qu’il en soit, la quantité de fluide électrique que les corps vivans accumulent par le simple effet des fonctions, ou par celui de l’exercice et du frottement, n’est pas, à beaucoup près, la même chez les divers individus ; la différence est même très-grande, à cet égard, de l’un à l’autre : et l’on observe que les circonstances propres à condenser une quantité plus considérable d’électricité, sont celles qui déterminent, ou qui annoncent une plus grande activité du système nerveux ; c’est-à-dire, celles-là précisément dont nous a semblé dépendre la production d’une quantité plus considérable de phosphore.

Il paroît difficile de ne pas admettre que les phénomènes du galvanisme, et par conséquent ceux de l’irritabilité des parties musculaires, soit pendant la vie, soit après la mort, sont dus à la portion d’électricité retenue dans les nerfs, laquelle s’en dégage plus ou moins lentement, à raison de l’espèce, de l’ âge et des dispositions organiques particulières de l’animal[4]. Suivant cette manière de voir, les fibres charnues irritées opéreroient successivement, par leurs contractions, le dégagement de l’électricité condensée dans les nerfs qui les animent ; et ces contractions pourroient se renouveler, jusqu’au moment où le dégagement seroit entièrement terminé. Chaque irritation produiroit donc une secousse électrique : et lorsque la partie auroit perdu la faculté de se contracter par les irritations mécaniques, ou chimiques, on pourroit la lui rendre assez long-temps encore, en lui faisant subir des sections réitérées ; attendu qu’à chaque section, le scalpel irait chercher et provoquer les plus petits filets nerveux qui se perdent dans les muscles[5].

L’expérience de Galvani porte à croire que le système nerveux est une espèce de bouteille de Leyde, et que la différence du métal qui touche le nerf et de celui qui touche le muscle, représente la différence de la surface interne et de la surface extérieure de la bouteille. C’est ici, par le moyen de métaux différens, qu’on fait communiquer les deux surfaces, et qu’on produit l’explosion éectrique, ou la contraction musculaire qui en est l’effet. Dans cette même expérience, faite, dit-on, sans l’intermédiaire des métaux, et par l’application immédiate du nerf dénudé sur les fibres musculaires[6], on voit un corps électrique, mais d’un caractère particulier, qui se décharge sur son conducteur, ou dans son récipient propre : et peut-être le nerf conserve-t-il encore, ici, le caractère de bouteille de Leyde ; l’une de ses extrémités, celle qui va se ramifier et se perdre dans le muscle, représentant la surface interne ; l’autre, c’est-à-dire, celle qui est flottante et qu’on met artificiellement en contact avec les fibres, représentant la surface externe[7].

Dans l’une et dans l’autre expérience, tous les faits observés sur le mort et sur le vivant, paroissent établir sans difficulté la doctrine que nous exposons : et les plus savans physiciens donnent unanimement à ces phénomènes l’électricité pour cause. Il ne faut cependant pas, quand on parle de l’électricité animale, attacher à ce mot le même sens qu’un faiseur d’expériences, opérant sur les machines inanimées, attache aux phénomènes dépendans de l’accumulation du fluide. électrique universel. La vie fait subir à toutes les substances qu’elle combine, des modifications remarquables : et supposé, comme je suis porté à le penser, que la sensibilité n’existe point sans une accumulation de fluide électrique, ou du moins que cette accumulation soit le résultat immédiat et nécessaire des fonctions vitales, il faut toujours admettre que ce fluide ne se comporte pas dans les corps vivans et dans leurs débris après la mort, comme dans les instrumens de nos cabinets et de nos laboratoires, ni comme dans les nuages et dans les brouillards, où la température et l’humidité très-inégales des différentes couches de l’atmosphère le distribuent inégalement. En éprouvant l’action de la nature sensible, il entre, sans doute, dans des combinaisons qui changent son caractère primitif : et les phénomènes particuliers qui dépendent de cet état nouveau, ne cessent entièrement, que lorsque le fluide est tout rentré, jusqu’à la dernière molécule, dans le réservoir commun[8].

Si les faits du galvanisme, qui se rapprochent par plusieurs points de ceux de l’électricité purement physique, s’en éloignent par quelques autres, nous ne devons donc pas pour cela, rejeter précipitamment l’identité de la cause qui les détermine. Les considérations précédentes peuvent rendre raison de cette apparente irrégularité. Et quand nous ferons attention à la différence singulière des produits chimiques fournis par les matières qui ont eu vie, et de ceux qui se retirent des minéraux, ou même des végétaux, nous ne serons plus étonnés que l’électricité, devenue partie constituante des premières, ne se manifeste point par les mêmes signes, que celle qui se trouve accumulée dans les autres corps, par l’action de différentes causes, et que ce fluide, ainsi décomposé, présente une suite de phénomènes qui paroissent, à quelques égards, tout-à-fait nouveaux.

§. iv.

Je ne suis point encore en état, je l’avoue, de tirer de conclusions directes des faits que je viens d’indiquer ; je suis sur-tout bien éloigné de vouloir rien établir de dogmatique, d’après les simples conjectures qu’ils me suggèrent, quelque vraisemblables qu’elles puissent paroître d’ailleurs. Mais par l’exemple de la production du phosphore, et des différences que peut y apporter l’état particulier du système nerveux, ou le degré d’énergie de ses fonctions, j’ai voulu faire voir combien il seroit utile, combien même il est maintenant nécessaire d’étudier la combinaison des corps animés, sous un point de vue moins général et plus relatif aux dispositions organiques de chaque espèce et de chaque individu. C’est de cette manière, que les expériences chimiques, dont l’objet spécial est de déterminer les principes constitutifs de diverses parties animales, pourront jeter une grande lumière sur l’économie vivante ; qu’elles fourniront des vues directement applicables à la médecine, à l’hygiène, à l’éducation physique de l’homme, et lèveront peut-être encore quelques-uns des voiles qui couvrent le mystère de la sensibilité. Il ne suffit pas, en effet, d’avoir spécifié les caractères distinctifs des matières animalisées en général, ni même d’avoir décomposé et résous dans leurs parties constitutives, différens organes, ou différens systèmes d’organes en particulier[9] : je voudrois que ces génies heureux, à qui nous devons déjà de si belles tentatives ; fissent entrer les circonstances physiologiques[10] et médicales, qui se rapportent à l’individu dont ils font le sujet de leurs expériences, comme élément essentiel des problêmes à résoudre. Je voudrois, s’il m’est permis de peser sur l’objet dont il vient d’être question, que tout ce qui peut concerner cette singulière production du phosphore, la combinaison de l’azote, l’absorption et l’assimilation de l’oxygène dans les corps qui vivent et sentent, fut examiné suivant les nouvelles méthodes d’analyse, soit en comparant espèce à espèce, et partie à partie ; soit en rapprochant l’individu de l’individu, chez les deux sexes, à toutes les époques de la vie, et dans tous les états qui constituent des différences majeures et constantes. Il est plus que vraisemblable qu’à ces différences dans la constitution primitive, ou dans les dispositions accidentelles des corps vivans, on verroit correspondre certaines variétés sensibles dans l’intime combinaison des solides et des humeurs : quand les matériaux se trouveroient toujours exactement les mêmes, le genre, ou le degré de leur combinaison différeroit sans doute considérablement : en un mot, il est vraisemblable que ce ne seroient plus les mêmes êtres ; et l’on sent combien l’étude de l’homme gagneroit à ces éclaircissemens.

§.v.

Mais, revenant au second point de vue, sous lequel l’action de l’organe nerveux doit être considérée (c’est-à-dire, à la faculté de recevoir des impressions par ses extrémités sentantes), nous trouverons que les circonstances purement anatomiques qui peuvent modifier cette faculté, sont parfaitement analogues à celles qu’on observe dans la structure de l’organe lui-même. En effet, ses extrémités sont tantôt plongées dans les sucs cellulaires, ou graisseux ; tantôt, leur pulpe épanouie et mise presque à nu, s’offre, en quelque sorte, sans intermédiaire, aux impressions ; tantôt, ces extrémités sont molles et comme flottantes ; tantôt, elles sont sèches et tendues[11]. Or, l’observation nous apprend, d’une part, que l’action des corps extérieurs et des stimulans internes est singulièrement engourdie par la surabondance de la graisse et des mucosités ; que, d’autre part, au contraire, les papilles nerveuses sont d’autant plus sensibles, que ces stimulans et ces corps agissent plus immédiatement sur elles. C’est encore un fait général, constaté par l’observation, que la sensibilité des parties est en raison directe de la tension des membranes. Tout ce qui peut resserrer et dessécher une partie, sans durcir trop considérablement ses enveloppes, la rend plus sensible ; tout ce qui la relâche et la détend, la rend en même temps aussi moins susceptible d’impressions[12].

Pour suivre l’ordre le plus naturel des matières, il faudroit maintenant, peut-être, examiner l’état des organes du mouvement, soumis à l’action du système nerveux, pour reconnoître ainsi, ce qui, dans leur structure, est capable de changer directement leur manière d’agir, et par conséquent, de modifier l’influence du sentiment, ou des nerfs qui le transmettent. Mais, comme nous trouverions encore ici les mêmes circonstances anatomiques générales ; comme d’ailleurs, elles ne suffisent pas, à beaucoup près, pour rendre raison de tous les phénomènes, nous allons passer à d’autres considérations, d’autant plus capables d’éclaircir notre sujet, même relativement aux points sur lesquels nous n’avons encore osé prendre aucun parti définitif, qu’elles se tirent de la contemplation de l’homme vivant, c’est-à-dire, de ce sujet lui-même, et qu’elles ne se fondent plus uniquement sur l’examen des humeurs et des parties mortes, où le scalpel et l’analyse chimique ne retrouvent que des empreintes infidèles de la vie.

L’inconstance des rapports entre les parties, quant à leur grandeur, ou la différence de leur volume relatif, est un de ces faits anatomiques qui semblent devoir frapper au premier coup-d’œil : cependant il paroît n’avoir été bien observé que par les anatomistes modernes. On avoit déjà soupçonné l’influence de ces variétés sur les divers mouvements vitaux, avant de les déterminer elles-mêmes avec quelque exactitude. Celles qui se rapportent aux âges, sont peut-être les premières qu’on ait remarquées ; mais nous devons convenir que leur liaison avec les phénomènes physiologiques, ne peut s’expliquer encore d’une manière bien complète. Ces dernières variétés sont d’ailleurs étrangères à la question qui nous occupe maintenant ; nous n’en parlerons pas. Celles qu’on observe entre des individus de même âge, n’ont été considérées avec le soin convenable, que depuis qu’on s’occupe sérieusement de l’anatomie médicale, ou pathologique ; de cete anatomie qui recherche dans les cadavres, le siège et la cause des maladies : et véritablement, l’étude de l’homme sain et celle de l’homme malade sont également indispensables, pour bien comprendre l’influence de ces dernières variétés sur les habitudes du tempérament.

À raison du volume du corps, aussi bien qu’à raison des différentes opérations vitales propres à la nature de l’homme, nos organes doivent avoir certaines proportions déterminées : ils doivent être doués d’une certaine force : ils doivent exercer une certaine somme d’action. Sans cela, le système ne conserveroit point son équilibre, et les fonctions seroient souvent interverties, altérées, quelquefois même totalement suspendues. Ce juste rapport entre le volume des organes et leur énergie respective, constitue l’excellence de l’organisation ; il produit le sentiment du plus grand bien-être, maintient l’intégrité de la vie et garantit sa durée. Ce qui tient à la nature, dans cet heureux état d’exacte proportion, est sans doute un don précieux : ce qui dépend de nous (je veux dire, toutes les vues qui peuvent tendre à le produire artificiellement, par des méthodes particulières de régime), doit être le but de nos observations les plus attentives, de nos expériences les plus assidues. Gardons-nous cependant, sur ce point comme sur tout autre, de croire qu’il y ait dans la nature des termes précis auxquels elle reste invariablement fixée : elle flotte, pour l’ordinaire, entre certaines limites qu’il lui est interdit de franchir ; et le terme moyen que, suivant notre manière de voir, nous considérons comme lui étant le plus convenable, ou le plus familier, est peut-être celui, dans le fait, auquel elle s’arrête le plus rarement.

Cette règle, qu’on peut dire générale, est spécialement applicable à l’objet particulier de la discussion actuelle. Dans chaque homme, il y a des parties d’un volume proportionnel plus ou moins grand : chacun de nous a son organe fort et son organe foible : certaines fonctions prédominent toujours sur les autres : enfin, les irrégularités de la vie, les erreurs du régime et des passions augmentent encore ces écarts de la nature en dirigeant presque toute la sensibilité vers certains points, en rendant ces points particuliers le centre de presque tous les mouvemens.

Les variétés relatives au volume, qui sont ici, proprement la circonstance matérielle, peuvent tenir à des causes très-différentes. Une partie est plus grande, ou plus renflée, tantôt parce qu’elle est plus énergique, ou plus active, et que par conséquent, elle attire à elle une quantité plus considérable de sucs nourriciers ; tantôt, au contraire, parce qu’elle est plus foible, que les extrémités de ses vaisseaux n’ont pas assez de ton pour résister à l’impulsion des humeurs, que ces humeurs s’y amassent en plus grande quantité ; ou, pour parler le langage de l’école ancienne, qu’il s’y forme des fluxions. Car, en vertu des lois de l’équilibre, les fluides contenus dans des canaux dont les parois élastiques les pressent de toutes parts, se portent vers les endroits où ils rencontrent le moins de résistance : et, à mesure que la résistance diminue dans un point du système, ses effets doivent devenir proportionnellement plus sensibles dans les autres ; ce qui, par d’autres lois propres à l’économie vivante, augmente bientôt la cause même de cette direction particulière des humeurs.

Dans ces deux cas bien distincts, le plus grand volume des parties a, sans doute, une influence très-différente sur les habitudes du tempérament ; mais l’influence est également marquée dans tous les deux.

§. vi.

Ne nous arrêtons point aux petits détails ; ils sont toujours trop incertains, ou trop insignifians : attachons-nous seulement aux traits principaux, aux circonstances dont la liaison avec les phénomènes est évidente, et dont les effets peuvent être reconnus et constatés[13].

Je prends d’abord pour exemple le poumon.

Les médecins observateurs et les artistes qui s’occupent à reproduire les formes de la nature, ont remarqué depuis long-temps, de grandes variétés dans les dimensions de la poitrine : ils ont vu que la structure générale du corps se ressent toujours, plus ou moins, de ces différences ; que l’extrême de chaque différence constitue une difformité dans l’organisation, et un état maladif dans les fonctions. Mais nous ne parlons ici, que de l’état sain.

La capacité plus grande de la poitrine est toujours, ou presque toujours, accompagnée du volume plus considérable du poumon ; il est même vraisemblable qu’elle en dépend pour l’ordinaire. Le volume du poumon paroît aussi déterminer communément celui du cœur : ou du moins l’énergie des fibres de celui-ci se proportionne au volume de celui-là : et tous les deux déterminent de concert, les dispositions générales du système sanguin.

Tout le monde sait que la fonction propre du poumon est de respirer l’air atmosphérique, c’est-à-dire, d’attirer et de rejeter alternativement des portions de ce fluide dans lequel nous sommes toujours plongés. Mais la respiration n’est pas, comme l’avoient prétendu quelques physiologistes, un simple mouvement mécanique, destiné seulement à faire marcher les liqueurs dans les vaisseaux pulmonaires, par cette pression alternative d’un fluide qui s’applique à leur surface : ce n’est pas uniquement un moyen direct de stimuler le cœur, et par lui les artères, pour mettre en jeu tout l’appareil hydraulique de la vie. Le poumon décompose l’air : il détermine par-là, dans le sang, plusieurs changemens remarquables ; il transforme le chyle en sang : enfin, quoiqu’il y ait encore quelques doutes, ou quelques obscurités touchant la production de la chaleur animale, et la ressemblance de ses phénomènes avec ceux de la combustion proprement dite, on peut admettre, sans erreur, que cette production dépend, en grande partie, de la respiration ; puisque, dans les diverses espèces d’animaux et dans les divers individus de chaque espèce, elle paroît assez généralement proportionnelle à la capacité de la poitrine.

Ainsi donc, un poumon plus volumineux produit, toutes choses égales d’ailleurs, une sanguification plus active, ou plus complète ; il fournit une plus grande quantité de chaleur animale ; il imprime un mouvement plus rapide au sang. Pour sentir l’évidence de ce dernier effet, il suffit de se rappeler l’observation faite ci-dessus, que le cœur, soit pour le volume, soit pour la force, est toujours en rapport avec le poumon. D’ailleurs, une chaleur plus considérable entraîne, ou supose une circulation plus rapide et plus forte. Souvent aussi, dans ce cas, tout le corps est couvert de poils épais : la poitrine en est sur-tout hérissée ; ce qui paroît concourir très-sensiblement à produire une plus grande chaleur[14].

Supposons maintenant que toutes les circonstances ci-dessus se trouvent réunies à des fibres médiocrement souples, à un tissu cellulaire médiocrement abreuvé de sucs ; et je dis que cela doit arriver ordinairement[15], parce qu’une plus grande énergie dans la circulation tient tous les vaisseaux libres, porte par-tout une quantité suffisante d’humeurs, et que cette même énergie, jointe à la chaleur vitale plus grande, empêche qu’il ne s’y fasse des congestions lentes, et donne aux solides plus de vie et de ton : supposons donc cette réunion, si naturelle d’après les vues de la théorie, et si commune dans le fait ; nous aurons un tempérament caractérisé par la vivacité et la facilité des fonctions. Nous verrons sur-tout que la chose doit être ainsi, en considérant l’état organique du système nerveux, qui est toujours, dans ce cas, analogue à l’état des autres parties : quelquefois même, par des raisons qui seront exposées ci-après, ce système exerce alors une action, en quelque sorte surabondante, qui peut contribuer à rendre les mêmes résultats encore plus complets.

En effet, qu’arriveroit-il dans le cas physiologique que nous venons de caractériser dans notre supposition ? Des extrémités nerveuses, épanouies au milieu d’un tissu cellulaire qui n’est ni dépourvu de sucs muqueux, ni surchargé d’humeurs inertes, et sur des membranes médiocrement tendues, doivent recevoir des impressions vives, rapides, faciles. Puisqu’elles sont faciles, elles doivent être variées ; puisqu’elles sont rapides, elles doivent se succéder sans cesse ; enfin, puisqu’elles sont vives, elles doivent aussi s’effacer sans cesse mutuellement. Exécutés par des muscles souples, par des fibres dociles, et qu’en même temps imprègne une vitalité considérable, une vitalité par-tout égale et constante, les mouvemens acquerront la même facilité, la même promptitude, qui se manifeste dans les impressions. L’aisance des fonctions donnera un grand sentiment de bien-être ; les idées seront agréables et brillantes, les affections bienveillantes et douces. Mais les habitudes auront peu de fixité : il y aura quelque chose de léger et de mobile dans les affections de l’âme ; l’esprit manquera de profondeur et de force : en un mot, ce sera le tempérament sanguin des anciens, avec tous les caractères qu’ils lui prêtent dans leurs descriptions.

Mais comment peut-il donc se faire que cette plus grande largeur de la poitrine, ou ce plus grand volume du poumon, que nous considérons ici comme la circonstance principale du tempérament sanguin, se retrouve pourtant encore chez les individus les plus inertes, chez ces hommes chargés de tissu cellulaire et de graisse, qu’on désigne par le nom générique de flegmatiques, ou pituiteux ? Pour répondre à cette question, il faut quitter la poitrine, et passer aux viscères abdominaux.

Considérons d’abord le foie, ou plutôt le système entier de la veine-porte, qui sert de lien commun à tous les organes contenus dans la cavité du bas-ventre.

§. vii.

Dans le fœtus, le foie est d’un volume proportionnel très-considérable ; et pendant toute la durée de l’enfance, il ne se rapproche qu’insensiblement de celui qu’il doit avoir à un âge plus avancé. Mais dans les premiers temps, quoique le foie filtre beaucoup de bile, cette bile est muqueuse, inerte, sans activité : conséquemment le viscère n’exerce que très-incomplètement encore, la grande influence qu’il doit acquérir plus tard, sur l’ensemble de l’économie animale ; influence qui, du reste, comme je viens de l’indiquer, tient à ce qu’étant le rendez-vous de tous les vaisseaux veineux qui rapportent le sang des diverses parties flottantes du bas-ventre, il correspond avec elles, par les sympathies les plus directes et les plus étendues, et leur fait toujours ressentir vivement, et partager jusqu’à un certain point, la manière dont s’exécutent ses fonctions.

Quand cette prédominance de volume du foie survit dans l’adulte, aux révolutions de l’ âge ; quand ce viscère, après que la bile a pris toute son activité, continue à la fournir dans la même abondance proportionnelle, les phénomènes de la vie présentent de nouveaux caractères : il se prépare un genre particulier de tempérament.

Parmi les humeurs animales qui peuvent être facilement soumises à l’examen, la bile est certainement une des plus dignes d’attention. Formée d’un sang qui s’est dépouillé de plus en plus, dans son cours, de ses parties purement lymphatiques et muqueuses[16], elle est surchargée de matières huileuses et grasses : et cependant ce sang rapporte, si l’on peut s’exprimer ainsi, des impressions de vie multipliées, de chacun des organes qu’il a parcourus. Aux yeux du chimiste, la bile est une substance inflammable, albumineuse, savonneuse, &c., d’un genre particulier : aux yeux du physiologiste, c’est une humeur très-active, très-stimulante, agissant comme menstrue énergique sur les sucs alimentaires et sur les autres humeurs, imprimant aux solides des mouvemens plus vifs et plus forts, augmentant d’une manière directe, leur ton naturel. Ses usages pour la nutrition, sont extrêmement importans ; ses effets, relativement aux habitudes générales, sont extrêmement étendus : il est même certain qu’elle agit directement sur le système nerveux, et, par lui, sur les causes immédiates de la sensibilité.

Ordinairement, les effets stimulans de la bile coïncident avec ceux de l’humeur séminale. Ces deux produits d’organes et de fonctions si différens, acquièrent toute leur énergie à-peu-près aux mêmes époques ; et le plus souvent, ils ont des degrés correspondans d’exaltation.

Nous avons parlé ailleurs de l’influence de l’humeur séminale, ou de celle des organes de la génération qui préparent cette humeur : il suffit ici de rappeler que tout le système des idées et des affections éprouve tout-à-coup une commotion singulière, au moment où ces organes entrent décidément en action, et que la production des poils, la fermeté des ligamens articulaires, quelques circonstances de l’ossification elle-même, paroissent dépendre de cette même cause, d’une manière particulière et directe.

Reprenons ici nos suppositions. Je choisis pour exemple un individu chez qui le foie produit une plus grande quantité de bile, ou une bile plus active, que dans l’état ordinaire. Il est très-vraisemblable, il est presque certain, que l’inspection anatomique nous fera découvrir chez lui, un foie plus volumineux ; soit que cet organe se trouve tel dès l’origine, soit qu’une plus grande énergie, une plus grande somme d’action, l’ait fait croître au-delà des proportions communes.

Mais nous venons de dire que l’énergie de la liqueur séminale est presque toujours en rapport avec celle de la bile, ou que l’influence du foie et celle des organes de la génération se correspondent et s’exercent de concert.

Admettons que les choses se passent effectivement ainsi dans le cas supposé : admettons, de plus, qu’il y ait un certain état général de tension et de roideur dans tout le système, dans tous les points où s’épanouissent les extrémités sensibles, dans toutes les fibres musculaires.

Si nous recherchons ce que doivent produire ces diverses circonstances physiologiques réunies, il est facile de voir que les sensations auront quelque chose de violent, les mouvemens quelque chose de brusque et d’impétueux.

Supposon encore, pour compléter les données, que la poitrine ait une capacité, et le poumon, aussi bien que le cœur, un volume considérable : alors, à des sensations exaltées, à des déterminations véhémentes, se joindront une grande énergie dans les mouvemens circulatoires et beaucoup de chaleur vitale.

Or, presque toutes ces mêmes circonstances réagissent les unes sur les autres, et se prêtent une force nouvelle. L’activité des organes de la génération augmente celle du foie ou de la bile ; l’activité de la bile accroît celle de tous les mouvemens, et en particulier de la circulation ; la production plus considérable de la chaleur se rapporte à une circulation plus forte, ou plus accélérée ; l’état de la respiration tient à celui de la circulation : enfin, chacune des fonctions ci-dessus agit sur le système nerveux, qui réagit, à son tour, sur toutes à-la fois.

Puisque les membranes sont sèches et tendues, et que l’activité des liqueurs bilieuse et séminale augmente la sensibilité des extrémités nerveuses, les sensations, je le répète, seront donc extrêmement vives. Leur transmission de la circonférence au centre, la réaction du système nerveux, la détermination et l’exécution des mouvemens rencontreront par-tout des résistances dans la roideur des parties : mais toutes les résistances seront énergiquement vaincues par cette force plus grande de la circulation, dont nous venons de parler. Ainsi, les impressions seront aussi rapides, aussi changeantes que dans le tempérament sanguin. Comme chacune aura un degré plus considérable de force, elle deviendra momentanément plus dominante encore. De-là, résultent des idées et des affections plus absolues, plus exclusives, et en même temps aussi plus inconstantes.

Cependant les résistances qui se font sentir dans toutes les fonctions, le caractère âcre et ardent que les dispositions, ou la quantité de la bile impriment à la chaleur du corps, l’extrême sensibilité de toutes les parties du système, donnent à l’individu un sentiment presque habituel d’inquiétude. Le bien-être facile du sanguin lui est entièrement inconnu. Ce n’est que dans les grands mouvemens, dans les occasions qui emploient et captivent toutes ses forces, dans les actions qui lui en donnent la conscience pleine et entière, qu’il jouit agréablement et facilement de l’existence : il n’a, pour ainsi dire, de repos que dans l’excessive activité. Or, encore une fois, les causes de cette activité s’entretiennent et se renouvellent sans cesse par l’énergie directe du système nerveux, et par celle des organes de la génération, dont l’action est si puissante sur ce système, considéré dans son ensemble, et sur les autres organes principaux, pris séparément.

Nous venons donc de peindre, trait pour trait, le tempérament bilieux des anciens. Parvenus au même résultat par des routes différentes, cette conformité devient pour nous une nouvelle preuve de leur génie observateur : elle garantit l’exactitude de nos communes observations.

Je n’ajoute ici qu’une remarque. Dans ce tempérament, les vaisseaux artériels et veineux ont un plus grand calibre ; et la quantité du sang paroît beaucoup plus considérable que dans le sanguin proprement dit. C’est Staahl qui, le premier, a fait cette remarque ; mais il n’en a pas donné la raison. Dans notre manière de voir, cette circonstance s’explique très-naturellement, ainsi que la plus grande chaleur propre aux bilieux : l’une et l’autre, en effet, semblent bien véritablement dues à l’influence prédominante du poumon et du cœur, combinée avec celle du foie. Mais Staalh n’avoit pas encore des idées bien nettes touchant l’action du poumon dans la sanguification ; il ne soupçonnoit même pas les rapports de la respiration avec la production de la chaleur animale. Au reste, il est assez étonnant que les anciens, qui regardoient le foie comme le centre et le rendez-vou de tout le système sanguin, n’aient pas rapporté leur tempérament bilieux à cette hypothèse, plutôt qu’à la considération des qualités, ou de la quantité de la bile. Mais ces fidèles contemplateurs de la nature s’en sont tenus à l’énonciation de faits physiologiques et médicaux : ils ont eu grandement raison.

§. viii.

Nous sommes maintenant en état de faire connoître dans son principe, le tempérament inerte, désigné sous le nom de pituiteux, ou flegmatique ; tempérament dans lequel, malgré la capacité plus grande de la poitrine et le volume du poumon[17], la production de la chaleur et la force de la circulation sont peu considérables.

Il suffira d’observer que chez certains individus, 1°. les fibres sont originairement plus molles ; 2°. que, chez ces mêmes individus, les organes de la génération et le foie manquent souvent d’énergie : deux dispositions organiques générales, qui résultent très-certainement d’un concours de circonstances particulières, relatives aux élémens dont les différentes parties sont composées, ou à l’état de la sensibilité qui les anime.

Nous pourrions établir aussi que, dans ce cas, le système nerveux n’a reçu lui-même originairement qu’une somme plus foible d’activité ; c’est-à-dire, que les sources de la vie y sont réellement moins abondantes. Mais comme cette dernière considération, quoiqu’infiniment probable, ne peut être appuyée sur des observations, ou sur des expériences directes ; nous croyons devoir la laisser de côté ; ce qui, du reste, ne change rien aux résultats.

Le fœtus n’est, pour ainsi dire, qu’un mucus organisé. Dans l’enfant nouveau né, les cartilages et même plusieurs os ne sont encore que des substances mucilagineuses, condensées et raffermies par la force croissante des fonctions. Jusqu’à l’âge de puberté, l’enfant est sujet aux dégénérations glaireuses : ses intestins en sont farcis ; ses vaisseaux lymphatiques et ses glandes en sont baignés, embarrassés : enfin, chez lui, le tissu cellulaire est plus lâche et plus abreuvé de sucs. Pendant toute cette première époque, l’état contraire est toujours, en quelque sorte, un état de maladie ; il suppose dans les humeurs une exaltation contre nature, ou certains développemens précoces de la sensibilité. Mais les dispositions propres à l’enfant, changent du moment où l’action du système génital se fait sentir ; elles s’effacent par degrés, à mesure que la bile s’exalte ; elles disparoissent enfin d’autant plus entièrement, que cette humeur acquiert une plus grande activité.

Si donc l’humeur séminale et la bile sont filtrées en quantité plus faible, ou ne se trouvent pas douées de toute l’énergie convenable, la puberté, la jeunesse et les premières années de l’âge mûr n’amèneront pas les changemens dont nous venons de parler. Nous savons, par des observations très-sûres, que la présence de ces deux humeurs, non-seulement aiguise la sensibilité, donne plus de ton aux fibres ; mais en outre, qu’elle favorise la production de la chaleur, soit directement et par elle-même, soit indirectement, en stimulant toutes les fonctions, notamment la circulation des différens fluides vitaux. Ainsi, dans le cas donné, la circulation sera plus lente et la chaleur plus faible. Il s’ensuit que les résorptions se feront mal ; et par conséquent les sucs muqueux s’accumuleront : que les coctions assimilatoires seront incomplètes ; et par conséquent l’abondance des sucs muqueux ira toujours en croissant. Ces sucs, épanchés de toutes parts, gêneront et affoibliront de plus en plus, les vaisseaux ; ils engorgeront les poumons ; ils dégraderont immédiatement, dans leur source, la sanguification et la production de la chaleur.

Mais leurs effets ne s’arrêtent pas là. Bientôt ils émoussent la sensibilité des extrémités nerveuses ; ils assoupissent le système cérébral lui-même : enfin ; les fibres charnues, que ces mucosités inondent, et qui ne se trouvent sollicitées que par de foibles excitations, perdent graduellement leur ton naturel ; et la force totale des muscles s’énerve et s’engourdit.

Que chez les sujets flegmatiques, ou pituiteux, le foie et les organes de la génération aient moins d’activité, c’est un fait constant que l’observation démontre. On ne remarque point ici, l’appétit vif et les digestions rapides propres au bilieux. Les résultats de digestions incomplètes s’y rapprochent beaucoup de ce qu’on observe dans les enfans. Elles produisent, comme dans ces derniers, des mucosités intestinales très-abondantes, des déjections d’une couleur moins foncée. On remarque aussi que les pituiteux n’éprouvent qu’à des degrés plus foibles, les changemens occasionnés dans la physionomie et dans le son de la voix, par l’action de l’humeur séminale : ils sont moins velus, et la couleur de leurs poils est moins foncée ; leurs différentes humeurs ont une odeur moins forte : enfin, ce qui est plus frappant et plus direct, ils sont moins ardens pour les plaisirs de l’amour.

D’après tout ce qui vient d’être dit, l’état des sensations, l’ordre des mouvemens, le caractère des habitudes seront ici, très-faciles à prévoir.

Les sensations ont peu de vivacité : de là résultent des mouvemens faibles et lents ; de là résulte encore une tendance générale de toutes les habitudes vers le repos. Comme les fonctions vitales n’éprouvent pas de grandes résistances, à cause de la souplesse et de la flexibilité des parties, le flegmatique ne connoît point cette inquiétude particulière au bilieux ; son état habituel est un bien-être doux et tranquille. Comme les organes n’éprouvent chez lui, que de foibles irritations, et comme les impressions reçues par les extrémités nerveuses se propagent avec lenteur, il n’a ni la vivacité, ni la gaîté brillante, ni le caractère changeant du sanguin. Les fonctions et tous les mouvemens quelconques se font, pour lui, d’une manière traînante : sa vie a quelque chose de médiocre et de borné. En un mot, le pituiteux sent, pense, agit lentement et peu.

§. ix.

Les caractères distinctifs du bilieux sont extrêmement prononcés : cette empreinte est même la plus forte qui s’observe dans la nature humaine vivante. Cependant quelques changemens assez légers dans les conditions essentielles à ce tempérament, vont produire un ordre de phénomènes tout nouveau ; au lieu deces poumons et de ce foie volumineux qui lui sont propres, supposons une poitrine étroite et serrée, jointe à la constriction habituelle du système épigastrique ; et tout change de face. Les causes de résistance sont portées à-peu-près à leur dernier terme ; cependant les moyens de les vaincre n’existent pas. La roideur originelle des solides est très-grande ; et la langueur de la circulation fait que cette roideur s’accroît de plus en plus. Les extrémités nerveuses sont douées d’une sensibilité vive, les muscles sont très-vigoureux ; la vie s’exerce avec une énergie constante : mais elle s’exerce avec embarras, avec une sorte d’hésitation. Une chaleur active et pénétrante n’épanouit pas ces extrémités, d’ailleurs si sensibles ; elle n’assouplit pas ces fibres desséchées ; elle ne donne point au cerveau ce mouvement et cette conscience de force, dont l’effet moral semble lui-même si nécessaire pour venir à bout de tant d’obstacles.

Je ne chercherai pas à déterminer si la gêne avec laquelle se filtre la bile, si la stagnation du sang dans les rameaux de la veine-porte, si ses congestions dans le tissu spongieux de la rate, dépendent uniquement ici du resserrement de la région épigastrique, et par conséquent de celui du foie, organe important situé dans cette région ; ou si l’état particulier de la sensibilité dans tous les viscères abdominaux, influe en même temps, sur la production de tous ces phénomènes. Dans l’économie animale, les faits qui paraissent pouvoir se rapporter à des causes très-simples, appartiennent souvent à des causes très-compliquées. Au reste, ceux que j’expose sont palpables et certains : cela nous suffit. L’embarras de la circulation dans tout le système de la veine-porte, accru par les spasmes diaphragmatiques et hypocondriaques, rend suffisamment raison des lenteurs qu’éprouve la circulation générale, de la difficulté de tous les mouvemens, du sentiment de gêne et de mal-aise qui les accompagne, de ce défaut de confiance dans les forces (qui sont pourtant alors très-considérables) ; enfin, des singularités dans la nature même des sensations, qui caractérisent le tempérament mélancolique. C’est en effet ce tempérament que nous venons d’observer et de peindre encore trait pour trait.

Mais nous devons noter une autre circonstance, sans la connoissance de laquelle il seroit peut-être assez difficile de concevoir la grande énergie et l’activité constante du cerveau chez le mélancolique ; je veux parler de l’influence particulière des organes de la génération.

Chez le bilieux, toutes les impulsions sont promptes, toutes les déterminations directes. Chez le mélancolique, des mouvemens gênés produisent des déterminations pleines d’hésitation et de réserve : les sentimens sont réfléchis, les volontés ne semblent aller à leur but que par des détours. Ainsi, les appétits, ou les désirs du mélancolique, prendront plutôt le caractère de la passion que celui du besoin ; souvent même le but véritable semblera totalement perdu de vue : l’impulsion sera donnée avec force pour un objet ; elle se dirigera vers un objet tout différent. C’est ainsi, par exemple, que l’amour, qui est toujours une affaire sérieuse pour le mélancolique, peut prendre chez lui, mille formes diverses qui le dénaturent, et devenir entièrement méconnoissable pour des yeux qui ne sont pas familiarisés à le suivre dans ses métamorphoses. Cependant le regard observateur sait le reconnoître par-tout : il le reconnoît dans l’austérité d’une morale excessive, dans les extases de la superstition, dans ces maladies extraordinaires qui jadis constituoient certains individus de l’un et de l’autre sexe, prophètes, augures, ou pythonisses, et qui n’ont pas encore entièrement cessé d’attirer autour de leurs trétaux, le peuple ignorant de toutes les classes : il le retrouve dans les idées et les penchans qui paraissent le plus étrangers à ses impulsions primitives ; il le signale jusques dans les privations superstitieuses, ou sentimentales qu’il s’impose lui-même. Chez le mélancolique, c’est l’humeur séminale elle seule qui communique une âme nouvelle aux impressions, aux déterminations, aux mouvemens : c’est elle qui crée, dans le sein de l’organe cérébral, ces forces étonnantes, trop souvent employées à poursuivre des fantômes, à systématiser des visions.

Jusqu’ici, ne diroit-on point que nous n’avons fait que suivre, pas à pas, la doctrine des médecins grecs, la raccorder avec les faits anatomiques, l’exposer sous un nouveau point de vue[18] ? Et véritablement, plus on observe avec attention la nature vivante, plus on voit qu’ils l’avoient bien observée eux-mêmes ; quoique d’ailleurs, relativement à l’objet particulier qui nous occupe maintenant, nous ne puissions admettre ni leurs explications, ni par conséquent les dénominations dont elles les ont portés à se servir.

Mais il nous reste à considérer quelques circonstances auxquelles n’avoient pu penser les anciens, et dont la détermination est pourtant nécessaire au complément de l’esquisse que nous essayons de tracer.

§. x.

L’étude plus attentive de l’économie animale a fait reconnoître que les forces vivantes, quoique toutes émanées d’un principe unique, subissent, en produisant les fonctions particulières, des modifications qui les différencient et les distinguent. La distinction devient sur-tout évidente, quand on remarque que ces forces peuvent être dans des rapports fort différens entre elles. On a vu que la faculté de mouvement n’est pas toujours en raison directe de la sensibilité. Une partie, ou même le corps tout entier, peut être médiocrement, ou même très-peu sensible, et cependant capable de se mouvoir avec vigueur ; ou peu capable de se mouvoir, quoique fort sensible. De-là, cette distinction, si connue, des forces sensitives et des forces motrices ; ou plutôt de l’énergie sensitive du système nerveux, et de la manière dont elle s’exerce dans les organes du mouvement.

Sans entrer dans l’examen des conclusions qu’on a tirées de ce fait général, et mettant sur-tout de côté les preuves qui le constatent, nous l’énonçons lui-même en d’autres termes, et nous en formons les propositions suivantes.

Il y a des sujets chez lesquels le système cérébral et nerveux prédomine sur le système musculaire.

Il en est d’autres chez lesquels, au contraire, ce sont les organes du mouvement qui prédominent sur ceux de la sensibilité.

La prédominance du système nerveux peut se rencontrer avec des muscles forts, ou des muscles foibles.

Avec des muscles forts, elle produit des sensations vives et durables ; avec des muscles foibles, elle produit des sensations vives, mais superficielles, et communique aux différentes fonctions une excessive mobilité.

Quand le système musculaire prédomine, cela dépend, tantôt de la force originelle des fibres, tantôt de l’influence extraordinaire qu’exerce sur lui le système nerveux.

Ainsi donc, après avoir reconnu la prédominance alternative de certains organes particuliers les uns sur les autres, nous ne faisons qu’étendre cette observation ; et nous sommes conduits, par les faits, à l’appliquer aux deux systèmes d’organes les plus généraux.

La prédominance du système nerveux paroît dépendre quelquefois de la plus grande quantité de pulpe cérébrale : mais il est très-certain que souvent elle ne dépend pas de cette circonstance. Un cerveau plus volumineux, une mœlle épinière plus renflée, des troncs de nerfs d’un plus gros calibre, se rencontrent en effet dans certains sujets, chez lesquels la vivacité des sensations est supérieure la force des mouvemens. Mais cet empire de la sensibilité est fréquemment caché dans les secrets de l’organisation cérébrale : il peut tenir à la nature, ou à la quantité des fluides qui s’y rendent, ou qui s’y produisent ; à des rapports encore ignorés de l’organe sensitif avec les autres parties du corps.

Quelle que soit, au reste, sa source, ou sa cause, cet état se manifeste par des signes évidens, par des effets certains. L’action musculaire est plus foible ; les fonctions qui demandent un grand concours de mouvemens languissent. En même temps, on observe que les impressions se multiplient, que l’attention devient plus soutenue, que toutes les opérations qui dépendent directement du cerveau, ou qui supposent une vive sympathie de quelque autre organe avec lui, acquièrent une énergie singulière. Cependant les fonctions particulièrement débilitées en altèrent d’autres, de proche en proche. La vie ne se balance plus d’une manière convenable dans les diverses parties ; elle ne s’y répand plus avec égalité ; elle se concentre dans quelques points plus sensibles : et lorsque ce défaut d’équilibre passe certaines limites, il entraîne à sa suite, des maladies qui, non seulement achèvent d’altérer les organes affoiblis, mais qui troublent et dénaturent la sensibilité elle-même.

Cet état se remarque particulièrement dans les individus qui montrent une aptitude précoce aux travaux de l’esprit, aux sciences et aux arts.

Nous avons dit que l’influence prédominante du cerveau peut s’exercer sur des fibres fortes, ou sur des fibres foibles. Dans le premier cas, il résulte de cette prédominance des déterminations profondes et persistantes ; dans le second, des déterminations légères et fugitives. Or, il est aisé de sentir combien cette seule différence doit en apporter dans la nature, ou dans le caractère des idées, des affections, ou des penchans. Là, je vois des élans durables, un enthousiasme habituel, des volontés passionnées : ici, des impulsions multipliées qui se succèdent sans relâche, et se détrisent mutuellement ; des idées et des affections passagères qui se poussent et s’effacent, en quelque sorte, comme les rides d’une eau mobile.

Si maintenant nous voulons individualiser ces deux modifications de la nature humaine générale, nous verrons encore bien mieux qu’elles se présentent en effet sous la forme de deux êtres tout différens. Et si nous voulons les considérer sous le rapport de leur classification physiologique, nous trouverons que l’une appartient plus spécialement à la nature particulière de l’homme ; l’autre à la nature particulière de la femme : non que la femme, par une roideur accidentelle des fibres, ne puisse quelquefois se rapprocher de l’homme, et ce dernier se rapprocher d’elle, par sa foiblesse musculaire et sa mobilité ; mais la sensibilité changeante de la matrice établit toujours entre les deux sexes une distinction dont on aperçoit encore la trace, même dans les cas qui semblent en offrir les signes le plus intimement confondus.

Nous avons dit également que la grande force musculaire, accompagnée de la foiblesse et de la lenteur des impressions, peut dépendre, ou d’une disposition primitive inhérente à l’organisation même, ou de certains changemens accidentels survenus dans l’action et dans l’influence nerveuse. Le dernier cas semble être entièrement étranger à notre objet ; il sort de l’ordre régulier de la nature, et constitue pour l’ordinaire, un véritable état de maladie. Cependant ses phénomènes peuvent servir à faire mieux concevoir ceux qui caractérisent le premier : peut-être même dépend-il toujours, comme lui, d’une disposition originelle du système, mais d’une disposition qui reste cachée, et ne développe ses effets que lorsque certaines causes occasionnelles la mettent en jeu. Il mérite donc au moins d’être noté.

Depuis long-temps, on a remarqué que les individus les plus robustes, ceux dont les muscles ont le plus de volume et de force, sont communément les moins sensibles aux impressions. Les athlètes, chez les anciens, passaient pour des hommes qui ne regardoient pas de si près aux choses. Leur prototype Hercule, malgré son caractère divin, étoit lui-même plus fameux par son courage que par son esprit ; et les poètes comiques s’étaient permis, plus d’une fois, de lui prêter ce qu’on appelle vulgairement des balourdises, et de faire rire le peuple à ses dépens.

Hippocrate observe que le dernier degré de force athlétique touche de près à la maladie : il en donne une bonne raison. L’état du corps change, dit-il, à chaque instant ; et lorsqu’il est parvenu au dernier terme du bien, il ne peut plus changer qu’en mal. Mais cette raison n’est pas la seule ; elle n’est même peut-être pas la meilleure. Les hommes dont la sensibilité physique est émoussée par une grande force, s’apperçoivent plus tard des dérangemens de leur santé : avant qu’ils y donnent quelqu’attention, la maladie a déjà fait des progrès considérables. D’ailleurs, ces corps, si vigoureux pour l’exécution des mouvemens, paroissent n’avoir, en quelque sorte, qu’une force mécanique : la véritable énergie, l’énergie radicale du système nerveux, se rencontre bien plutôt dans des corps grèles et foibles en apparence. La plus légère indisposition suffit souvent pour abattre les portefaix et les hommes de peine. Ils ne sont pas seulement plus sujets aux fièvres inflammatoires et violentes ; mais leurs forces ont encore besoin d’être plus ménagées dans le traitement de toutes leurs maladies. Des saignées abondantes, ou des purgatifs inconsidérément employés, les énervent et les accablent rapidement. C’est Baillou, je crois, qui le premier, a fait cette observation relativement aux purgatifs. J’ai plusieurs fois eu l’occasion de la répéter dans les infirmeries publiques ; et j’ai remarqué que l’abus des saignées, qu’on y multiplie souvent avec une sorte de fureur, était bien plus désastreux encore.

Au reste, je n’indique en passant ces considérations médicales, que parce qu’elles peuvent jeter quelque jour sur notre sujet.

On voit donc maintenant, ce qu’il faut entendre par le mot, tempérament musculaire (musculosum-torosum, comme s’exprime Haller) : car celui dont nous parlons est absolument le même ; nous n’avons fait que le déterminer et le circonscrire avec plus d’exactitude et de précision.

La plus légère attention suffit pour faire voir que la circonstance qui distingue ce tempérament, doit nécessairement donner une empreinte particulière à toutes les habitudes ; qu’entre l’homme qui sent vivement, ou profondément, et celui qui ne vit que par l’exercice, ou la conscience de sa force extérieure, il y a des différences fondamentales ; que leurs mœurs doivent sembler quelquefois, appartenir à peine au même système d’existence ; qu’enfin le temps et la pratique de la vie, en développant, en fortifiant leurs caractères divers, ne font que rendre plus sensible cette ligne de démarcation.

Il en est de la force physique comme de la force morale : moins l’une et l’autre éprouvent de résistance de la part des objets, moins elles nous apprennent à les connoître. Nous avons presque toujours des idées incomplètes, ou fausses, de ceux sur lesquels nous agissons avec une puissance non contestée : nous ne sentons pas le besoin de les considérer sous tous leurs points de vue. L’habitude de produire de grands mouvemens, de tout emporter de haute lutte, et le besoin grossier d’exercer sans relâche des facultés mécaniques, nous rend plus capables d’attaquer que d’observer ; de bouleverser et de détruire, que d’asservir doucement, par l’application des lois de la nature, ou d’organiser et de vivifier par de nouvelles combinaisons. Entraînés dans une action violente et continuelle, qui presque toujours devance la réflexion, et qui souvent la rend impossible, nous obéissons alors à des impulsions, dépourvues quelquefois même des lumières de l’instinct[19]. Enfin, ce mouvement excessif et continuel, qui, dans le cas supposé, peut seul faire sentir l’existence, devient alors de plus en plus nécessaire, comme l’abus des liqueurs fortes, quand on a pris l’habitude de ces sensations vives et factices qu’elles procurent[20].

Car la vie individuelle est dans les sensations : il faut absolument, en général, que l’homme sente pour vivre. Sentir est donc son premier besoin. Or, cet homme, en particulier, dont il est question maintenant, ne sent, pour ainsi dire, que lorsqu’il se meut. Sa sensibilité hors de-là, est extrêmement obscure, incertaine, languissante. Privé, en grande partie, de cette source féconde des idées et des affections, il n’existe nécessairement que dans quelques vues bornées et dans ses volontés brutales.

Je n’insisterai pas plus long-temps sur ce qui doit résulter de ces impressions vives, multipliées, ou profondes, d’une part ; et de ces impressions rares, engourdies, languissantes, de l’autre : de cette disposition qui, faisant éprouver le sentiment habituel d’une certaine foiblesse musculaire relative, porte nécessairement à réfléchir sur les moyens de compenser ce qui manque en force motrice, par l’emploi mieux dirigé de celle qu’on a ; d’où il suit alors qu’on pense plus qu’on n’agit, et qu’avant d’agir, on a presque toujours beaucoup pensé : et de cette autre disposition toute contraire, qui, par la conscience d’une grande vigueur, nous pousse sans cesse au mouvement, le rend indispensable au sentiment de la vie, et produit l’habitude de tout considérer, de tout évaluer sous le rapport des opérations de la force, et de son ascendant trop souvent victorieux[21].

Mais il nous reste encore un mot à dire touchant les altérations accidentelles d’équilibre, qui font passer tout-à-coup dans les muscles, les forces employées primitivement dans les nerfs ; et touchant les altérations contraires, où l’on voit quelquefois la sensibilité s’accroître passagèrement, par l’effet de la diminution des facultés motrices. Pour éclaircir complètement ces nouveaux phénomènes, il seroit nécessaire d’entrer dans des explications particulières, et même de considérer d’une manière générale, l’influence des maladies sur les habitudes morales qui en dépendent. C’est ce que je me propose de faire dans un des Mémoires suivans. Ici, je me borne à l’indication de quelques vues, ou plutôt de quelques faits bien observés.

La prépondérance accidentelle des forces musculaires, peut survenir dans deux circonstances très-différentes. Ou les fibres avaient déjà d’avance une certaine énergie ; ou les muscles étoient, au contraire, dans un état de foiblesse très-marqué. Le premier cas est celui des maniaques et de quelques épileptiques ; le second est celui des femmes vaporeuses et délicates, qui, dans leurs accès convulsifs, acquièrent souvent une force que plusieurs hommes robustes ont peine à contenir. Dans l’un et dans l’autre cas, à mesure que cette énergie extraordinaire des organes moteurs se montre, ou se développe, la sensibilité diminue en même proportion ; et le changement survenu dans les muscles, dépend toujours d’un changement antérieur survenu dans le système nerveux. Voilà ce qui prouve évidemment que, dans les cas ordinaires de cette même prépondérance, l’état des fibres motrices tient à la manière dont les nerfs exercent leur action ; que le mouvement augmenté n’est ici, qu’une modification du sentiment, au ton duquel il paroît se monter pour le balancer et lui servir de contrepoids. Cela prouve enfin que, lorsque le sentiment s’émousse, pour laisser prédominer le mouvement, c’est encore par une opération du système sensitif.

Ainsi donc, j’augmente le nombre des tempéramens principaux ou simples. Au lieu de quatre, j’en admets six. 1°. Celui qui est caractérisé par la grand capacité de la poitrine, l’énergie des organes de la génération, la souplesse des solides, l’exacte proportion des humeurs : il représente le sanguin des anciens. 2°. Celui qui joint aux deux premières conditions (c’est-à-dire, à la grande capacité du thorax et à l’influence énergique des organes de la génération), le volume plus considérable, ou l’activité plus grande du foie, et la rigidité des parties solides de tout le corps : ce second tempérament représente le bilieux. 3°. Celui dans lequel les organes de la génération conservent beaucoup d’énergie, où la poitrine est serrée, où tous les solides sont d’une rigidité extrême, le foie et tout le système épigastrique dans un état de constriction : ce tempérament remplit ici la place du mélancolique. 4°. Celui chez lequel le système génital et le foie sont inerte, les solides lâches, la quantité des fluides trop considérables, et, par suite, malgré le grand volume des poumons, la circulation se fait lentement et foiblement, la chaleur reproduite est moins abondante, les dégénérations muqueuses sont habituelles et communes à tous les organes : c’est le flegmatique ou pituiteux. 5°. Celui qui est caractérisé par la prédominance du sytème nerveux, ou sensitif sur le système musculaire, ou moteur. 6°. Enfin, celui qui se distingue, au contraire, par la prédominance du système moteur sur le système sensitif.

Ces six tempéramens se mélangent et se compliquent les uns avec les autres. Les proportions de ces mélanges sont aussi diverses que les combinaisons et les complications elles-mêmes : et celles-ci peuvent être aussi multipliées, que les divers degrés d’intensité et les nuances, dont chaque tempérament est susceptible ; ou, pour ainsi dire, à l’infini. Mais on ramènera facilement à ces chefs généraux, tous les cas physiologiques que l’observation présente. Chacun de ces cas pourra être considéré par deux côtés, qui se correspondront avec exactitude ; je veux dire par le côté physique, et par ce qu’on appelle le côté moral. Et j’ajoute que la connoissance et la juste évaluation de leurs rapports mutuels, ne demandent que l’application méthodique des règles générales, directement résultantes de tout ce qui précède.

Mais ici, pour descendre aux exemples, et sur-tout pour le faire utilement, il faudroit se perdre dans les détails. Ces exemples, au reste, s’offriront en foule aux esprits observateurs et réfléchis.

§. xi.

En revenant sur l’ensemble des idées que renferme ce mémoire, il seroit facile de déterminer quel est le meilleur tempérament, celui qu’on peut regarder comme le type, ou l’exemplaire général de la nature humaine. Il est évident que toutes les forces, tous les organes, toutes les fonctions doivent s’y trouver dans un équilibre parfait. Mais ce tempérament n’est-il point une véritable abstraction, un modèle purement idéal ? A-t-il jamais existé réellement dans la nature ? Il est vraisemblable que non. Et quand la nature formeroit quelquefois des individus sur ce modèle, il est encore plus vraisemblable que les mauvaises habitudes de la vie ne tarderoient pas à dégrader leur constitution primitive. L’observation nous fait voir seulement que le plus parfait tempérament est celui qui se rapproche le plus de ce type. L’homme dont les forces sensitives et motrices sont dans le rapport le plus exact ; chez qui nul organe ne prédomine trop considérablement par son volume, ou par son activité ; dont toutes les fonctions s’exercent de la manière la plus régulière et la plus rigoureusement proportionnelle, si l’on peut s’exprimer de la sorte : cet homme a sans doute reçu le tempérament qui promet la santé la plus égale, et du corps, et de l’âme ; le plus de sagesse et de bonheur. Et s’il apprend à porter la même proportion, ou le même équilibre, dans l’emploi de ses facultés ; s’il sait balancer ses habitudes les unes par les autres ; s’il n’excède les forces d’aucun de ses organes, et s’il n’en laisse aucun dans la langueur et l’inertie : non-seulement, comme nous l’avons déjà fait observer, il jouira plus pleinement, plus parfaitement, de chacun des instans de la vie ; mais encore toutes les vraisemblances qui peuvent garantir la longue durée de cette vie, alors parfaitement heureuse et désirable, se réuniront en sa faveur.

Mais j’ai dit que les habitudes sont quelquefois capables d’altérer le tempérament[22]. On peut demander si elles e sont pas capables aussi de le détruire, ou de le changer ; si même ce n’est pas des habitudes seules qu’il dépend ; si ce n’est point uniquement leur action lente et graduelle qui le produit. La réponse est dans les faits ; et ces faits viennent s’offrir d’eux-mêmes à l’observation.

L’observation nous apprend que le tempérament peut en effet être modifié jusqu’à un certain point, par les circonstances de la vie ; c’est-à-dire, par le régime, en prenant ce mot dans son sens le plus étendu : mais elle nous apprend aussi qu’un tempérament bien caractérisé ne change pas. Les causes accidentelles qui modèrent, ou suspendent ses effets, venant à cesser d’agir, il reprend son cours ; et tous ces effets renaissent : souvent même, lorsque l’application de ces causes se prolonge, elles perdent graduellement de leur puissance ; et la nature primitive reparoît avec tous ses attributs.

L’observation nous apprend encore que les habitudes de la constitution se transmettent des pères et mères, aux enfans ; qu’elles se conservent, comme une marque ineffaçable, au milieu des circonstances les plus diverses de l’éducation, du climat, des travaux, du régime : au milieu des atteintes qu’elles reçoivent incessamment de toutes ces circonstances réunies, on les voit résister au temps lui-même.

Et si les races humaines ne se mêloient pas continuellement, tout semble prouver que les conditions physiques propres à chacune, se perpétueroient par la génération ; en sorte que les hommes de chaque époque représenteroient exactement à cet égard, les hommes des temps antérieurs.

Voilà ce qui se remarque en effet chez les peuples, les tribus, ou les hordes dont les familles vont toujours se chercher pour les mariages ; chez ces races qui, mêlées géographiquement et civilement avec les autres nations, ne confondent point leur sang avec ce sang étranger, dont elles reconnoissent à peine la primitive fraternité. C’est parmi elles, que se rencontrent les tempéramens dont l’empreinte est la plus ferme et la plus nette. C’est vraisemblablement aussi par la même raison, que chez les anciens Grecs, qui vivoient plus resserrés dans l’étendue de leurs territoires respectifs, dans l’enceinte de leurs villes, et séparés par les lignes de démarcation de leurs tribus, les tempéramens étoient bien plus marqués et plus distincts, qu’ils ne le sont chez les peuples modernes, où les progrès du commerce tendent à confondre toutes les races, toutes les formes, toutes les couleurs.

Ce fait général, et toutes les conséquences qui en découlent, peuvent se confirmer encore par la considération des maladies héréditaires. Ces maladies dépendent certainement des circonstances qui président à la formation de l’embryon : voilà ce que personne ne conteste. Mais de plus, elles paraissent inhérentes à l’organisation même ; car les observations les plus exactes portent à penser qu’elles sont bien moins soumises à la puissance de l’art, que le plus grand nombre des maladies accidentelles. On suspend leurs accès, on les pallie elles-mêmes, on les modifie, on leur fait prendre une marche nouvelle : mais il paroît qu’on ne les guérit presque jamais radicalement. Or, ces maladies peuvent avoir, elles ont même en effet une grande influence sur les habitudes de la constitution. Souvent le tempérament ne se perpétue dans les familles, que par un état maladif, transmis des pères et mères, aux enfans : car un tempérament dans son extrême, est une maladie véritable ; et toute maladie rapproche le système de quelqu’une de ces conditions physiques, désignées sous le nom de tempérament.

CONCLUSION.

Sans doute il est possible, par un plan de vie combiné sagement et suivi avec constance, d’agir à un assez haut degré, sur les habitudes même de la constitution : il est par conséquent possible d’améliorer la nature particulière de chaque individu ; et cet objet, si digne de l’attention du moraliste et du philanthrope, appelle toutes les recherches du physiologiste et du médecin observateur. Mais si l’on peut utilement modifier chaque tempérament, pris à part, on peut influer d’une manière bien plus étendue, bien plus profonde, sur l’espèce même, en agissant d’après un système uniforme et sans interruption, sur les générations successives. Ce seroit peu maintenant que l’hygiène se bornât à tracer des règles applicables aux différentes circonstances où peut se trouver chaque homme en particulier : elle doit oser beaucoup plus ; elle doit considérer l’espèce humaine comme un individu dont l’éducation physique lui est confiée, et que la durée indéfinie de son existence permet de rapprocher sans cesse, de plus en plus, d’un type parfait, dont son état primitif ne donnoit même pas l’idée : il faut, en un mot, que l’hygiène aspire à perfectionner la nature humaine générale.

Après nous être occupés si curieusement des moyens de rendre plus belles et meilleures les races des animaux, ou des plantes utiles et agréables ; après avoir remanié cent fois celles des chevaux et des chiens ; après avoir transplanté, greffé, travaillé de toutes les manières les fruits et les fleurs, combien n’est-il pas honteux de négliger totalement la race de l’homme ! comme si elle nous touchoit de moins près ! comme s’il étoit plus essentiel d’avoir des bœufs grands et forts, que des hommes vigoureux et sains ; des pêches bien odorantes, ou des tulipes bien tachetées, que des citoyens sages et bons !

Il est temps, à cet égard comme à beaucoup d’autres, de suivre un système de vues plus digne d’une époque de régénération : il est temps d’oser faire sur nous-mêmes, ce que nous avons fait si heureusement sur plusieurs de nos compagnons d’existence, d’oser revoir et corriger l’œuvre de la nature. Entreprise hardie ! qui mérite véritablement tous nos soins, et que la nature semble nous avoir recommandée particulièrement elle-même. Car, n’est-ce pas d’elle en effet, que nous avons reçu cette vive faculté de sympathie, en vertu de laquelle rien d’humain ne nous demeure étranger ; qui nous transporte dans tous les climats où notre semblable peut vivre et sentir ; qui nous ramène au milieu des hommes et des actions des temps passés ; qui nous fait coexister fortement avec toutes les races à venir ? C’est ainsi qu’on pourroit à la longue, et pour des collections d’hommes prises en masse, produire une espèce d’égalité de moyens, qui n’est point dans l’organisation primitive, et qui, semblable à l’égalité des droits, seroit alors une création des lumières et de la raison perfectionnée.

Et dans cet état de choses lui-même, il ne faut pas croire que l’observation ne pût découvrir encore des différences notables, soit par rapport au caractère et à la direction des forces physiques vivantes, soit par rapport aux facultés et aux habitudes de l’entendement et de la volonté. L’égalité ne seroit réelle qu’en général : elle seroit uniquement approximative, dans les cas particuliers.

Voyez ces haras, où l’on élève, avec des soins égaux et suivant des règles uniformes, une race de chevaux choisis : ils ne les produisent pas tous exactement propres à recevoir la même éducation, à exécuter le même genre de mouvemens. Tous, il est vrai, sont bons et généreux ; ils ont même tous beaucoup de traits de ressemblance, qui constatent leur fraternité : mais cependant chacun a sa physionomie particulière ; chacun a ses qualités prédominantes. Les uns se font remarquer par plus de force ; les autres par plus de vivacité, d’agilité, de grâce : les uns sont plus indépendans, plus impétueux, plus difficiles à dompter ; les autres sont naturellement plus doux, plus attentifs, plus dociles, &c., &c., &c. De même, dans la race humaine, perfectionnée par une longue culture physique et morale, des traits particuliers distingueroient encore, sans doute, les individus.

D’ailleurs, il existe sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, une grande différence entre l’homme et le reste des animaux. L’homme, par l’étendue et la délicatesse singulières de sa sensibilité, est soumis à l’action d’un nombre infini de causes : par conséquent, rien ne seroit plus chimérique que de vouloir ramener tous les individus de son espèce, à un type exactement uniforme et commun. Les hommes, tels que nous les supposons ici, seroient donc également propres à la vie sociale ; ils ne le seroient pas également à tous les emplois de la société : leur plan de vie ne devroit pas être absolument le même ; et le tempérament, comme la disposition personnelle des esprits et des penchans, offriroit encore beaucoup de différences aux observateurs.

Or, ce sont les remarques de ce genre qui peuvent seules servir de base au perfectionnement progressif de l’hygiène particulière et générale. Car, soit qu’on veuille appliquer ses principes aux cas individuels, soit qu’on la réduise en règles plus sommaires, communes à tout le genre humain, il faut commencer par étudier la structure et les fonctions des parties vivantes : il faut connoître l’homme physique, pour étudier avec fruit l’homme moral ; pour apprendre à gouverner les habitudes de l’esprit et de la volonté, par les habitudes des organes et du tempérament. Et plus on avancera dans cette route d’amélioration, qui n’a point de terme, plus aussi l’on sentira combien l’étude qui nous occupe est importante : de sorte qu’un des plus grands sujets d’étonnement pour nos neveux, sera sans doute d’apprendre que chez des peuples qui passoient pour éclairés, et qui l’étaient réellement à beaucoup d’égards, elle n’entra pour rien dans les systèmes les plus savans et dans les établissemens les plus vantés d’éducation.




  1. Ce qui n’empêche pas que la vie ne s’exerce dans les parties dépourvues de nerfs, et même que ces parties ne manifestent, dans certaines circonstances, une assez vive sensibilité.
  2. C’est-à-dire, du siècle dix-huitième.
  3. La vivacité de la lumière que répandent les animaux phosphoriques, se rapporte à celle de leur énergie vitale, ou au degré de leur excitation. Cette lumière est, par exemple, plus brillante dans le temps de leurs amours : il paroît même qu’elle est destinée dans plusieurs espèces, à servir de guide et de fanal au mâle, quand il cherche sa femelle : elle est alors à la lettre, le flambeau de l’amour.
  4. Les piles galvaniques produisent sur les substances minérales, des effets conformes à ceux des machines électriques ordinaires : mais il ne s’ensuit pas que les fibres musculaires ne fournissent point une portion d’électricité accumulée, lorsqu’elles font partie du cercle, ou de l’arc conducteur ; et il reste toujours à expliquer pourquoi elles restent contractiles quelque temps encore après la mort, et perdent peu à peu cette propriété, par la simple répétition des chocs.
  5. C’est ce qui arrive en effet.
  6. C’est ainsi que l’a faite Vacca-Berlinghieri ; c’est du moins ainsi que les journaux l’ont annoncée. Il paroît cependant que cet exposé n’est pas parfaitement exact, ou du moins que dans les cas particuliers où l’expérience a réussi, l’effet pouvoit être rapporté aux lois connues de l’irritabilité, on du galvanisme lui-même, quand l’excitation est produite par les piles, ou par les métaux différens.

    Au reste, toutes ces questions, de quelque manière qu’elles soient résolues. ne touchent point au fond de la doctrine que nous exposons dans ce moment. Je ne change donc rien au texte, quoique je n’ignore pas que les énoncés n’en paraîtront point peut-être, entièrement conformes aux dernières expériences. Mais les questions relatives à l’électricité animale ne me semblent pas assez complètement éclaircies, pour me permettre d’adopter un avis définitif à cet égard. (An 6.)

  7. Quoi qu’on en eût dit d’abord en France, cette expérience réussit très-bien ; et l’explication que j’en donne, peut être regardée comme probable. (An 13.)
  8. Il y a plus de deux ans que j’ai hasardé ces conjectures sur le phénomène appelé galvanisme. Plusieurs savans ont aussi cherché à prouver l’identité de sa cause, avec le fluide électrique. Les dernières expé- riences faites par les commissaires de l’institut, et surtout celles de M. Humbolt, paroissent ébranler fortement cette doctrine. J’attends un ensemble de faits plus concluans pour fixer mon opinion : jusques-là, j’ai cru devoir ne rien changer à ce que j’avois écrit sur cet objet. Au reste, le lecteur verra bien, à la réserve avec laquelle je m’exprime, et, j’ose le dire, à la manière générale dont je procède, dans mes conclusions des faits particuliers aux principes, que je suis toujours prêt à revenir sur mes pas, si l’expérience et l’observation prononcent contre mes premiers apperçus. (An 6.)

    Les expériences de l’illustre et savant Volta paroissent ne plus laisser aucun doute sur l’identité du fluide galvanique, ou de la cause excitante à laquelle on a donné ce nom, et de l’électricité. Celles qui ont été faites dernièrement en Angleterre, ont donné le même résultat. Malgré cela, je laisse encore ici, et dans le texte, et dans la note ci-dessus, ce que j’avois écrit en l’an 4 et en l’an 6, jusqu’à ce que les physiciens soient entièrement d’accord. (An 10.)

  9. Je ne citerai ici, que mes respectables confrères Berthollet et Déyeux, à qui la science doit tant de belles découvertes et de précieux travaux : mais je n’oublie pas que plusieurs autres (comme, par exemple, le citoyen Dupuytren) mériteroient d’être mentionnes honorablement, si je traitois ce sujet avec quelque détail.
  10. M. Humbolt a commencé quelques expériences dans cet esprit, relativement au galvanisme ; mais il ne considère que les différences d’excitabilité des parties, et non point celles qui peuvent avoir lieu dans la combinaison elle-même des élément dont ces parties sont composées. (An 6.)

    Plusieurs des résultats de M. Humbolt sont formellement combattus par des expériences postérieures ; et les faits constans qui se trouvent consignés dans son livre, ont été ramenés aux lois communes de l’électricité animale. (An 10 )

  11. Ou du moins elles s’épanouissent à la surface de parties solides qui ont elles-mêmes ces qualités.
  12. Quand le relâchement va jusqu’à débiliter le système, ou un de ses centres partiels, il le rend, en même temps, il est vrai, plus sensible ; mais c’est par un effet indirect, ou secondaire ; l’effet direct, ou primitif est toujours d’émousser la sensibilité
  13. Avant d’entrer dans le détail des circonstances d’organisation et des signes extérieurs qui sont le plus ordinairement liés avec les phénomènes propres à chaque tempérament, je crois devoir rappeler ce que j’ai déjà dit dans le premier Mémoire ; c’est que ces signes, et même ces circonstances ne peuvent pas être regardés comme des indices toujours certains. Avec la physionomie et les formes organiques, ou physiognomoniques d’un tempérament, on peut avoir un tempérament tout contraire ; et souvent le médecin a besoin d’un coup-d’œil très-exercé, pour ne pas s’y laisser tromper complètement. Mais ces irrégularités elles-mêmes sont soumises à certaines règles, que je n’expose point ici, parce qu’elles sont moins propres à éclaircir notre sujet, qu’à diriger le praticien dans certains cas difficiles.
  14. L’abondance des poils semble, pour l’ordinaire, tenir à l’influence plus marquée des organes de la génération : mais l’activité de ces organes dépend singulièrement, à son tour, de l’état où se trouvent ceux de la poitrine ; et rien ne la réveille aussi efficacement, qu’une chaleur plus considérable, qu’une circulation plus animée.
  15. Dans le cas que j’exposerai ci-après, la souplesse, ou plutôt la mollesse, devient extrême.
  16. Ou plutôt, les parties muqueuses se sont transformées en albumen.
  17. Dans ce tempérament, le poumon est souvent engorgé et comprimé par une graisse surabondante : il a donc en effet, moins de capacité, comme organe de la respiration, c’est-à-dire, qu’il reçoit dans son sein, et sur-tout qu’il décompose une moindre quantité d’air.
  18. Les anciens établissent que la prédominance du sang, ou de la bile, ou de la pituite, ou de l’atrabile, constitue chacun des quatre tempéramens. Or, 1 °. dans le bilieux, les vaisseaux sont d’un plus gros calibre ; ils sont plus distendus que dans le sanguin. 2°. Il est fort douteux que l’influence de la bile soit la principale circonstance qui constitue et caractérise le bilieux. 3°. L’on peut croire que la surabondance des mucosités dans le pituiteux, n’est que l’effet de l’action plus débile des solides ; que par conséquent elle est un des principaux symptômes de ce tempérament, mais sans constituer son caractère primitif ; et que c’est dans le défaut de ton des fibres, et dans le défaut d’énergie du système sensitif lui-même, qu’il faut chercher la condition, dont l’état apparent des organes, et le caractère des fonctions, ou de leurs produits, ne sont que les conséquences. 4°. L’on observe quelquefois certaines dégénérations de la bile qui lui donnent une couleur très-foncée, et des qualités corrosives ; l’on observe plus souvent encore des vomissemens et des déjections de matières noires, ou noirâtres, qui ne sont que du sang dégénéré : mais l’atrabile, telle que les anciens la décrivent, c’est-à-dire, formant une humeur naturelle du corps, n’existe véritablement pas.
  19. Il est vrai que ces impulsions se rapportent à des objets qui ne sont pas du domaine de l’instinct.
  20. Observez que les plus désordonnés buveurs appartiennent, pour l’ordinaire, au tempérament dont nous peignons ici les traits principaux.
  21. Ces inégalités d’énergie, ou d’aptitude aux diverses fonctions, peuvent se rencontrer dans le même système d’organes, ou dans le même organe, comme dans des systèmes, ou dans des organes différens. Le cerveau, par exemple, est souvent plus propre à certaines fonctions ; les muscles en général, et même tel muscle en particulier exécutent certains mouvemens avec plus de force, plus de facilité, plus d’adresse. Mais ces différences, qui peuvent être originelles, ou acquises, ne constituent pas des tempéramens nouveaux : elles sont donc étrangères à notre objet. Au reste, j’aurai occasion d’en parler ailleurs.
  22. Je reviendrai dans un Mémoire particulier, sur cette question des tempéramens acquis.