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Rymes/Heureuse est la peine

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RymesTournes (p. 41-44).

Heureuse est la peine
De qui le plaisir
À sur foy certaine
Assis son desir.

Lou peult assés en servant requerir
Sans toutes fois par souffrir acquerir
Ce, que l’on pourchasse

Par trop desirer,
Dont en male grace
Se fault retirer.

Car un tel service
Ne pretend qu’au poinct,
Qui par commun vice
L’honneur picque, & poinct.

Et ce trauvail en fumee devient
Toutes les fois, que la raison survient.
Qui tousjours domine
Tout cueur noble, & hault,
Et peu a peu mine
Le plaisir, qui fault.

Mais l’attente mienne
Est le desir sien,
D’estre toute sienne,
Comme il sera mien.

Car quand Amour a Vertu est uny,
Le cueur conçoit un desir infiny,
Qui tousjours desire
Tout bien hault, & sainct,

Qui de doulx martire
l’environne, & ceinct.

Car il luy engendre
Une ardeur de veoir,
Et tousjours apprendre
Quelque hault sçavoir.

Le sçavoir est ministre de Vertu,
Parqui Amour vicieux est batu,
Et qui le corrige,
Quand dessus le cueur
Par trop il se erige
Pour estre vainqueur.

C’est pourquoy travaille
En moy cest espoir,
Qui desir me baille
Et veoir, & sçavoir.

Estant ainsi mon espoir asseuré,
Je ne crainct point, qu’il soit demesuré :
Mais veulx bien qui’l croisse
De plus en plus fort,
Afin qu’apparoisse

Mon cueur ferme, & fort.

Et que tousjours voye,
Travaillant ainsi,
Tenir droict la voye
D’immortel soucy.

Si donc il veult en si hault lieu monter,
Qu’il puisse Amour, & la Mort surmonter,
Sa caducque vie
Devra soulager
D’une chaste envie
Pour l’accourager.

Ainsi m’accompaigne
Un si hault desir
Que pour luy n’espargne
Moy, ne mon plaisir.