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Revue Littéraire - 31 janvier 1856

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Revue Littéraire - 31 janvier 1856
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 1 (p. 683-686).

REVUE LITTÉRAIRE.

La comédie par laquelle M. Paul de Musset vient d’aborder le théâtre, — la Revanche de Lauzun, — a obtenu un succès qui doit encourager l’auteur et lui prouver qu’il a tout ce qu’il faut pour se faire écouter. La franchise du dialogue, la gaieté des reparties lui ont tout d’abord concilié le parterre et les loges. Ses amis lui diront peut-être qu’il n’a plus rien à apprendre, que la voie est ouverte devant lui, qu’il n’a plus qu’à marcher sans consulter personne. Qu’il se défie de ses amis, s’ils lui accordent des louanges sans réserve. J’ai entendu avec plaisir la Revanche de Lauzun, j’ai ri avec tout le monde, et je reconnais volontiers que c’est un agréable divertissement. Cependant le talent de M. Paul de Musset est de trop bonne maison pour ne pas exiger un avis sincère, et je lui dirai sans détour que son œuvre nouvelle, bien qu’applaudie, est plutôt une spirituelle espièglerie qu’une comédie dans le vrai sens du mot. La rapidité de l’action, les traits d’esprit qui ne se font jamais attendre, peuvent effacer pendant une soirée les défauts que je signale. L’heure de la réflexion venue, et cette heure vient toujours, le spectateur s’aperçoit qu’il n’a pas assisté à la représentation d’une œuvre comique. M. Paul de Musset est connu depuis longtemps comme un aimable conteur. Il sait intéresser, il sait émouvoir ; il voit bien, il observe avec finesse, il donne à ses souvenirs une tournure leste et pimpante qui plaît aux lecteurs et surtout aux lectrices. Toutes ces qualités, dont je n’entends pas contester la valeur, se retrouvent dans la Revanche de Lauzun. C’est le même éclat, la même fraîcheur, la même jeunesse, le même entrain. La plupart des œuvres jouées sur nos théâtres depuis quelques années ne sont que des répétitions de choses déjà connues. Le parterre, en les écoutant, applaudit de confiance des plaisanteries apostillées déjà par les applaudissemens de l’année précédente. Rien de pareil chez M. Paul de Musset ; l’esprit dont il use est bien à lui. Ses épigrammes sont tirées de son propre fonds. C’est là sans doute un précieux avantage. L’agréable soirée que nous devons à l’auteur ne change pourtant rien aux conditions de la comédie, et tout compte fait, la Revanche de Lauzun ne satisfait pas à ces conditions. Je ne chicanerai pas M. Paul de Musset sur la donnée qu’il a choisie ou imaginée, peu importe. Lauzun veut gagner avec la duchesse de Berri, fille du régent, la partie qu’il a perdue avec Mlle de Montpensier, et comme il a soixante-dix ans, il charge son neveu de tenir les cartes, en se réservant de le guider par ses conseils. Y a-t-il dans cette donnée l’étoffe d’une comédie ? Je ne refuse pas de le croire ; mais pour que la comédie se fasse, il est absolument nécessaire que Lauzun demeure fidèle au caractère que l’histoire lui attribue, qu’il se conduise en homme de cour, et ne déroge pas à ses habitudes. M. Paul de Musset a-t-il tenu compte de cette nécessité ? Toute la question est là. S’il a imaginé, pour tirer d’embarras le chevalier de Riom, le neveu de Lauzun, des stratagèmes que la comédie désavoue ou n’accepte qu’avec répugnance, les spectateurs les plus indulgens ont le droit de lui dire qu’il s’est trompé.

Les deux premiers actes, je m’empresse de le dire, valent beaucoup mieux que les deux derniers, car ils nous montrent Lauzun tel que nous le connaissons par l’histoire, souple, rusé, railleur, plein de confiance dans les ressources de son esprit, doutant de la vertu, hardi dans ses entreprises, mais toujours élégant, toujours homme de cour, n’oubliant jamais qu’il doit pratiquer le vice autrement que la foule. Le premier acte surtout est écrit de manière à désarmer les plus difficiles. La duchesse de Berri, accablée d’un mortel ennui, est venue visiter la chartreuse du Luxembourg ; les courtisans parlent de cette fantaisie comme d’une fuite au désert. Un orage terrible surprend la belle visiteuse. Les courtisans s’épouvantent. Comment sauver son altesse ? Où va-t-elle se réfugier ? Le chevalier de Riom, présenté tout à l’heure par le duc de Lauzun à la duchesse de Berri, qui n’est rien encore dans la maison de la fille du régent, mais qui a promesse d’une charge de secrétaire, est désigné par elle-même pour la dérober à ce formidable danger. Grâce au neveu de Lauzun, son altesse ne se mouillera pas les pieds. Le chevalier emporte dans ses bras la duchesse de Berri, et malgré les éclats du tonnerre, malgré les éclairs qui sillonnent la nue, il franchit les ruisseaux grossis par l’orage. Il se dévoue héroïquement au salut de la princesse ; pour la ramener dans son palais, il ne craint pas d’affronter un rhume. Une telle abnégation mérite une récompense, et c’est en effet sur ce hardi sauvetage que repose toute la pièce. Comment porter dans ses bras une femme jeune et belle sans être ému un peu plus que ne le voudrait l’étiquette ? Comment se sentir pressée contre le cœur d’un homme jeune et hardi sans oublier l’obscurité de sa famille ? Le danger partagé n’abrège-t-il pas la distance ? Le chevalier de Riom et la duchesse de Berri sont saisis d’une soudaine et mutuelle passion. Tout ce premier acte est conduit avec une adresse, une agilité, une prestesse qui disposent merveilleusement l’esprit du spectateur.

Le second acte, moins vif que le premier, est cependant plein de finesse et de vérité. Lauzun, instruit de l’aventure de son neveu, rêve pour lui la plus haute fortune. Quelle revanche à prendre ! Il ne s’agit que de prouver au chevalier de Riom qu’une princesse de sang royal peut aimer un cadet de Gascogne aussi bien qu’une tête couronnée. L’entretien de l’oncle et du neveu, écouté avec une attention soutenue, est un modèle de malice, un traité de morale mondaine que je ne recommande pas à la jeunesse, mais dont la comédie s’accommode très bien. Lauzun explique au chevalier la route qu’il doit suivre, et lui prédit tous les incidens du roman qui commence. Sa prédiction s’accomplit de point en point, et l’auteur, pour apprendre au chevalier qu’il est aimé, a imaginé une sorte d’aveu qui ferait honneur à Marivaux : « Quand je serai partie, regardez mon éventail, et vous saurez le nom de l’homme que j’aime. » Sylvia ne dirait pas mieux. Le chevalier regarde en vain l’éventail, qui demeure muet. Il retourne l’éventail, et se voit dans un miroir encadré de plumes de cygne. La princesse demande à son père, pour M. de Riom, un brevet de capitaine dans les dragons. Le régent signe à contre-cœur et voudrait n’avoir rien signé, quand il apprend que M. de Riom est le neveu de Lauzun. Cependant la haute fortune du chevalier éveille la jalousie du lieutenant des gardes de son altesse, qui vient le provoquer. Rendez-vous est pris dans les fossés de la chartreuse. Le chevalier, mis aux arrêts, s’échappe par la fenêtre. Il revient sans blessure, après avoir fait à son adversaire une légère égratignure. À peine est-il rentré au château, à peine a-t-il reçu les félicitations de la femme qu’il aime, qu’on vient lui demander son épée au nom du roi. Le régent se défie du neveu de Lauzun, et, craignant pour sa fille l’entraînement de la grande Mademoiselle, il s’en délivre par une lettre de cachet : M. de Riom ira méditer dans l’île Sainte-Marguerite sur le néant des fortunes de cour.

Au troisième acte, la comédie fait place à l’espièglerie. Au lieu d’une raillerie fine et mordante, nous n’avons plus qu’une grosse gaieté, qui réunit encore de nombreux suffrages, mais qui dénature la donnée de la pièce. La lutte une fois engagée entre le duc de Lauzun et le régent, l’amant de la grande Mademoiselle, au lieu de chercher la victoire en homme de cour, imagine un stratagème que la comédie vraie ne saurait accepter. Il sait que son neveu est en route pour l’île Sainte-Marguerite. Le prisonnier doit s’arrêter au Bourg-la-Reine, dans une auberge. Lauzun arrive sur les traces de son neveu et imagine un plan d’évasion qui nécessite l’emploi d’un triple travestissement. Le plan de Lauzun réussit, et je dois dire qu’il réussit gaiement. Cependant je persiste à croire que la comédie le répudie.

Le quatrième acte tourne au drame ou menace du moins de s’attrister. M. de Riom, emporté dans le carrosse de son oncle par quatre chevaux anglais, arrive au château de Meudon avant la maréchaussée, qui le poursuit. Il se jette aux pieds de la duchesse, et obtient sans peine le pardon de sa témérité. Lauzun, pour le dérober à la colère du régent, demande à son altesse si elle aura le courage d’épouser son amant malgré la résistance de son père. La duchesse de Berri ne recule pas devant le danger, et marche résolument à la chapelle ; Lauzun se charge d’occuper le régent pendant qu’un prêtre unit l’altesse royale et le cadet de Gascogne. L’entretien du vieux courtisan et du père indigné est bien mené, mais trop court. Le chevalier irait coucher à la Bastille, si la duchesse, désespérant d’attendrir son père par ses prières, n’imaginait un évanouissement qui réussit à merveille. Le régent pardonne, et Lauzun a pris sa revanche.

Le troisième et le quatrième actes peuvent-ils être comparés aux deux premiers ? Pour répondre à cette question, il suffit de se demander quelle est la valeur littéraire des travestissemens. À cet égard, tous les avis se réunissent. C’est un moyen qui remonte à l’enfance du théâtre. Je suis donc fondé à dire que la comédie de M. Paul de Musset, envisagée dans son ensemble, ne mérite pas pleinement le titre qu’elle porte. Si M. Paul de Musset veut toucher le but, il doit renoncer aux traveslissemens, et oublier la muse de Scarron pour ne consulter que la muse de Molière. Il prendra le succès de la Revanche de Lauzun pour ce qu’il vaut, pour une excellente entrée de jeu, et ne négligera rien pour contenter ceux qui ont confiance en son talent.

Gustave Planche.