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Séances de la Société agricole et scientifique de la Haute-Loire/4 novembre 1880

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SÉANCE DU 4 NOVEMBRE 1880.


Présidence de M. Béliben, Inspecteur d’académie honoraire.


À l’ouverture de la séance, il est donné lecture d’une lettre de M. Aymard, par laquelle il donne sa démission de président de la Société, motivée sur le mauvais état de ma santé et son grand âge. L’assemblée prie les membres du bureau de faire une démarche auprès de M. Aymard, pour l’engager à revenir sur sa détermination.

M. le Président communique le programme envoyé par M. le Ministre de l’Agriculture, et relatif à un concours pour une chaire de professeur départemental. Ce programme donne lieu à une assez vive discussion. La plupart des membres s’accordent à le trouver hérissé de difficultés dont la solution trouvera bien rarement son application dans nos contrées. Les membres espèrent que le jury saura faire dans son examen la part des choses de chaque jour et de celles qui ne relèvent que de la science pure.

M. Nicolas, directeur de la ferme-école de Nolhac et depuis quinze ans professeur d’agriculture à l’école normale du Puy, interrogé pour savoir s’il a l’intention de se présenter au concours, déclare que telle avait été sa première pensée, mais qu’en ayant référé au Ministre, il lui avait été répondu que les deux fonctions étaient incompatibles. La Société exprime à M. Nicolas son regret de le voir cesser un professorat pendant lequel il avait rendu des services éminents à l’agriculture de notre département.

M. Langlois donne des renseignements sur le concours régional de Clermont-Ferrand auquel il a assisté en qualité de président du jury dans la section des produits agricoles, Ce concours, très animé et très brillant, a été suivi de l’inauguration du monument élevé à la mémoire de Pascal. Les produits agricoles étaient plus beaux et plus variés que dans les autres concours régionaux. La date exceptionnelle de ce concours tenu seulement au mois de septembre avait permis de recueillir tous les produits agricoles. Plus de quatre cents têtes de l’espèce bovine y figuraient. On y comptait de magnifiques produits des races de Salers, d’Aubrac, Charolaise et Durham. Nous sommes heureux de constater que, parmi les principaux lauréats, se trouve notre confrère, M. Couderchet.

Le département de la Haute-Loire, honorablement représenté au concours agricole de Clermont, n’occupait qu’une place modeste dans les expositions industrielle, artistique et autres, à l’exception peut-être de l’exposition pédagogique organisée à l’occasion de cette solennité régionale.

Un congrès phylloxérique a tenu plusieurs séances. Dans l’une des dernières, M. Langlois a fait sur l’état phylloxérique du département de la Haute-Loire et sur les traitements au sulfure de carbone appliqués notamment dans les vignes de Langeac, une communication qui a eu l’approbation de M. Dumas, membre de l’Institut.


Voici les noms des exposants de la Haute-Loire, qui ont obtenu des récompenses au concours de Clermont-Ferrand, dans les catégories bovine et ovine.

M. Arthur Couderchet, au Puy : un prix unique, six premiers prix, six seconds prix, une médaille de bronze et un objet d’art.

M. Descours, aux Estables : un prix unique, un premier prix et une mention honorable.

M. Rochette, aux Estables : un premier prix.

M. Chanal Pierre, à Rouchon ; deux seconds prix et un quatrième prix.

M. Chanal Régis, à Chaudeyrolles : un premier prix.

M. Eyraud, aux Estables : un deuxième et un troisième prix.

M. Pessemesse, au Petit Freycenet : un deuxième prix.

M. Vitet, à Aiguilhe : un deuxième prix.

M. Baffie (Ferdinand), Saint-Christophe-d’Allier : un deuxième et troisième prix, plus une mention honorable.


Serviteurs ruraux

Vitet (Jean), chez M. Couderchet, médaille d’argent.

Alix (Louis), chez M. Pierre Chanal, médaille d’argent.

Chanal (Louis), chez M. Eyraud, médaille de bronze.

Noyer (Antoine), chez M. Descours, médaille de bronze.


M. Langlois lit un rapport sur la bruche, insecte dévastateur des lentilles[1], et M. Lascombe deux légendes recueillies à Saugues et suivies de détails sur les croyances, superstitions et préjugés qui ont cours dans ce canton[2].

M. Rocher donne communication de la copie faite par M. Arsac, professeur à la Chartreuse, d’un superbe parchemin des archives départementales. Sur ce parchemin, malheureusement incomplet (trois peaux sur neuf se sont perdues, mais l’essentiel du titre nous reste), sont transcrits, en caractères admirablement conservés, les deux tiers environ d’une enquête ouverte en 1285 à la suite d’un procès entre Frédol de Saint-Bonnet ou de Montboissier, ancien évêque d’Oviedo en Espagne, évêque du Puy, et Pierre de Goudet, seigneur d’Eynac. Ce document judiciaire retrace des événements du plus vif intérêt sur la transmission à l’église anicienne de la seigneurie de Saint-Julien-Chapteuil, transmission connue jusqu’à ce jour par une légende absolument fausse et à laquelle Oddo de Gissey a fourni mal à propos l’autorité de son affirmation.

Voici, en gros, les événements rapportés par l’enquête :

Vers l’an 1240 (un peu plus tard, c’est possible, mais la date exacte fait défaut), Pierre de Fay, seigneur de Chapteuil, était atteint d’aliénation mentale et sa terre était administrée par sa femme Agnès. Un malheureux serf de la mouvance de Chapteuil, victime sans doute d’une avanie ou d’une exaction intolérable, étant venu avec sa femme chercher un asile dans nos murs, fut réclamé par la dame Agnès à l’évêque Bernard de Montaigu. L’évêque repoussa, comme un crime, la proposition de livrer le pauvre ménage au châtiment de sa maîtresse. Irritée par ce refus, la fière chatelaine et son jeune fils, Pons, pénétrèrent au Puy, avec leurs hommes d’armes, y saisirent les fugitifs et les immolèrent dans la rue des Grases, au pied de la cathédrale. Bernard de Montaigu tira une prompte vengeance de cet attentat. Il partit pour Chapteuil avec une nombreuse escorte, prit d’assaut la forteresse, y installa une garnison avec des capitaines et réduisit le jeune Pons en captivité. Pendant sept à huit années, le château porta la bannière de l’église du Puy et, durant cette même période, Pons resta détenu dans la cour épiscopale. Le damoiseau essaya maintes fois et en vain d’apaiser le courroux de l’évêque. Toutefois, un beau jour, Bernard de Montaigu se laissa fléchir par les larmes et les supplications de son prisonnier et consentit à lui rendre son patrimoine, mais à cette condition expresse que, si Pons venait à mourir sans enfant mâle, sa terre retournerait à l’église du Puy. Pons se soumit à cette condition. Il fut amené dans son manoir par l’évêque et reçut la restitution solennelle de ses domaines sous la réserve qu’il n’aurait pas d’autre héritier que l’église du Puy, dans le cas où il décéderait sans enfant mâle. Trente ou trente-cinq ans se passèrent. L’union de Pons de Chapteuil et de Marqueze de Goudet fut stérile. Le pacte juré sous les murs de Chapteuil en faveur de l’église du Puy devait donc produire son effet. Infidèle néanmoins à la foi promise, le seigneur de Chapteuil légua ses fiefs au neveu de sa femme, Pons de Goudet, seigneur d’Eynac : il mourut vers 1284 et son légataire institué voulut se mettre en possession. C’est alors que l’évêque Frédol demanda à la justice de consacrer le pacte intervenu entre son prédécesseur, Bernard de Montaigu et feu Pons de Chapteuil. Pons de Goudet résista et se prévalut des dispositions testamentaires de son oncle. Un procès s’engagea alors entre l’église du Puy et le seigneur d’Eynac. Au cours de cette instance, et pendant le mois de juin 1285, une enquête se poursuivit dans notre ville par le ministère de Pierre Silve, juge de Nîmes et délégué de Guérin d’Amplepuis, sénéchal de Beaucaire. C’est cette enquête dont la majeure partie est venue jusqu’à nous qui fournit matière à la communication de M. Rocher.

M. Rocher entre dans de nombreux détails sur l’assassinat des serfs de Chapteuil et sur les conséquences de cette tragique aventure. Il analyse les témoignages et fait ressortir la haute valeur des révélations de toute sorte, émanées de ce beau diplôme qui revoit le jour à la distance de six siècles.

Vivement intéressée par cette communication, l’assemblée décide que l’enquête de 1285 et les commentaires dont l’a fait suivre M. Rocher, seront publiés in-extenso dans les Mémoires de la Société[3].

La séance est terminée par la lecture des comptes-rendus des concours tenus à Yssingeaux[4] et à Fay-le-Froid[5] les 19 et 26 septembre 1880.



A. Lascombe.

  1. V. IIe volume, Mémoires, p. 250.
  2. V. IIe volume, Mémoires, p. 214.
  3. V. IIe volume, Mémoires, p. 1.
  4. V. IIe volume, Mémoires, p. 383.
  5. V. IIe volume, Mémoires, p. 395.