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Recherches sur la culture de la pomme de terre industrielle et fourragère/CHAP. II

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Aimé Girard
Chapitre II. Possibilité d'obtenir normalement en France
de hauts rendements.





CHAPITRE II.


POSSIBILITÉ D’OBTENIR NORMALEMENT EN FRANCE DE HAUTS RENDEMENTS. RÉSULTATS PRATIQUES DES CULTURES ENTREPRISES EN VUE DE CETTE DÉMONSTRATION.




Exposé de la méthode adoptée.


Avant de rechercher les causes auxquelles il est permis d’attribuer l’infériorité de la culture de la pomme de terre en France, une première étude s’imposait, toute pratique celle-là, consistant à reconnaître s’il est possible d’obtenir, dans notre pays, de hauts rendements en tubercules, en même temps qu’une richesse satisfaisante de ceux-ci en fécule.

A la vérité, et si l’on n’envisage que d’une façon superficielle la question de l’amélioration de la culture en France, il semble que cette étude ne fût pas nécessaire et que, pour déterminer nos cultivateurs à modifier leurs procédés, il eût suffi de vulgariser les résultats obtenus dans d’autres contrées et notamment en Allemagne. Ce serait une erreur que de penser ainsi ; cette vulgarisation, alors même qu’elle eût été complète, n’eût, en aucune façon, porté la conviction dans leur esprit ; l’exemple des résistances qu’il a fallu vaincre pour mettre, en France, la culture de la betterave au niveau des cultures étrangères est trop récent pour que la leçon puisse être oubliée.

A nos agriculteurs, que les difficultés de l’œuvre journalière rendent prudents, il faut des démonstrations pratiques, faites sur le sol national et à leur portée. C’est à obtenir des démonstrations de ce genre que je me suis attaché, et c’est certainement à la marche que j’ai suivie que doit être attribuée, pour une large part, la confiance avec laquelle l’agriculture française a accueilli les résultats que je lui faisais connaître.

Pour obtenir ces résultats, je devais, la chose est évidente, me placer dans des conditions différentes des conditions dans lesquelles la culture se place habituellement. Ces conditions, que la pratique agricole ne pouvait indiquer l’avance, c’est en prenant pour guides, d’un côté les lois de la physiologie végétale, d’un autre les observations culturales recueillies au cours de mes Recherches sur le développement de la betterave à sucre, que je les ai conçues et coordonnées de façon à rendre probable le succès des essais de culture que j’allais entreprendre.

La méthode culturale que j’ai ainsi combinée était bonne ; elle m’a conduit et elle a conduit après moi des cultivateurs nombreux à des résultats tels, qu’il est aujourd’hui permis d’affirmer hardiment la possibilité pour l’agriculture française d’obtenir des récoltes de pommes de terre, non seulement égales, mais même supérieures à celles qu’elle avait le droit d’envier à l’agriculture de l’Angleterre, de la Belgique et de l’Allemagne.


A la suite d’essais préliminaires exécutés en 1884 et 1885, trois campagnes successives ont été, en 1886, 1887 et 1888, consacrées à la démonstration pratique de ce fait, dont depuis, en 1889 et 1890. de nombreux cultivateurs ont apporté la confirmation.

Ces campagnes se sont poursuivies sur deux terrains différents l’un dépendant de la ferme de la Faisanderie, à Joinvillele-Pont (Seine), l’autre, du domaine de Clichy-sous-Bois (Seineet-Oise).


Le terrain, dans l’une et dans l’autre localité, présente une composition nettement différente.

L’un, le terrain de Joinville-le-Pont, est essentiellement sableux l’autre, le terrain de Clichy-sous-Bois, est, au contraire, sablo-argileux. Le premier reste meuble en tout temps ; le second, sous l’influence des pluies, devient gras et plastique. Sous le rapport des éléments fertilisants principaux, la terre de Joinville doit être considérée comme pauvre ; la terre de Clichy-sous-Bois, où la potasse atteint 3gr,6, l’acide phosphorique 1gr et l’azote 1gr,6 par kilogramme, doit être regardée comme une terre fertile.

La composition de l’une et de l’autre apparaît du reste plus nettement si l’on consulte le Tableau ci-dessous, dans lequel sont inscrits les nombres fournis par l’analyse des deux premières couches, prises, la première à partir de la surface, sur une épaisseur de om,20, la seconde à partir de ce niveau, sur une épaisseur de om,20 encore.


Composition des terres tamisées et séchées à 100°.


Joinville-le-Pont. Clichy-sous-Bois.
1re couche. 2e couche. 1re couche. 2e couche.
De 0m à 0m,20. De 0m,20 à 0m,40. De 0m à 0m,20. De 0m,20 à 0m,40.
Sable 93,05 93,25 71,69 74,48
Argile 5,02 5,26 26,06 24,01
Chaux[1] 0,13 0,09 1,22 0,63
Potasse[1] 0,01 0,04 0,36 0,25
Acide phosphorique[1] 0,07 0,03 0,10 0,02
Matière organique noire 0,30 0, 25 0,55 0,50
Total 98,61 98,92 99,98 99,88
Azote total 0,10 « 0,16 «


Aux essais de culture que j’allais entreprendre, en les appliquant à des variétés différentes de pommes de terre, j’ai donné une étendue progressivement croissante d’année en année.

En 1886, les parcelles d’essai ont généralement mesuré 120mq seulement ; en 1887, c’est à 5 ares que j’ai porté leur superficie, et en 1888 enfin, éclairé par les résultats des années précédentes, je n’ai pas craint de donner à l’une d’entre elles une étendue de 1 hectare, tandis que d’autres, à côté de celle-ci, mesuraient encore 15 et 18 ares chacune.

Cette gradation dans le développement des essais de culture est sage, si je ne me trompe. La pomme de terre, en effet, est une plante éminemment impressionnable par la nature et surtout par la compacité du terrain, et comme c’est chose déjà fort difficile que de rencontrer une surface d’une centaine de mètres sur laquelle la couche arable, d’un côté, le sous-sol de l’autre, se présentent avec les mêmes qualités, il est prudent, au début, d’opérer sur des ilots limités ; mais, d’autre part, ce serait prêter le flanc à la critique que de se borner à des essais de cette sorte ; et, pour démontrer d’une façon sûre un fait agricole, ce devient nécessaire que de se placer dans les conditions mêmes de la grande culture. C’est ce que j’ai fait en 1888, mais en 1888 seulement.


Sans tenir compte de la différence de composition des deux terrains de Joinville et de Clichy-sous-Bois, et afin de les soumettre l’un et l’autre à un traitement identique, je les ai, en 1886, lors de mes premiers essais, additionnés d’un même engrais et en même quantité.

Cet engrais, distribué à la dose de 8kg par are, était composé, sur 100 parties, de :


Superphosphate de chaux riche 
 66,6
Azotate de potasse 
 33,4

100,0


Tous les labours ont été, à l’aide d’un Brabant double et d’une fouilleuse, poussés à 35cm-40cm ; la plantation a toujours été faite avec une régularité géométrique ; la pièce ayant été rayonnée à 60cm, les plants ont été placés sur chaque ligne à 50cm de distance les uns des autres, de manière à pouvoir compter 3,3 poquets au mètre, 33000 à l’hectare ; les façons ordinaires enfin, binages et buttage, ont été données avec soin au cours de la campagne.

Préoccupé, dès l’origine, de l’influence héréditaire que chaque tubercule de plant me semblait devoir imposer à sa descendance, influence que j’ai pu, depuis, établir au cours de mes recherches, j’ai apporté pour chacune de ces trois campagnes le soin le plus attentif au choix des semenceaux.

Je les ai toujours pris de poids moyen, plutôt fort que faible, mais j’ai toujours eu soin de ne faire intervenir, à un essai déterminé, que des tubercules de poids sensiblement égal ; l’expérience m’a démontré depuis combien cette manière de faire était favorable au succès.

Le poids des tubercules considérés comme moyens a été, naturellement, différent suivant les variétés cultivées.
Résultats fournis par la campagne de 1886 ;
première comparaison entre les plants d'origine française
et les plants d'origine allemande.


Au début de ces essais de culture, et avant même que de chercher à reconnaître les variétés qui, au point de vue de la production de la fécule, possèdent les qualités les plus puissantes, il m'a semblé nécessaire d'examiner, comme préjudicielle, la question de la valeur comparative de plants de choix pris parmi ceux dont la culture allemande dispose et de plants ordinaires pris parmi ceux dont les cultivateurs français font couramment usage.

En cultivant, en effet, les uns et les autres sur le sol français, et dans des conditions identiques, il devait être possible d'établir si, parmi les causes qui déterminent la supériorité des résultats obtenus en Allemagne, il faut compter une qualité spéciale propre aux plants usités dans ce pays.

Pour résoudre celle question, j'ai fait venir d'Allemagne des plants de quatre variétés, choisies parmi celles que recommandait particulièrement le catalogue d'un des plus importants producteurs de plants de pommes do terre de la Saxe.

Je donne ci-dessous le nom de ces variétés avec les rendements en poids annoncés


À l'hectare
Richter's Imperator 
 41800 kg
Gelbe rose 
 25700   
Hermann 
 21700   
Magnum bonum 
 30800   


De la richesse en fécule attribuée à ces variétés, je ne parle pas pour l'instant; cette richesse, en effet, a été, en 1887, reconnue exagérée par la personne même qui les proposait à la culture. Déterminées par le procédé de la densité, et en appliquant un coefficient trop élevé, ces richesses ne sauraient être admises comme réelles.

A ces quatre variétés, représentées par des tubercules de choix, j'aurais pu comparer des plants de choix également et que m'auraient aisément fournis nos grandes maisons françaises ; je ne l'ai pas voulu, et aux plants de qualité supérieure que j'avais achetés en Allemagne, j’ai tenu à comparer des plants de qualité courante, achetés tout simplement sur le marché des Vosges.

C’était, on le voit, placer intentionnellement l’essai fait avec les tubercules français dans un état d’infériorité vis-à-vis de l’essai fait avec les tubercules allemands.

J’ai choisi, pour cette comparaison, quatre variétés bien connues de nos cultivateurs, variétés que M. Paul Genay, président du Comice agricole de Lunéville, a bien voulu se charger d’acquérir pour mon compte chez les cultivateurs voisins de son exploitation.

Ces quatre variétés étaient la Vosgienne ou Jeuxey, la Chardon, la Red-Skinned, et enfin la Magnum bonum, dont il était particulièrement intéressant de constater le rendement et la richesse en plaçant des plants d’origine française à côté des plants de la même variété, mais d’origine allemande.

Sur le rendement, sur la richesse de ces plants français, aucun renseignement n’a pu m’être fourni. Plants français et plants allemands ont d’ailleurs, à l’arrivée, été triés avec soin et assortis de telle façon que tous les tubercules d’une même variété fussent approximativement de même poids. L’emploi d’une claie à trier, que j’ai fait construire dans ce but, permet d’exécuter cet assortiment avec une grande rapidité.

Le poids des tubercules pris comme plant a été approximativement, tant à Joinville-le-Pont qu’à Clichy-sous-Bois, et pour chaque variété, le suivant


Plants d'origine allemande (Saxe) Plants d'origine française (Vosges)
Richter's Imperator 
 100 gr
Red-Skinned 
 80 gr
Gelbe rose 
 80   
Jeuxey 
 80   
Hermann 
 80   
Chardon 
 60   
Magnum bonum 
 80   
Magnum bonum 
 95   


J’avais été assez heureux pour rencontrer, tant à Joinville-le-Pont qu’à Clichy-sous-Bois, deux pièces mesurant l’une et l’autre dix ares, et présentant chacune, dans toute son étendue, une composition parfaitement régulière jusqu’à 1m de profondeur. C’est sur ces deux pièces précisément qu’ont été prélevés les échantillons de terres destinés aux analyses rapportées précédemment.

Sur l’une et l’autre de ces pièces, j’ai délimité huit carrés égaux de 120m semblablement disposés et destinés à recevoir, cultivées côte à côte, les huit variétés ci-dessus dénommées.

La plantation, retardée par la lenteur des transports, a été un peu tardive ; elle n’a eu lieu qu’à la fin d’avril, d’où il est résulté que quelques variétés, d’arrière-saison, n’ont pu arrivera maturité complète.

La végétation s’est poursuivie avec une grande régularité, de la façon la plus satisfaisante et sans qu’aucun accident se soit produit.

L’arrachage a eu lieu du 20 au 25 octobre.

Les résultats fournis par la récolte sont résumés dans le Tableau ci-dessous, qui, pour chaque série de plants et pour chaque lieu de culture, indique la surface cultivée et le poids récolté ; à côté de ces données expérimentales est inscrit le rendement calculé par hectare.


À Joinville-le-Pont. À Clichy-sous-Bois.
Surface cultivée. Poids
récolté.
Évaluation
à l'hectare.
Poids
récolté.
Évaluation
à l'hectare.
Plants d’origine allemande.
Richter's Imperator 
1a,20ca 537kg 41760kg 523kg 43580kg
Gelbe rose 
" 305kg 25400kg 356kg 29600kg
Hermann 
" 353kg 29430kg 375kg 32100kg
Magnum bonum 
" 437kg 36400kg 446kg 35400kg
Plants d’origine française.
Red-Skinned 
1a,20ca 357kg 29750kg 371kg 30900kg
Jeuxey 
" 342kg 28330kg 317kg 26400kg
Chardon 
" 298kg 24800kg 319kg 26500kg
Magnum bonum 
" 454kg 37800kg 446kg 37200kg


Les résultats de cette première culture sont déjà fort instructifs, et de l’examen des chiffres que le Tableau ci-dessus renferme il est permis de tirer quelques conclusions intéressantes.

1° Cultivés dans le sol français, les plants venus d’Allemagne, loin de dégénérer, ont fourni des rendements en poids supérieurs aux rendements annoncés c’est ce que montre la comparaison entre, d’un côté, les chiffres inscrits au catalogue du vendeur, d’un autre, les chiffres fournis par la moyenne des cultures réunies de Joinville et de Clichy-sous-Bois ; ces chiffres sont indiqués dans le Tableau-ci-dessous :

Rendements à l'hectare.
annoncés
par le vendeur.
Moyenne
des deux cultures.
Richter's Imperator 
41800kg 44170kg
Gelbe rose 
25700kg 27500kg
Hermann 
21700kg 30315kg
Magnum bonum 
30800kg 36000kg


2° On peut rencontrer en France des plants capables de fournir des rendements aussi élevés que ceux annoncés pour les plants venus d’Allemagne ; quelquefois même, ces rendements sont supérieurs avec les plants française. C’est ainsi que nous voyons la Jeuxey ou Vosgienne donner 26000kg et même 28330kg, la Chardon atteindre 24800kg et même 26000kg ; c’est ainsi surtout que nous voyons la culture de la Magnum bonum donner, avec du plant français, 37800kg ! tandis que, cultivé dans les mêmes conditions, le plant acheté en Allemagne n’a pas dépassé 36400kg.

Parmi les variétés de cette origine cependant, il en est une dont le rendement exceptionnellement élevé aura certainement frappé aussitôt le lecteur cette variété, c’est celle que l’on désigne sous le nom de Richter’s Imperator ; mais, ainsi que le montreront les résultats prochains, ce n’est en aucune façon à leur origine, c’est aux qualités propres de la variété que ce haut rendement est dû.

Cette variété, d’ailleurs, est loin d’être inconnue en France ; quelques cultivateurs, et notamment M. Boursier, de Compiègne, l’ont, depuis trois ou quatre années, acclimatée dans notre pays, et elle tient aujourd’hui une place toute remarquable dans la culture de certaines communes du département de l’Oise. Dans ces communes, on a, sur de grandes surfaces, obtenu, en 1887, jusqu’à 32000kg de Richter’s Imperator à l’hectare.

On s’étonnera peut-être qu’à l’estimation des résultats fournis par cette première culture je ne fasse pas intervenir la teneur en fécule des tubercules récoltés. Mon silence à ce sujet s’explique par le peu de confiance que m’inspiraient dès lors les procédés recommandés pour le dosage de la fécule. J’ai depuis reconnu que ces procédés manquaient d’exactitude et j’ai été conduit à en imaginer un nouveau qui, au contraire, offre toute garantie à ce sujet, en même temps que la pratique en est prompte et facile.

C’est à l’aide de ce procédé, qui, du reste, sera décrit plus loin, que j’ai pu, en 1888, joindre aux rendements en poids l’indication de la richesse en fécule des produits récoltés.


Résultats fournis par la campagne de 1887. Deuxième comparaison entre les plantes d’origine française et les plantes d’origine allemande. Rendements comparatifs de plusieurs variétés.


Les conditions météorologiques de l’année 1887 ont exercé sur la récolte de la pomme de terre en France une influence fàcheuse ; la sécheresse exagérée des mois de juillet et d’août a mis obstacle au développement des tubercules, les pluies exagérées de la fin d’août et du commencement de septembre les ont gorgés d’eau.

En somme, la production a été particulièrement mauvaise ; aussi convient-il de ne pas s’étonner si les rendements que j’ai obtenus en 1887 ont été généralement inférieurs à ceux de 1886 ; malgré tout cependant, ces rendements ont été généralement supérieurs à 20000kg à l’hectare ; pour certaines variétés, ils se sont élevés au-dessus de 26000kg et même ont atteint 29000kg pour la Richter’s Imperator, la production à Joinville-le-Pont s’est, dans un cas. élevée à 38450kg, et c’est pour cinq cultures seulement que le rendement s’est abaissé au-dessous de 20000kg à l’hectare.

C’est en 1887 que j’ai commencé à donner à mes cultures d’essai un plus grand développement. Aux surfaces de 1a, 20ca environ, j’ai, dans la plupart des cas, substitué des surfaces de 5 ares. Toutes ces surfaces, en outre, ont été rapprochées les unes des autres, de manière à constituer une grande pièce d’un demi-hectare environ qu’il fût possible de labourer, herser, planter, biner, etc., dans les conditions de la grande culture. Cette pièce avait été prise sur une vieille luzerne retournée.

C’est, d’ailleurs, suivant les mêmes données qu’en 1886 que le travail a été conduit labours profonds, fumure à l’engrais chimique (1000kg à l’hectare d’un mélange à 70 pour 100 de superphosphate, 15 pour 100 de nitrate de soude et 15 pour 100 de chlorure de potassium), plantation en lignes avec espacement régulier, de manière à compter 330 poquets à l’are, etc.

La plantation a malheureusement été très tardive : elle n’a pu avoir lieu que du 1er au 5 mai. L’arrachage a eu lieu du 1er au 10 novembre. Entreprise principalement dans l’espoir de voir se confirmer les conclusions fournies par la culture limitée de 1886, la culture déjà plus développée de 1887 devait naturellement comprendre les mêmes éléments de comparaison.

A côté de plants d’origine française achetés simplement sur nos marchés, il convenait de placer, d’une part, de nouveaux plants de choix achetés en Allemagne, d’une autre, des plants de choix également, pris parmi les produits des cultures faites par moi l’année précédente, soit Joinville-le-Pont, soit à Clichy-sous-Bois.

Les plants d’origine allemande ont été pris à la même source qu’en 1886 ; c’est à l’un des producteurs de plants les plus renommés de la Saxe que je les ai achetés ; les variétés, choisies parmi les plus recommandées, étaient les suivantes Richter’s Imperator, Gelbe rose, Eos, Kornblum, Aurélie. D’autre part, M. Paul Genay, de Lunéville, a bien voulu acquérir pour moi, sur le marché de cette région, les variétés Jeuxey ou Vosgienne et Red-Skinned, tandis que M. Boursier acquérait de même sur le marché de Compiègne les variétés Van der Weer et Chardon. D’autre part enfin, j’ai cultivé, en comparaison, des plants des variétés suivantes Richter’s Imperator, Gelbe rose, Jeuxey, Red-Skinned et Chardon provenant de ma récolte de 1886, tant à Joinville-le-Pont qu’à Clichy-sous-Bois.

La végétation a été régulière ; ralentie en juillet-août par la grande sécheresse, elle a repris de l’activité en septembre ; malgré cette reprise cependant, les variétés tardives n’ont pu arriver à maturité.

Dans le Tableau ci-après, j’indique, pour chaque variété, la surface cultivée, le poids récolté et l’évaluation du rendement calculé par hectare.

Joinville-le-Pont
Surface
cultivée.
Poids
récolté.
Évaluation
à l'hectare.
Plants d’origine allemande.
Richter's Imperator 
5a,00ca 1452kg 29040kg
Richter'Id.mperator 
1a,20ca 371kg 30940kg
Gelbe rose 
5a,00ca 1156kg 23120kg
GelId.rose 
1a,20ca 213kg 17725kg
Eos 
4a,60ca 823kg 18000kg
Kornblum 
2a,50ca 396kg 16860kg
Aurélie 
2a,50ca 468kg 18720kg
Plants d’origine française.
Richter's Imperator (Joinville) 
2a,00ca 769kg 38450kg
Gelbe rose (Joinville) 
2a,00ca 414kg 20700kg
Jeuxey (Lunéville) 
5a,00ca 867kg 17340kg
JeId.ey (Lunéville) 
1a,20ca 265kg 22100kg
JeId.ey (Joinville) 
2a,00ca 411kg 23260kg
Van de Weer (Compiègne) 
5a,00ca 1163kg 17340kg
Red-Skinned (Lunéville) 
5a,00ca 1182kg 23640kg
Red-Id.inned (Joinville) 
2a,00ca 471kg 23545kg
Chardon (Compiègne) 
5a,00ca 1314kg 26280kg
ChId..on (Joinville) 
1a,20ca 331kg 27700kg


Ces rendements sont, on le voit, d’un quart environ, quelquefois de près d’un tiers inférieurs aux rendements de 1886 ; seule la variété Chardon fait exception ; il n’y a pas lieu d’être surpris de cette infériorité générale lorsque l’on considère à la fois la sécheresse de l’été de 1887 et la nature essentiellement graveleuse du terrain de Joinville-le-Pont.

A Clichy-sous-Bois, dans un terrain déjà riche en argile, reposant sur un sous-sol humide, les rendements ont été meilleurs, comme le montrent les nombres ci-dessous, correspondant à une culture limitée faite à l’aide de plants récoltés par moi dans le même terrain l’année précédente.

Joinville-le-Pont
Surface
cultivée.
Poids
récolté.
Évaluation
à l'hectare.
Plants d’origine française.
Richter's Imperator (Clichy) 
2a 673kg 33665kg
Gelbe rose (Clichy) 
2a 529kg 26470kg
Jeuxey (Clichy) 
2a 439kg 21965kg
Red-Skinned (Clichy) 
2a 527kg 26375kg


A Joinville encore, j'ai, en 1887, mis en expérience, dans des conditions identiques à celles que j'ai tout à l'heure indiquées, une collection de quatorze variétés, dont l'une (Canada) m'a été remise par M. Paul Genay, dont les treize autres formaient un ensemble suivi déjà, depuis deux ans, à Chevrières, par M. Boursier.

Ne disposant que d'un nombre restreint de tuhercules, j'ai dû, en 1887, limiter à 1 are la surface consacrée à chacune de ces variétés, tout en me proposant de les suivre pendant plusieurs années, en leur appliquant la méthode de sélection dont je parlerai à la fin de ce Mémoire.

Les poids de tubercules fournis par ces quatorze variétés, multipliés par 100 pour évaluer le rendement à l'hectare, ont été les suivants :

Canada 
 32770kg
Boursier 
 33380kg
Red-Skinned 
 31400kg
Van der Weer 
 34800kg
Chardon 
 31200kg
Idaho 
 31870kg
Magnum bonum 
 25860kg
Richter's Imperator 
 34080kg
Aurora 
 31700kg
Infaillible 
 22780kg
Rose de Lippe 
 23500kg
Fleur de pêcher 
 22700kg
Alcool 
 26020kg
Daberche 
 26000kg
Lorsque l’on considère l’ensemble des résultats qui précèdent, on est bientôt conduit à reconnaître que, malgré leur infériorité relative, ils confirment les conclusions tirées de l’étude des rendements de l’année 1886.

Ils nous montrent, en premier lieu, les plants d’origine française toujours égaux, souvent supérieurs aux plants d’origine allemande. C’est ainsi que la Richter’s Imperator, déjà sélectionnée à la suite de la culture de 1886 à Joinville, a donné 38450kg, alors que le plant venant directement de Saxe n’a donné, en moyenne, et sur deux essais, que 30000kg.

C’est ainsi encore que, sur sept essais faits à l’aide de plants allemands, quatre ont donné moins de 20000kg, tandis que, sur vingt-huit essais faits avec des plants d’origine française (les uns s’étendant sur 5 ares, les autres, il est vrai, limités à 1 are), un seul a abouti à un rendement inférieur à ce chiffre.

De la supériorité attribuée par quelques personnes aux plants importés d’Allemagne, il n’y a donc pas lieu de se préoccuper ; convenablement choisis, cultivés dans d’aussi bonnes conditions que ceux-ci, les plants français donnent des résultats au moins égaux, souvent supérieurs.

Ils nous apprennent ensuite que, malgré les conditions défavorables de l’année 1887, malgré l’infériorité générale de la récolte en France, la plupart des variétés cultivées tant à Joinville-le-Pont qu’à Clichy-sous-Bois ont fourni des rendements généralement triples, souvent quadruples du rendement moyen général de la culture française, des rendements doubles au moins de ceux que l’on a coutume de considérer comme satisfaisants dans les exploitations bien conduites.

Développée dans des proportions plus considérables qu’en 1886, la culture de 1887 a donc confirmé pleinement, quant aux rendements en poids, les conclusions que mes premiers essais m’avaient permis d’établir.

Ces conclusions cependant sont loin d’embrasser la question dans son entier, elles en laissent un côté absolument dans l’ombre ; ce côté, c’est en 1888 seulement que je l’ai mis en lumière, en joignant à la constatation des rendements en poids la constatation de la richesse en fécule des tubercules récoltés.

Résultats fournis par la campagne de 1888. Culture sur des surfaces étendues. Rendements en poids et richesse en fécule de 25 variétés plantées en tubercules d’origine française.


Si instructifs que soient les résultats qui précèdent, ils ne sauraient, malgré tout, inspirer au cultivateur une confiance absolue ; le peu d’étendue des carrés d’essai (5 ares au maximum) s’éloigne trop des conditions de travail de la grande culture.

Pour déterminer cette confiance, et encouragé par les résultats qui précèdent, j’ai, en 1888, développé mes essais sur des surfaces importantes, en consacrant ces surfaces aux variétés dont les qualités s’étaient montrées les plus remarquables, et notamment à la plus productive d’entre elles, la Richter’s Imperator. En même temps, j’ai, sur des surfaces de moindre étendue (4 et 2 ares), continué les essais relatifs aux autres variétés.

C’est à Joinville-le-Pont, à la Ferme de la Faisanderie, que ces essais ont eu lieu en 1888 ; les plants employés étaient tous d’origine française ; les essais de 1886 et de 1887 rendent, en effet, dorénavant inutile toute comparaison nouvelle entre les plants récoltés en Allemagne et les plants récoltés en France.

Une pièce de 2 hectares a été consacrée à ces essais ; sur 1 hectare, j’ai cultivé la plus remarquable des variétés étudiées jusqu’alors, la Richter’s Imperator, variété un peu tardive, mais à grand rendement et à grande richesse féculente ; le plant provenait, en partie, de ma culture de 1887 à Joinville, en partie d’achats faits par moi à Longueil-Sainte-Marie, près Compiègne (Oise), dans la région où cette variété a été acclimatée par M. Boursier ; ce plant, bien entendu, été soigneusement trié et assorti à grosseur ; les tubercules plantés pesaient en moyenne 100gr à 120gr, et j’en ai placé 3,33 au mètre.

Sur une surface de 18 ares, j’ai cultivé la variété Magnum bonum (tardive) ; le plant en avait été acheté dans les Vosges. Sur deux surfaces de 15 ares chacune, j’ai cultivé les variétés Gelbe rose (hâtive) et Jeuxey les tubercules plantés provenaient des récoltes faites par moi à Joinville-le-Pont en 1887.

Enfin, sur des surfaces de 4 et de 2 ares, j’ai remis en culture les quatorze variétés que déjà j’avais cultivées en 1887, et dont les premiers plants m’avaient été remis par M. Boursier.

En même temps, j’ai, à Clichy-sous-Bois, mais sur des surfaces restreintes (2,5 ares), continué la culture des quatre variétés que déjà depuis deux ans j’y avais récoltées.

A Joinville-le-Pont, les 2 hectares destinés aux essais de 1888 ont été travaillés, labourés, hersés, plantés d’un seul coup ; chacun d’eux a reçu, au mois de février, 20000kg de fumier de mouton, et l’engrais a été complété par l’addition en mars de 500kg d’un mélange composé de :


Superphosphate riche 
 225kg
Nitrate de soude 
 125kg
Sulfate de potasse 
 150kg


A Clichy-sous-Bois, le mode de culture et l’engrais employés ont été les mêmes.

Les plantations ont eu lieu du 17 au 25 avril.

Très belle au début de la campagne, la végétation a malheureusement été influencée d’une manière sensible par l’apparition de la maladie au commencement d’août ; un traitement d’ensemble de la culture au moyen de la bouillie bordelaise a permis de réduire dans une mesure importante les conséquences fâcheuses que cette apparition permettait de redouter ; appréciables au moment de la récolte, ces conséquences fâcheuses n’ont pas été telles cependant que le sens général des résultats s’en soit trouvé modifié.

La maturité s’est produite de bonne heure, et l’arrachage a eu lieu du 10 au 15 septembre pour les variétés hâtives, du 25 septembre au 1er octobre pour les variétés d’arrière-saison.

La récolte tout entière a été passée à la bascule ; des échantillons bien moyens ont été choisis sur chaque lot, rentrés au laboratoire et soumis à l’analyse en recourant au procédé de dosage de la fécule que je décrirai bientôt.

Les résultats de la campagne sont résumés dans le Tableau suivant, où sont indiquées les surfaces cultivées, la teneur en fécule anhydre et l’évaluation à l’hectare du poids de tubercules et du poids de fécule[2] les diverses variétés y sont rangées d’après l’ordre décroissant de leur pouvoir producteur en fécule, à l’hectare.


Joinville-le-Pont.
Rendement à l'hectare
Surface
cultivée.
Poids
récolté.
Teneur en fécule
anhydre.
en poids. en fécule anhydre.
Richter's Imperator 
5ha 4a 1759kg 18,4 44000kg 8096kg
Richter'Id.mperator 
1. 0a 33185kg.. 17,6 33185kg 5808kg
Richter'Id.mperator 
5ha 2a 627kg 17,7 31350kg 5361kg
Red-Skinned 
5ha 2a 580kg 17,4 29000kg 5046kg
Magnum bonum 
5ha 2a 592kg 16,3 29600kg 4825kg
Gelbe rose 
5ha 2a 584kg 16,1 29200kg 4700kg
Aurora 
5ha 2a 636kg 14,7 31800kg 4675kg
Red-Skinned 
5ha 2a 633kg 14,5 31650kg 4589kg
Alcool 
5ha 2a 476kg 17,4 23800kg 4141kg
Jeuxey 
5ha 2a 524kg 15,8 26190kg 4138kg
Idaho 
5ha 2a 521kg 15,8 26050kg 4116kg
Magnum bonum 
5a 18a 5464kg.. 16,3 24800kg 4042kg
Kornblum 
5ha 4a 952kg 16,3 23800kg 3879kg
Canada 
5ha 2a 514kg 14,9 25700kg 3839kg
Eos 
5ha 4a 938kg 16,3 23500kg 3830kg
Gelbe rose 
5a 15a 3460kg.. 16,4 23050kg 3780kg
Aurélie 
5ha 4a 847kg 16,6 21200kg 3519kg
Infaillible 
5ha 2a 449kg 15,6 22450kg 3502kg
Fleur de pêcher 
5ha 2a 441kg 15,8 22050kg 3484kg
Daberche 
5ha 2a 427kg 16,1 21350kg 3437kg
Jeuxey 
5a 15a 3332kg.. 15,3 22200kg 3396kg
Rose de Lippe 
5ha 2a 451kg 14,9 22550kg 3359kg
Van der Weer 
5ha 2a 465kg 14,0 23250kg 3255kg
Boursier 
5ha 2a 410kg 15,8 20500kg 3239kg
Chardon 
5ha 2a 430kg 14,0 21500kg 3010kg
                Totaux 
2. 0a 58697kg...


Soit en poids, passé à la bascule, un rendement moyen de 29348kg à l’hectare.

Clichy-sous-Bois.
Rendement à l'hectare
Surface
cultivée.
Poids
récolté.
Teneur en fécule
anhydre.
en poids. en fécule anhydre.
Richter's Imperator 
2a 50ca 1026kg 19,49 41072kg 8000kg
Red-Skinned 
" 909kg 18,92 36380kg 6975kg
Jeuxey 
" 826kg 18,11 33028kg 5981kg
Gelbe rose 
" 676kg 18,11 27040kg 4898kg


L’enseignement que portent avec eux les résultats précédents est, je crois, décisif. L’année 1888 a été particulièrement mauvaise pour la récolte des pommes de terre ; les pluies continues de juillet, l’apparition de la maladie en août, ont exercé sur le rendement général en France une influence funeste, et les choses ont été à ce point que, au mois d’octobre, les pommes de terre, qui, d’habitude, sont vendues 4fr, 5o et 5fr les 100kg, étaient, aux pays de culture, demandées à 7fr,50 et même 10fr les 100kg. Les rendements annoncés comme les plus hauts n’ont pas dépassé 12000 à 15000kg ; aux environs de Compagne même, les habiles cultivateurs chez lesquels la variété Richter’s Imperator est acclimatée, qui, en 1887, en avaient obtenu 30000 et 32000kg à l’hectare, n’ont que dans un cas ou deux atteint le rendement de 28000kg. Et cependant, en opérant sur des plants variés, mais bien choisis, j’ai pu, à Joinville-le-Pont, comme produit de 2 hectares, passer à la bascule 58697kg, et sur 1 hectare seul récolter plus de 33000kg de Richter’s Imperator.

Si donc, dans la question qui m’occupe, le cultivateur n’avait à envisager que la pesée de la récolte, on pourrait d’ores et déjà considérer comme résolu le problème que j’ai posé au début de ce Chapitre, considérer comme démontrée la possibilité d’obtenir en France des rendements aussi élevés que ceux obtenus par la culture étrangère et notamment la culture allemande ; mais, pour chiffrer la valeur de la récolte, le poids de tubercules obtenu ne suffit pas ; un autre facteur doit intervenir encore, ce facteur, c’est la richesse en fécule des tubercules récoltés.

A ce point de vue, comme au point de vue du rendement en poids, l’année 1888 a été défavorable ; la plupart des variétés dont la richesse en fécule anhydre atteint ordinairement et quelquefois dépasse 17 et 18 pour 100 se sont présentées à la récolte avec une teneur de 16 à 17 pour 100 ; pour quelques-unes même, cette teneur s’est abaissée à 15 et à 14 pour 100.

Loin de rejeter les résultats médiocres fournis par cette campagne, je leur demanderai, au contraire, la confirmation des idées qui m’ont guidé dans ces Recherches et la démonstration de la possibilité de produire en France, à l’hectare, des quantités telles de fécule anhydre, que la pomme de terre puisse entrer en concurrence avec les autres produits agricoles amylacés, que ceux-ci soient d’origine nationale ou d’origine étrangère. La démonstration, dans ces conditions, n’en aura que plus de valeur.

C’est en trois cas déterminés que la possibilité de cette concurrence doit être examinée.

La pomme de terre industrielle et fourragère, en effet, la seule dont je m’occupe, peut être destinée à la distillerie, à la féculerie, à l’alimentation du bétail.

Cultivée en vue de ces trois applications, la pomme de terre peut-elle, si l’on applique à sa culture des procédés rationnels, mettre à sa disposition une matière première à bon marché, tout en apportant au cultivateur une rémunération suffisante de son travail ?



En ce qui concerne l’emploi de la pomme de terre à l’alimentation du bétail, la réponse, pour affirmative qu’elle semble devoir être a priori, serait difficile à établir scientifiquement ; de ce côté, les démonstrations expérimentales font défaut, et il conviendra plus tard d’en établir d’assez précises pour éclairer la question.



Mais, en ce qui concerne la distillerie et la féculerie, l’étude de la question devient aisée ; la pomme de terre, en effet, rencontre à côté d’elle un produit agricole de prix peu élevé qui, importa de l’étranger, alimente, depuis plusieurs années, dans une large mesure nos amidonneries et nos distilleries ; ce produit amylacé, c’est le maïs.

Au fabricant d’amidon, c’est-à-dire au concurrent du féculier, comme aussi au fabricant d’alcool, ce maïs apporte, en général, 63 à 65 pour 100 de son poids de matières amylacées, et, à cette teneur, son prix, aux ports de débarquement, est, en moyenne, de 12fr à 13fr les 100kg [3].

Ceci posé, si nous laissons de côté, pour l’instant, la question des frais de fabrication de l’amidon ou de la fécule, comme aussi celle des frais de fabrication de l’alcool ; si de même nous négligeons, quitte à y revenir plus tard, la valeur des pulpes ou des vinasses que ces fabrications présentent à l’alimentation du bétail ; si, en un mot, nous nous tenons exclusivement sur le terrain du prix que permet d’attribuer à la matière première la proportion de matière amylacée extractible ou alcoolisable qu’elle contient, ce devient chose aisée que d’établir, au point de vue des applications, la supériorité de la pomme de terre sur le maïs et a fortiori sur les autres produits agricoles de même sorte.

Au prix de 13fr les 63 à 65kg, en effet, la matière amylacée, considérée en puissance dans le maïs, doit être comptée pour une valeur de 20fr les 100kg environ, et c’est une valeur égale évidemment qu’on doit attribuer à cette même matière amylacée lorsqu’on la considère en puissance également dans la pomme de terre.

Or, si l’on passe en revue les vingt-neuf résultats, qui, à la dernière colonne des Tableaux de la page 25 et de la page 26 indiquent les poids de fécule anhydre fournis à l’hectare, par les récoltes médiocres de la campagne de 1888, récoltes que l’on doit considérer comme des minima, on est frappé de ce fait que, parmi ces résultats, seize correspondent à une production qui dépasse 4000kg et représente par conséquent une valeur argent de 800fr au moins à l’hectare ; que cinq atteignent des résultats correspondant à des poids supérieurs à 5000kg, à des valeurs argent variant par suite entre 1000fr et 1200fr ; que, pour le plus important de ces essais (un hectare), le poids de fécule récolté s’est élevé à 5808kg représentant une valeur de 1161fr ; que, dans deux cas, enfin, le chiffre énorme de 8000kg, représentant une valeur de 1600fr à l’hectare, a été atteint et même dépassé.

Et si, enfin, concentrant spécialement l’attention sur les variétés à grand rendement qui, pour cette campagne défavorable de 1888, ont cependant donné encore 30000kg à 33000kg de tubercules à l’hectare avec des teneurs de 17,5 pour 100 environ, on envisage l’ensemble de leur production, on arrive à conclure qu’en moyenne, malgré les conditions météorologiques, malgré la maladie, etc., la terre, cultivée suivant des procédés rationnels, peut mettre à la disposition de l’industrie ou de l’alimentation du bétail un produit marchand dont la valeur n’est pas moindre que 1000 à 1200fr à l’hectare.

Traduite en d’autres termes, cette conclusion peut être exprimée en disant que, comptée au prix modeste de 3fr,50 les 100kg, la pomme de terre, même à la suite d’une campagne médiocre, peut fournir au cultivateur une recette double au moins des déboursés auxquels ses frais de culture s’élèvent.

Ces résultats parlent assez d’eux-mêmes pour qu’il soit inutile d’y insister. Les récoltes obtenues en 1889 et en 1890 par mes collaborateurs et par moi montreront mieux encore, par leur abondance et par leur richesse, l’exactitude des conclusions précédentes. Elles me permettront d’établir sans conteste la possibilité de transformer en France la culture de la pomme de terre industrielle et fourragère et d’en tripler le produit.

C’est à rechercher les procédés par lesquels cette transformation peut avoir lieu que je m’attacherai dans les Chapitres suivants.





  1. a, b et c Soluble dans l’eau acidulée.
  2. Il est important de faire remarquer que, dans les publications relatives à des recherches sur le même sujet, on a généralement pour coutume d’exprimer la richesse des tubercules par leur pourcentage en fécule dite sèche du commerce, fécule qui renferme toujours de 18 à 20 pour 100 d’eau ; d’où résulte la nécessité, pour avoir la proportion de fécule réelle, d’abaisser les chiffres indiqués d’un cinquième. Il est plus rationnel, et c’est ce que j’ai fait, d’indiquer le pourcentage en fécule anhydre.
  3. L’établissement à l’importation d’un droit de 3fr par quintal élève actuellement ce prix à 16fr et 17fr.