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Scènes de la vie des courtisanes/La Terreur du Mariage

La bibliothèque libre.
Traduction par Pierre Louÿs.
Petite collection à la Sphinx (p. 15-23).

ii

La Terreur du Mariage

myrtion, courtisane.
pamphilos, son amant.
dôris, son esclave.


myrtion

Tu épouses, ô Pamphilos, la fille de Pheidôn le pilote, et déjà on dit que tu l’as épousée. Tous les serments que tu m’as faits, et les pleurs, tout cela s’en est allé en fumée, et tu oublies Myrtion maintenant, et cela, ô Pamphilos, quand je suis enceinte de huit mois ; voilà donc tout ce que j’aurai tiré de ton amour, ce gros ventre que tu m’as fait, et dans peu de temps il faudra que je nourrisse un enfant ! une bien lourde charge pour une courtisane. Car je n’exposerai pas ce que j’ai enfanté, surtout si c’est un enfant mâle, mais je l’appellerai Pamphilos et je le garderai, moi, comme consolation d’amour, et un jour en te rencontrant il te reprochera d’avoir été sans foi envers sa malheureuse mère. Et tu n’épouses pas une jolie fille ; je l’ai vue dernièrement aux Thesmophories avec sa mère, sans songer qu’à cause d’elle bientôt je ne verrais plus Pamphilos. Et toi regarde-la d’abord, regarde sa figure et ses yeux, de peur que cela ne t’attriste un jour d’avoir une femme qui a les yeux tout à fait glauques et qui louchent en regardant l’un vers l’autre ; mais tu as vu Pheidôn le père de la fiancée : regarde la face de celui-là, tu n’auras plus besoin de voir sa fille.

pamphilos

Mais tu divagues, Myrtion ! est-ce que je vais t’entendre longtemps parler de ces filles et mariages pilotiers ? Est-ce que je sais si elle est camuse ou belle, la mariée ? ou si Pheidôn l’Alôpékêthe, (car c’est de lui que tu veux parler, je crois), a une fille nubile ? Même il n’est guère l’ami de mon père. Je me souviens qu’ils ont plaidé dernièrement pour une affaire maritime. C’est un talent je crois, qu’il devait payer à mon père et il ne voulait pas, mais mon père l’a cité devant les juges maritimes, et il a eu assez de peine à le faire céder ; il m’a même dit que tout n’avait pas été payé. Si je voulais me marier, aurais-je refusé la fille de ce Déméa qui l’année dernière a été stratège, elle qui est ma cousine germaine par ma mère, pour épouser la fille de Pheidôn. Mais de qui tiens-tu cela ? Ou toi-même, ô Myrtion, as-tu inventé ces vaines, ces chimériques jalousies ?

myrtion

Tu ne te maries pas, alors ?

pamphilos

Tu es folle, Myrtion, ou tu es ivre. Pourtant hier nous ne nous sommes pas beaucoup grisés.

myrtion

C’est cette Dôris qui m’a inquiétée. Je l’avais envoyée m’acheter des pièces de laine pour mon ventre, et faire un vœu à Lokheia pour moi, et elle m’a dit qu’elle avait rencontré Lesbia et que… mais plutôt toi-même, Dôris, dis ce que tu as entendu, si tu ne l’as pas inventé.

dôris

Que je sois écrasée. Madame, si j’ai menti. J’étais près du Prytaneion quand Lesbia m’a abordée en riant et m’a dit : « Votre amant Pamphilos épouse la fille de Pheidôn. » Et si j’en doutais, elle m’a dit de regarder en passant votre rue où tout était couronné de guirlandes, avec des joueuses de flûte, le bruit de la fête, et des gens chantant l’hyménée.

myrtion

Eh bien quoi ? tu as regardé, Dôris ?

dôris

Bien sûr. Et j’ai vu tout ce qu’elle disait.

pamphilos

Je comprends l’erreur. Lesbia ne t’a pas tout à fait trompée, Dôris, et tu as dit la vérité à Myrtion ; mais vous vous êtes bouleversées à tort, car la noce n’est pas chez nous. Je me rappelle maintenant que ma mère m’a dit hier, quand je venais de vous quitter : « Pamphilos, ton camarade Charmidès, le fils du voisin Aristainetos, se marie déjà ; il se range ! Et toi jusqu’à quand vivras-tu avec ta courtisane ? » Mais je n’ai pas fait attention à cela et je suis allé dormir. Ce matin à l’aube je suis sorti, de sorte que je n’ai rien vu de ce qu’a vu Dôris depuis. Si tu n’as pas confiance, vas-y de nouveau, Dôris, et regarde attentivement non pas la rue, mais la porte, et vois laquelle est ornée de guirlandes, tu trouveras que c’est celle des voisins.

myrtion

Tu me sauves, Pamphilos. Je me serais étranglée si cela était arrivé.

pamphilos

Mais cela ne serait pas arrivé. Je ne suis pas fou à ce point, que d’oublier Myrtion, et cela quand par moi elle est grosse d’un enfant.