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Relation historique de la peste de Marseille en 1720/16

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 : Observations en fin de livre.
Pierre Marteau (p. 259-279).


CHAPITRE XVI.


Le Roy nomme un Commandant. Nouveau ſecours de Medecins, de Chirurgiens, & d’Aumôniers.



QUelques ſoins que ſe donnent les Magiſtrats, quelque vif que ſoit le zele qui les pouſſe, il n’eſt pas poſſible, qu’ils puiſſent réſiſter à tant de fatigues, & ſoûtenir ſeuls le poids de l’adminiſtration publique. Abandonnés de tout le monde, ils ſont obligés d’ordonner & d’executer eux-mêmes, ils n’ont perſonne à qui ils puiſſent confier leurs ordres, ils ſont ſans Gardes ſans Soldats, & par conſequent preſque ſans authorité. L’enlevement des corps morts n’eſt pas la ſeule affaire qui doit les occuper ; il faut encore pourvoir à tous les beſoins publics, au ſoin des malades, à l’entretien des pauvres, & à une infinité de choſes également preſſantes & neceſſaires. Ce n’étoit pas aſſez de trouver des expediens, & de faire des Ordonnances très-utiles, il falloit encore pouvoir les mettre en execution, il falloit retablir le bon ordre, ramener l’abondance, rapeller les Officiers abſens, punir les malfaiteurs, contenir une populace toûjours prête à profiter des troubles publics, reprimer l’avarice de ceux qui ſe prévalent des tems de calamité ; en un mot, remettre toutes choſes dans l’ordre convenable aux malheurs préſens.

Toutes ces diſpoſitions étoient reſervées au ſage Commandant que le Ciel nous deſtinoit. Le Roy informé de l’état de nôtre Ville, envoit un Brevet de Commandant dans la Ville de Marſeille & ſon Terroir à Mr. le Chevalier de Langeron, Chef d’Eſcadre des Galeres, & le 12. Septembre Mrs. les Echevins ayant apris cette agréable nouvelle, furent le même jour lui en témoigner leur plaiſir. Un ſemblable Brevet fût envoyé à Mr. le Marquis de Pilles Gouverneur de la Ville, dont la convaleſcence avoit ranimé la joie publique ; mais le premier étant Maréchal des Camps, ez Armées du Roy, eût le Commandement en chef : les deux Brevets furent enregiſtrés à l’Hôtel de Ville. Mr. de Langeron avoit eu trop de part au bon ordre qu’on a vû ſur les Galeres, pour ne pas eſperer qu’il le mettroit bientôt dans la Ville. En effet, dès le même jour il ſe porte à l’Hôtel de Ville, pour s’informer de l’état des choſes ; il continuë d’y venir regulierement ſoir & matin : dans peu de jours il fût au fait de toutes les affaires, & en état de pourvoir à tout. Se charger du Commandement d’une Ville dans un tems de contagion, & de la contagion la plus vive, d’une Ville, où tout eſt dans le dernier déſordre, où l’on ne peut compter ſur perſonne pour l’execution, que ſur des Magiſtrats veritablement pleins de zele & de bonne volonté ; mais épuiſés de ſoins & de fatigues ; où la déſertion eſt génerale, où tout manque, où l’on ne peut rien ſe promettre ; il faut avoir pour cela un courage au-deſſus de tous les périls, un génie ſuperieur à tous les évenemens, un zele à l’épreuve des plus rudes travaux, & des ſoins les plus accablans.

Le nouveau Commandant comprit bientôt que le ſalut de la Ville dépendoit de trois choſes, rétablir le bon ordre, donner une prompte retraite aux malades, & achever l’enlevement des cadavres : chaque jour fût marqué par quelque Ordonnance, ou par quelque nouvelle entrepriſe, qui tendoient à ces trois fins. Il renouvelle toutes les anciennes, faites au commencement par Mr. de Pilles, pour rapeller les Officiers abſens : car ce ſage Gouverneur n’avoit rien obmis de ce qu’il falloit faire pour maintenir le bon ordre, s’il avoit pû l’être dans ces premiers troubles. La derniere étoit déja fort avancée par les ſoins des Echevins, comme nous l’avons déja fait voir ; il s’agiſſoit de la finir entierement : pour cela Mr. de Langeron donne de nouveaux ordres, il procure de nouveaux ſecours, les Forçats ne manquerent plus, en ſorte que depuis le 1. Septembre juſques au 26. On en reçut quatre cens quinze : les Echevins ſoûtenus du conſeil de Mr. le Commandant, & animés par ſon exemple, continuent à faire enlever les cadavres, & s’y portent avec tant d’ardeur, que dans peu de jours ils parvinrent enfin à délivrer la Ville d’une infection qui la ménaçoit d’une perte entiere. Sur la fin de Septembre on ne vit plus dans les ruës que quelques cadavres qu’on y portoit dans la nuit, & qui étoient enlevés le jour même.

Les foſſes cependant ſont déja toutes remplies, on ne ſçait preſque plus où en faire de nouvelles : Mr. le Chevalier de Langeron intrepide aux dangers de la guerre, ne l’eſt pas moins à ceux de la contagion ; il va lui-même ſur les lieux viſiter les foſſes comblées, & portant ſes vûës plus loin, il veut prévenir tout ce qui pourroit entretenir le mal, ou le renouveller, il fait recouvrir ces foſſes de terre, & en déſigne de nouvelles, une hors la porte d’Aix de 10. toiſes de long ſur 15. de large ; & pour qu’elle doit bientôt en état, il donne des ordres aux Capitaines du Terroir, de faire venir cent Payſans de gré ou de force, l’exactitude avec laquelle ſes ordres furent executés, l’activité même des travailleurs firent bientôt voir que la prompte expedition dépend plus de la fermeté de celui qui ordonne, que de la ſoumiſſion de ceux qui executent. Il fait ouvrir une autre foſſe le 18. Septembre de l’autre côté de la même porte de 10. toiſes de long ſur 5. de large, & d’autres encore pour l’agrandiſſement du côté de St. Ferreol, & le 22. il en fait commencer une de 22. toiſes de long ſur 8. de large, & de 14. pieds de profondeur dans le jardin des Obſervantins, & on y met cent cinquante Payſans qu’on a fait venir du Terroir. Ses ordres ſont executés par tout avec la même rapidité, par les ſoins de Mr. de Soiſſan Officier de Galere, qu’il a choiſi pour ſon Aide de Camp, lequel ſecondant ſon zele & formé ſur ſes exemples, agit par tout avec autant de prudence que de courage.

Le ſoin des malades parut encore à Mr. le Commandant un objet bien digne de ſon attention. Il comprit bientôt que c’étoit un inconvénient, pour ne pas dire, une eſpece de barbarie, de laiſſer les malades ſans retraite languir dans les ruës & dans les places publiques. L’Hôpital du Jeu de Mail qu’on avoit commencé dans le mois d’Août, n’étoit pas fort avancé, ſoit par la longueur du travail, ſoit par la negligence des Ouvriers. Un coup de vent avoit même renverſé ce qui étoit fini : Mr. de Langeron y fait d’abord venir des Charpentiers & des Turcs des Galeres, qui reparent bientôt ce déſordre, & avancent l’ouvrage en peu de tems. On prépare des logemens pour les Medecins, Chirurgiens, Apoticaires, & pour les autres Officiers de cet Hôpital, dans le Couvent des Auguſtins Reformés, qui ſont tout auprès, & dans les Baſtides voiſines, & on déſigne des foſſes dans le terrein le plus proche. Il conſidere encore que cet Hôpital ne ſera pas aſſez grand pour contenir tous les malades, & qu’ils ne pourront pas y être tranſportés des quartiers les plus éloignés : la Maiſon de la charité, qu’on n’a pas voulu prendre au commencement de la contagion, ſe préſente d’abord à lui avec toutes les commodités neceſſaires. Il ordonne d’en faire un Hôpital pour les peſtiferés. L’Hôtel-Dieu ſe trouvant vuide par la mort de tous les malades qui y étoient, & par celle de preſque tous les Enfans trouvés, fût deſtiné pour y enfermer les pauvres de la Charité, & pendant qu’on travaille à le deſinfecter, ces pauvres ſont mis par maniere d’entrepos dans les Infirmeries. Tout fût ſi ſagement ordonné de la part du Commandant, & executé avec tant de diligence de la part des Echevins, que dans peu de jours nous verrons ces deux Hôpitaux prêts à recevoir les malades. Ceux qui reſterent dans leurs maiſons manquoient des remedes neceſſaires, de ceux même qui étoient les plus communs, tels que ſont les onguens & les emplâtres pour leurs playes : les Apoticaires ont épuiſé leurs compoſitions par le grand débit, & toutes les Boutiques des Droguiſtes étant fermées, ils n’ont plus de drogues pour en faire de nouvelles. Mr. de Langeron mande ſes Gardes dans le Terroir, pour faire revenir les Droguiſtes ; il en fait de même pour les Notaires, car tout le monde mouroit ſans pouvoir faire ſes dernieres diſpoſitions : il fait auſſi revenir les Sages Femmes, dont l’abſence avoit fait perir tant de femmes groſſes & tant d’enfans. Tous ces gens-là ſe rendent à leurs fonctions, & bientôt les malades vont recevoir les ſecours dont ils ont manqué juſqu’à preſent.

Les Echevins cependant ne pouvoient pas être à tout ; juſques à preſent ils ſe ſont livrés par un excès de zele à des fonctions qui ſont pour ainſi dire, hors de leur miniſtere. Cette diverſion fait languir les affaires courantes, & comme rien n’échape à l’attention de Mr. le Commandant, il rend une Ordonnance le 15. Septembre, portant commandement à tous les Intendants de la ſanté, & à tous les Officiers municipaux, de venir reprendre leurs fonctions dans vingt-quatre heures ſous peine de déſobéïſſance. Aſſûrés de trouver un meilleur ordre dans la Ville par les ſoins du Commandant, ils vont bientôt reparoître, & les Echevins reprendre leurs fonctions ordinaires. Mr. de Langeron tant pour leur propre ſoulagement que pour le bien public, qu’il a toûjours en vûë, leur conſeille de ſe partager les affaires. Mr. Eſtelle ſe charge de l’expedition des affaires courantes, des correſpondances, & de la police ; Mr. Audimar du ſoin des Boucheries ; Mr. Mouſtier s’étoit trop ſignalé dans la levée des cadavres, & dans tout ce qui la concerne, pour la ceder à un autre ; Mr. Dieudé demeure chargé de tout ce qui regarde le bled, la farine, les Boulangers & le bois. Car il faut remarquer que toutes les fermes de la Ville ayant ceſſé dans ces malheureux tems, les Echevins Ce trouvoient chargés de fournir à toutes les neceſſités publiques, & la maladie ayant enlevé tous les Commis prépoſés à ces differentes expeditions, ils furent obligés d’y vaquer eux-mêmes : ainſi toutes ces affaires miſes en regle reprirent leur courant.

Il ne ſuffiſoit pas d’avoir purgé la Ville de l’infection des cadavres, il falloit encore la nettoyer de ces hardes infectées, qui fermoient le paſſage dans les ruës, & de toutes les autres immondices, dont elles étoient remplies, depuis que les Païſans de la Campagne ne venoient plus les enlever. Cette expedition n’étoit pas moins importante que l’autre. On ne pouvoit plus aller par la Ville qu’à Cheval, tant elle étoit pleine de bourbier & de ſaletés. Nombre de Forçats & de Tomberaux ſont deſtinés à ce travail, qui par les ſoins de Mr. Mouſtier fût pouſſé auſſi vivement que celui de la levée des corps morts ; & dans peu de jours on peut aller librement par tout, on ordonne en même tems aux Prud-hommes, qui ſont les Chefs des Pêcheurs, de faire traîner loin dans la mer avec des fillets ce nombre prodigieux de chiens morts qui flottoient ſur l’eau dans le Port, & qui y répandoient une odeur inſuportable, ce qui fût d’abord executé.

Pendant que Mr. le Commandant travailloit ſi efficacement à reparer la Ville, & à pourvoir au ſoin des malades, Mr. le Duc d’Orléans ſenſible aux malheurs de Marſeille, avoit donné des ordres pour lui faire donner tous les mois une ſomme conſiderable pour la viande ; & aux Intendants des autres Provinces, de lui procurer tous les ſecours qui dépendoient d’eux. Mr. de Bernage Intendant du Languedoc, avoit envoyé à Aix Mr. Pons Medecin de Pezenas, & Mr. Bouthillier Medecin pratiquant à Montpellier, avec Mrs. Moutet & Rabaton Chirurgiens de la même Ville. Le premier demandoit ſix mille francs par mois, & une penſion annuelle de trois mille livres ſa vie durant, celle de ſa femme & de ſes enfans. Le ſecond ne demandoit que mille francs, & une penſion annuelle de la même ſomme, de les Chirurgiens trois mille livres, outre les frais de leur voyage, & leur entretien pendant leur ſéjour à Marſeille. On vit alors de quel prix étoient les Medecins dans un tems de contagion, & ces demandes firent comprendre à nos Magiſtrats le cas qu’ils devoient faire de leurs Medecins, qui s’étoient ſi genereuſement ſacrifiés au ſervice du Public. La neceſſité où l’on étoit de Medecins & de Chirurgiens fit accepter ces conditions, quelques dures qu’elles paruſſent, & les Contrats paſſés à Aix, ces Meſſieurs vinrent à Marſeille, Mr. Bouthillier le 10. & Mr. Pons le 14. Septembre, & les deux Chirurgiens à peu près dans le même tems. A peine y furent-ils arrivés, qu’ils ſe répandirent dans toute la Ville, viſitant les malades avec beaucoup de zele & de fermeté. Mrs. Chycoineau & Verny, qui depuis le premier voyage à Marſeille, étoient reſtés à Aix en quarantaine, eurent ordre de la Cour d’y revenir pour y traiter les malades. En même tems Mr. Deidier Profeſſeur en Medecine de Montpellier, & Mr. Fiobeſſe Me. Chirurgien de la même Ville reçurent le même ordre, en conſequence duquel ils vinrent à Aix joindre Mrs. Chycoineau, Verny, & ſouliers. Mr. Deidier écrivit d’Aix à tous les Medecins de Marſeille une lettre en particulier, auſquelles il joignit un memoire en forme de conſultation dans lequel il propoſoit de ſaigner les malades de Marſeille juſques à défaillance, dans l’idée que cette maladie n’étoit que des inflammations gangreneuſes, ſe hâtant de donner à ces Medecins une methode de traitter ces malades, qu’il n’avoit pas encore vûs ; & de peur qu’on ne nous ſoupçonne de prêter un ſentiment auſſi extraordinaire a ce Profeſſeur, voici la lettre qu’il leur écrivit.


A Aix, ce      Septembre 1720.

„ Eſt-il vrai, Monſieur, qu’outre la cruelle maladie qui afflige vôtre Ville, le menu peuple y ſoit accablé de famine & de ſedition : ſi cela eſt, comment pouvez-vous y exercer la Medecine ? Ne voudriez-vous pas me marquer au vrai ce qui en eſt, pour que je puiſſe tabler ſur quelque choſe de poſitif ? Je voudrais de plus être informé de l’effet de vos remedes, n’avez-vous pas eſſayé, comme dit Sidenham, de mettre d’abord vos malades à la litiere, par de copieuſes ſaignées ? & ne ſeriez-vous pas d’avis d’en faire d’abord une au pied juſqu’à la défaillance, ſauf de donner d’abord après un petit cardiaque ? Les promptes morts ne ſçauroient venir dans le cas preſent que d’un engorgement des viſceres internes, qui ſe ſont trouvés ſaiſis d’inflammations gangreneuſes ; ainſi ſans avoir égard aux accidens ni même à la nature du pouls, il ſeroit bon de faire quelques épreuves de cette ſaignée, ayez la bonté de m’informer de la réuſſite de ce remede, & croyez-moi toûjours avec toute la ſincerité poſſible, Monſieur, vôtre très-humble & très-obéiſſant ſerviteur. Signé Deidier,

On doit penſer de quel uſage fût aux Medecins de Marſeille la conſultation du Profeſſeur, On le verra bientôt reformer lui-même ſon ſentiment, quand il viſitera les malades ; en attendant, laiſſons aux connoiſſeurs à déterminer les cas ou la ſaignée convient, & à diſtinguer les inflammations internes qui la demandent, de celles où elle eſt tout-à-fait inutile, pour ne pas dire, nuiſible. Trois autres Medecins furent envoyés de Paris, Mrs. Maille Profeſſeur en Medecine de Cahors, Labadie de Bannieres, & Boyer de Marſeille, qui ſe trouvoient alors tous trois à Paris, ils étoient veritablement fort jeunes, mais on comptoit avec raiſon que leur genie & les inſtructions qu’ils reçurent de Mr. Chirac ſupleroient en eux au défaut de l’experience, D’ailleurs cette maladie étant nouvelle, les vieux Medecins n’en avoient pas plus d’experience que les jeunes. On envoya encore de Paris des Chirurgiens, Mrs. Nelatton, Campredon, & Deſclos, & nombre de Garçons ; pluſieurs autres Chirurgiens des Villes de la Province invités par les affiches, que les Echevins y avoient répandu, ſe déterminerent auſſi à venir offrir leurs ſervices. Tous ces nouveaux ſecours de Medecins & de Chirurgiens arriverent aſſez à tems à Marſeille pour y ſignaler leur zele, & pour ſoulager nos malades : ils arriverent tous du 18, au 20. Septembre. Ce ne fût pas un leger embarras pour les Echevins, que celui de les loger, & de leur fournir une table avec toutes les autres neceſſités. On les mit dans les plus belles maiſons de la ruë de St. Ferreol, qui étoit la plus ſaine & la plus propre de la Ville. On leur donna des Domeſtiques, un Cuiſinier, un Pourvoyeur, & on leur établit une table magnifique. On ne ſçauroit trop bien traitter des gens qui viennent ſe dévoüer au ſalut d’une Ville, au peril de leur propre vie. Tous ces Medecins viſiterent quelques malades çà & là dans le mois de Septembre : mais ils ne ſe mirent en regle que dans le mois d’Octobre.

Parmi tant de Sçavants Medecins & d’habiles Chirurgiens, confondrons-nous un Mr. Varin, qui n’étant ni l’un ni l’autre, ſe donnoit pourtant pour tous les deux. Envoïé de Paris, il arriva à Marſeille peu de temps après ces Meſſieurs avec ſa Femme & ſon Neveu. Ils furent tous trois logés dans la meilleure Auberge par les Echevins, qui leur payoient leur entretien, & lui permirent de debiter ſon remede, ce qu’il aima beaucoup mieux que tous les honoraires qu’on auroit pû luy donner. Il ſe vantoit d’avoir été employé dans les peſtes de Hambourg & des autres Villes d’Allemagne. Ils alloient tous trois viſiter les malades ; & ce ne fût pas ſans ſurpriſe, que l’on vit une Femme ſe mettre au deſſus de la timidité naturelle à ſon ſexe, & entrer courageuſement dans les maiſons des Peſtiferés ; Ils donnoient pour tout remede une liqueur en forme d’Elixir, qu’ils vendoient auſſi pour préſervatif à vingt livres la Bouteille, le ſeul nom de préſervatif contre une maladie, que l’on craint : eſt capable de faire rechercher un Remede avec empreſſement. Ils donnoient du crédit au ſien par leur propre experience, uſant eux-mêmes de ce prétendu préſervatif, & attribuant à la confiance qu’ils avoient en luy, leur hardieſſe à approcher les malades. Ils prétendoient même qu’il leur donnoit cet air fleuri, & cet embonpoint, dont ils ſe glorifioient. On ſavoit pourtant qu’ils uſoient plus ſouvent d’un préſervatif plus agréable. Le Sr. Varin ne laiſſa pas de s’attirer la confiance des Magiſtrats, d’être mis en rang ; avec les Medecins, & de leur être même ſouvent preferé pour des malades de conſideration. Les nouveautés en Medecine plaiſent comme toutes les autres, mais elles ont auſſi le même ſort, c’eſt-à-dire qu’elles paſſent auſſi rapidemment. Tel a été le ſort de ce remede, on reconnoît bien-tôt & l’inutilité du prétendu préſervatif, & la vanité des promeſſes de ceux qui le diſtribuoient.

Les ſecours de la Medecine ne furent pas les ſeuls que la providence avoit reſervés à nos Malades. Toutes les perſonnes riches avoient déja remis des ſommes conſiderables aux Curés, aux Confeſſeurs, & à des Gens de bien, qui avoient aſſez de courage & de charité pour les diſtribuer aux Pauvres. Il en vient même des autres Villes du Royaume, Monſeigneur l’Evêque continue ſes aumônes journalieres, il eſt ſans équipage, il n’eſt plus ſuivi que d’une foule de Pauvres, fidelles témoins de ſa charité & de ſon zele, la pluſpart languiſſants encore dans le mal. Il épuiſe tous ſes revenus, & à peine ſe reſerve-t’il le neceſſaire ; non ſeulement il diſtribue journellement de groſſes ſommes à la porte, mais il en envoit encore dans les Maiſons affligées, il entretient nombre de familles reduites par les malheurs préſens aux dernieres extrêmités, il prévient par les offres les plus obligeantes les beſoins de ceux, qu’il ſçait être dans l’affliction, il les conſole par des lettres pleines des ſentiments les plus pieux, & des offres les plus tendres ; une ſemblable Lettre fut ma plus douce conſolation dans l’excès de mes malheurs. Enfin ſa charité ſe dilate à meſure que les objets s’en multiplient. La plus part des Prélats du Royaume lui ont envoyé des ſommes conſiderables, qu’il a répanduës largement dans le ſein des Pauvres, & cela enſuite des quêtes ordonnées dans tous les Dioceſes par l’Aſſemblée du Clergé, dont les Agens avoient communiqué les ordres à tous les Evêques du Royaume. La vraye charité ne ſe borne pas aux ſujets qui l’environnent, tous les neceſſiteurs, quelque part qu’ils ſoient, ſont de ſon reſſort ; le cris de nos miſeres ſe fait entendre par tout, de ceux-même que l’embarras de leur employs, & l’élevation de leur fortune ſemblent mettre au deſſus de ces attentions. Mr. Lauv envoit aux Echevins cent mille francs pour les Pauvres. Enfin le ſouverain Pontife attendri ſur les malheurs d’un peuple, qui s’eſt toûjours conſervé dans la foy la plus pure, & dont le Paſteur lui eſt ſi cher par ſon zele, par ſa pieté, & par toutes les autres vertus, qui aſſortiſſent en lui la dignité Epiſcopale, ouvre en nôtre faveur & ſes propres thréſors & ceux de l’Egliſe. Il adreſſe à Monſeigneur l’Evêque une Bulle contenant des indulgences pour ceux qui ſe devoüent au ſervice des malades, & joignant à ces graces ſpirituelles les ſecours temporels, il luy envoit encore trois mille charges de bled pour diſtribuer aux pauvres de Marſeille. Rare & merveilleux exemple d’une ſollicitude digne du Pere commun des fidelles. On verra ſans doute avec plaiſir le Bref qu’il envoya à ce ſujet.