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Redgauntlet/Chapitre 24

La bibliothèque libre.
Redgauntlet. Histoire du XVIIIe siècle
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume XXp. 490-492).


CHAPITRE XXIV.

CONCLUSION.


PAR LE DOCTEUR DRYASDUST,


DANS UNE LETTRE À L’AUTEUR DE WAVERLEY.


Je suis vraiment fâché, mon digne et respectable monsieur, que mes recherches assidues n’aient pu découvrir sous forme de lettres, de journaux, ou d’autres compilations, plus de renseignements que je ne vous en ai jusqu’à présent transmis sur l’histoire de la famille Redgauntlet. Mais je lis dans une vieille gazette, appelée Gazette de White-Hall, dont je possède heureusement plusieurs années, que sir Arthur Darsie Redgauntlet fut présenté au feu roi à un lever, par le lieutenant général Campbell : — sur quoi l’éditeur observe, par forme de commentaire, que nous marchions remis atque velis dans les intérêts du Prétendant, puisqu’un Écossais avait présenté un jacobite à la cour. Je suis fâché de n’avoir pas de place ; car l’enveloppe de ma lettre, affranchie par privilège, ne me permet pas de lui donner une grande étendue, pour vous donner le reste des observations tendant à développer les craintes conçues par un grand nombre de personnes bien instruites de l’époque, que le jeune roi ne se laissât lui-même entraîner à devenir membre de la faction des Stuarts — catastrophe dont il a plu au ciel de préserver ces royaumes.

Je m’aperçois aussi que, par un contrat de mariage conservé dans les archives de famille, miss Lilias Redgauntlet, dix-huit mois environ après les événements que vous avez rapportés, épousa un Alan Fairford de Clinkdollar, Esq. avocat, et je crois que nous pouvons conclure avec assez de raison que c’est la même personne dont le nom se rencontre si fréquemment dans les pages de votre histoire. Dans ma dernière excursion à Édimbourg, j’ai eu le bonheur de découvrir un vieux procureur dont, moyennant une bouteille de whisky et une demi-livre de tabac, j’ai tiré d’importants renseignements. Cet homme de loi avait bien connu Pierre Peebles, et avait vidé plus d’un mutchkin avec lui du temps du procureur Fraser. Il me dit qu’il avait encore vécu dix ans après l’avènement au trône du roi Georges, s’attendant à gagner sa cause à chaque jour de la session et à chaque heure du jour, et qu’enfin il mourut inopinément de ce que mon donneur de renseignements appelait « une attaque de perplexité, » sur une proposition d’arrangement à lui faite dans le vestibule du palais. J’ai préféré conserver l’expression même de mon procureur, ne pouvant déterminer au juste si c’est une corruption du mot apoplexie, comme le suppose mon ami M. Oldbuck, ou le nom de quelque maladie particulière aux personnes qui ont affaire dans les cours de justice, de même que beaucoup d’états et de professions ont leur pathologie spéciale. Le même procureur se rappelait aussi l’aveugle Willie Steenson qu’on appelait Willie le voyageur, et qui termina tranquillement ses jours dans la maison de sir Arthur Redgauntlet. « Il avait rendu, disait mon homme de loi, un grand service à cette famille, un jour surtout qu’un militaire du comté d’Argyle était venu surprendre une troupe de grands personnages, qui conservaient encore le vieux levain en eux. Et cet officier n’aurait pas manqué de leur mettre la main sur le collet pour les faire tous pendre ou décapiter. Mais Willie et un ami qu’il avait, nommé Robin le rôdeur, en jouant des airs tels que « Voici les Campbell qui viennent ! » et d’autres semblables, surent les avertir à temps, de sorte qu’ils purent décamper. » Je n’ai pas besoin de vous faire remarquer, car vous avez l’esprit assez fin pour le voir, mon digne monsieur, que ces détails, bien qu’incorrects, semblent avoir rapport aux événements qui paraissent si fort vous intéresser.

Quant à Redgauntlet, sur l’histoire subséquente duquel vous demandez des détails plus circonstanciés, j’ai appris d’une personne vénérable qui était prêtre dans le monastère écossais de Ratisbonne avant sa suppression, que cet ardent jacobite resta deux ou trois ans dans la famille du Chevalier, et qu’il ne le quitta à la fin que par suite de discordes intérieures, survenues dans cette malheureuse maison. Comme il en a instruit le général Campbell, il est allé s’enfermer dans le cloître ci-dessus désigné, et a déployé, pendant la dernière partie de sa vie, un grand zèle à s’acquitter des devoirs de la religion qu’il avait beaucoup trop négligés autrefois, ne s’occupant que de manœuvres et d’intrigues politiques. Il parvint à la dignité de prieur dans la maison à laquelle il appartenait, et qui était d’un ordre très-sévère. Il recevait parfois les visites de ses compatriotes que le hasard amenait à Ratisbonne, et que la curiosité poussait à visiter son monastère. On remarqua qu’à la vérité il écoutait avec intérêt et attention, quand la Grande-Bretagne et surtout l’Écosse devenaient le sujet de la conversation ; mais qu’il n’engageait ni ne prolongeait l’entretien sur ce sujet, qu’il ne se servait jamais de la langue anglaise, qu’il ne s’enquérait nullement des affaires britanniques, et surtout qu’il ne mentionnait pas sa propre famille. L’austérité avec laquelle il observait les règles de son ordre lui donna, lors de sa mort, des droits à la canonisation, et les religieux de son monastère firent de grands efforts pour l’obtenir : ils mirent même en avant certaines preuves assez plausibles de miracles. Mais il y eut une circonstance qui jeta du doute sur ce sujet, et empêcha le consistoire d’accéder aux désirs des dignes frères : sous son habit, et renfermée dans une petite boîte d’argent, il avait toujours porté à son cou une boucle de cheveux que les frères prétendaient être une relique. Mais l’avocat du diable, en combattant comme c’était son devoir de le faire, les titres du candidat à la sainteté, rendit également probable que la relique supposée avait été coupée sur la tête d’un frère du feu prieur, qui avait été exécuté en 1745 ou 46 comme adhérent à la famille des Stuarts. En effet la devise Haud obliviscendum semblait indiquer un sentiment mondain et un souvenir des injures, qui permirent de douter au moins, que, dans la paix et l’obscurité du cloître, frère Hugues eût oublié les souffrances et les malheurs de la famille de Redgauntlet.



fin de redgauntlet.