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Scènes de la vie des courtisanes/Les Lesbiennes

La bibliothèque libre.
Traduction par Pierre Louÿs.
Petite collection à la Sphinx (p. 43-51).

v

Les Lesbiennes

leaina, joueuse de cithare.
klônarion, son amie.


klônarion

Nous apprenons du nouveau sur toi, Leaina ; la riche Lesbienne Megilla est amoureuse de toi, comme un homme, et vous vivez ensemble et il se passe je ne sais quoi entre vous ? Qu’est-ce qu’il y a ? Tu rougis ? Dis-moi si c’est vrai ?

leaina

C’est vrai, ô Klônarion. J’en suis honteuse… C’est si étrange…

klônarion

Mais qu’est-ce que c’est ? que te veut cette femme ? Que faites-vous, quand vous êtes ensemble ? Tu la regardes ? — Ah ! tu ne m’aimes pas, car tu ne me cacherais pas de telles choses.

leaina

Je t’aime plus qu’aucune autre… Cette femme est terriblement mâle.

klônarion

Je ne comprends pas ce que tu dis… à moins que ce ne soit une de ces courtisanes, comme on dit qu’il y en a dans Lesbos, de ces femmes qui ne peuvent pas se souffrir sous des hommes, mais ont avec les femmes des rapports virils.

leaina
C’est quelque chose comme cela…
klônarion

Eh bien, Leaina, raconte-moi cela, comment elle a cherché à te séduire d’abord, comment tu t’es laissée persuader, et le reste.

leaina

Elles avaient organisé un souper, elle et Dêmônassa la Korinthienne, qui est riche aussi et a les mêmes goûts que Megilla. Elles me firent venir pour jouer de la cithare, et quand j’eus fini de jouer, quand le soir vint, quand il fut temps de dormir, après qu’elles eurent bu : « Voyons Leaina, dit Megilla, on serait déjà bien dans le lit. Couche ici, avec nous, et entre nous deux. »

klônarion

Tu t’es couchée ? et après cela qu’est-il arrivé ?

leaina

Elles m’ont baisée, d’abord, comme des hommes, et non seulement en appliquant les lèvres, mais en entr’ouvrant la bouche, et elles m’étreignaient dans leurs bras et elles m’écrasaient les seins. Dèmônassa même me mordait dans ses baisers. Pour moi je ne comprenais pas ce qui se passait. Enfin Megilla déjà chaude ôta sa fausse chevelure, tout à fait semblable [à une vraie], et naturelle, et apparut rasée jusqu’à la peau comme un courageux athlète. Et moi je fus bouleversée de voir cela. Mais elle : « O Leaina, dit-elle, as-tu déjà vu un jeune homme aussi beau ? — Mais, dis-je, je ne vois pas de jeune homme ici, ô Megilla. — Ne m’effémine pas, dit-elle, car je m’appelle Megillos et j’ai épousé depuis longtemps cette Démônassa, et elle est ma femme. » Je me suis mise à rire, Klônarion, et sur ces mots j’ai dit : « Ainsi donc, ô Megillos, tu étais un homme à notre insu, comme on dit qu’Akhilleus est resté chez les filles, caché par sa robe de pourpre ?… et tu as la virilité et tu fais à Démônassa ce que font les hommes ? — Cela, dit-elle, ô Leaina, je ne l’ai point. Mais il ne s’en faut pas de beaucoup… Tu me verras m’unir d’une façon spéciale, qui est bien plus voluptueuse. — Mais tu n’es pas un hermaphrodite, dis-je, comme on raconte qu’il y en a beaucoup, qui ont les deux organes. » Car je ne savais pas encore, ô Klônarion, ce que c’était, « Non, dit-elle, mais je suis tout à fait mâle. — J’ai entendu parler, continuai-je, par la Boïotienne joueuse de flûte Ismênodôra, de cette femme Thêbaine qui est devenue homme, et ce fut un devin excellent, je crois, appelé Teiresias. Est-ce qu’il ne t’est pas arrivé un accident comme celui-là ? — Non, Leaina, dit-elle. Je suis venue au monde semblable à vous autres femmes ; mais j’ai les goûts, les désirs et tout le reste d’un homme. — Et cela te suffit, dis-je, les désirs ? — Laisse-toi faire, Leaina, si tu ne me crois pas, dit-elle, et tu reconnaîtras que je n’ai rien à envier aux hommes. J’ai quelque chose à la place de la virilité… Mais laisse-toi faire et tu verras. » Je me suis laissée faire, Klônarion ; elle me suppliait tant ! et aussi, elle me donnait un collier splendide, avec des tuniques du lin le plus fin. Alors, moi, je l’ai serrée dans mes bras comme un homme, elle m’a fait des baisers, elle s’est unie à moi en haletant et il m’a paru qu’elle jouissait excessivement. »

klônarion

Mais, comment s’est-elle unie ? de quelle manière ? Ô Leaina, dis-moi cela surtout !

leaina

Ne me demande pas de détails. Ce sont des choses honteuses. Aussi, par l’Ouranienne, je ne le dirai pas.