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Revue littéraire - Le Parnasse contemporain

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Revue littéraire - Le Parnasse contemporain
Revue des Deux Mondes3e période, tome 66 (p. 211-224).




REVUE LITTÉRAIRE



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LE PARNASSE CONTEMPORAIN.



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La Légende du Parnasse contemporain, par M. Catulle Mendès. Bruxelles, 1884 ;
Auguste Brancart.



Comme les Réalistes, qui les précédèrent, et comme les Naturalistes, qui lèsent suivis, les Parnassiens, — quelque opinion d’aiileurs que l’on ait de leur œuvre et quelque jugement qu’en doive porter l’avenir, — auront joué leur bout de rôle dans l’histoire littéraire de ce temps. Quel fut exactement ce rôle ? et, s’il n’a pas eu toute l’importance que les Parnassiens ne sauraient guère s’empêcher de lui prêter, n’en aurait-il pas eu cependant une plus grande qu’on ne l’a dit et qu’on ne le croit communément ? À cette question, dont je n’ai pas besoin de beaucoup de mots pour montrer l’intérêt, un livre récent de M. Catulle Mendès, — la Légende du Parnasse contemporain, — nous offre tout naturellement aujourd’hui l’occasion de chercher la réponse. Il faut seulement, si l’on veut la trouver, remonter un peu plus avant dans le passé que ne l’a fait l’historiographe. Son livre est amusant, mais il est superficiel ; et l’anecdote n’y suffit pas à remplacer la chronologie. En datant une évolution de la poésie contemporaine du jour où M. Catulle Mendès et Albert Glatigny se rencontrèrent dans les bureaux de la Revue fantaisiste et s’y saluèrent poètes, on fait tort de leur part dans l’œuvre commune à tous ceux dont l’auteur des Vignes folles et celui de Philoméla ne furent adirés tout que les continuateurs plus bruyans et moins bien inspirés. Une erreur de trois ou quatre ans ravit ainsi à l’école entière l’honneur de ses vraies origines. Et je ne sais si l’on ne peut dire qu’en se trompant de moins que rien sur un chiffre, M. Catulle Mendès la prive tout simplement de sa place, de sa raison d’être et du meilleur même de son influence dans l’histoire de la littérature française contemporaine.

Quand le jour sera venu, dans quelque cinquante ans d’ici, d’écrire cette histoire, il est effectivement une année qu’on y devra noter comme féconde, significative et caractéristique entre toutes. C’est cette année 1857, qui vit paraître coup sur coup la Question d’argent, de M. Dumas fils. Madame Bovary, de Gustave Flaubert, et les Fleurs du mal, de Charles Baudelaire. Ce que toutes ces œuvres, et quelques autres que l’on y pourrait joindre, ont de commun entre elles, un seul critique alors, autant du moins qu’il me souvienne, M. J.-J. Weiss, eut assez de pénétration pour l’apercevoir, et de bonheur pour le démêler. Grâce à lui, grâce à ce triage aussi que le temps opère tout seul, nous le discernons plus clairement aujourd’hui, sans qu’il soit encore bien facile de le définir avec exactitude. Il semble toutefois que ce fût au dehors, dans la forme, une certaine vigueur ou même brutalité de facture, et intérieurement, au fond, un effort pour serrer la réalité de plus près. Le roman de Flaubert, essentiellement différent de celui de Balzac, s’opposait au roman de Charles de Bernard ou de Jules Sandeau à peu près comme le théâtre de M. Dumas fils, profondément différent de celui de son père, s’opposait au théâtre de Scribe ou Bayard. Plus nettement posé dès lors dans l’esprit de M. Dumas fils, moins nettement dans celui de Flaubert, le problème était bien le même ; et, pour l’un comme pour l’autre, il s’agissait d’établir entre la littérature et la vie ce que nous pourrions appeler une équation parfaite. On n’oubliera pas que c’était aussi l’objet de M. Taine, qui publiait, vers ce temps-là même, ses premiers Essais de critique et d’histoire. La direction générale du mouvement étant ainsi déterminée, nous allons voir comment les premiers Parnassiens s’y rattachent. Ce n’est point, en effet, à M. Catulle Mendès, qui n’avait pas, je crois, encore mis les pieds à Paris, non plus qu’au fameux Glatigny, qui cabotinait alors aux environs de Carpentras ou d’Alençon, c’est à M. Théodore de Banville et à M. Leconte de Lisle que ce titre doit appartenir. L’un et l’autre venait de faire paraître le premier recueil de ses Poésies complètes.

Victor Hugo, Lamartine et Musset, dans la première moitié, ou, plus exactement, dans le second quart de ce siècle, de 1825 à 1850, nous avaient donné des chefs-d’œuvre auxquels on ne saurait comparer, dans l’histoire de la poésie française, que les chefs d’œuvre eux-mêmes de Racine, de Molière, de Corneille, Mais, qui dit chefs-d’œuvre ne dit pas ni n’a jamais voulu dire des œuvres qui défient la critique, où l’on ne puisse rien trouver à reprendre, et qui soient enfin l’absolue perfection de leur genre. Or, on pouvait penser et l’on pensait effectivement alors que, parmi toutes ses qualités, cette grande poésie lyrique avait manqué d’un peu de précision, de netteté, de réalité même. L’antiquité des Odes et Ballades, par exemple, comme l’Orient des Orientales, n’étaient-ils pas encore un Orient et une antiquité de convention ? Qu’était-ce que cette religiosité vague ou cette philosophie flottante qui circulaient dans les Méditations, dans Jocelyn, dans la Chute d’un ange, sans s’y concréter nulle part en un corps de doctrine, ni nulle part prendre forme et figure ? Et, quant à l’auteur enfin des Nuits et de Rolla, que lui était-il arrivé qui ne fût aussi bien arrivé à tout le monde, ei quelles trahisons extraordinaires ou quelles déceptions inouïes avaient donc justifié les éclats de son désespoir ? Je ne décide point ici ni ne juge, mais je raconte et j’expose. Baulelaire, dans ses Fleurs du mal, essaya donc de donner pour motif et pour thème au désespoir poétique des souffrances moins banales, plus particulières et plus rares, plus subtiles et plus aiguës, que la banale souffrance d’amour. M. Leconte de Lisle, dans ses Poèmes antiques et plus tard dans ses Poèmes barbares, en allant puiser aux sources d’une érudition plus sûre, s’efforça de représenter les civilisations antiques ou exotiques sous des traits moins généiaux, d’un dessin plus précis et d’une couleur locale plus authentique. Enfin M. Théodore de Baville, imitateur direct de Gautier, se proposa de rétablir dans ses droits « la forme » trop souvent négligée par Lamartine surtout, par Musset quelquefois, et par Victor Hugo même, lequel, à ce moment, n’était encore l’auteur ni de la Légende des siècles, ni des Chansons des rues et des bois. La théorie parnas-sienne était née.

Comment et pourquoi les questions de forme y prirent tout de suite une importance prépondérante, c’est ce que suffisent à nous dire les circonstances mêmes au milieu desquelles elle se continua. Si l’on admet, avec M. Taine, que la littérature est l’expression des sociétés, les œuvres expressives et significatives de l’état social, — quels qu’en soient d’ailleurs les défauts, ou même l’insignifiance à tous autres égards, — deviennent forcément aux yeux de la critique les plus intéressantes, pourne pas dire les seules qu’il y ait lieu d’étudier. Pareillement, si l’on tombe d’accord avec l’auteur du Demi-Monde et celui de Madame Bovary que l’imitation de la vie dans sa totalité sera désormais l’objet propre du roman et du théâtre, le théâtre et le roman aussitôt tendent vers le réalisme, impressionnisme, naturalisme, ou de quelque autre nom qu’on le veuille nommer. Et pareillement enfin, si la poésie lyrique se propose d’être quelque chose de plus, ou seulement d’autre, que l’expression spontanée d’une émotion personnelle, c’est-à-dire si les choses y reprennent la place dont le moi superbe du poète les avait un temps dépossédées, il est inévitable qu’elle soit conduite à chercher la rénovation de son fond dans les raffinemens de la forme.

On a beaucoup divagué sur cette question de forme. Disons donc ici que, partout et toujours importante, — quoique non pas peut-être au sens où l’entendent Bescherelle et Napoléon Landais, — elle l’est à peine moins en poésie qu’en peinture ou en sculpture même. Là est la justification des Parnassiens, et là l’explication de leur réelle influence. Tandis que l’on ne serait pas embarrassé de citer au théâtre des œuvres qui continuent de plaire en dépit de l’incorrection, de l’insuffisance, de la vulgarité du style, comme Bataille de dames ou comme les Demoiselles de Saint-Cyr ; et tandis que, dans le roman même, il est des œuvres mal écrites qui ne sont pas moins extrêmement curieuses ou même presque de premier ordre, comme la Chartreuse de Parme ou comme la Cousine Bette, c’est vraiment en poésie que la forme est inséparable du fond, ou, pour mieux dire encore, que l’insuffisance et la banalité de la forme suffisent toutes seules à précipiter l’œuvre entière dans l’éternel oubli. Quoi de plus naturel ? quoi de plus légitime ? Si l’on écrit en vers, n’est-ce pas pour ajouter à la vérité du fond tout ce que la magie de l’art y peut ajouter de prestige, de séduction, de splendeur ? et quelle raison aurait-on de mesurer, de cadencer, de moduler la pensée, s’il n’y avait dans la modulation, la cadence et la mesure une vertu propre et toute-puissante, à peu près analogue à celle de la ligne en sculpture et de la couleur en peinture ? Les philosophes rechercheront là-dessus à quelle nécessité de la nature humaine répond l’invention du vers ; d’où vient qu’il n’est pas de peuplade barbare, sur les bords d’un fleuve africain ou dans une île perdue de la Polynésie, dont les chansons de guerre ou d’amour n’obéissent aux lois d’une rythmique inconsciente ; et selon quels rapports secrets ou quelles affinités mystérieuses chaqne langue a constitué son système ou son art poétique. Pour nous, nous ne voulons ici constater que deux choses : l’une, que les vers, et surtout dans nos langues modernes, n’expriment rien au fond qui ne se puisse exprimer en prose, et l’autre, qui en découle comme une conséquence nécessaire, que les vers valent donc à peu près uniquement par la forme. C’est ce qui explique pourquoi d’une langue à l’autre les poètes sont intraduisibles, comment il n’est pas envers eux de pire trahiron que de les mettre en puose, et qu’aucun éloge ne leur agrée plus que de. s’entendre dire qu’ils savent tous les secrets die leur art. C’est aussi L’explication du succès qui n’a jamais manqué même à des formes vides, pourvu qu’elles fussent neuves, originales ou savantes, des formes telles qu’en ont plus d’une fois trouvé l’auteur d’Émaux et Camées, et, parmi les vivans, celui des Odes funambulesques.

Il importe évidemment que cette préoccupation de la forme ne dégénère pas en manie, et je ne voudrais pas répondre qu’à cet égard les Parnassiens fussent à l’abri de toute critique. J’estime au moins qu’on ne saurait leur faire un juste grief d’avoir enseigné, contre « l’école du bon sens » et de la faute de français, le respect absolu de la langue. « Ne confondez pas agréable avec aimable, accort avec charmant, avenant avec gentil, séduisant avec provocant, gracieux avec amène, holà ! ces divers termes ne sont pas synonymes ; ils ont, chacun d’eux, une acception particulière, ils disent plus ou moins dans le mên’e ordre d’idées, et non pas identiquement la même chose… Les gfiffonneurs politiques, et surtout les tribuns de même nature, enseignait Pierre Charles, ont seuls le droit d’employer admonition pour conseil, objurgation pour reproche, époque pour siècle, contemporain pour moderne… Mais nous, ouvriers littéraires, purement littéraires, nous devons être précis, nous devons toujours trouver l’expression absolue, ou bien renoncer à tenir la plume. » Cette leçon si simple, — si doctoralement et prétentieusement donnée, — prouve sans doute que Baudelaire, qui la donnait, M. Léon Cladel, qui l’a recueillie pieusement, et M. Catulle Mendés enfin, qui la reproduit avec admiration, n’avaient pas fait leur rhétorique, mais enfin la leçon est bonne. Tous les trois, fort ignorans des principes mêmes de l’art d’écrire, et ne sachant pas qu’ils traînaient partout, essayaient péniblement de les réinventer ; on ne peut pas leur en faire un crime, on doit même leur en faire un éloge. Et quand ils se plaignaient de la fâcheuse influence qu’exerçait, qu’exerce encore sur la langue le triste jargon des affaires et de la politique, ils avaient certainement raison. Après quoi, quand Baudelaire continuait en ces termes : « Examinez : ce mot n’est-il pas d’un ardent vermillon et l’azur est-il aussi bleu que celui-là ? Begardez : celui-ci n’a-t-il pas le doux éclat des étoiles aurorales, et celui de la pâleur livide de la lune ? Et ces autres, où s’allument des scintillations égales à celles des crinières inextricables des comètes ! Et ces autres encore, en qui l’on découvre les arborescences splendides et prodigieuses du soleil ! » je conviendrai que Baudelaire ne s’enteoîdait plus lui-même. À moins peut-être, ce jour-là, qu’il ne voulût, selon sa coutume, « faire poser » le naïf disciple, et traiter M. Léon Cladel comme « un simple bourgeois. » On se représente malaisément un bon jeune homme convenant qu’une préposition qu’on lui montre a effectivement « le doux éclat des étoiles aurorales, » et reconnaissant dans une conjonction le scintillement des « crinières inextricables des comètes. »

Mais, de toutes les théories affichées par les Parnassiens, celle que l’on a le plus vivement attaquée, c’est leur théorie de la rime, telle qu’on la trouve habilement exposée dans le Petit Traité de poésie française de M. Théodore de Banville. Dirai-je que c’est au contraire celle que je trouve le plus aisément défendable, et, malgré quelques exagérations ou quelques affectations, de beaucoup la plus voisine de la vérité vraie ? Grâce, en effet, à ces négligences dont Lamartine et Musset eux-mêmes n’avaient pas craint de donner l’exemple, et grâce à l’autorité de quelques prosateurs qui, sans doute, ne s’étaient jamais enquis de ce que c’est qu’un vers français, une étrange opinion s’était accréditée, dont on pourrait, en cherchant bien, retrouver encore plus d’une trace. On professait que la rime, dans notre langue, constituait une gêne pour le poète, qu’on pouvait donc en user familièrement avec elle, et, faute enfin de pouvoir absolument s’en passer, prendre toutes les licences qu’exigeraient le sens ou la raison. N’avait-on pas même inventé cet ingénieux, mais bizarre argument, qu’ayant le plus grand soin d’éviter en prose « la répétition des finales, » c’était une preuve que la rime en elle-même était moins propre à charmer qu’à fatiguer l’oreille, l’importuner, et l’exaspérer ? Contre ces paradoxes, qui témoignaient d’une ignorance très excusable de l’évolution historique du vers français, en même temps que d’une méconnaissance impardonnable des lois de l’harmonie de la langue, les Parnassiens ont voulu rétablir la rime dans l’intégrité, la légitimité, la souveraineté de ses droits. Qui prétendra qu’ils aient eu tort ?

Non contens de répéter, comme on l’avait fait plus d’une fois avant eux, qu’à l’idée la plus poétique la rime ajoute un agrément nouveau, que la contrainte même qu’elle impose à l’expression, en lui donnant plus de propriété, donne par suite à la pensée plus d’exactitude et de force, et qu’il est impossible, enfin, qu’en aucun temps de la langue un mauvais rimeur ait pu passer pour un grand poète, ils posèrent donc, selon un mot de Sainte-Beuve, que la rime est « l’unique harmonie » du vers, et que « l’imagination de la rime » est, entre toutes ou par-dessus toutes, la qualité ou faculté qui constitue le poète. « Si vous êtes poète, écrivait M. Théodore de Banville, vous commencerez par voir distinctement, dans la chambre noire de votre cerveau, tout ce que vous voulez montrer à votre auditeur, et, en même temps que les visions, se présenteront spontanément à votre esprit les mots qui, placés à la fin du vers, auront le don d’évoquer ces mêmes visions pour vos auditeurs. » Il ajoutait plus loin : « Tant que le poète exprime véritablement sa pensée, il rime bien ; dès que sa pensée s’embarrasse, sa rime aussi s’embarrasse, devient faible, traînante et vulgaire, et cela se comprend de reste, puisque pour lui rime et pensée ne sont qu’un. » Rien de plus vrai que ces observations, car ce ne sont pas ici des théories, mais bien des observations, établies, confirmées, démontrées par l’tiistoire, et ceux-là seuls en ont pu contester la justesse qui croient encoie, comme au siècle dernier, qu’une même rhétorique, fondée sur les mêmes principes généraux, vagues et abstraits, gouvernerait également l’art pédestre d’écrire en prose et l’art ailé de chanter en vers. Lorsque Buffon, pour louer des vers, les déclarait beaux comme de belle prose, il ne se moquait point, et c’était la poétique de son siècle, où, faisant abstraction de tout ce qui constitue le vers et la poésie même, on ne leur demandait plus que les qualités de sens, de liaison des idées, de logique apparente, d’ordonnance extérieure et de correciion grammaticale qu’on demande à la prose. Mais puisque la prose et la poésie sont deux, il faut bien qu’elles aient des règles et des lois différentes, car, si elles avaient les mêmes, il est trop évident qu’elles ne seraient plus qu’un.

Que d’ailleurs les Parnassiens aient exagéré la rigueur des règles qu’ils ont établies sur cette base inattaquable et que, dans l’application, pour vouloir rimer trop richement, ils aient bien des fois rimé très pédantesquement, c’est possible, c’est même certain. On en citerait trop d’exemples. Où les versificateurs d’autrefois mettaient à la rime ces épithètes vagues dont Boileau s’était déjà moqué, « crimes affreux » et « troubles cruels, » « promesse trcmpeuse » et «vengeance terrible, » les Parnassiens ont mis trop de noms propres : de « Kailaça » et de « Daçaratha, » de « Kymatolège » et « d’Autonoé, » de « Khrysaor » et « d’Abd-el-Nur-Eddin, » qui sonnent mieux peut-être, mais ne font pas meilleure figure. On le leur a d’autant moins aisément psrdonné que, bien loin de savoir le grec, ils ont prouvé, quand ils ont voulu traduire Homère, qu’a peine savaient-ils le latin. Ils y ont mis aussi trop d’expressions techniques et trop de mots insignifians qui, en obligeant la pensée d’enjamber sur le vers suivant, ont pour ainsi dire supprimé le temps même que devait marquer la rime. Et généralement, sous prétexte que la rime était tout, on peut dire qu’ils ont abusé du droit de cheviller en mettant à l’intérieur du vers les mots de remplissage que leurs prédécesseurs, plus naïfs, laissaient volontiers à la rime. Peut-être même est-ce ici, comme on le montrerait sans peine, l’une des différences qui distinguent le plus nettement noire ancien vers classique du vers assez improprement appelé romantique. Mais, en dépit des exagérations dont aucure réforme après tout ne saurait se défendre, le principe même de la réforme n’en était pas moins excellent, et il méritait la fortune qu’il a faite. C’est vraiment, en effet, la rime qui gouverne la constitution du vers français, et, dans toute œuvre vraiment lyrique, c’est l’entrelacement des rimes qui doit gouverner la constitution de l’ensemble.

En même temps qu’ils accusaient de négligence ou d’incorrection la langue poétique de leurs prédécesseurs, et leurs rimes, en général d’insuffisance ou de pauvreté, les Parnassiens accusaient leurs métaphores d’inexactitude et leurs images d’incohérence. C’était à ce pauvre Boileau que M. Théodore de Banville en faisait cruellement le reproche ; pour être plus moderne, c’est à Musset que M. Catulle Mendès a cru devoir l’adresser. Beaucoup de gens penseront avec nous que, si l’auleur des Nuits l’a peut-être quelquefois mérité, l’auteur de cette Légende des siècles, dont les Parnassiens ont fait en quelque sorte leur Bible, pourrait bien l’avoir mérité plus souvent. Un peintre sachant son métier ne laisserait pas d’avoir quelque peine à représenter sur la toile ces images énormes qui, de bonne heure, — dès le temps des Châtimens ou des Contemplations, — sont devenues familières à Victor Hugo. Je ne veux rien dire de celles que l’on rencontre dans le Soleil de minuit, de M. Catulle Mendès, ou dans la Création des fleurs, de M. Stéphane Mallarmé. Mais il sera plus utile, à ce propos, de faire observer que l’on tranche ici trop lestement une question très délicate. Si l’inexactitude plastique, pour ainsi dire, des métaphores, et si l’incohérence des images, d’une part, sont en effet des vices du style, et des vices assez choquans, il est difficile de ne pas remarquer, d’autre part, que la cohérence absolue des images et l’exactitude entière des métaphores sont une des formes les plus certaines de la préciosité. Lorsque Cathos dit à Mascarille : « De grâce, contentez un peu l’envie que ce fauteuil a de vous embrasser, » elle n’est ridicule que pour poursuivre une métaphore usuelle, puisque l’on dit couramment qu’un fauteuil a des bras. Et de même quand Trissotin, pour contenter « la faim » de Philaminte et d’Armande, joint a au plat» qu’il avait promis « le ragoût » d’un sonnet, qui est de sel attique « assaisonné » partout, et qu’il se flatte enfin que l’on trouvera « d’assez bon goût » il n’amuse et ne fait rire que pour vouloir faire durer la cohérence de l’image au-delà de ce que le bon goût en peut supporter. Vingt autres exemples, que le lecteur n’aura pas de peine à retrouver dans sa mémoire, prouvent à tout le moins qu’il y a là un problème pendant. Si simple qu’il paraisse d’abord, il est au fond si difficile et surtout si complexe, il confine à tant de hautes et curieuses questions de la philosophie du langage en ce qu’elle a de plus mystérieux et de plus abstrus, que je n’en oserais pour le moment proposer aucune solution. Mais je puis toujours dire que de l’existence d’un tel problème il résulte que « l’inexactitude des métaphores » et a l’incohérence des images » ne sont peut-être pas d’aussi grands vices de style que l’on croit.

Sans doute, ce sont là de pures questions de forme, ou de métier même, nous en convenons volontiers et les Parnassiens avec nous. Seulement, dans le siècle où nous sommes, ces questions de métier, qu’en aucun temps d’ailleurs un vrai poète n’a pu dédaigner, sont insensiblement devenues l’art même, et plus nous irons maintenant, plus il semble évident qu’elles devront achever de se confondre avec lui. L’inspiration, sans une certaine règle, n’a jamais suffi toute seule à soutenir les œuvres, et le talent naturel, sans une certaine discipline, et de plus en plus rigoureuse, n’y suffira plus désormais. Car un cri du cœur, comme on dit quelquefois, cela fait toujours honneur à la sensibilité de celui qui le laisse échapper, mais nous avons tous poussé des cris du cœur, ou presque tous, et nous n’en sommes pas plus poètes pour cela. L’expression de ce cri du cœur, c’est-à-dire, — comme l’indique assez l’étymologie même du mot, — l’ensemble des moyens et la succession des artifices qui, des profondeurs obscures de la sensibilité, l’amènent à la pleine conscience de lui-même et le tixent dans une forme éternellement durable, voilà la poésie, voilà l’art ; voilà aussi le métier, si l’on sait bien l’entendre. Et nous ne savons pas ce que la faiblesse de la rime ou l’impropriété des termes ajouterait d’éloquence à ce cri, mais nous voyons au contraire très bien le surcroît de valeur qu’il reçoit de la précision du langage et de la contrainte du rythme. Tous les arts en sont là de nos jours. « La conscience est devenue désormais une condition nécessaire à la réalisation de la beauté… L’idée que ce mot implique a longtemps été dépourvue de valeur dans le domaine de l’art. On ne songeait pas à louer le peintre ou le sculpteur de n’avoir pas épargné sa peine... Mais la connaissance approfondie de la nature et de l’histoire a donné de nos jours au mot de conscience une haute signification. En l’employant aujourd’hui, on parle du devoir rigoureux qui incombe à l’artiste de s’approprier tout ce qu’une science certaine met au service de son sujet : il s’agit d’une nouvelle probité. Je ne sais ce que la postérité pensera de cette vertu que nous exigeons du talent, mais si elle la méconnaissait, il faudrait qu’elle eût perdu à la fois la juste notion de la forme et le respect de l’histoire. » Cette leçon qu’un grand artiste, M. Guillaume, tout récemment, donnait aux peintres et aux sculpteurs, c’est exactement celle que les Parnassiens se sont efforcés d’inculquer aux poètes de l’avenir. Il faut respecter religieusement la forme parce qu’en poésie, comme en sculpture et comme en peinture, la forme, c’est le fond, parce que les meilleures intentions ne sont comptées au poète qu’autant qu’elles sont suivies d’exécution, et parce qu’enfin la valeur de l’exécution dépend à peu près uniquement de la connaissance qu’il a des règles ou des lois de son art. Bien loin donc, comme on l’a prétendu, que la préoccupation du métier puisse jamais gêner la liberté de l’ardste, c’est au contraire aujourd’hui le seul moyen qu’il ait d’arriver à l’expression entière de sa pensée. Savoir, c’est pouvoir, selon la juste formule, et dans chaque art comme dans chaque science, — les droits du génie mis à part, — on ne peut que dans la mesure où l’on sait.

L’œuvre des Parnassiens, au surplus, est là pour nous prouver qu’on ne saurait, en matière d’art, tenter aucune innovation dans la forme qui, de proche en proche et comme insensiblement, ne finisse par avoir renouvelé le fond. Rien qu’en se proposant, en effet, de remettre en honneur ce « respect religieux et de la langue et du rythme, » ils s’étaient imposé à eux-mêmes l’obligation d’éprouver de plus près la qualité des syllabes, et, plus difficiles sur le choix des mots, ils s’étaient, par cela seul, rendus plus exigeans sur l’exaciitude et la vérité des choses. Après les Victor Hugo, les Lamartine, les Musset, les Vigny même, on ne pouvait se faire sa place au-dessous d’eux qu’en suppléant à l’abondance de leur inspiration lyrique, par un art plus complexe, plus savant, plus curieux, mais cet art même ne pouvait trouver son support que dans une information plus vaste, une érudition plus précise, des connaissances plus étendues. C’est aussi bien ce que sentait vaguement M. Théodore de Banville quand il donnait aux jeunes poètes ce conseil étrange à coup sûr, dans la forme, de lire « le plus qu'il leur serait possible des dictionnaires, des encyclopédies, des ouvrages techniques traitant de tous les métiers et de toutes les sciences possibles ; » et j’en ai d’ailleurs connu, je parle sérieusement, qui suivaient ce conseil à la lettre. Mais ce que l’on ne saurait trouver ni dans les « encyclopédies, » ni dans les « dictionnaires, » ni même dans un « Traité de la condition des soies » ou dans un « Manuel du fabricant de papiers peints ; » l’exacte notion des choses et l’acception vraie des mots, d’autres poètes, vers le même temps, obéissant à la même secrète influence, les cherchaient où on les trouve, dans la science même, dans la vie, dans la nature.

On a justement critiqué chez les Parnassiens un insupportable abus de la description pittoresque, et nos successeurs l’y critiqueront probablement comme nous ; il faut bien avouer cependant qu’ils ont eu, parmi cette débauche de couleurs, un sentiment de la nature beaucoup plus vif, plus direct et plus franc que les romantiques. Les exemples en abonderaient dans l’œuvre de M. Leconte de Lisle. J’en connais les faiblesses, et j’en ai indiqué les affectitions. Mais enfin, quelque distance qu’il y ait entre le disciple et le maître, entre le poète des Poèmes antiques et des Poèmes barbares et celui des Contemplations ou de la Légende des siècles, s’il le voit de moins haut, ce qu’il nous met sous les yeux, M. Leconte de Lisle l’a vu certainement de plus près et plus fidèlement rendu, moins « littérairement » et plus « littéralement » transcrit. Je sais bien encore à quelles parties de l’œuvre du « magnanime prophète, » comme l’appelle assez plaisamment M. Catulle Mendès, on pourrait rattacher toute cette poésie que l’on a de nos jours désignée sous le nom dti poésie populaire. Ajouterai-je qu’il y a dans les Pauvres Gens, pour ne citer que cet unique exemple, une grandeur épique où n’a jamais atteint ni n’atteindra l’auteur des Intimités et des Humbles ? Il n’est pas moins vrai cependant que de ce genre populaire, — en le ramenant aux justes et modestes proportions qui lui conviennent, baissant le ton et ainsi l’approchant de la réalité, s’attachant d’ailleurs à l’exacte et scrupuleuse observation du détail, — M. François Coppée s’est fait un genre original et nouveau. Si c’est moins « poétique » peut-être, c’est plus réel, plus observé, comme nous disons, et plus vécu. Mais, de tous les Parnassiens, ou du moins de tous ceux que M. Catulle Mendès revendique pour l’honneur de « l’école » ou du « groupe, » celui qui jusqu’à ce jour, tout en acceptant la discipline commune, a le mieux su réserver sa personnalité, c’est M. Sully Prudhomme. Il n’est pas ici question de juger son œuvre, mais seulement d’en indiquer l’un des caractères essentiels. M. Sully Prudhomme est un poète philosophe, et le seul qui, dans ce temps, ait vraiment mérité ce nom. Je veux dire qu’à ces sublimes lieux-communs qui liennent d’ailleurs si bien leur place dans l’œuvre de Lamartine ou de Victor Hugo, M. Sully Prudhomme a tenté de substituer les formules précises du spinozisme, du kantisme, de l’hégélianisme, du darwinisme, et généralement des doctrines ou des systèmes qui, tour à tour ou simultanément, se sont disputé et se disputent encore l’empire de la pensée contemporaine. Il n’a pas toujours réussi, mais il n’a pas échoué complètement. C’est beaucoup, sans doute, si l’on considère les difficultés et les dangers mêmes de la tentative.

Ces quelques exemples, très divers, achèvent de bien montrer la direztion de l’essor et des ambitions de nos Parnassiens. Après trente ans bientôt passés, les œuvres de M. Sully Prudhomme et celles de M. François Coppée répondent encore au programme que les premières poésies de M. Leconte de Lisle avaient jadis tracé. Rien ne serait plus facile que de leur être injuste. Il suffirait d’établir entre eux et leurs prédécesseurs, Hugo, Lamartine et Musset, la crue’le comparaison que les historiens de la littérature établissent entre nos grands tragiques et ces pâles imitateurs dont on pourrait bien dire qu’ils les ont parodiés plutôt encore que copiés: un Marmontel, un La Harpe, un Lemierre, grands hommes d’ailleurs en leur temps, et tous les trois académiciens. Mais la différence est considérable, et si les Parnassiens se sont souvenus des Contemplations ou de la Légende des siècles aussi souvent que nos soi-disant tragiques du xviiie siècle se souvenaient d’Andromaque ou du Cid, ce n’est pas cependant la même chose. Dans quelque art que es soit, il faut bien que nous subissions ceux qui nous ont précédés, puisque nous venons après eux. On ne voit pas, d’ailleurs, ce que nous gagnerions, s’ils ont porté quelque genre à sa perfection, à vouloir ramener ce genre à son enfance. Mais, tandis que nos dramaturges du xviiie siècle, tout en affectant une grande indépendance à régaid des modèles, les reproduisaient cependant avec la plus fâcheuse et déplorable servilité, nos Parnassiens, tout en protestant de leur admiration sincère pour leurs « maîtres, » n’ont pas laissé toutefois de chercher en dehors d’eux des voies nouvelles et une carrière moins usée. J’ai tâché d’indiquer de quelle manière ils s’y étaient pris. En dépit des apparences, et malgré quelques hésitations ou tergiversations facilement imputables à l’autorité d’un grand exemple, les Parnassiens ont essayé de rompre avec la poétique romantique, et pour cela, dans tous les genres, dans le genre lyrique proprement dit et dans le genre descriptif, dans la poésie populaire et dans la poésie philosophique, de serrer de plus près une réalité dont le romantisme s’était si peu soucié, qu’il en avait érigé le mépris en principe.

C’est ainsi qu’au lieu d’être isolés, et comme à part du mouvement général de la pensée contemporaine, les Parnassiens s’y trouvent étroitement rattachés. Non-seulement, en effet, ils sont bien de leur temps, et leurs œuvres fortement marquées au signe de leur génération, mais encore ils n’ont rien tenté d’innover dans la poésie que ce que prétendaient innover au théâtre l’auteur du Demi-Monde ou celui des Faux Bonshommes, et dans le roman l’auteur de Madame Bovary ou celui de Germinie Lacerteux. Les Poèmes barbares, dans leur genre, sont une tentative de même ordre exactement que Salammbô, de même que, pour franchir un intervalle de vingt-cinq ans, les Contes parisiens de M. François Coppée procèdent visiblement de la même inspiration générale que les romans de M. Alphonse Daudet. Ai-je besoin d’ajouter que les problèmes redoutables qui hantent l’esprit inquiet du poète de la Justice et des Vaines Tendresses sont les mêmes aussi qui s’agitent et se débattent entre nos philosophes ? Mais il n’est pas jusqu’à la question de l’imitation de la nature, cette question fondamentale en art, qui ne se soit déplacée pour eux tous» et précisément de la même manière. Au temps du romantisme et jusqu’au milieu de ce siècle, il s’agissait de faire servir la nature à l’expression de sa propre personnalité. C’est aujourd’hui sa personnalité que l’artiste s’efforce de subordonner à la nature pour n’en être plus lui-même qu« le miroir ou le reflet. Il serait facile de montrer qu’une évolution des arts plastiques s’est accomplie dans le même sens.

Voilà pour le fond. Et voici pour la forme. Est-ce au théâtre peut-être que les questions de métier, dans le temps où nous sommes, auraient diminué d’importance ? ou bien est-ce dans le roman ? Mais, dans le roman comme au théâtre, on serait presque tenté de dire que ce sont les seules qui se posent. Dira-t-on que M. Dumas se soit préoccupé médiocrement de l’esthétique de son art, ou Flaubert médiocrement soucié du choix de ses mots et de l’équilibre de ses phrases ? Ou bien encore cette théorie de l’impassibilité, que l’on a tant reprochée aux Parnassiens, — et dont je parle ici tout exprès parce qu’elle n’est qu’une apparence, une enveloppe, en un mot une question de forme, — est-ce l’auteur de la Femme de Claude ou de la Princesse George, et l’auteur de l’Éducation sentimentale ou de Bouvard et Pécuchet qui eussent pu refuser d’y souscrire ? Sous la diversité des effets il faut nous habituer à reconnaître l’identité des principes. Laissons dire M. Catulle Mendès et laissons dire M. Zola : l’un et l’autre procèdent bien de la même origine ; Parnassiens et Naturalistes travaillent bien à la même œuvre ; ce sont des frères ennemis, mais ce sont bien des frères ; et par un dernier trait qui achève la ressemblance, après leur avoir accordé les prémisses qu’ils nous demandent, c’est quand ils en veulent tirer des conclusions inadmissibles que la discussion commence, ou mieux encore quand leurs œuvres viennent maladroitement contredire les théories dont ils nous les donnent comme l’application et la preuve.

On peut te demander, il est vrai, si ce qui convient au roman ou au théâtre convient et peut également convenir à la poésie. Les vers de M, Leconte de Lisle sont quelquefois bien beaux, d’une solidité, d’une plénitude et d’une sonorité rares, mais ils sont toujours bien durs, bien froids, bien « marmoréens, » comme on dit entre Parnassiens. Ceux de M. François Coppée sont toujours faits de main de maître, mais ils sont souvent bien prosaïques, et d’un prosaïsme si simple qu’ils en sont positivement plats. Et ceux de M. Sully Prudhomme sont toujours pleins de sens, — ou du moins je n’en connais pas qui ne veuille dire quelque chose, — mais ils sont bien laborieux, toujours, et souvent elliptiques, enveloppés, obscurs, chargés de mots qui s’étonnent de se voir dans un vers français. Ce seront là, si l’on veut, de ces taches dont la faiblesse humaine, en aucun art ni jamais, n’a pu ni ne pourra se garder entièrement. Mais ne serait-ce pas plutôt, chez eux comme chez les autres Parnassiens, une conséquence de leur esthétique ? La poésie doit-elle serrer la réalité de si près, suivre si fidèlement les contours des choses, transcrire au lieu de transposer ; et, en perdant de son vague, ne perdrait-elle pas quelquefois de son prix, bien loin d’en tirer, comme l’on croit, un autre et nouvel éclat ? Déjà l’art dramatique a reconnu qu’il ne pouvait pas pousser au-delà d’une certaine limite la fidélité de ses reproductions, et M. Dumas, qui jadis était parti du même point, a dû protester éloquemment, dans la préface de son Étrangère, contre une dangereuse intrusion du naturalisme au théâtre. En effet, l’art dramatique a ses conventions, conventions nécessaires, qui sont sa raison d’être, et s’il cessait de s’y conformer, — car c’est toujours là qu’il en faut revenir, — peu importerait le succès d’une œuvre et l’engouement d’un jour, il serait tout ce que l’on voudra, mais non plus l’art dramatique. La poésie tout de même. Il y a, dans les Nouvelles Méditations un chant d’amour :


Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre,
Le doux frémissement des ailes du zéphire
            À travers les rameaux,
………………………


que l’on peut regarder comme absolument caractéristique de Lamartine, qualités et défauts ; et il y a dans les Contemplations une pièce étonnante, les Mages, où l’on retrouve aisément Victor Hugo tout entier, défauts et qualités :


Pourquoi donc faites-vous des prêtres
Quand vous en avez parmi vous ?
………………………


Relisez-les, mais de tout près, avec une méticuleuse attention, et dites si, dans la seconde, l’incompréhensibilité même des images, ou à tout le moins l’impossibilité de les représenter dans le marbre ou sur la toile, jointe au désordre du mouvement, et si, dans la première, l’indécision du dessin, la mollesse des contours, et la fluidité même de la forme n’y sont pas le signe, et la marque, et presque le tout du poète ? C’est ici l’objection, et c’est ici l’interrogation : à savoir, s’il n’y a pas un charme et des beautés inhérentes à toute poésie vraiment digne de ce nom qui finiront par périr sous l’étreinte, en quelque sorte, de ces formes trop savantes. Un poète seul, quelque jour, décidera la question. Mais, en tout cas, né ou à naître, il est certain qu’il ne pourra pas entièrement se soustraire, même s’il veut les combattre, à l’influence des Parnassiens ; et il paraît plus que probable, dès à présent, qu’il lui faudra commencer par procéder d’eux. Et sa gloire suffira, nous dit-on, à la leur. Trop heureux de l’avoir préparé, les Parnassiens, s’il en survit quelqu’un en ce temps-là, lui pardonneront de se révolter, comme ces enfans drus et forts dont a parlé le moraliste, contre ceux mêmes qui l’auront nourri. C’est le dernier mot du livre de M. Catulle Mendès, dont nous n’aimons pas beaucoup les vers et dont nous goûtons peu la prose, mais qui est un homme d’esprit, et de cette sorte d’esprit qu’on appelle esprit de finesse.

F. Brunetière.