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Sous l’éventail/Texte entier

La bibliothèque libre.
Sandoz & Fischbacher (p. couv.-xxviii).
ZÉNON FIÈRE

SOUS L’ÉVENTAIL
Sonnets
L’éventail cache le rire et les pleurs.
longfellow.
PARIS
SANDOZ & FISCHBACHER
33, Rue de Seine, 33

1878
ZÉNON FIÈRE

SOUS L’ÉVENTAIL
Sonnets
L’éventail cache le rire et les pleurs.
longfellow.
PARIS
SANDOZ & FISCHBACHER
33, Rue de Seine, 33

1878


i

DÉDICACE

à madame l. c. de la p.

Durant les belles matinées,
Dans les prés aux vives couleurs,
L’aurore émaille de ses pleurs
Les ronces & les graminées.

Au gai soleil illuminées,
Comme des perles sur les fleurs,
On voit resplendir de lueurs
Ces gouttes vers les deux tournées.


De même, si votre regard
Vient à se fixer par hasard
Sur l’œuvre à vos pieds déposée,

Je croirai voir pour un moment
Mon humble goutte de rosée
Se transformer en diamant.


ii

Aux Femmes


Ô vous dont les traits m’ont charmé,
Souriez à cette œuvre amie :
Mon vers badin n’est point rhythmé
Pour la scène ou l’Académie ;

Ma verve ironique ennemie
Des critiques au ton gourmé,
En les bravant s’est endormie
Au fond d’un boudoir parfumé.

Je veux, ô, beautés radieuses,
Pour me lire, vos voix rieuses ;
Pour m’applaudir, vos doigts, rosés.

Fi d’un auteur qui s’éternise !
Moi, je m’en tiens à ma devise :
Courts poèmes & longs baisers !


iii

Double Inspiration

à mademoiselle noémie a.

Peintre, en vain j’essayai mes pinceaux impuissants :
L’idéal avait fui. Poète à court d’idée
En vain je ciselai la strophe demandée :
Les rhythmes résistaient à mes efforts pressants.

Dans cet âpre désert de l’esprit & des sens,
Ainsi que Polymnie à son marbre accoudée,
Je vous vis jusqu’à moi, jeune muse attardée,
Fixer de vos yeux noirs les feux éblouissants.

Au même instant, le ciel s’entrouvrit sur ma tête
Et je pus comparer en mon ravissement
Le bleu de votre écharpe au bleu du firmament.

Peintre & poète alors reprirent leur palette
Et tandis que vos yeux leur servaient de flambeau
Le rêveur fit son chant, l’artiste son tableau.


iv

Première Cigarette

à miss mary stuart

Quand sous les feux de juin l’éther a palpité,
Souvent un lis blessé penche son blanc calice
Et semble faire appel au nuage propice,
Qui doit garder son front du vif soleil d’été.

Ainsi mon cœur craignant vos éclairs de beauté
Vous pria d’en voiler la flamme & le caprice,
En y faisant flotter la vapeur protectrice
D’un tabac d’Orient qui vous avait tenté.

Mon péril vous émut. Placée en vos doits frêles
La cigarette ombra l’émail de vos prunelles,
Et je crus me soustraire à leur éclat moqueur.

Vaine pitié !… Perçant l’azur d’un trait vainqueur,
Vos lèvres & vos yeux jetaient des étincelles
Qui toutes, chose étrange, allaient frapper mon cœur !


v

Lied du Réveil


Réveillez-vous : sur la croisée
Sourit l’aube au teint virginal,
Et le soleil plus matinal
Sèche les pleurs de la rosée.

Pour parfumer votre élysée,
La fleur du barde oriental
Répand loin du bosquet natal,
Son haleine aromatisée.

Que dis-je ? au fond de leurs massifs
Les oiseaux s’éveillent pensifs
En se demandant où vous êtes,

Car vos yeux aux cils espagnols
Font naître des chants de poètes
Et des concerts de rossignols.


vi

La Fête nationale

à mlles b.

Nos palais luttent de clarté ;
Des feux d’opale & d’améthyste
Se reflètent de tout côté
Sur vos yeux dont l’éclat persiste.

Paris jusqu’au soir a chanté ;
Plus d’une fois, à l’improviste,
Vos doux rires ont éclaté,
Et cependant mon âme est triste !

Hélas ! voire adieu sans espoir
Voile pour moi d’un crêpe noir
Cette fête à jamais célèbre.

Vous partez !… — tout s’emplit de deuil :
Chaque palais est un cercueil,
Chaque flamme un cierge funèbre !


vii

Tumidum Mare


Quoi ! ton courroux sur moi sévira-t-il sans cesse ?
Et la pâleur au front m’efforcerai-je en vain
D’adoucir la fierté de tes yeux de princesse
Et de reconquérir ton sourire et ta main ?…

Quelques jaloux transports qu’affecte une maîtresse
N’entrevoyons-nous pas, à travers son dédain,
Le regard qui guérit près du regard qui blesse
Et le geste amical près du geste hautain ?…

Trêve donc aux rigueurs que ta voix me présage !
Puisse un calme profond naître après cet orage,
Puissent nos deux cœurs vivre en un rêve éternel !

Car le pardon est doux à toute lèvre humaine,
Car tout cède à l’amour — & tu sais que Chimène
« En poursuivant le crime aimait le criminel. »


viii

Le Grand Som

à mademoiselle émilie b.

Au pied de ces monts que l’artiste admire,
L’horizon s’étend plus vaste & plus clair,
Aussi vos regards prompts comme l’éclair,
Vont-ils du Mont-Blanc jusqu’au lac d’Elvire.

Pour moi, dans ces lieux où l’azur m’attire,
Je sens s’apaiser le reflux amer
Sous lequel mon âme ainsi qu’une mer
Depuis si longtemps s’enfle & se déchire.

Reprenant un songe à peine achevé,
Je retrouve ici l’idéal rêvé,
Et devant vos yeux malgré moi je tremble :

J’abandonne alors tout projet réel,
Sauf le vif désir de rester ensemble
Si loin de la terre & si près du ciel !


ix

À Mlle Jeanne Hennet

peintre et sculpteur

À toi, fille de l’art antique,
Le temple au gothique contour
Où ta palette est tour à tour
Rembranesque & raphaëlique.

À toi le ciel mythologique
Où ton ciseau peut en un jour
Modeler en torse d’amour
Le grain du marbre penthélique.

Que l’art moderne & l’art ancien
Sous ces outils de magicien
Joignent leur double apothéose !

Car tu peux, ainsi qu’Astarté,
En ce monde où meurt toute chose
Créer l’immortelle beauté.


x

Le Portrait


Quand des amours défunts mon luth veut s’inspirer,
Captif dans cette chambre où tout me parle d’
elle,
J’admire son portrait qui semble respirer
Et l’image en mon cœur évoque le modèle.

Nul peintre ne traça d’esquisse plus fidèle ;
Pour tromper le regard tout paraît conspirer :
L’œil vous suit en tous lieux & darde une étincelle,
Les lèvres vont s’ouvrir, le sein va soupirer !…

Dans l’extase charmante où cette erreur me plonge,
Par un effet d’optique, il me semble la voir
Pour descendre vers moi sortir du cadre noir.

Alors sur le portrait mon baiser se prolonge
Et j’espère, en entrant dans mon premier sommeil,
Qu’elle va me le rendre en un songe vermeil.


xi

Double Aurore

à mademoiselle louise f.

Ne te souvient-il pas du coteau de Barbière
Où pour voir le soleil j’ai si longtemps marché ?
— Le sol glissait à peine, une faible lumière
Éclairait les débris dont il était jonché.

Au sommet, je m’assis sur un vieux bloc de pierre,
Le rossignol chantait dans les rameaux caché ;
Tu l’écoutais, pensive, & ta chaste paupière
De pleurs silencieux baignait ton bras penché.

Bientôt la nuit fit place à l’aube matinale,
Le ciel eut des reflets d’émeraude & d’opale
Et des flots de clarté brillèrent dans tes yeux.

Tu contemplas alors l’immense paysage ;
Le soleil resplendit sur le bord d’un nuage
Et notre amour monta comme lui dans les cieux !


xii

L’Œillet du Poète

à mademoiselle émilie b.

Jeune fille au rire moqueur,
Pourquoi renier la soirée
Où ta main si bien inspirée
Fixa cet œillet sur mon cœur ?…

Bien qu’elle ait perdu la couleur
Dont le ciel l’avait empourprée,
Comme une relique sacrée,
Je garde encor la pauvre fleur.

Dans un écrin d’argent placée,
Elle rappelle à ma pensée
Tes yeux où le bonheur sourit.

Puis tout bas elle vient me dire
Que sans soleil la fleur expire,
Que sans amour le cœur périt.


xiii

Éblouissement


Le rocher bordé d’eaux où son regard de reine
Pour la première fois s’adoucit à mes yeux ;
Où ma joue effleura sa tresse au flot soyeux,
Où j’osai de mon cœur lui confier la peine,

Je voudrais l’embellir comme un royal domaine,
Y bercer quelquefois mon rêve ambitieux,
M’y faire de ses fleurs un bouquet précieux,
Y graver nos deux noms sur l’écorce d’un chêne.

Mais sa lèvre où l’amour s’était épanoui,
Parut alors si belle à mon œil ébloui
Que le roc s’éclipsa devant l’enchanteresse.

Dès lors, par monts & vaux, mes pas ont beau chercher
La place où s’échangea la première caresse
Je ne retrouve plus ni source ni rocher.


xiv

Paysage féminin

à mlle marie-louise b.

L’été dernier, épris des sites en renom,
Canne ferrée en main, avant jour, nous partîmes
Afin de contempler sous des cieux plus sublimes
Le soleil de juillet se levant au Grand-Som.

Nul ne sut mieux que vous réprimer le frisson
Que fit naître en nos cœurs l’aspect des noirs abîmes ;
Votre ardeur provoqua des bravos unanimes
Et les échos charmés redirent votre nom.

Mais qui l’eût dit ? Au pic le plus haut parvenue,
Vous vîtes à regret une envieuse nue
Cacher la plaine verte & l’astre au front vermeil.

Pour moi, nul horizon ne me plut davantage :
— L’ensemble de vos traits formait le paysage
Et l’éclair de vos yeux remplaçait le soleil !


xv

Éclaircie

à madame l. c. de la p.

Le chant du poète a gardé
Sa grâce & sa douceur divine ;
En l’écoutant nul ne devine
Qu’un long sanglot l’a précédé.

Dans l’éther de feux inondé,
L’orient plus clair s’illumine,
Et cependant sur la colline
Cette nuit la foudre a grondé.

De même, ô créature étrange,
Je vois sous un sourire d’ange
Briller ton regard azuré.

Mais cette gaîté n’est qu’un voile,
Et cet œil plus vif qu’une étoile
Dans la nuit souvent a pleuré.


xvi

Diamant des Larmes


Un soir mélancolique où j’avais demandé
L’aumône d’un rayon au toit qui vous abrite,
Bercé par la pitié dans vos regards écrite
Je vous ouvris mon cœur de sanglots obsédé.

Foyer désert, chevet de larmes inondé,
Dégoûts, désirs de mort, cris de l’âme maudite,
Noir poème de pleurs d’où la joie est proscrite,
Tout jaillit de mon sein comme un flot débordé.

Tel je parlai. — Soudain, sous un jet de lumière,
Une larme émailla votre humide paupière
Plus vive qu’un brillant au grand jour observé.

Le temps de ce tableau n’a point terni les charmes
Et depuis trois hivers j’ai toujours conservé
Dans l’écrin de mon cœur ce diamant des larmes.


xvii

À Jeanne d’Arc


Tu mourus sans prévoir ton plus cruel affront,
Jeanne ! Un des fils de ceux que sauva ton épée,
Osa ternir l’éclat de ta sainte épopée
Et répandre à loisir l’insulte sur ton front.

Mais ne crains rien ! Vers toi de son vol le plus prompt
La Poésie accourt par la foi retrempée
Et toute une pléiade autour d’elle groupée
Va raconter ta gloire aux âges qui viendront.

Ô martyre, à ton nom l’art chrétien se ranime :
Delavigne te doit son chant le plus sublime,
Schiller, son plus beau drame, & Boyard ses lauriers.

Tu fais vibrer en nous mille fibres secrètes :
Les exploits de ta vie excitent les guerriers
Et l’horreur de ta mort fait pleurer les poètes.


xviii

À ma Mère


Ton foyer va ce soir prendre un aspect de fête,
Frère & sœur baiseront ta joue avec ferveur ;
Mais toi, tu chercheras parfois d’un œil rêveur
La place où se dressait jadis ma jeune tête.

Plus les souhaits ardents que leur lèvre répète
T’auront fait tressaillir sous leur charme vainqueur,
Plus tu verras aussi combien manque à ton cœur
Celui qui rendrait seul ton extase complète.

Mais son baiser viendra t’effleurer à son tour,
Car l’élan qui surgit d’un filial amour
Brave dans son essor l’infini de l’espace,

Et ce soir, dans l’essaim des songes caressants,
Tu me verras penché sur ton front face à face :
— Le rêve est le divin rendez-vous des absents !


xix

Consolation

à madame alvar-garnier

Quand sous le chagrin qui l’oppresse
Notre cœur blessé se détend
Et dans un sanglot palpitant
Exhale un long cri de détresse,

Quel bonheur ! si, dans sa tendresse,
Une âme aimante nous entend
Et nous console en racontant,
Elle aussi, sa propre tristesse.

Consolateur & consolé
Versent alors d’un œil troublé
Des larmes d’angoisse & de joie ;

Et tous deux bénissent les pleurs,
Ces ruisseaux que Dieu nous envoie
Afin d’emporter nos douleurs.


xx

À Mlle Adèle Souchier

sur son recueil de poésies : L’OISEAU BLESSÉ

Le poète, arraché du char d’Ézéchiel,
Sur notre sol ingrat de pleurs se rassasie ;
Des maux qu’elle a sondés sa main encor saisie
Verse en nos flancs meurtris le vin, l’huile & le miel.

Moderne Prométhée, il monte jusqu’au ciel
Pour aller nous cueillir la fleur de poésie,
Et tandis qu’il nous tend la coupe d’ambroisie,
Il ne garde pour lui que la coupe de fiel.

Pour charmer nos douleurs sa voix est toujours prête ;
Et sans songer au trait dont son cœur est percé,
Il fait couler le baume où l’absinthe a passé.

L’oiseau blessé, c’est vous, c’est moi, c’est le poète !
De nos sanglots amers sort un rhythme puissant
Et chaque vers nous coûte une goutte de sang !


xxi

Sortilège


Syrène aux traits menteurs, ton profil ravissant
Emprunte la candeur des fronts les plus novices ;
Tu m’as environné de tes vils artifices
Et mon cœur a cédé sous ton charme puissant.

En vain je voulus fuir ton coup d’œil trop perçant :
— Tu l’adoucis. Captif de tes grâces factices
En vain je secouai le joug de tes caprices :
— Tu pris toute ma force & taris tout mon sang.

Tu vainquis… Je roulai dans la spirale ardente :
Mon regard s’obscurcit & ma bouche imprudente
But le feu de l’enfer sur tes lèvres resté.

Six mois je m’enivrai de tes philtres étranges,
Et six mois je crus voir le plus pur des archanges
Dans le plus noir démon que l’abîme ait porté.


xxii

Point Noir

imité de burger

Ami, quand tu fixas sur le soleil levant
Cet indiscret regard dont tu m’as dit l’histoire,
Ta prunelle expia son défi dérisoire
En gardant un point noir qui l’obséda souvent.

Tel fut aussi mon sort : je vis briller la gloire
Et je dardai sur elle un regard si fervent
Que mon œil ébloui croit voir dorénavant
Son azur obscurci par une tache noire.

Et ce signe fatal en tout lieu me poursuit,
Et quel que soit l’objet dont l’éclat m’ait séduit
Ce point vient s’y poser comme un sinistre augure.

Il trouble chaque jour ma joie & mon sommeil…
— C’est qu’il faut être l’aigle à l’immense envergure
Pour sonder sans péril la gloire & le soleil !…


xxiii

Mon Anniversaire

à ma sœur marie

Puisqu’en quittant les mains qui savaient me bénir
J’ai perdu le seul bien qui me fût nécessaire,
Le jour de ma naissance aura beau revenir,
Je ne fêterai plus ce triste anniversaire.

Trop souvent éprouvé pour croire en l’avenir,
Au milieu d’un passé que nul rayon n’éclaire,
De mes espoirs défunts j’ai dressé l’inventaire
Sans trouver nulle part l’attrait d’un souvenir.

À quoi bon ? c’est la vie ! À l’oubli condamnées,
Je vois s’évanouir mes stériles années
Et mes rêves nouveaux rejoignent les anciens.

Ce soir vingt-huit hivers pèseront sur ma tête ;
Et pourtant pas une heure à qui je crie : arrête !
Pas un seul jour auquel mon cœur dise : reviens !


xxiv

La Sérénade de Uhland

à mademoiselle florentine augier

— Quel son résonne à mon côté ?…
Le vent m’apporte par saccade
Une mystérieuse aubade
Dont rien n’égale la beauté.

— J’écoute en vain…, nul n’a chanté.
Pour toi, ma pauvre enfant malade,
Nul ne donne de sérénade :
Ce n’est qu’un doux rêve d’été.

— Ah ! ce n’est pas d’un son terrestre
Que vibre le divin orchestre
Auprès duquel je vais m’asseoir ;

Ce n’est point musique mortelle :
C’est un chœur d’anges qui m appelle,
Je monte au ciel, mère, au revoir !


xxv

Pleurs de l’Homme

à madame v. de r.

La larme de la femme est un flot de cristal
Qui coule sans efforts ainsi que la rosée
Dont l’onde, en perles d’or sous nos pas déposée,
Ravive la couleur de chaque végétal.

Mais la larme de l’homme est-elle analysée ?…
— C’est le suc résineux de l’arbre oriental,
Dont la source plus rare & plus avant creusée
Ne livre sa liqueur que sous l’acier brutal.

Le fer coupe l’écorce & va droit à la sève :
Le flot coule… & si l’arbre épuisé se relève
Il conserve à jamais sa blessure de roi.

— Ô toi, cruel objet qu’à chaque instant je nomme,
Toi qui sais tout le prix des pleurs que verse un homme,
Femme, songe qu’un jour j’ai pleuré, devant toi !


xxvi

Le Son le plus lugubre

à mlle marie colomb

Quels sont les bruits les plus navrants ?
— Est-ce le glas des cathédrales,
La voix des nocturnes rafales
Ou la plainte des chiens errants ?

— Non ! ces cris sont moins déchirants
Que les paroles sépulcrales
Qui dans la nuit, par intervalles,
Sortent des lèvres des mourants.

— Mais il est un son plus intense
Devant lequel fuit l’espérance
Et qui fait trembler mes genoux ;

C’est le bruit sec que rend le chêne,
Quand dans la bière déjà pleine
On enfonce les premiers clous.


xxvii

Insomnie


Sous mes rideaux d’enfant dès la brume tirés,
Les Elfes me berçaient de leur vague harmonie
Et mon front qu’effleurait l’aile d’un bon génie
Se peuplait d’oiseaux bleus & de songes dorés.

Tout change ! Sur mes traits par la veille altérés,
Les soucis maintenant font planer l’insomnie
Et mes yeux jusqu’au jour contemplent l’agonie
De ces esprits menteurs qui les ont enivrés.

Syrènes de l’amour, fantômes de la gloire
En vain je veux fixer votre essaim dérisoire,
Mon rêve qui vous suit se brise au moindre écueil.

Aussi, sentant mon cœur mort à toute espérance,
Je m’étends sur ma couche & je prends à l’avance
L’attitude qu’un jour j’aurai dans le cercueil.


xxviii

Au Poète


Un âne en train de braire à l’ombre d’une treille,
Y vit un rossignol qui rêvait à l’écart :
— Chante pour moi, dit-il, je suis un peu de l’art
Et j’ai sans me flatter du goût… & de l’oreille.

L’oiseau cède — & soudain dans le bois qu’il éveille
Merles, bouvreuils, pinsons, le cherchent du regard.
L’amant reste longtemps rêveur, & le vieillard
Sent revivre en son cœur le passé qui sommeille.

— Confrère, dit Martin, pas trop mal débuté !
Mais, crois-moi, si tu tiens à polir ton ramage
Prends deux ou trois leçons du coq du voisinage.

— Poète, as-tu saisi le trait que j’ai conté ?
Le rossignol, c’est toi ; chante loin des profanes
Car quels sont les trois quarts de tes censeurs ? — Des ânes !