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Relation de l’ambassade de Mr le Chevalier de Chaumont à la cour du Roy de Siam/03

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ETAT


Du Gouvermment, des Mœurs, de la Religion, & du Commerce du Royaume de Siam, dans les pays voiſins, & pluſieurs autres particularités.



TOUS les jours les Mandarins qui ſont deſtinez pour rendre la juſtice s’aſſemblent dans une ſalle où ils donnent audiance, c’eſt comme la Cour du Palais à Paris, & elle eſt dans le Palais du Roy, où ceux qui ont quelque requête à preſenter ſe tiennent à la porte juſqu’à ce qu’on les appelle, & quand on le fait ils entrent leur requête à la main & la preſentent.

Les Etrangers qui intentent procés au ſujet des marchandiſes, la preſentent au Barcalon, c’eſt le premier Miniſtre du Roy, qui juge toutes les affaires concernant les Marchands & les Etrangers ; en ſon abſence, c’eſt ſon Lieutenant, & en l’abſence des deux, une manière d’Eſchevins. Il y a un Officier prépoſé pour les tailles & tributs auquel on s’adreſſe, & ainfi des autres Officiers. Aprés que les affaires ſont diſcutées on les fait ſçavoir aux Officiers du dedans du Palais, qui en avertiſſent le Roy eſtant lors ſur un Trône élevé de trois braſſes, tous les Mandarins ſe proſtetnent la face contre terre, & le Barcalon ou autres des premiers Oyas, rapportent au Roy les affaires & leurs jugemens, il les confirme, ou il les change ſuivant ſa volonté, c’eſt à l’égard des principaux procés, & tres-ſouvent il ſe fait apporter les procés au dedans du Palais, & leur envoye ſon jugement par écrit.

Le Roy eſt tres-abſolu, on diroit quaſi qu’il eſt le Dieu des Siamois, ils n’oſent pas l’appeller de ſon nom. Il châtie tres-ſeverement le moindre crime ; car ſes Sujets veulent eſtre gouvernez la verge à la main, il ſe ſert même quelquefois des Soldats de ſa garde pour punir les coupables quand leur crime eſt extraordinaire & ſuffiſamment prouvé. Ceux qui ſont ordinairement employez ces ſortes d’xecutions ſont 150 Soldats ou environ qui ont les bras peints depuis l’épaule juſqu’au poignet ; les châtimens ordinaires ſont des coups de rottes, trente, quarante, cinquante & plus, ſur les épaules des criminels, ſelon la grandeur du crime, aux autres il fait piquer la tête avec un fer pointu : à l’égard des complices d’un crime digne de mort, après avoir fait couper la tête au véritable criminel, il la fait attacher au col du complice, & on la laiſſe pourir expoſée au Soleil ſans couvrir la tête pendant trois jours & trois nuits, ce qui cauſe à celui qui la porte une grande puanteur.

Dans ce Royaume, la peine du talion eſt fort en uſage, le dernier des ſupplices étoit, il n’y a pas long-temps, de les condamner à la Riviere, qui eſt proprement comme nos Forçats de Galere, & encore pis ; mais maintenant on les punit de mort. Le Roy fait travailler plus qu’aucun Roy de ſes predeceſſeurs en bâtimens, à réparer les murs des Villes, à édifier des Pagodes, à embellir ſon Palais, à bâtir des Maiſons pour les Etrangers, & à conftruire des Navires à l’Europeane, il eſt fort favorable aux Etrangers, il en a beaucoup à ſon ſervice, & en prend quand il en trouve.

Les Roys de Siam n’avoient pas accoutumé de ſe faire voir auſſi ſouvent que celui-cy. Ils vivoient preſque ſeuls, celuy d’apreſent vivoit commes les autres : Mais Monſieur de Berithe Vicaire Apoſtolique, s’eſtant ſervi d’un certain Brame, qui faiſant le plaiſant avoit beaucoup de liberté de parler à ce Monarque, trouva le moyen de faire connoître à ce Prince, la puiſſance & la manière de gouverner de nôtre grand Roy, & en même temps les coutumes de tous les Roys d’Europe, de ſe faire voir à leurs Sujets & aux Etrangers ; de maniere qu’ayant un auſſi grand ſens que je l’ay dé-ja remarqué, il jugea à propos de voir Monſieur de Berithe, & enſuite pluſieurs autres ; depuis ce temps-là il s’eſt rendu affable & acceſſible à tous les Etrangers. On appelle ceux qui rendent la juſtice ſuivant leurs differentes fonctions, Oyas Obrat, Oyas Momrat, Oyas Campheng, Oyas Ricchou, Oyas Shaynan, Opran, Oluan ; Oeun, Omun.

Comme autrefois les Roys ne ſe faiſoient point voir, les Miniſtres faiſoient ce qu’ils vouloient, mais le Roy d’apreſent qui a un très-grand jugement, & eſt un grand Politique, veut ſçavoir tout ; il a attaché auprès de luy le Seigneur Conſtans dont j’ay dé-ja parlé diverſes fois, il eſt Grec de nation, d’une grande pénétration, & vivacité d’eſprit & d’une prudence toute extraordinaire, il peut & fait tout ſous l’autorité du Roy dans le Royaume, mais ce Miniſtre n’a jamais voulu accepter aucune des premières Charges que le Roy luy a fait offrir pluſieurs fois. Le Barcalon qui mourut il y a deux ans, & qui par le droit de ſa Charge avoit le gouvernement de toutes les affaires de l’Etat, eſtoit homme d’un très-grand eſprit, qui gouvernoit fort bien, & le faiſoit fort aimer, celuy qui luy ſucceda étoit Malais de nation, qui eſt un pays voiſin de Siam, il ſe ſervit de Monſieur Baron, Anglois de nation, pour mettre mal Monſieur Conſtans dans l’eſprit du Roy, & le luy rendre ſuſpect, mais le Roy reconnut ſa malice, il le fit battre juſqu’à le laiſſer pour mort, & le dépoſſeda de ſa Charge, celui qui l’occupe preſentement vit dans une grande intelligence avec Monſieur Conſtans.

Comme par les loix introduites par les Sacrificateurs des Idoles, qu’on nomme Talapoins, il n’eſt pas permis de tuer, on condamnoit autrefois les grands criminels ou à la chaîne pour leur vie, ou à les jetter dans quelques deſerts pour y mourir de faim ; mais le Roy d’apreſent leur fait maintenant trancher la teſte & les livre aux Elephans.

Le Roy a des Eſpions pour ſçavoir ſi on luy cache quelque choſe d’importance, il fait châtier tres-rigoureuſement ceux qui abuſent de leur autoriré. Chaque Nation étrangère établie dans le Royaume de Siam a ſes Officiers particuliers, & le Roy prend de toutes ces Nations-là des gens qu’il fait Officiers generaux pour tout ſon Royaume. Il y a dans ſon État beaucoup de Chinois, & il y avoit autrefois beaucoup de Maures ; mais les années paſſées il découvrit de ſi noires trahiſons, des concuſſions & des tromperies ſi grandes dans ceux de cette nation, qu’il en a obligé un fort grand nombre à déſerter, & à s’en aller en d’autres Royaumes.

Le commerce des Marchands Etrangers y étoit autrefois très-bon, on y en trouvoit de toutes parts ; mais depuis quelques années, le diverſes révolutions qui ſont arrivées à la Chine, au Japon & dans Les Indes font empeſché les Marchands Etrangers de venir en ſi grand nombre. On eſpere neanmoins, que puiſque tous ces troubles ſont appaiſez, le commerce recommencera comme auparavant, & que le Roy de Siam par le moyen de ſon Miniſtre envoyera ſes Vaiſſeaux, pour aller prendre les Marchandiſes les plus precieuſes, & les plus rares de tous les Royaumes d’Orient, & remettra toutes choſes en leur premier & fleuriſſant état.

Ils font la guerre d’une maniere bien differente de celle de la plûpart des autres nations, c’eſt à dire à pouſſer leurs ennemis hors de leurs places, ſans pourtant leur faire d’autre mal que de les rendre eſclaves, & s’ils portent des armes, c’eſt ce ſemble plutôt pour leur faire peur en les tirant contre terre, on en l’air, que pour les tuër, & s’ils le font c’eſt tout au plus pour ſe deffendre dans la neceſſité ; mais cette neceſſité de tuër arrive rarement parce que preſque tous leurs ennemis qui en uſent comme eux, ne tendent qu’aux mêmes fins. Il y a des Compagnies & des Régimens qui ſe détachent de l’armée pendant la nuit, & vont enlever tous les habitans des Villages ennemis, & font marcher hommes, femmes & enfans que l’on fait eſclaves & le Roy leur donne des terres & des Bufles pour les labourer, & quand le Roy en a beſoin il s’en ſert. Ces dernières années, le Roy a fait la guerre contre les Cambogiens revoltez, aidez des Chinois & Cochinchinois, où il a fallu ſe battre tout de bon, & il y a eu pluſieurs Soldats tuez de part & d’autre ; il a eu plufieurs Chefs d’Europeans qui les inſtruiſent à combattre en nôtre maniere.

Ils ont une continuelle guerre contre ceux du Royaume de Laos, qui eſt venu, de ce qu’un Maure très-riche allant en ce Royaume-là pour le compte du Roy de Siam, y reſta avec de grandes ſommes, le Roy de Siam, le demanda au Roy de Laos, mais celui-ci le luy refuſa, ce qui a obligé le Roy de Siam de luy déclarer la guerre.

Avant cette guerre il y avoit un grand commerce entre leurs Etats, & celuy de Siam en tiroit de grands profits par l’extrême quantité d’Or, de muſc, de benjoüin, de dents d’Elephant & autres marchandiſes qui lui venoient de Laos, en échange des toiles & autres marchandiſe.

Le Roy de Siam a encore guerre contre celui de Pegu ; il y a quantité d’Eſclaves de cette Nation.

Il y a pluſieurs Nations Etrangeres dans ſon Royaume, les Maures y eſtoient, comme j’ay dit, en tres-grand nombre, mais maintenant il y en a pluſieurs qui font réfugiez dans le Royaume de Colconde, ils étoient au ſervice du Roy, & ils luy ont emporté plus de vingt mille catis, chaque catis vallant cinquante écus, le Roy de Siam écrivit au Roy de Colconde de luy rendre ces perſonnes ou de les obliger à luy payer cette ſomme, mais le Roy de Colconde n’en voulut rien faire, ny même écouter les Ambaſſadeurs qu’il luy envoya ; ce qui a fait que le Roy de Siam luy a déclaré la guerre & luy a pris dans le tems que j’étois à Siam, un Navire dont la charge valloit plus de cent mille écus. Il y a ſix Fregates commandées par des François & des Anglois qui croiſent ſur ſes côtes.

Depuis quelque tems l’Empereur de la Chine a donné liberté à tous les Etrangers de venir negocier en ſon Royaume ; cette liberté n’eſt donnée que pour cinq ans, mais on eſpere qu’elle durera, puiſque c’eſt un grand avantage pour ſon Royaume.

Ce Prince a grand nombre de Malais dans ſon Royaume, ils ſont Mahometans, & bons Soldats, mais il y a quelque différence de leur Religion à celle des Maures. Les Pegovans ſont dans ſon État prefque en auſſi grande quantité que les Siamois originaires du pays.

Les Laos y ſont en tres-grande quantité, principalement vers le Nort.

Il y a dans cet État huit ou neuf familles de Portugais véritables, mais de ceux que l’on nomme Meſties, plus de mille, c’eſt à dire de ceux qui naiſſent d’un Portugais & d’une Siamoiſe.

Les Hollandais n’y ont qu’une faicturie.

Les Anglois de même.

Les François de même.

Les Cochinchinois ſont environ cent familles, la plupart Chreſtiens.

Parmy les Tonquinois, il y en a ſept ou huit familles Chrétiennes.

Les Malais y ſont en aſſez grand nombre, qui ſont la plûpart eſclaves, & qui par conſequent ne font point de corps.

Les Macaſſars & pluſieurs des peuples de l’Iſle de Java, y ſont établis, de même que les Maures ; ſous le nom de ces derniers ſont compris en ce pays-là, les Turcs, les Perſans, les Mogols, les Colcondais & ceux de Benſala.

Les Arméniens, ſont un corps, à part, ils ſont quinze ou ſeize familles toutes Chrétiennes, Catholiques, la plupart ſont Cavaliers de la garde du Roy.

À l’égard des mœurs des Siamois ils ſont d’une grande docilité qui procède plûtoſt de leur naturel amoureux, du repos que de toute autre cauſe, c’eſt pourquoy les Talapoins qui font profeſſion de cette apparente vertu, defendent pour cela de tuer toutes ſortes d’animaux ; cependant lorſque tout autre qu’eux tuë des poules & des canards, ils en mangent la chair ſans s’informer qui les a tués, ou pourquoy on les a tués, & ainſi des autres animaux.

Les Siamois ſont ordinairement chaſtes, ils n’ont qu’une femme, mais les riches comme les Mandarins ont des Concubines, qui demeurent enfermées toute leur vie. Le peuple eſt aſſez fidele & ne vole point ; mais il n’en eſt pas de même de quelques-uns des Mandarins, les Malais qui ſont en très-grand nombre dans ce Royaume-là font tres-méchants & grands voleurs.

Dans ce grand Royaume il y a beaucoup de Pegovans qui ont eſté pris en guerre, ils ſont plus remuants que les Siamois, d’ordinaire plus vigoureux, il y a parmy les femmes du libertinage, leur converſation eſt périlleuſe.

Les Laos peuplent la quatrième partie du Royaume de Siam, comme ils ſont à demy Chinois, ils tiennent de leur humeur, de leur adreſſe & de l’inclination à voller par fineſſe ; leurs femmes ſont blanches & belles, tres-familieres & par conſequent dangereuſes. Dans le Royaume de Laos, un homme qui rencontre une femme pour la ſalüer avec la civilité accoutumée, la baiſe publiquement ; & s’il ne le faiſoit pas il l’offenſeroit.

Les Siamois tant Officiers que Mandarins ſont ordinairement riches, parce qu’ils ne dépenſent preſque rien, le Roy leur donnant des valets pour les ſervir, ces valets ſont obligez de ſe nourrir à leurs dépens, eſtant comme eſclaves, ils ſont en obligation de les fervir pour rien pendant la moitié de l’année : & comme ces Meſſieurs-là en ont beaucoup, ils ſe ſervent d’une partie pendant que l’àutre ſe repofe ; mais ceux qui ne les ſervent point leur payent une ſomme tous les ans, leurs vivres ſont à bon marché, car ce n’eſt que du ris, du poiſſon, & tres-peu de viande, & tout cela eſt en abondance dans leur pays ; leurs vêtemens leur ſervent long-tems, ce ne ſont que des pièces d’étoffes toutes entières qui ne s’uſent pas ſi facilement que nos habits & ne courent que très-peu : la plûpart des Siamois ſont Maſſons ou Charpentiers, & il y en a de tres-habiles, imitant parfaitement bien les beaux ouvrages de l’Europe en Sculpture & en dorure. Pour ce qui eſt de la peinture ils ne ſçavent point s’en fervir, il y a des ouvrages en Sculpture dans leurs Pagodes, & dans leurs Mauſolées fort polis & tres-beaux.

Ils en font auſſi de tres-beaux avec de la chaux, qu’ils détrempent dans de l’eau qu’ils tirent de l’écorce d’un arbre qu’on trouve dans les Foreſts, qui la rend ſi forte, qu’elle dure des cent & deux cens ans, quoy qu’ils ſoient expoſés aux injures du temps. Leur Religion n’eſt à parler proprement qu’un grand ramas d’Hiſtoires fabuleuſes, qui ne tend qu’à faire rendre des hommages & des honneurs aux Talapoins, qui ne recommandent tant aucune vertu que celle de leur faire l’aumône, ils ont des loix qu’ils obſervent exactement au moins dans l’exterieur ; leur fin dans toutes leurs bonnes œuvres eſt l’eſperance d’une heureuſe tranſmigration après leur mort, dans le corps d’un homme riche, d’un Roy, d’un grand Seigneur ou d’un animal docile, comme ſont les Vaches & les Moutons : car ces peuples-là croyent la Metempſicoſe ; ils eſtiment pour cette raiſon beaucoup ces animaux, & n’oſent, comme je l’ai déjà dit, en tuer aucun, craignant de donner la mort à leur Pere ou à leur Mere, ou à quelqu’un de leurs parens. Ils croyent un enfer où les énormes pechez ſont ſeverement punis, ſeulement pour quelque temps, ainſi qu’un Paradis, dans lequel les vertus ſublimes ſont recompenſées dans le Ciel, où aprés être devenus des Anges pour quelque temps, ils retouunent dans quelque corps d’homme ou d’animal.

L’occupation des Talapoins, eſt de lire, dormir, manger, chanter, & demander l’aumône ; de cette ſorte, ils vont tous les matins ſe preſenter devant la porte ou bâton des perfonnes qu’ils connoiſſent, & ſe tiennent-là un moment avec une grande modeſtie ſans rien dire, tenant leur évantail de maniere qu’il leur couvre la moitié du viſage, s’ils voyent qu’on ſe diſpoſe à leur donner quelque choſe, ils attendent juſqu’à ce qu’ils l’ayent receuë ; ils mangent de tout ce qu’on leur donne même des poulles & autres viandes, mais ils ne boivent jamais de vin, au moins en preſence des gens du monde ; ils ne font point d’office ny de prieres à aucune Divinité. Les Siamois croyent qu’il y a eu trois grands Talapoins, qui par leurs mérites tres-ſublimes acquis dans pluſieurs milliers de tranſmigrations ſont devenus des Dieux, & aprés avoir été faits Dieux, ils ont encore acquis de ſi grands mérites qu’il sont été tous anéantis, ce qui eſt le terme du plus grand merite & la plus grande recompenſe qu’on puiſſe acquérir, pour n’eftre plus fatigué en changeant ſi ſouvent de corps dans un autre ; le dernier de ces trois Talapoins eſt le plus grand Dieu appellé Nacodon, parce qu’il a eſté dans cinq mille corps, dans l’une de ces tranfmigrations, de Talapoin il devint vache, ſon frere le voulut tuer pluſieurs fois ; mais il faudroit un gros livre pour décrire les grands miracles qu’ils diſent que la nature & non pas Dieu, fit pour le protéger : enfin ce frere fut precipité en Enfer pour ſes grands péchés, où Nacodon le fit crucifier ; c’eſt pour cette raiſon qu’ils ont en horreur l’image de Jeſus-Chriſt crucifié, diſant que nous adorons l’Image de ce frere de leur grand Dieu, qui avoit été crucifié pour ſes crimes.

Ce Nacodon eſtant donc anéanti, il ne leur reſte plus de Dieu à preſent, ſa loy ſubſiſte pourtant ; mais ſeulement parmi les Talapoins qui diſent qu’aprés quelques fiecles il y aura un Ange qui viendra ſe faire Talapoin, & enſuite Dieu Souverain, qui par ſes grands mérités pourra être anéanti : voilà le fondement de leur creance ; car il ne faut pas s’imaginer qu’ils adorent les Idoles, qui ſont dans leurs Pagodes comme des Divinitez, mais ils leur rendent ſeulement des honneurs comme à des hommes d’un grand mérite, dont l’âme eſt à preſent en quelque Roy, vache ou Talapoin : voilà en quoy conſiſte leur Religion, qui à proprement parler ne reconnoît aucun Dieu, & qui n’attribuë toute la recompenſe de la vertu qu’à la vertu même, qui a par elle le pouvoir de rendre heureux celuy dont elle fait paſſer l’ame dans le corps de quelque puiſſant & riche Seigneur, ou dans celuy de quelque vache, le vice, diſent-ils, porte avec ſoy ſon châtiment, en faiſant paſſer l’ame dans le corps de quelque méchant homme, de quelque Pourceau, de quelque Corbeau, Tigre ou autre animal. Ils admettent des Anges, qu’ils croyent eſtre les ames des juſtes & des bons Talapoins ; pour ce qui eſt des Demons, ils eſtiment qu’ils ſont les ames des méchans.

Les Talapoins ſont tres-reſpectés de tout le peuple, & même du Roy, ils ne ſe proſternent point lorſqu’ils luy parlent comme le font les plus grands du Royaume, & le Roy & les grands Seigneurs les ſaluënt les premiers ; lorſque ces Talapoins remercient quelqu’un, ils mettent la main proche leur front, mais pour ce qui eſt du petit peuple, ils ne ſalüent point ; leurs vêtemens ſont ſemblables à ceux des Siamois, à la reſerve que la toile eſt jaune, ils ſont nuds jambes & nuds pieds ſans chapeau, ils portent ſur leur tête un évantail fait d’une feuille de palme fort grande pour ſe garantir du Soleil, qui eſt fort brûlant ; ils ne font qu’un véritable repas par jour, à ſçavoir le matin, & ils ne mangent le ſoir que quelques bananes ou quelques figues ou d’autres fruits ; ils peuvent quitter quand ils veulent l’habit de Talapoin pour ſe marier, n’ayant aucun engagement que celuy de porter l’habit jaune, & quand ils le quittent ils deviennent libres ; cela fait qu’ils ſont en ſi grand nombre qu’ils ſont preſque le tiers du Royaume de Siam. Ce qu’ils chantent dans les Pagodes ſont quelques Hiſtoires fabuleuſes, entremêlées de quelques ſentences ; celles qu’ils chantent pendant les funérailles des Morts ſont, nous devons tous mourir nous ſommes tous mortels ; on brûle les corps morts au ſon des muſettes & autres Inſtrumens, on dépenſe beaucoup à ces funerailles, & aprés qu’on a brûlé les corps de ceux qui ſont morts, l’on met leurs cendres ſous de grandes piramides toutes dorées, élevées à l’entour de leur Pagoees. Les Talapoins pratiquent une eſpece de Confeſſion ; car les Novices vont au Soleil levant ſe proſterner ou s’aſſeoir ſur leurs talons & marmottent quelques paroles, aprés quoy le vieux Talapoin leve la main à côté de ſa joue & luy donne une ſorte de bénédiction, aprés laquelle le Novice ſe retire. Quand ils prêchent, ils exhortent de donner l’aumône au Talapoin, & le croyent fort ſçavantes, lorſqu’ils citent quelques paſſages de leurs Livres anciens en Langue Baly, qui eſt comme le Latin chez nous ; cette Langue eſt tres-belle & emphatique, elle a ſes conjuguaiſons comme la Latine.

Lorſque les Siamois veulent ſe marier, les parens de l’homme vont premierement ſonder la volonté de ceux de la fille, & quand ils ont fait leur accord entr’eux les parens du garçon vont preſenter ſept borſſettes ou boiſtes de betel & d’arect à ceux de la fille, & quoy qu’ils les acceptent & qu’on les regarde déjà comme mariez, le mariage ſe peut rompre, & on ne peut encore accuſer devant le Juge, ny les uns ny les autres, s’ils ſe ſeparent après cette ceremonie.

Quelques jours après les parens de l’homme le vont preſenter, & il offre luy-même plus de boſſettes qu’auparavant ; l’ordinaire eſt qu’il y en ait dix ou quatorze, & lors celuy qui ſe marie demeure dans la maiſona de ſon beaupere, ſans pourtant qu’il y ait conſommation, & ce n’eſt que pour voir la fille & pour s’accoûtumer peu à peu à vivre avec elle durant un ou deux mois ; après cela tous les parens s’aſſemblent avec les plus anciens de la caſte ou nation ; ils mettent dans une bourſe, l’un un anneau & l’autre des bracelets, l’autre de l’argent ; il y en a d’autres qui mettent des pièces d’étoffes au milieu de la table : enſuite le plus ancien prend une bougie allumée & la paſſe ſept fois au tour de ces preſens, pendant que toute l’aſſemblée crie en ſouhaitant aux Epoux un heureux mariage, une parfaite ſanté & une longue vie, ils mangent & boivent enfuite, & voilà le mariage achevé. Pour la dot c’eſt comme en France, ſinon que les parens du garçon portent ſon argent aux parens de la fille, mais tout cela revient à un ; car la dot de la fille eſt auſſi mis à part, & tout eſt donné aux nouveaux mariez pour le faire valoir. Si le mary répudie la femme ſans forme de juſtice, il perd l’argent qu’on luy a donné, s’il la répudie par Sentence de Juge, qui ne la refuse jamais, les parans de la fille lui rendent ſon bien, s’il y a des enfans, ſi c’eft un garçon ou une fille, le garçon ſuit la mere, & la fille le pere, s’il y a deux garçons & deux filles, un garçon & une fille vont avec le pere, & un garçon & une fille vont avec la mere.

À l’égard des monnoyes ils n’en ont point d’or, la plus groſſe d’argent s’appelle tical, & vaut environ quarante ſols, la ſeconde mayon qui péſe la quatrième partie d’un tical, & vaut dix ſols, la troiſiéme eſt un foüen, qui vaut cinq ſols, la quatrième eſt un ſontpaye qui vaut deux ſols & demy, enfin les plus baſſes monnoyes ſont les coris qui ſont des coquillages que les Hollandois leur portent des Maldives, ou qui leur viennent des Malais & des Cochinchinois ou d’autres côtes, dont huit cens valent un fouën qui eſt cinq ſols.

À l’égard des Places fortes du Royaume, il y a Bancoc qui eſt environ dix lieues dans la Riviere de Siam, où il y a deux Fortereſſes, comme j’ay déja dit. Il y a la Ville Capitale nommée Juthia, autrement nommée Siam, qu’on fortifie de nouveau par une enceinte de murailles de bricque ; Corſuma frontiere contre le Royaume de Camboye eſt peu forte ; Tanaſerin à l’oppoſite de la côte de Malabar eſt peu fortifiée.

Mere qui n’eſt pas fortifiée, mais ſe pouroit fortifier, & on y pouroit faire un bon Port. Porcelut frontiere de Laos eſt auſſi peu fortifiée. Chenat n’a que le nom de Ville ; & il reſte quelque apparence de barrieres, qui autrefois faiſoient ſon mur. Louvo où le Roy demeure neuf mois de l’année, pour prendre le plaiſir de la chaſſe de l’Elephant & du Tygre, étoit autres fois un aſſemblage de Pagodes entouré de terraſſes, mais à preſent le Roy l’a rendu incomparablement plus beau par les Edifices qu’il y fait faire, & quant au Palais qu’il y a il l’a extrêmement embelli par les eaux qu’il y fait venir des Montagnes.

Patang eſt un Port des plus beaux du côté des Malais, où l’on peut faire grand commerce. Le Roy de Siam a refuſé aux Compagnies Angloiſes & Hollandoiſes de s’y établir : l’on y pourroit faire un grand établiſſement qui ſeroit plus avantageux que Siam à cauſe de la ſituation du lieu ; les Chinois y vont & pluſieurs autres Nations, on peut s’y fortifier aiſément ſur le bord de la Rivière. Cette Place appartient à une Reyne qui eſt tributaire du Roy de Siam, qui à parler proprement on eſt quaſi le maître.

Quant à leurs Soldats ce n’étoit point la coutume de les payer ; le Roy d’apreſent ayant ouy dire que les Roys d’Europe payoient leurs troupes, voulut faire la ſupputation à combien monteroit la paye d’un foüen par jour, qui eſt cinq ſols ; mais les Controlleurs lui firent voir qu’il falloit des ſommes immenſes, à cauſe de la multitude de ſes Soldats, de ſorte qu’il changea cette paye en ris qu’il leur fait diſtribuer, du depuis, il y en a ſuffiſamment pour leurs nourritures, & cela les rend tres-contens ;, car autrefois il falloit que chaque Soldat ſe fournit de ris, & qu’il le portât avec ſes armes, ce qui leur peſoit beaucoup.

À l’égard de leurs Bâteaux & Vaiſſeaux, leurs Balons d’Etat ou Bâteaux que nous appelions ſont les plus beaux du monde ; ils ſont d’un ſeul arbre, & d’une longueur prodigieuſe, il y en a qui tiennent cinquante juſqu’à cent & cent quatre-vingt rameurs ; les deux pointes ſont tres-relevées, & celuy qui les gouverne donnant du pied ſur la poupe fait branler tout le Balon, & l’on diroit que c’eſt un Cheval qui ſaute, tout y eſt doré avec des Sculptures tres-belles, & au milieu il y a un Siege fait en forme de Trône en piramide, d’une Sculpture tres-belle & toute dorée, & il y en a de plus de cent ornemens differents, mais tous bien dorez & tres-beaux.

Autrefois ils n’avoient que des Navires faits comme ceux de la Chine, qu’on nomme Somme ; il y en a encore pour aller au Japon, à la Chine, à Tonquin ; mais le Roy a fait faire plufieurs Vaiſſeaux à l’Europeenne, & en a acheté des Anglois quelques uns, tous agrées & appareillés. Il y a environ cinquante Galeres pour garder la Riviere & la côte ; ſes Galères ne ſont pas comme ceux de France, il n’y a qu’un homme à chaque Rame, & ſont environ quarante ou cinquante au plus ſur chacune ; les Rameurs ſervent de Soldats, le Roy ne ſe ſert que des Mores, des Chinois & des Malabars pour naviger, & s’il y met quelque Siamois pour Matelots, ce n’eſt qu’en petit nombre, & afin qu’ils apprennent la navigation. Les Commandants de ſes Navires ſont Anglois ou François, parce que les autres Nations font très-méchants navigateurs.

Il envoye tous les ans cinq ou six de ces Vaisseaux appellez Sommes à la Chine, dont il y en a de mille jusqu’à quinze cens Tonneaux chargés de quelques draps, corail, de diverſes marchandises de la côte de Coromandel & de Suratte, du ſalpêtre, de l’étain & de l’argent ; il en tire des ſoyes cruës, des étoffes de ſoye, des lſatins de Thé, du muſc, de la rubarbe, des pourcelenes, des ouvrages vernis, du bois de la Chine, de l’or, & des rubis. Ils ſe ſervent de pluſieurs racines pour la Medecine, entr’autres de la couproſe, ce qui leur apporte de grands profits.

Le Roy envoyé au Japon deux ou trois Sommes, mais plus petites que les autres, chargées des mêmes marchandiſes, & il n’eſt pas neccessaire d’y envoyer de l’argent ; les marchandiſes que l’on y porte ſont des moindres, & au meilleur marché, les cuirs de toutes ſortes d’animaux y ſont bons, & c’eft la meilleure marchandiſe que l’on y peut porter ; on en tire de l’or, de l’argent en barre, du cuivre rouge, toutes ſortes d’ouvrages d’Orphevrerie, des paravants, des Cabinets vernis, des porcelines, du Thé & autres choſes ; il en envoye quelquefois un, deux & trois au Tonquin de deux à trois cent tonneaux au plus, avec des draps, de corail, de l’Etain, de l’Ivoire, du Poivre, du Salpêtre, du bois de ſapin, & quelques autres marchandiſes des Indes & de l’Argent au moins le tiers du capital, on en tire du Muſc, des étoffes de Soye, de la ſoye Crüè, & Jaune, des Camelots, de plusieurs ſorte & de ſatins, du velours, toutes ſortes de bois vernis, des porcelines propres pour les Indes, & de l’or en barre ; à Macao, le Roy envoye un Navire au plus chargé de pareilles Marchandiſes qu’à la Chine. On y peut encore envoyer quelque mercerie, des dentelles d’Or, d’Argent & de ſoye & des armes, on en tire des mêmes marchandiſes que de la Chine, mais pas à ſi bon compte.

À Laos le commerce ſe fait par terre ou par la Riviere, ayant des bâteaux plats, on y envoye des draps & des toiles de Surate, & de la côte, & on en tire des rubis, du muſc, de la gomme, des dents d’Elephans, du Canfre, des cornes de Rinocerot, des peaux de Buffes & d’Elans, à tres-bon marché, & il y a grand profit à ce commerce que l’on fait ſans riſque.

À Camboye on envoye des petites barques avec quelques draps des toiles de Surate & de la côte des uſtenciles de cuiſine qui viennent de la Chine, on en tire des dents d’Elephans, du benjoüin, trois ſortes de gomes gutte, des peaux de Buffes, & d’Elans, des nids d’oiſeaux pour la Chine dont je parleray bientôt & des nerfs de Cerfs.

On envoye auſſi à la Cochinchine, mais rarement : car ce peuple n’eſt pas bien traitable, parce qu’ils ſont la plûpart de méchante foy, ce qui empéche le commerce, on y porte de l’argent du Japon où l’on profite conſiderablement, du laurier rouge, de la cire jaune, du ris, du plomb, du ſa1pêtre, quelques draps rouges & noirs, quelques toiles blanches, de la terre rouge, du vermillon & vif argent.

On en tire de la ſoye cruë, du ſucre candy, & de la caſſonnade, peu de poivre, des nids d’oiſeaux qui ſont faits comme ceux des Irondelles qu’on trouve ſur des Rochers au bord de la mer, ils ſont de tres-bon commerce pour la Chine, & pour pluſieurs autres endroits ; car après avoir bien lavé ces nids & les avoir bien ſeichés ils deviennent durs comme de la corne, & on les met dans des boüillons ; ils ſont admirables pour les maladies de langueur & pour les maux d’estomach, j’en ay apporté quelques-uns en Françe, du bois d’aigle & de Calamba, du cuivre & autres marchandiſes qu’on y apporte du Japon, de l’or de pluſieurs touches, & du bois de ſapan.

Lorſqu’on ne trouve pas de Navire à Fret, on en envoye un à Surate, chargé avec du cuivre, de l’étain, du ſalpêtre, de l’alun, des dents d’Elephants, du bois de ſapan, & pluſieurs autres marchandiſes qui viennent des autres parts des Indes, on en tire des toiles & autres marchandiſes d’Europe, quand il n’en vient point à Siam.

On envoye à la côte de Coromandel, Malabar, & Bengala & de Tanaſerin, des Elephans, de l’étein, du ſalpêtre, du cuivre, du plomb, & l’on en tire des toiles de toutes ſortes.

On envoyé à Borneo rarement ; c’eſt une Iſle qui eſt proche de celle de Java, d’où l’on tire du poivre, du ſang de Dragon, camphre blanc, cire jaune, bois d’aigle, du bray, de l’or, des perles, des diamans les plus beaux du monde ; on y envoye des marchandiſes de Surate, c’eſt à dire des toiles, quelques pièces de drap rouge & vert, & de l’argent d’Eſpagne. »

Le Prince qui poſſede cette Iſle ne ſouffre qu’avec peine le commerce, & il craint toujours d’être surpris ; il ne veut pas permettre à aucune Nation Europeenne de s’établir chez luy. Il y a eu des François qui y ont commercé, il ſe fie plus à eux qu’à aucune autre Nation.

On envoye encore à Timor Iſle proche des Molucques, d’où l’on tire de la cire jaune & blanche, de l’or de trois touches, des eſclaves, du gamouty noir, dont on ſe ſert pour faire des cordages, & on y envoye des toiles de Surate, du plomb, des dents d’Elephans, de la poudre, de l’eau-de vie, quelques armes, peu de drap rouge & noir, & de l’argent. Le peuple y est paiſible, & négocie fort bien. Il y a grand nombre de Portugais.

À l’égard des Marchandiſes du crû de Siam, il n’y a que de l’étain, du plomb, du bois de ſapan, de l’ivoire, des cuirs d’Elans & d’Elephans ; il y aura quantité de poivre en peu de temps, c’eſt à dire l’année prochaine, de l’arrek, du fer en petits morceaux, du ris en quantité, mais l’on y trouve des marchandiſes de tous les lieux ſpecifiés ci-deſſus, & à aſſez bon compte. On y apporte quelques draps & ſerges d’Angleterre, peu de corail & d’ambre, des toiles de la côte de Coromandel & de Surate, de l’argent en piaſtre que l’on trocque ; mais comme je l’ai dit maintenant, que la plupart des Marchands ont quitté depuis que le Roy a voulu faire le commerce, les Etrangers n’y apportent que tres-peu de choſes, que les Navires qui ont accoûtumé d’y venir n’y ſont pas venus l’année dernière, & on n’y trouve rien, & ſi peu qu’il y en a, il eſt entre les mains du Roy, & ſes Miniſtres les vendent au prix qu’ils veulent.

Le Roïaume de Siam a prés de trois cens lieuës de long, ſans y comprendre les Roïaumes tributaires, à ſçavoir Camboges, Gehor, Patavi, Queda, &c. du Septentrion au Midi, il eſt plus étroit de l’Orient à l’Occident. Il eſt borné du côté du Septentrion par le Roïaume de Pegu & par la Mer du Gange du côté du Couchant, du Midi par le petit détroit de Malaca, qui fut enlevé au Roy de Siam par les Portugais ils l’ont poſſedé plus de ſoixante ans. Les Hollandois le leur ont pris, & le poſſedent encore ; du côté d’Orient, il eſt borné par la Mer & par les Montagnes qui le ſeparent de Camboges & de Laos.

La ſituation de ce Roïaume eſt avantageuſe à cauſe de la grande étenduë de ſes côtes, ſe trouvant comme entre deux Mers qui lui ouvrent le partage à tant de vaſtes Régions, ſes côtes ont cinq cens lieuës de tour ; on y aborde de toutes parts, du Japon, de la Chine, des Iſles Philippines, du Tonquin, de la Cochinchine, de Siampa, de Camboge, des Iſles de Javà, de Sumatra, de Colconde, de Bengala, de toute la côte de Coromandel, de Perſe, de Surate, de Lameque, de l’Arabie, & d’Europe ; c’eſt pourquoi l’on y peut faire un grand commerce, ſuppofé que le Roy permette à tous les Marchands Etrangers d’y revenir comme ils le faiſoient autrefois.

Le Roïaume ſe diviſe en onze Provinces, ſçavoir celle de Siam, de Matavin, de Tanaſerin, de Jonſalam, de Reda, dePra, d’Ior, de Paam, de Parana, de Ligor, de Siama. Ces Provinces-là avoient autrefois la qualité de Roïaume ; mais elles ſont, aujourd’hui ſous la domination du Roi de Siam qui leur donne des Gouverneurs. Il y en a telles qui peuvent retenir le nom de Principauté ; mais les Gouverneurs dépendent du Roy & lui payent tribut. Siam eſt la principale Province de ce Royaume, la Ville Capitale eſt ſituée à quatorze degrez & demy de latitude du Nort, ſur le bord d’une tres-grande & belle riviere, & les Vaiſſeaux tous chargés la paſſent juſqu’aux portes de la Ville, qui eſt éloignée de la Mer de plus de quarante lieües, & s’étend à plus de deux cens lieuës dans le pays, & par ce moyen elle conduit dans une partie des Provinces, dont j’ai parlé ci-deſſus. Cette Riviere eſt fort poiſſonneuſe & ſes rivages ſont aſſez bien peuplez, quoyqu’ils demeurent inondés une partie de l’année. Le terroir y eſt paſſablement fertile ; mais tres-mal cultivé, l’inondation provient des grandes pluyes qu’il y tombe durant trois ou quatre mois de l’année ; ce qui fait beaucoup croître leur ris ; en ſorte que plus l’inondation dure, plus les récoltes du ris ſont en abondance, & loin de s’en plaindre ils ne craignent que la trop grande ſeichereſſe. Il y a beaucoup de terre en friche, & faute d’habitans elles ont eſté dépeuplées par les guerres precedentes, & comme ils ſont ennemis du travail, ils n’aiment à faire que les choſes aiſées. Ces plaines abandonnées & ces épaiſſes Forets qu’on voit ſur les Montagnes ſervent de retraite aux Elephans, aux Tygres, aux Bœufs & Vaches ſauvages, aux Cerfs, aux Biches, Rinoceros, & autres animaux : que l’on y trouve en quantité.

À l’égard des plantes & des fruits, il y en a pluſieurs dans le pais ; mais qui ne ſont pas rares & qui ne le peuvent porter que difficilement en Françe à cauſe de la longueur de la navigation. Il n’y a point d’oiſeaux particuliers qui ne ſoient en Françe, a la reſerve d’un oiſeau fait comme un merle, qui contrefait l’homme à l’égard du rire, du chanter & du liftier, les fruits les plus eſtimés y ſont les durions ; ils ont une odeur tres-forte qui n’agrée pas à pluſieurs, mais à l’égard du goût il eſt tres-excellent. Ce fruit eſt tres chaud & tres-dangereux pour la ſanté, quand on en mange beaucoup ; il y a un gros noyau, à l’entour duquel eſt une eſpece de creme renfermée dans une écorce environnée de pluſieurs piquants, & qui eſt faite en pointe de diamant ; mon goût n’a jamais pû s’y accommoder. La mangue en ce pays-là eſt en prodigieuſe quantité, & c’eſt le meilleur fruit des Indes, d’un goût exquis, n’incommodant aucunement, à moins que d’en manger en trop grande quantité, alors elle pouroit bien cauſer la fiévre ; elle a la figure d’une amande, mais aussi grosse qu’une poire de Meſſire-Jean, là peau eſt aſſés mince & a la chair jaune ; le mangoûſtan eſt un fruit reſſemblant à une noix verte, qui a dedans un fruit blanc d’un goût aigret & agréable, & qui approche fort de celui de la pêche & de la prune, il eſt très-froid & reſtraintif.

Le Jacques eſt un gros fruit qui eſt bon, mais tres-chaud & indigeſte, & cauſe le fins de ventre quand on en mange avec excés.

La nana eſt preſque comme le durion, c’eſt à dire à l’égard de la peau ; il a au bout une couronne de feuilles comme celle de l’artichaud ; la chair en eſt tres-bonne & a le goût de la pêche & de l’abricot tout enſemble ; il eſt tres-chaud & furieux ; ce qui fait que l’on le mange ordinairement trempé dans le vin.

La figue eſt un fruit très-doux, ſuave & bien-faiſant ; cependant un peu flegmatique, il y en a pendant toute l’année.

L’ate eſt un fruit doux & tres-bon, & ne fait point de mal ; il y en a qui l’eſtiment plus que tous les fruits des Indes. Il y a des oranges en très-grande quantité de pluſieurs ſortes tres-bonnes & fort douces.

La pataïe eſt un fruit tres-bon mais l’arbre qui le porte ne dure que deux ans.

Il y a de toute ſorte d’oranges en quantité & de tres-bon goût.

La penplemouſe eſt un fruit tres-bon pour la ſanté à peu prés comme l’orange, mais qui a un petit goût aigret. Il y a pluſieurs autres fruits qui ne ſont pas ſort bons.

On a commencé il y a quelques années à ſemer beaucoup de bleds dans le pays haut proche des montagnes qui y vient bien & eſt tres-bon,

On y a planté pluſieurs fois des vignes qui y viennent bien, mais qui ne peuvent durer, à cauſe d’une eſpece de fourmy blanc qui la mange juſqu’à la racine.

Il y a beaucoup de canes de ſucre qui rapportent extrêmement ; il a auſſi du tabac en quantité que les Siamois mangent avec l’arrek & la chaud.

À l’égard de l’arrek, les Siamois eſtiment ce fruit plus que tout autre, & c’eſt leur manger ordinaire ; il y en a une ſi grande quantité que les marché en ſont pleins, & un Siamois croiroit faire une grande incivilité s’il parloit à quelqu’un ſans avoir la bouche pleine de darek, de betel, de chaud ou de tabac.

Il y a grande quantité de ris dans tout le Roïaume & à tres-bon compte & comme ce païs eſt toujours inondé, cela fait qu’il eſt plus abondant ; car le ris ſe nourrit dans l’eau & à meſure que l’eau croît, le ris croît pareillement, & ſi l’eau croît d’un pied en vingt-quatre heures, ce qui arrive quelquefois, le ris croît auſſi à proportion & a toûjours ſa tige au deſſus de l’eau, il ne reſte que cinq ou ſix mois au plus en terre, il vient comme l’avoine.

Il n’y a point de ville dans l’Orient où l’on voye plus de Nations differentes, que dans la Ville Capitale de Siam, & où l’on parle de tant de langues differentes, elle a deux lieuës de tour & une demie lieuë de large, elle eſt tres-peuplée, quoy qu’elle ſoit preſque toûjours inondée, en ſorte qu’elle reſſemble plûtoſt à une Iſle, il n’y a que des Maures, des Chinois, des François & des Anglois, qui demeurent dans la Ville, toutes les autres Nations eſtant logées aux environs par camps ; c’eſt à dire chaque nation enſemble, ſi elles eſtoient aſſemblées elles occuperoient autant d’eſpace que la Ville qui eſtoit autrefois tres-marchande, mais les raiſons que j’ay dites cy-devant empêchent la plupart des Nations Etrangères d’y venir & d’y rien porter.

Le peuple est obligé de ſervir le Roy quatre mois de l’année régulierement, & durant toute l’année, s’il en a beſoin ; il ne leur donne pas un ſol de paye, eſtant obligez de ſe nourir eux-mêmes & de s’entretenir ; c’eſt ce qui a fait que les femmes travaillent afin de nourir leurs maris.

À l’égard des Officiers depuis les plus grands Seigneurs de la Cour juſqu’au plus petit du Royaume, le Roy ne leur donne que de tres-petits appointemens, ils ſont auſſi eſclaves que les autres, & c’eſt ce qui luy épargne beaucoup d’argent. Les Provinces éloignées dont les habitans ne le ſervent point actuellement, luy payent un certain tribut par teſte. J’arrivay dans le temps que le pays eſtoit tout-à-fait inondé, la Ville en paroît plus agréable, ſes rues en ſont extrément longues, larges & fort droites, il y a aux deux côtez des maiſons bâties ſur des pilotis & des arbres plantés tout à d’entour, ce qui fait une verdeur admirable, & on n’y peut aller qu’en ballon ; en la regardant l’on croiroit voir d’un coup d’œil, une Ville, une mer & une vaſte foreſt, où l’on trouve quantité de Pagodes qui ſont leurs Egliſes, & la plûpart ſont fort dorées, à l’entour de ces Pagodes, il y a comme des Cometieres plantés d’arbres la plûpart fruitiers, les maiſons des Talapoins ſont les plus grandes & les plus belles & ſont en très-grand nombre.

Ce païs-la eſt plus ſain que les autres des Indes, les Siamois ſont communément aſſez bien-faits, quoy qu’ils ayent tous le viſage bazanné, leur taille eſt aſſez grande, leurs cheveux ſont noirs, ils les portent aſſez courts à cauſe de la chaleur, ils le baignent ſouvent, ce qui contribue à la conſervation de leur ſanté, les Europeans qui y demeurent en ſont de même pour éviter les maladies ; ils tiennent leurs marchés ſur des places inondées dans leurs balons pendant ſix ou ſept mois de l’année que l’inondation dure.

Le Roy ſe lève du matin & tient un grand Conſeil vers les dix heures, où l’on parle de toutes ſortes d’affaires, qui dure juſqu’à midy, après qu’il eſt fini ſes Médecins s’aſſemblent pour ſçavoir l’état de la ſanté, & enſuite il va dîner ; il ne fait qu’un repas par jour, l’aprés-dînée il ſe retire dans ſon appartement où il dort deux ou trois heures, & l’on ne ſçait pas à quoy il employe le reſte du jour, n’étant permis pas même à ſes Officiers d’entrer dans ſa chambre. Sur les dix heures du soir, il tient un autre Conseil ſecret, où il y a ſept ou huit Mandarins de ceux qu’il favoriſe le plus, ce Conſeil dure juſqu’à minuit. Enſuite on luy lit des hiſtoires ou des vers qui ſont faits à leurs manieres, pour le divertir & d’ordinaire aprés ce Conſeil, Monſieur Conſtans demeure ſeul avec luy, auquel il parle à cœur ouvert, comme le Roy luy trouve un eſprit tout-à-fait vafte, ſa converſation luy plaît, & il luy communique toutes ſes plus ſecrettes penſées ; il ne ſe retire d’ordinaire qu’à trois heures aprés minuit pour s’aller coucher, voilà la maniere dont le Roy vît toûjours, & de cette ſorte toutes les affaires de ſon Royaume paſſent devant luy ; dans de certains temps il prend plaiſir à la chaſſe, comme j’ay dit ; il aime fort les bijoux meſme ceux d’émail & de verre, il eſt toûjours fort proprement vêtu, il n’a d’enfans qu’une fille, que l’on appellera Princeſſe Reyne, âgée d’environ vingt-ſept ou vingt-huit ans, le Roy l’aime beaucoup, on m’a dit qu’elle étoit bien faite ; mais jamais les hommes ne la voyent, elle mange dans le même lieu & à même temps que le Roy, mais à une table ſeparée, & ce ſont des femmes qui les ſervent qui ſont toûjours proſternées.

Cette Princeſſe a ſa Cour compoſée des femmes des Mandarins qui la voyent tous les jours, & elle tient Confeil avec ſes femmes de toutes ſes affaires, elle rend juſtice à ceux qui luy appartiennent, & le Roy luy ayant donné des Provinces dont elle tire le revenu & en entretient la Maiſon, elle a ſes châtiment & exerce la juſtice. Il y eſt arrivé quelquefois que lorſque quelques femmes de la maiſon ont été convaincues de médiſances d’extrême conſideration, ou d’avoir révélé des ſecrets de très grande importance, elle leur a fait coudre la bouche.

Avant la mort de la Reyne ſa mere, elle avoit à ce que l’on dit du penchant à faire punir avec plus de ſeverité ; mais du depuis qu’elle l’a perduë elle en uſe avec beaucoup plus de douceur ; elle va quelquefois à la chaſſe avec le Roy, mais c’eſt dans une fort belle chaiſe placée ſur un Elephant & où quoy qu’on ne la voye point elle voit neanmoins tout ce qui s’y paſſe. Il y a des Cavaliers qui marchent devant elle pour faire retirer le monde, & ſi par hazard il ſe trouvoit quelque homme ſur ſon chemin qui ne pût pas ſe retirer, il ſe proſterne en terre & luy tourne le dos. Elle eſt tout le jour enfermée avec ſes femmes ne ſe divertiſſant à faire aucun ouvrage, ſon habillement eſt aſſez simple & fort léger, elle eſt nue jambe, elle a à ſes pied dés petites mulles ſans talons d’un autre façon que celles de France ; ce qui lui ſert de juppe eſt une piece d’étoffe de ſoye ou de coton qu’on appelle paigne, qui l’enveloppe depuis la ceinture en bas & s’attache par les deux bouts, qui n’eſt point plicée, de la ceinture en haut elle n’a rien qu’une chemiſe de mouſſeline qui luy tombe deſſus cette maniere de juppe, & qui eſt faite de même que celle des hommes, elle a une écharpe ſur la gorge qui luy couvre le col & qui paſſe par deſſous les bras, elle eſt toûjours nuë teſte, & n’a pas les cheveux plus longs que de quatre ou cinq doigts, ils luy font comme une tête naiſſante ; elle aime fort les odeurs, elle ſe met de l’huile à la teſte ; car il faut en ces lieux-là que les cheveux ſoient luiſans, pour être beaux, elle ſe baigne tous les jours meſme plus d’une fois qui eſt la coûtume de toutes les Indes, tant à l’égard des hommes que des femmes ; j’ay apris tout ceci de Madame Conſtans qui va ſouvent luy faire ſa Cour. Toutes les femmes qui ſont dans ſa Chambre ſont toûjours proſternées & par rang, c’eſt-à-dire les plus-vieilles ſont les plus proches d’elle, & elles ont la liberté de regarder la Princeſſe, ce que les hommes n’ont point avec le Roy de quelque qualité qu’ils ſoient, car tant qu’ils ſont devant luy, ils ſont proſtcrnez & même en luy parlant.

Le Roy a deux frères, les freres du Roy heritent de la Couronne de Siam preferablement à ſes enfans. Quand le Roy ſort pour aller à la Chaſſe ou à la promenade, on fait avertir tous les Européens de ne le point trouver ſur ſon chemin, à moins qu’ils ne veulent ſe proſterner un moment : avant qu’il ſorte de ſon Palais on entend des trompettes & des tambours qui avertiſſent & qui marchent devant le Roy, à ce bruit les Soldats qui ſont en haye ſe proſternent le front contre terre & tiennent leurs mouſquets ſous eux ; ils ſont en cette poſture autant de temps que le Roy les peut voir de deſſus ſon Elephant, où il eſt aſſis dans une chaiſe d’or couverte, la garde à cheval qui l’accompagne & qui eſt compoſée de Maures eſt environ quarante Maiſtres marchant ſur les aîles ; toute la Maiſon du Roy eſt à pied devant, derrière, & à côté, tenant les mains jointes, & elle le ſuit de cette maniere. Il y a quelques Mandarins des prinpipaux qui le ſuivent ſur des Elephans, dix ou douze Officiers qui portent de grands paraſſols tout à l’entour du Roy, & il n’y a que ceux-là qui ne ſe proſternent point ; car dés le moment que le Roy s’arreſte tous les autres ſe proſternent, & meſme ceux qui ſont ſur les Elephans. Quant à la maniere que le Roy de Siam obſerve à la reception des Ambaſſadeurs, comme ceux de la Cochinchine, de Tonquin, de Colconda, des Malais, de Java & des autres Roys, il les reçoit dans unc Salle couverte de tapis, les grands & principaux du Royaume ſont dans une autre ſalle un peu plus baſſe, & les autres Officiers de moindre qualité dans une autre ſalle encore plus baſſe, tous proſternés ſur des tapis en attendant que le Roy paroiſſe par une feneſtre qui eſt vis-à-vis ; la ſalle où doivent être les Ambaſſadeurs eſt élevée d’environ dix ou douze pieds & diſtante de cette ſalle de trente pieds ; l’on ſçait que le Roy va paroître par le bruit des trompettes, des tambours & des autres Inſtrumens ; les Ambaſſadeurs ſont derrière une muraille qui renferme cette ſalle qui attendent la ſortie du Roy, & ordre des Minirtres que le Roy envoye appeller par un des Officiers de ſa Chambre, ſuivant la qualité des Ambaſſadeurs, & les Officiers ſervent en telles occaſions ; aprés que les Miniſtres ont la permiſſion du Roy on ouvre la porte de la ſalle & aussi-tôt les Ambaſſadeurs paroiſſent avec leur Interprète, & l’Officier de la Chambre du Roy qui ſert de Maiſtre de Ceremonies & marchent devant eux proſternez ſur des tapis qui ſont ſur la terre, faiſant trois reverences la tête en bas à leur maniere, aprés quoy le Maître des Ceremonies marche à genoux les mains jointes, l’Ambaſſadeur avec ſes Interpretes le ſuit en la meſme poſture avec beaucoup de modeſtie juſques au milieu de la diſtance d’où il doit aller, & fait trois reverences en la même forme ; il continuë à marcher juſqu’au coin le plus proche des ſalles où les Grands ſont, & il recommence à faire des reverences où il s’arrête ; il y a une table entre le Roy & l’Ambaſſadeur, diſtante de huit pieds, où ſont les preſens que l’Ambaſſadeur apporte au Roy, & entre cette table & les Ambaſſadeurs il y a un Mandarin qui reçoit les paroles de ſa Majefté, & dans cette Salle ſont les Miniſtres du Roy diſtans de l’Ambaſſadeur d’environ trois pas, & le Capitaine qui gouverne la Nation d’où eſt l’Ambaſſadeur eſt entre lui & les Miniſtres le Roy commence à parler le premier & non l’Ambaſſadeur, ordonnant à ſes Miniſtres de s’informer de l’Ambaſſadeur quand il eſt parti de la préſence du Roy son Maiſtre, si le Roy & toute la famille Royale étoit en ſanté, auquel l’Ambaſſadeur répond ce qui en eſt par ſon Interprete, l’Interprete le dit au Capitaine de la Nation d’où eſt l’Ambaſſadeur, le Capitaine au Barcalon & le Barcalon au Roy. Aprés cela le Roy fait quelque demande, ſur deux ou trois points concernant l’Ambaſſadeur ; enſuite le Roy ordonne à l’Officier qui eſt proche la table de donner du betel à l’Ambaſſadeur, ce qui ſert de ſignal pour que l’on luy preſente une veſte, et incontinent le Roi ſe retire au bruit des tambours, des trompettes & des autres inſtrumens. La première Audience de l’Ambaſſadeur ſe paſſe entre luy & le Miniſtre, qui examine la Lettre & les preſens du Prince qui l’a envoyé ; l’Ambaſſadeur ne preſente point la Lettre au Roy, mais au Miniſtre, aprés quelques jours du Conſeil tenu ſur ce ſujet.

Quand ce ſont des Ambaſſadeurs des Roys, indépendants de quelque Couronne, que ce ſoit de ſes pays, comme Perſe, grand Mogol, l’Empereur de la Chine, de Japon, on les reçoit en la manière ſuivante.

Les Grands du premier & du ſecond Ordre vont au pied de la feneſtre où eſt le Roy se proſterner ſuivant leurs qualitez ſur des tapis, & ceux du troiſiéme, quatrième & cinquième, ſont dans une ſalle plus baſſe & attendent la ſortie du Roy qui paroiſt par une feneſtre qui eſt enfoncée dans la muraille, & élevée de dix pieds ; les Ambaſſadeurs ſont dans un lieu hors du Palais, en attendant le Maître des Ceremonies qui les vient recevoir, & l’on fait les mêmes ceremonies dont j’ay parlé cy-deſſus : l’Ambaſſadeur entrant dans le Palais leve les mains ſur ſa teſte & marche entre deux Salles qu’il y a & monte des degrez qui ſont vis-à-vis la feneſtre où eſt le Roy, & quand il eſt au haut il poſe un genoû en terre, & auſſi-tôt on ouvre une porte pour qu’il puiſſe paraître devant le Roy ; enſuite on pratique les mêmes ceremonies qui viennent d’être marquées cy-devant. Il y a un bandege ou plat d’or ſur la table où eſt la Lettre traduite & ouverte, ayant été receuë par les Miniſtres quelques jours auparavant dans une ſalle deſtinée à cet uſage ; quand l’Ambaſſadeur eſt dans ſa place le Lieutenant du Miniſtre prend la Lettre & la lit tout haut ; après qu’il l’a leuë, le Roy fait faire quelque demande à l’Ambaſſadeur par ſon Miniſtre, ſon Miniſtre par le Capitaine de la Nation, & le Capitaine par l’Interprete, & l’Interprete enfin parle à l’Ambaſſadeur. Ces demandes ſont ſi le Roy ſon Maître & la famille royale ſont en ſanté, & s’il la chargé de quelqu’autre choſe qui ne fût pas dans la Lettre, à quoy l’Ambaſſadeur répond ce qui en eſt ; le Roy luy fait encore trois ou quatre demandes, & donne ordre qu’on luy donne une veſte & du betel : après quoy le Roy ſe retire au bruit des tambours & des trompettes, & l’Ambaſſadeur reſte un peu de temps, & ceux qui l’ont receu le reconduiſent juſqu’à ſon logis, ſans autre accompagnement ; & comme j’appris cette maniere de recevoir les Ambaſſadeurs qui ne me parût pas répondre à la grandeur du Monarque de la part de qui je venois, j’envoyay au Roy de Siam deux Mandarins qui eſtoient avec moy de ſa part, pour ſçavoir ce que je ſouhaitterois, pour le prier de me faire la meſme reception que l’on a accoûtumné de faire en France, ce qu’il m’accorda de la maniere que je l’ay raconté cy-devant.