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Revue agricole (La Nature - 1873)/03

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REVUE AGRICOLE
LA QUESTION DES SUBSISTANCES, ÉCONOMIE À RÉALISER, PRODUCTION À AUGMENTER.

La grande préoccupation de la saison a été celle des subsistances. Si le déficit de la récolte a été souvent exagéré, il n’en est pas moins vrai que, d’après les documents très-sérieux publiés par la maison Barthélemi Estienne, de Marseille, il n’y a pas en 1873 un seul département où la récolte ait été très-bonne. Ou en comptait 43 dans le cas contraire, l’année précédente.

Le tableau suivant permet de se rendre compte des différences que présentent les quatre principales espèces de grains.

Évaluation de la récolte dans les départements :
(Blé) (Seigle) (Orge) (Avoine)
Très-bonne » » 18 32
Bonne 8 8 39 24
Assez bonne 13 5 12 19
Passable 52 20 13 5
Médiocre 12 21 4 »
Mauvaise 1 20 1 2

On voit, d’après ce tableau où les chiffres représentent le nombre des départements, que la récolte de blé a été passable dans 52 d’entre eux. Si l’on tient compte des surfaces cultivées en blé, dans chaque département, et si l’on apprécie par le chiffre 18 la récolte bonne, le chiffre 14 la récolte assez bonne, le chiffre 12 la récolte passable, le chiffre 10 la médiocre et le chiffre 6 la mauvaise, on arrive, en faisant la somme des produits et en la divisant par la surface totale, à apprécier l’ensemble de la récolte par le chiffre 11.5. Or on sait que le chiffre 20 correspond à une récolte de 120 millions d’hectolitres, c’est-à-dire au chiffre le plus élevé que, dans l’état actuel de notre agriculture, nous puissions obtenir. Pour avoir ce résultat de la récolte de 1873, il suffit donc d’établir la proportion entre le chiffre 11.5 de la récolte actuelle et celui de 20 ; on aura pour résultat 69 millions d’hectolitres. Or on mange 72 millions d’hectolitres de blé, les semences en consomment 14 millions, le déficit serait donc de 17 millions d’hectolitres, mais, comme l’a fait observer M. Barral, dans toutes les années de rareté, la consommation diminue, le pain de froment est remplacé par d’autres nourritures. Et il est très-probable qu’un complément de 8 à 10 millions d’hectolitres pourra certainement suffire.

L’Algérie est rangée, pour le blé, l’orge et l’avoine, dans les régions où la récolte a été passable ; l’Alsace-Lorraine dans la région où la récolte a été passable pour le blé, bonne pour l’orge et l’avoine, mauvaise pour le seigle. En ce qui concerne l’étranger, voici comment la récolte de blé peut être appréciée :

  • Angleterre, récolte moyenne.
  • Écosse, au-dessous de la moyenne.
  • Irlande, moyenne.
  • Italie, médiocre.
  • Provinces-Danubiennes, médiocre.
  • Russie méridionale, médiocre.
  • Suisse, assez bonne.
  • Espagne, bonne.
  • Belgique, passable.
  • États-Unis, bonne.
  • Turquie, passable.
  • Égypte, médiocre.

Ces renseignements, qui ne sont point exagérés, prouvent que généralement la récolte du blé n’a pas été bonne. Heureusement que les États-Unis, d’où nous tirons une bonne partie de nos grains, sont mieux partagés. L’Espagne, qui est à nos portes, se trouve également dans de bonnes conditions. Il est donc facile de prévoir que notre déficit pourra, sans trop de difficulté, être comblé par l’importation.

Cette nécessité nous amène à insister sur tous les moyens qui peuvent augmenter la production des céréales en France.

Nous ne dirons rien sur la nécessité d’organiser le crédit agricole ; cette question nous entraînerait hors du cadre de la Nature. Mais nous parlerons d’une cause de perte dans la production des céréales, due au manque de bons outils agricoles, et surtout au défaut d’emploi de semoirs mécaniques.

Il est reconnu que, par la méthode encore très-usitée de semer à la volée, les quatre cinquièmes de la semence mise en terre restent improductifs et constituent une perte considérable. Cela s’explique dans les semailles à la main ; une partie de la semence reste sur le sol, sans être couverte, et les oiseaux la mangent ; d’autres grains sont enterrés à une trop grande profondeur, ils ne germent pas et sont dévorés par les rongeurs, ou bien ils ne germent que tardivement et ne fournissent que des tiges étiolées, étouffées par les premières sorties. L’emploi des semoirs mécaniques fait disparaître ces inconvénients. Les semences sont entièrement recouvertes par le semoir et tous les grains sont placés à la même profondeur ; cette profondeur est d’ailleurs réglée suivant la nature du sol ; de cette façon, la levée a lieu rapidement, et presque en même temps avec l’espacement de 15 centimètres. La végétation est, de plus, activée par l’air qui circule entre les lignes et les racines, se développant mieux dans la terre restée libre. Les blés, ainsi semés, sont beaucoup moins sujets à la verse, la tige moins encombrée prend plus de dureté et résiste davantage. De plus, le grain étant déposé par le semoir à une petite profondeur, le collet de la plante se trouve au ras du sol et les talles se développent plus facilement.

Dans la méthode ordinaire, on emploie environ 2 hectolitres par hectare, et jusqu’à 3 dans les terres maigres ou peu favorables au froment.

À l’aide du semoir, on a souvent obtenu de beaux résultats en ne semant que 145 litres et même 97 et 60 litres seulement à l’hectare.

On a reproché à l’ensemencement en ligne de faire mûrir les blés inégalement, et au semoir mécanique de laisser entre les lignes des espaces où l’herbe pousse vigoureusement. Mais MM. Crespel, Delisse, d’Arras, et bien d’autres cultivateurs, sont arrivés à éviter ces inconvénients. En exécutant des lignes croisées, la semence est répartie aussi bien et même mieux qu’à la main ; tout le terrain est suffisamment couvert. Il n’y a pas de tallage tardif et d’épis précoces qui mûrissent mal.

Le semoir ne peut être employé partout, mais on estime qu’on peut en généraliser l’usage sur trois millions d’hectares, et si les cultivateurs convertissaient en engrais les économies résultant de son emploi, le produit de la seule récolte du blé s’accroîtrait d’une somme annuelle de 336 millions, et l’augmentation du commerce des engrais s’élèverait chaque année à 261 millions. Cela ne mérite-t-il pas d’arrêter un peu l’attention ?

Ernest Menault.