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Revue Musicale de Lyon 1904-01-05/Chronique lyonnaise

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Chronique Lyonnaise

GRAND-THÉÂTRE


Faust

On joue Faust en moyenne une vingtaine de fois par an ; ces vingt représentations se décomposent ainsi : quatre passables, quatre médiocres et douze grotesques. Cette année on s’en était tenu jusqu’à présent à la dernière catégorie, à telles enseignes que, la semaine dernière, le public pourtant bénin qui assiste en général à ces sortes d’exécutions, avait cru devoir protester avec quelque véhémence, contre les invraisemblables pantalonnades dont il était le spectateur. Cette petite manifestations est la cause d’un remaniement dans la distribution des rôles, et de l’intéressante représentation de jeudi dernier.

Faust est actuellement l’opéra le plus joué en France ; c’est le plus populaire, celui dont les motifs reviennent le plus souvent aux lèvres de l’ouvrier ou du bourgeois. Il n’est pas plus précieux critérium que ce succès, indice très sûr de la vulgarité d’une mélodie, de la banalité de sa facture, de son infériorité artistique. Tout ce qui, dans Faust, comme partout ailleurs, est tombé dans le domaine public, orgue de barbarie ou salon mondain, n’a pas plus de valeur que les romances pour jeunes filles ou les chansons de café-concert les plus décriées : c’est à ce niveau qu’il convient de ranger le chœur des soldats, les couplets de Siebel, et ce crime de lèse-esthétique qu’est l’Air des Bijoux. Mais il y a, à côté de cela, et précisément parmi les pages les moins universellement répandues, des scènes fort intéressantes, et qui convenablement interprétées, constituent encore une agréable audition.

Le rôle de Méphistophélès était dévolu, jeudi, à M. Sylvain. Ce rôle, on le sait, existe en deux états, et peut être chanté, soit par une basse noble, soit par une basse chantante. La première version qui est l’originale est aussi la meilleure. En outre, M. Sylvain compose le rôle avec une très grand intelligence scénique : de façon qu’on est doublement étonné d’entendre une voix chaude, colorée, pleine, ample et sonore, là où nous n’entendions d’ordinaire qu’un détestable assortiment de fausses notes, et de voir jouer avec talent et esprit un rôle qui d’ailleurs prête beaucoup et qui nous avait été jusqu’alors travesti lamentablement en une bouffonnerie prétentieuse.

M. Rouard avait été chargé du rôle de Valentin qu’il est rare d’entendre chanter par un baryton de grand-opéra. Là, encore, l’innovation était heureuse. M. Rouard, a d’ailleurs été excellent.

Le rôle de Faust était confié à M. Gauthier qui, ce soir-là, n’a pas commis la moindre fausse note. Le trio du duel, chanté par ces trois voix richement étoffées, a été pour beaucoup une véritable révélation. Il prend dans ces conditions une allure vivante et dramatique et devient une des scènes capitales de l’œuvre.

Mlle Claessen a fait de Marguerite un de ses meilleurs rôles ; le quatuor du jardin qui reste la page la plus exquisement émue et douce de Gounod lui a valu un succès mérité.

Il faut cependant relever, dans cette reprise de Faust, une regrettable lacune, c’est le manque absolu de correction de l’orchestre, épais, flottant et divers, sous la présidence de M. Archaimbault : ce chef d’orchestre constitutionnel règne et ne gouverne pas. Le final du trio de la prison a été enlevé avec une précipitation qui peut avoir sa raison d’être lorsque l’artiste chargée du rôle de Marguerite, chante en voix de tête, et cherche à escamoter les notes élevées dont les dernières mesures abondent. Ce n’était guère le cas avec le très bel organe de Mme Claessen. Si M. Flon avait conduit l’orchestre jeudi dernier, nous eussions été heureux d’enregistrer une représentation à peu près parfaite.

Edmond Locard.

Il y a quelques jours, le Salut Public faisait au sujet des représentations du dimanche, au Grand-Théâtre, les observations suivantes :

« Nous nous permettons de poser à l’administration municipale cette simple question : Oui ou non, le public du dimanche, composé en majeure partie d’ouvrier et d’employés que leurs occupations empêchent de venir au spectacle les autres jours, a-t-il droit aux mêmes égards que celui de la semaine ?

Il nous semble que sous le régime de la régie municipale, régime de forme essentiellement démocratique, poser cette question, c’est la résoudre – par l’affirmative la plus absolue – le public du dimanche payant sa place au même tarif que celui de la semaine.

Alors pourquoi, lorsque la direction sait pertinemment qu’une représentation sera forcément inférieure, semble-t-elle se faire ce raisonnement qu’elle sera bien suffisante pour les bonnes gens qui ne peuvent venir au théâtre que le dimanche ?

Ces réflexions nous sont suggérées par la représentation de Lakmé qui s’est donnée dimanche soir au Grand-Théâtre et dont les habitués de notre première scène ont eu lieu de se plaindre à trop juste titre pour que nous ne nous fassions pas l’écho de leur doléances.

La thèse que nous soutenons a d’ailleurs été déjà défendue par une plume autorisée et non suspecte d’hostilité à la régie, celle de notre confrère Raoul Cinoh, qui la développa l’an dernier, en de trop excellents termes pour que nous éprouvions le besoin d’insister d’avantage ».

Nous nous associons entièrement à cette observation justifiée encore par la représentation de Carmen donnée le 1er janvier.

Le programme annonçait que le rôle de Don José serait chanté par M. Boulo, le ténor spécialement chargé du service des matinées, et des représentations des dimanches et fêtes. Un imprévu empêche M. Boulo de jouer : on le remplace par M. Viviany dont l’insuffisance a été constatée par tous nos confrères ; le premier acte, avec cet interprète du dernier moment, a presque été tolérable ; mais, au second, ce fut un désastre ; le malheureux ténor nous a donné une série de la et de si bémol dont un seul aurait déchaîné une tempête au temps heureux où il était permis de siffler au théâtre sans mériter pour cela l’épithète de réactionnaire et de clérical.

Les autres artistes ont traité également avec la plus grand désinvolture le bon public assez nigaud pour venir au théâtre le jour de l’an et MM. Merle-Forest et Vialas, pendant l’arrivée de Don José à l’auberge de Lilas Bastia, ont échangé une conversation, non prévue par Mérimée et dont les facéties de circonstance, monnaie courante au café-chantant du cours Gambetta, ne sauraient être tolérées sur notre Première Scène Municipale.

L’orchestre était dirigé par son second chef ; c’est dire que toute la soirée a été entre les cordes, les bois, les cuivres, et les artistes de la scène, une course handicapée dont les spectateurs furent les témoins attristés.

Il est vraiment regrettable que la régie municipale nous offre journellement les petits scandales artistiques tant reprochés à la directin Tournié. Partisan en principe du système actuel appliqué à notre Théâtre nous ne pouvons dissimuler notre mécontentement en constatant de pareils procédés : que M. le Maire médite donc soigneusement le remarquable rapport qu’il rédigea naguère sur la question des Théâtres !

Léon Vallas.

Après Mlle Janssen et Mme Charles Mazarin, Mlle Claessen a repris samedi le rôle d’Elsa dans Lohengrin. Cette artiste, dont notre chroniqueur théâtral dit plus haut la louange, à l’occasion de la représentation de Faust, a été excellente de tous points, et elle s’est certainement montrée – après Mlle Janssen, interprète idéale de l’héroïne wagnérienne, – la meilleure Elsa que nous ayons vue à Lyon.