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Roxane/39

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (13p. 62-63).

CHAPITRE XVI

LE MOT QUI OUVRE LE COFFRE-FORT


Les funérailles d’Yseult avaient eu lieu.

Mme Philibert était retournée au Valgai, avec son mari ; mais Roxane était encore aux Peupliers. Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, et quoiqu’elle eut fait d’infructueux essais pour ouvrir le coffre-fort où était enfermé le testament de M. de Vilnoble, la jeune fille se proposait de faire un dernier effort, aussitôt que l’occasion se présenterait.

À son retour du cimetière, Champvert avait fait venir Roxane dans son étude et lui avait dit :

Mme Louvier, j’espère que vous ne quitterez pas les Peupliers, d’ici quelques jours, au moins. Je me propose de fermer la maison, pour un certain temps ; en attendant, si vous vouliez continuer à diriger le personnel…

— C’est bien, je resterai encore pour quelques jours, promit Roxane.

Il y avait une semaine de cela, et pendant toute cette semaine, pas une seule occasion ne s’était présentée, dont elle eut pu profiter pour s’approcher du coffre-fort.

Il était huit heures du soir. Champvert était sorti. Les domestiques étaient occupés, dans une autre partie de la maison, excepté Souple-Échine, à qui Roxane avait dit, ce matin-là :

— Tiens-toi près ; j’aurai peut-être besoin de ton aide, ce soir.

La jeune fille se dirigeait vers l’étude de Champvert, suivie du petit Sauvage. Dans la poche de sa robe elle avait mis une boîte d’allumettes et aussi son revolver. De plus, elle tenait à la main une bougie allumée : la fiancée de Hugues de Vilnoble allait faire un dernier effort pour s’emparer du testament.

Arrivée dans l’étude, elle dit à Souple-Échine :

— Vois-tu ce petit alcôve, en arrière de la table à écrire, et qui est dissimulé par des portières ? Tu vas entrer là-dedans et attendre patiemment le moment d’agir. Comprends-moi bien, Souple-Échine ; je veux m’emparer d’un papier, qui est dans ce coffre-fort, un papier qui, je te l’ai dit déjà, est d’une grande importance pour ’Tit maître.

— Oui, oui, belle dame, Souple-Échine comprend bien !

— Si, par malheur, j’étais surprise, mais que je serais venue à bout de mettre la main sur le papier, écoute bien, Souple-Échine, tu feras l’impossible pour t’emparer de ce document dont il est question et tu iras le porter immédiatement au Docteur Philibert.

— Souple-Échine vous obéira.

— Tu sais, il est presque certain que je ne serai pas découverte ; M. Champvert ne reviendra que fort tard, il me l’a dit, ou l’équivalent… Mais, à supposer qu’il arriverait, disons, au moment où je tiendrais dans mes mains le document que je cherche, tu devras essayer, par la ruse de te saisir de ce papier… Quand même tu me verrais en danger, Souple-Échine, tu ne t’occuperas pas de moi ; tu t’occuperas seulement du papier qui a tant d’importance pour ’Tit maître.

— Mais, dit le petit Sauvage, si M. Prévert voulait vous tuer, Souple-Échine ne pourrait vous laisser entre les mains de cet homme !

— N’oublie pas, petit, que tu as promis de m’obéir en tout, dit Roxane. Empare-toi du papier, remet-le au Docteur Philibert ; le reste me concerne… Mais je ne crois pas qu’il y ait à craindre l’arrivée de M. Champvert. Entre dans l’alcôve, Souple-Échine, et attends.

Pendant près d’une heure, Roxane travailla, essayant d’ouvrir le coffre-fort. Elle savait qu’il n’y avait que trois lettres à trouver, mais il s’agissait de les trouver… Ce fut peine perdue. Le notaire avait dû choisir trois lettres au hasard ; alors, c’était se buter contre l’impossible.

Découragée, elle se dirigea vers la table à écrire, elle se laissa tomber sur une chaise et dit, en sanglotant :

— Mon Dieu, inspirez-moi !

Puis, fiévreusement, elle se mit à examiner les papiers qu’il y avait sur la table. Peut-être Champvert avait-il pris en note, sur quelque chiffon de papier, le mot qui ouvrait le coffre-fort ?… Elle ne trouva rien…

Quelque chose tomba par terre et elle se pencha pour le ramasser : c’était un petit carton, de six pouces sur quatre à peu près. Ayant approché le carton de la bougie, Roxane vit que c’était un portrait. Un portrait d’enfant, une mignonne fillette aux yeux rieurs, à la bouche mutine et qui semblait sourire à la jeune fille. Ce sourire était si attrayant que Roxane sourit, elle aussi, à la petite, reproduite sur le carton.

S’il y avait une chose à laquelle on ne se serait pas attendue, c’était bien de voir un portrait de petite innocente entre les mains de Champvert, le voleur, le meurtrier… Sans doute, cet homme avait un secret dans sa vie ; mais cela ne concernait nullement Roxane. Elle se disposait donc à remettre le portrait sur la table, quand elle aperçut, au verso, ces mots, de l’écriture du notaire ; « Léa, à l’âge de trois ans ».

Ayant remis le portrait sous une pile de papiers, la jeune fille appuya sa tête sur la paume de sa main et se mit à essayer de trouver un moyen d’ouvrir le coffre-fort.

Pourtant, elle était distraite ; sans cesse, devant ses yeux, passait la vision de la petite reproduite sur le carton. « Léa à l’âge de trois ans » ; ces mots lui revenaient à la pensée à tout instant. Champvert était donc veuf, quand il avait épousé cette pauvre Yseult ?… Et cette petite innocente, la mignonne Léa, qu’était-elle devenue ? La gardienne des barrières de péage avait un véritable culte pour les enfants ; c’est pourquoi le portrait qu’elle venait de voir l’impressionnait tant. « Léa, à l’âge de trois ans ».

Soudain, la fiancée de Hugues se leva, comme mue par un ressort : elle venait de trouver le mot ouvrant le coffre-fort ! « Léa » ! Oui, Champvert avait dû se servir de ce nom qui lui était cher ! Ce n’était plus « Réa », le nom de Mme de Vilnoble, mais « Léa », le nom de l’innocente petite, dont elle avait tenu le portrait dans ses mains, tout à l’heure !

En un bond, elle fut auprès du coffre-fort ; mais elle tremblait tellement qu’elle avait peine à tourner la petite poignée de la serrure.

— Mon Dieu ! Mon Dieu, venez à mon aide ! pria-t-elle tout haut.

L E A. Avec un bruit de ferrailles, la porte du coffre-fort s’ouvrit… Le testament ?… Oui, il était là… là où Champvert l’avait jeté, le soir où avait eu lieu cette scène entre Yseult et lui !…

Fiévreusement, Roxane saisit le document, et vite elle l’ouvrit… Oui voilà la signature tremblante de M. de Vilnoble… Voilà sa signature, à elle, Roxane Monthy, et aussi celle d’Adrien !  !

Enfin !… Souple-Échine irait immédiatement porter ce document au Docteur Philibert, et celui-ci cacherait le testament de M. de Vilnoble dans le compartiment secret de son coffre-fort, contenant déjà la justification d’Armand Lagrève…

Roxane ouvrait la bouche pour appeler Souple-Échine, quand, levant les yeux, elle aperçut Champvert qui, les bras croisés sur sa poitrine, la regardait, un sourire sinistre sur ses lèvres.