Sébastopol/2/Chapitre1

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Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 4p. 27-28).


SÉBASTOPOL EN MAI 1855


I


Six mois sont déjà écoulés depuis que le premier obus des bastions de Sébastopol siffla et laboura la terre dans les travaux ennemis. Depuis lors, des milliers d’obus, de bombes et de balles ont volé sans cesse des bastions aux tranchées, des tranchées aux bastions et l’ange de la mort n’a pas cessé de planer sur eux.

Des milliers d’amours-propres humains ont été froissés, des milliers ont été satisfaits, se sont enorgueillis, des milliers se sont apaisés dans les bras de la mort. Combien de cercueils roses et de draps de toile ! Et toujours éclatent les mêmes sons des bastions. Avec le même tremblement involontaire et la même crainte, les Français regardent toujours, de leur campement, pendant une claire soirée, la terre jaunâtre creusée des bastions de Sébastopol, les figures noires de nos matelots, qui s’y meuvent, et comptent les créneaux où menaçants sont posés les canons d’airain. Toujours de la même façon, le sous-officier observe dans la lunette, du haut du télégraphe, les figures bigarrées des Français, leurs batteries, leurs tentes, les colonnes qui se meuvent sur la verte colline et les petites fumées qui jaillissent dans les tranchées, et toujours avec la même ardeur, des divers côtés du monde, les foules diverses des hommes tendent avec des désirs encore plus divers, vers cet endroit fatal. Et la question, que les diplomates n’ont pas encore résolue, n’est pas encore tranchée par la poudre et le sang.