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Souvenirs d’un hugolâtre/4

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Souvenirs d’un hugolâtre
la Génération de 1830
Jules Lévy, 1885 (pp. 15-18)
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IV


La révolution de juillet 1830 nous profita, à nous, collégiens.

Nous eûmes un congé d’une dizaine de jours. Congé suffisant pour qu’il nous fût possible de vaguer par les rues, sur la place de l’Hôtel de Ville, quand on y intronisa Louis-Philippe Ier, « la meilleure des Républiques », et dans la cour du Palais-Royal, pour applaudir le roi-citoyen paraissant à son balcon, entonnant parfois la Marseillaise que nous commencions à savoir par cœur, — ou, plus souvent, la Parisienne de Casimir Delavigne, chant approprié à la circonstance, populaire parmi les « philippistes ». Les philippistes trouvaient l’hymne de Rouget de l’Isle trop révolutionnaire.

Après le 7 août, après l’avènement du prince pour qui « une charte devait être désormais une vérité », nous rentrâmes dans la pension.

On reprit les classes au collège, où la distribution solennelle des prix retardée pour cause de batailles, n’eut lieu que le 31 août.

Hélas ! les vacances seraient donc diminuées ! Nous avions espéré mieux !

Nous avions vu assez fréquemment le duc d’Orléans, cousin de Charles X, se promener bras dessus bras dessous avec le proviseur, dans la grande cour des classes ; car le duc d’Orléans conduisait quelquefois au collège Henri IV, ses fils, — le duc de Chartres et le duc de Nemours, — comme eût fait un bon bourgeois du Marais.

Aux distributions de prix, nous avions presque toujours vu ce prince et sa famille mêlés avec les parents des élèves, et distingués seulement à cause des fauteuils velours et or sur lesquels ils étaient assis, en face de l’estrade des professeurs.

La popularité du disciple de Mme de Genlis y gagnait étonnamment ; la bourgeoisie française trouvait cela superbe, et, de fait, il nous plaisait d’avoir de tels camarades.

Le duc d’Aumale, le prince de Joinville et le duc de Montpensier ne s’asseyaient pas encore sur les bancs poussiéreux du collège. Ils ne parurent que quelques années plus tard.

À la distribution des prix du 31 août 1830, Louis-Philippe Ier, pourvu d’une couronne, ne vint pas occuper son fauteuil ordinaire.

Notre proviseur lui avait respectueusement manifesté ses craintes : les soins de la chose publique devaient peut-être enlever au collège, cette année-là, l’honneur de sa présence ?

« Vous avez raison, avait répondu le roi-citoyen, je n’ai plus, comme les années précédentes, deux heures par jour à donner à mes plaisirs. »

Paroles aimables, — citées textuellement dans le palmarès, — en admettant qu’elles aient été dites.

Mais si Louis-Philippe Ier n’assistait pas, pour cause de royauté, à la distribution des prix, la reine n’y voulut pas manquer.

L’entrée de Marie-Amélie fut très applaudie ; on fêta la mère de famille. Plus applaudie encore fut la première phrase de M. Alfred de Wailly, agrégé de rhétorique, lorsque, commençant la classique tartine qui sert de prélude à toute distribution de récompenses universitaires, il s’écria :

« Ce n’est pas le temps des longs discours… »

Le jeune auditoire saisit et goûta l’allusion.

Quelle bonne fortune pour les lauréats impatients ! Pas de longs discours !

Cependant, en 1831, la solennité des prix ne fut pas honorée par la présence de la famille royale.

Quelques malins esprits le remarquèrent tout haut, et peut-être s’en préoccupa-t-on aux Tuileries.

Plus tard, la reine Marie-Amélie se fit un devoir de battre de ses propres mains — aux triomphes éclatants du duc d’Aumale, — aux faibles succès du prince de Joinville, — aux encouragements que reçut le duc de Montpensier.

Je dois être véridique, et déclarer que les enfants de Louis-Philippe méritèrent de figurer sur les tableaux du collège comme « bons élèves ».

Les légitimistes riaient de cette éducation. En 1835, non loin de la tour de Clovis, on lisait sur les murs la phrase suivante, bien intelligible : « Pour aller à Bordeaux, il faut passer par Orléans. » Certes, l’éducation du duc de Bordeaux ne ressemblait guère à celle des princes de la branche cadette. Son précepteur était l’abbé Tharin.


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