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Souvenirs de Rome/02

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Souvenirs de Rome
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 86 (p. 392-418).
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IMPRESSIONS DE VOYAGE
ET D’ART

SOUVENIRS DE ROME.

II.
LES EGLISES DE ROME. — MICHEL-ANGE DE CARAVAGE.


I. — SAINT-JEAN DE LATRAN.

Saint-Jean de Latran est la première église que l’on devrait visiter, si, pour voir Rome, on suivait une méthode logique, que je ne conseille d’ailleurs à personne d’adopter. Sous le rapport des arts, cette église n’est pas cependant au nombre des plus riches de Rome, mais c’est celle qui réveille les souvenirs les plus imposans et les plus vénérables. La véritable basilique de la tradition du pouvoir catholique, ce n’est pas Saint-Pierre, c’est Saint-Jean de Latran. Saint-Jean de Latran est né le jour même où le christianisme célébrait sa victoire définitive sur le monde, car c’est Constantin qui en jeta les fondemens dans son propre palais, et c’est là qu’en souvenir de cette grande origine chaque nouveau pape vient prendre possession du trône pontifical. Cette basilique parle encore avec éloquence d’un autre grand événement d’un extrême intérêt pour tout Français lettré et qui a, quelque sentiment de l’histoire nationale. De la vieille basilique de Constantin, il ne reste plus en effet que l’emplacement ; l’église qui se dresse avec un aspect de palais devant l’un des plus beaux paysages qu’il y ait au monde sortit de terre dans les premières années du séjour des papes à Avignon, et deux monumens d’art, une fresque, un tombeau, y gardent la mémoire des deux pontifes qui furent le principe et la fin du long exil de la papauté. La fresque, attribuée à Giotto, nous présente l’image du pape Gaetani, Boniface VIII ; le tombeau est celui du pape Colonna, Martin V, sous lequel finit la captivité de Babylone.

En contemplant cette basilique, il m’est venu la rêverie assez singulière que l’humanité était encore bien plus ignorante qu’on ne le croyait. Non-seulement les hommes retiennent difficilement le souvenir du passé, non-seulement l’avenir est lettre close devant leurs yeux, mais ils ne comprennent presque jamais le présent et n’éprouvent presque jamais les sentimens que devraient logiquement inspirer les événemens auxquels ils assistent. L’histoire de Saint-Jean de Latran en est la preuve. Il y eut un jour dans notre passé où le souverain de la France, — lequel par parenthèse compte parmi ses titres celui de chanoine de Saint-Jean de Latran, — réussit, par une série de coups politiques d’une audace sans exemple, à mettre les clés de l’église dans sa poche et à déplacer le siège du pouvoir pontifical. Or, au moment même où l’instrument de Philippe le Bel, Bertrand de Gouth, commençait la longue séquestration du saint-siège à Avignon et la série de nos papes français, la vieille basilique de Saint-Jean de Latran fut consumée par l’incendie. Eh bien ! Il me semble que, si j’avais été un Romain de cette époque, cet accident m’aurait douloureusement fait rêver. Sans trop de superstition, les Romains d’alors auraient pu croire que c’en était fini pour jamais. Eh quoi ! au moment même où commençait cette émigration du souverain pontificat, l’antique témoin de l’établissement politique du christianisme à Rome, la Mater ecclesia, caput orbis et urbis, disparaissait aussi ! Cette coïncidence étrange n’était-elle pas une preuve que le centre de la religion était pour toujours déplacé ? Si Dieu n’avait pas permis que ce monument restât debout pour raconter un passé brusquement détruit, c’est que sans doute ce passé ne devait connaître aucun retour. D’autre part, il me semble que, si j’avais été ministre de Philippe le Bel, j’aurais été très frappé de cet événement, et que je l’aurais regardé comme d’un heureux augure pour le succès de la vilaine action qui venait d’être consommée. On pouvait facilement exploiter cet incendie et s’en servir pour persuader aux peuples toute sorte de choses utiles au prince et à la nation française. Dieu détruisait l’église des églises au moment même où le roi de France plaçait la papauté à portée de sa main ; n’était-ce pas la preuve évidente qu’il avait condamné Rome, qu’il se détournait d’elle et voulait transporter son église hors des murs de cette ville coupable qui l’avait profanée ? Quel thème admirable pour les sortilèges de l’éloquence ! En outre, comme on pouvait déjà voir venir l’inique procès des templiers, rien n’était plus facile que de découvrir dans cet incendie un symbole du sort qui menaçait tous les hérétiques et les simoniaques. Eh bien ! ni les Romains, ni les Français d’alors ne connurent aucun de ces sentimens. Les Romains ne s’affligèrent pas ; mais avec la constance qui est chez eux traditionnelle ils se remirent aussitôt à reconstruire leur église-mère, et les Français, loin de comprendre un événement si favorable à la cause de Philippe le Bel, envoyèrent des sommes considérables pour la réédification, qui fut commencée sous le pontificat même du triste Clément V.

Une fresque, ai-je dit, conserve le souvenir du pontife qui fut l’origine de cat événement célèbre. Elle représente le pape Boniface VIII proclamant le jubilé de l’an 1300, le fameux jubilé de Dante. On peut garantir la ressemblance de cette image peinte par Giotto, car elle est en exact rapport avec le portrait physique que nous retrace l’histoire, et surtout avec l’âme qu’elle nous présente. Toute la personne respire la force, la santé, la domination et l’orgueil. Sur ses lèvres court le sourire du triomphe et de l’ambition satisfaite. Il vient d’effacer le pontificat du pieux radoteur Pierre de Morone, il se prépare à excommunier les Colonna ses ennemis, il a reçu la soumission de Frédéric de Sicile. C’est tout à fait le pontife violent et politique que dans le Dante appelle et salue du fond du puits des simoniaques le pape Nicolas III, de la maison des Orsini. Combien différent de celui qu’il sera quelques années plus tard lorsqu’il entrera dans Anagni entre Nogaret et Sciarra Colonna, souffleté, abreuvé de fiel, non plus seulement vicaire, mais, comme le dit Dante, représentation même du Christ, et qu’il mourra désespéré, en mordant son bâton pastoral ! Mais des documens plus certains que les renseignemens de l’histoire, parce qu’ils sont vivans et portent chair et os, nous garantissent la ressemblance de ce portrait, et c’est ici que l’on peut voir combien le type des races se conserve longtemps. L’image de Giotto date des dernières années du XIIIe siècle, et aujourd’hui même le chef actuel de la famille des Gaetani porte très reconnais-sablés les traits si caractérisés de cet illustre ancêtre. La nature a construit ces deux visages de dates si éloignées selon les lois de la même architecture simple et robuste ; voilà bien les mêmes lignes nettes et fermes, le même nez droit et puissant, la même forme en quelque sorte classique de visage, tant elle est peu compliquée. Pauvre Boniface VIII ! c’est donc à cet attentat de Philippe le Bel que devait aboutir ce triomphe du guelfisme que nous avons vu inaugurer par Innocent IV ! Ainsi l’église de Rome n’avait évité le Charybde de la maison de Souabe que pour tomber dans le Scylla de la maison de France. Ainsi la papauté n’avait délivré le sol italien de la domination allemande que pour devenir étrangère elle-même ; ainsi le parti guelfe s’était garrotté lui-même les mains, et le protecteur était devenu le vassal du protégé qu’il avait appelé à la domination. Patience cependant ! l’œuvre est solide, et triomphera des revers et du temps. Au bout d’un siècle, la papauté reviendra de son exil, plus puissante, raffermie par ce long échec même, car elle reviendra pour être à jamais cette fois le patrimoine exclusif des Italiens, et c’est là ce que proclame au bas de l’autel de la confession le tombeau du pape Martin V. Voilà pour la vengeance de l’église générale ; quant à la vengeance plus particulière des injures subies par Boniface, de l’outrage d’Anagni, du soufflet de Nogaret, de l’humiliante captivité dans la maison des Orsini, elle se fera attendre plus longtemps, mais elle viendra à son heure. Dans ces maisons qui vivent de si longs siècles, le vengeur ne manque jamais de se rencontrer, un peu plus tôt, un peu plus tard. Celui de Boniface se fit attendre trois siècles ; il eut pour nom Henri, cardinal Gaetani, et vous le trouverez assis sur son tombeau de marbre dans la chapelle des Gaetani, à cette église de Sainte-Pudentienne dont’ il fut le titulaire, et qu’a prise aujourd’hui sous sa protection le jeune cardinal Bonaparte. Il nous fit tout le mal qu’il put pendant nos guerres civiles du XVIe siècle, et si l’Espagne ne triompha point d’Henri IV, la faute n’en fut pas à lui.

Si vous êtes sensible à la piété historique, vous ne lirez pas sans quelque intérêt le nom d’une autre illustre victime de la puissance et de la politique, Anne de La Trémouille, princesse des Ursins, morte, elle aussi, désespérée et abandonnée de tous, après avoir été presque souveraine de l’Espagne. Le souvenir d’une femme qui ne fut qu’ambition serait peu fait pour toucher ; mais il se trouve qu’une multitude de philistins sont venus salir de leurs appellations patronymiques, effacées par d’autres sots, la plaque de marbre où est écrit son nom, et ces ruades de baudets humains suffisent pour changer en respect ému la froide attention que mériterait seulement cette inscription. En face se présente la superbe chapelle des Corsini. Devant la fresque de Giotto, nous étions contemporains de Dante ; ici, en dépit de la copie en mosaïque du Saint André Corsini du Guide qui décore l’autel, nous sommes contemporains de Voltaire. L’esprit de piété ne trouve guère son compte dans cette chapelle, où rien ne parle fortement des sublimes émotions de la foi : la froideur de l’incrédulité glaçait visiblement les âmes assez petites des artistes qui la décorèrent, les Lironi, les Maïni, les Philippe Valle, et cependant il s’en dégage un ensemble imposant, quoi qu’en disent certains connaisseurs trop difficiles qui ne savent jamais consentir à accepter un plaisir qu’ils ne demandaient pas comme compensation de celui qu’ils cherchaient. Deux tombeaux se font face : l’un est celui de Clément XII, ce Lorenzo Corsini dont l’irrévérencieux président De Brosses a raconté si plaisamment la mort ; l’autre est celui du cardinal Neri Corsini, beau jeune homme, élégant, à l’air cavalier et galant, et qui sous sa robe de prince de l’église a pu faire songer plus d’une Romaine. En regardant ce tombeau, je me suis rappelé que Stendhal a très finement observé qu’à partir d’une certaine époque les tombeaux romains ont souvent l’air d’être une épigramme contre le défunt. Seulement Stendhal attribuait cet aspect épigrammatique à la gaucherie ou à l’absence d’inspiration des artistes, tandis que je suis très porté à croire que ces épigrammes furent parfois préméditées. Depuis la fin du XVIe siècle, les artistes se sont souvent permis à la sourdine d’incroyables facéties. En parlant de Michel-Ange, j’ai déjà eu l’occasion de mentionner la formidable plaisanterie du Bacciccio à l’église du Gesù ; je ne dirai pas ce que j’ai aperçu dans le personnage du démon, qui est renversé aux pieds de saint Ignace, à l’église de Saint-Pierre. Ici, dans ce tombeau de Neri Corsini, l’épigramme est plus enveloppée, plus fine, mais très saisissable : un bel enfant figurant un génie funèbre est debout au pied du tombeau, et se frotte doucement de l’extrémité du doigt le coin d’un œil où il n’y a pas une larme. Cette simagrée de douleur a l’air de dire et dit en effet : « Ah ! voyez un peu comme nous le regrettons, et avec quelle âme nous le pleurons ! » Oui, l’ornementation de cette chapelle est d’un goût douteux, un style noblement rococo y règne trop en maître souverain, les sculptures en sont trop précieuses et mignardes, et cependant le tout laisse une impression de magnificence très réelle. Rarement, à mon gré, la grandeur seigneuriale, le faste aristocratique, ont été mieux traduits que dans cette chapelle. Oserai-je dire, — ô blasphème à faire bondir tout Romain ! — que je la préférais à la chapelle des Borghèse à Sainte-Marie Majeure ? Sans doute la magnificence n’en est pas aussi rare, et elle n’a rien qui égale pour la curiosité et la richesse la vénérable image de la Vierge attribuée à saint Luc, et le morceau de lapis-lazuli dans lequel cette image est enchâssée ; mais comme elle est bien éclairée ! comme la lumière s’y reflète avec douceur sur les parois de marbre et y glisse avec gaîté le long de la coupole blanc et or ! Oh ! qu’il est délicieux, après une longue course à travers Rome, d’entrer, dans la chapelle des Corsini, de s’asseoir sur la marche de l’autel, et là de reprendre haleine en respirant l’air frais de la basilique, en promenant nonchalamment son œil de ce détail à cet autre ! Ces sculptures sont d’un style rococo tant-que vous voudrez, mais qu’elles sont agréables à regarder quand on se repose ! La statue de la Tempérance, de Philippe Valle, est une figure d’aimable danseuse ; mais le joli prétexte de perdre cinq minutes de sa vie I La statue de la Justice, de Lironi, ressemble à la justice comme la colombe ressemble à l’aigle ; mais qu’elle est donc gentillette, mignonnette, et quel amusant petit madrigal en marbre ! Dans la chapelle des Borghèse, l’œil, ne sachant où se reposer, tant les objets sont pressés et abondans, se lasse très vite ; ici il ne connaît aucune fatigue, si bien disposés et si judicieusement espacés sont les ornemens ! Pour compléter cette impression de magnificence seigneuriale, il ne faut pas oublier de rendre visite au caveau si propre et si bien aéré où sont rangés en cercle les tombeaux des Corsini. Somptueusement mondains dans la vie comme dans la mort, leurs tombeaux sont disposés comme le furent les sièges de leurs salons pour les causeries des jours de réception. Cela est d’une solennité noble et cérémonieuse très frappante. Au centre du caveau, on peut regarder une Pietà en marbre exécutée sur un dessin du Bernin, jolie chose sans portée, délicate œuvre d’habile ouvrier qui a su rendre le marbre lucide. La lumière perce à travers les draperies, les mains et les membres même des personnages. « On voit toutes les veines, » me disait avec admiration le sacristain, qui par deux fois m’a fait visiter cette chapelle.

Sur le flanc opposé de la basilique se présente, toute blanche sous ses marbres de date récente, la chapelle des Torlonia, ces heureux possesseurs de tant de belles choses[1] ; mais comme le principal ornement de cette chapelle est une Descente de croix sculptée par Tenerani, nous la retrouverons en parlant de cet artiste. Mentionnons le tombeau du cardinal Casanate, qui serait digne de figurer dans quelqu’une de ces chapelles mondaines. Ce n’est pas le chef-d’œuvre de la sculpture, mais c’est singulièrement agréable à regarder, et surtout aussi peu funèbre que possible. Sous sa robe sacerdotale aux nobles plis et ses dentelles finement reproduites par le ciseau, le beau cardinal est élégamment étendu, appuyé sur le coude, dans la mieux séante des postures. Il s’en faut cependant que tous les tombeaux de Saint-Jean de Latran portent ce cachet de mondanité, et évitent aussi soigneusement d’offenser l’imagination en parlant trop fortement de la mort. Les contrastes ne sont jamais bien loin dans Rome, et si vous voulez savourer l’horreur de la mort après avoir joui de ces somptuosités seigneuriales, promenez-vous à pas lents dans l’allée circulaire des vieux tombeaux qui est dessinée par le renflement de la tribune. Rien ne jette dans des rêveries plus tristes. Quelques-uns de ces tombeaux sont de fort mauvais goût, mais ils n’en produisent qu’une plus profonde impression. Etes-vous partisan du mauvais goût dans les monumens funèbres ? Pour moi, j’avoue que je le pardonne très aisément. Le mauvais goût peut seul bien rendre l’horreur de la mort, qui est elle-même une chose d’un caractère détestable, et qui n’éveille que des images offensantes aux sens, menaçantes à l’âme. Par exemple, un certain cardinal Rasponi s’est fait ensevelir sous une niche profonde creusée dans une des murailles de la basilique ; dans cette niche, on voit la Mort ou le Temps (je ne sais trop lequel des deux) avec sa faux, des chaînes et d’autres emblèmes aussi peu récréatifs. Cela est franchement exécrable ; eh bien ! je connais peu de choses qui donnent mieux le sentiment de cette geôle humide dans laquelle la mort nous enferme pour l’éternité, rien qui dise plus éloquemment : « Qu’est-ce que l’homme ? — Simplement le prisonnier du trépas. »

Les très belles mosaïques de la voûte de la tribune sont l’œuvre de fra Jacopo de Turrita, et datent de la fin du XIIIe siècle. Elles représentent la Vierge entourée des principaux apôtres. La disposition naïve des personnages de cette mosaïque est digne de remarque ; aux deux côtés de la Vierge, l’artiste a placé saint François et saint Dominique, plus le pape Nicolas IV en prière. Or les apôtres et la Vierge sont de taille colossale, tandis que les saints ont à peine la moitié de leur stature, et que le pape est encore plus petit que les saints. C’est afin de conserver la hiérarchie divine que le pieux artiste a commis cette respectueuse gaucherie ; mais on voit combien on est loin ici de cette croyance qui chez certains peuples catholiques a fait de saint François l’émule et l’égal du Christ lui-même. La présence du pape Nicolas IV dans cette mosaïque nous a particulièrement intéressé. C’est un pontife dont le nom est peu connu hors d’Italie, mais qui pour les Romains a eu une importance fort singulière. Si pendant de si longs siècles, si aujourd’hui encore on n’a pas pu, on ne peut pas voyager en pleine sécurité dans la campagne romaine, c’est à lui que nous le devons par suite d’un enchaînement fort bizarre de circonstances. Ce pontife ne régna que quatre années, pendant lesquelles son seul soin fut d’enrichir la maison des Colonna ; il fut l’origine véritable de la puissance de cette famille, qui fut de son côté l’origine véritable du brigandage romain. En effet, comme par leurs possessions ils tenaient toute la campagne depuis Rome jusqu’au-dessus de Palestrina, ils transformèrent leurs paysans en défenseurs armés de leurs intérêts, de leurs passions et de leurs rancunes. Laboureurs le jour, les paysans devenaient soldats d’aventure le soir et la nuit. Cette double existence dura plusieurs siècles, au bout desquels les habitudes, étant invétérées, survécurent aux circonstances qui leur avaient donné naissance. Dans cette existence à demi militaire, les paysans avaient contracté les vices et les vertus qu’engendre la vie du soldat, l’amour du gain facilement acquis, le recours incessant à la force, les bizarreries du point d’honneur, la susceptibilité hautaine qui pour une injure veut du sang : de là les coups de couteau et les embuscades à main armée, et voilà comment ici-bas tout s’enchaîne.

La cour du cloître conduit au baptistère de Constantin, édifice, comme l’église, d’origine antique et de construction moderne. Sur les côtés de la rotonde, où chaque année, pendant la sainte semaine, sont baptisés les mécréans convertis à la foi, descendans de Sarah ou descendans d’Agar, deux petites statues en bronze réclament un instant votre attention. L’une est un saint Jean l’évangéliste de Jean-Baptiste Délia Porta, œuvre forte et mâle, où les types traditionnels du disciple bien-aimé ont été transformés. Ce n’est plus le beau jeune homme donné pour fils adoptif à la Vierge par le Christ mourant, ce n’est pas davantage le vieillard visionnaire de Patmos, c’est un homme fait, de corps robuste, de physionomie grave, plein de pensée, et animé par une inspiration intime d’une extrême intensité. L’autre est une statue de saint Jean-Baptiste, exécutée d’après l’original de Donatello. Est-ce parce que le Baptiste est le patron traditionnel de Florence que le grand sculpteur florentin l’a si bien compris ? Tous ceux qui ont vu à la galerie des Offices son petit Saint Jean à côté du Bacchus de Michel-Ange ont certainement emporté dans leur mémoire l’image de ce jeune homme maigre, à l’élégante austérité. Il m’a semblé que le saint Jean du baptistère de Saint-Jean de Latran se rapprochait beaucoup de celui que le propre frère de Donatello, Simone, a exécuté pour une des chapelles de la vieille église de San-Clemente, où les curieux pourront l’aller chercher. Dans les œuvres des deux frères, le saint a été représenté avec une grande austérité, si grande qu’elle touche à la sécheresse. La poésie de la vertu n’est sous aucune de ses formes dans ces deux figures, qui sont celles, non d’un prophète sauvage et inspiré, mais d’une sorte de puritain juif, de radical de la morale et de la vie sévère. Les prédicans de la réformation purent ressembler souvent à ce type de saint Jean-Baptiste. La façon dont les deux frères de Florence ont conçu le saint est-elle la plus vraie ? Je ne sais trop, et c’est là une question à renvoyer à M. Renan ; en tout cas, c’est bien une des façons dont on peut le comprendre, une des plus ingénieuses et des plus heureuses.

Le paysage qui s’étend devant Saint-Jean de Latran est d’une originalité unique. La superbe place avec son immense obélisque pour centre, l’édifice de la Scala santa, la rangée d’arbres qui va vers Santa-Croce-in-Gerusalemme, les maisons à mine délabrée éparses sur la route, les inégalités du terrain, çà et là effondré par les pluies et laissé sans réparation, les ruines, la longue file des arches de l’aqueduc de Claude par derrière Santa-Croce, tout cela compose une des scènes les plus singulières qui se puissent voir, pleine de contrastes puissans, misérable et somptueuse, magnifique et dévastée, et sur cette scène rôde le génie de la solitude, qui parle là avec plus d’éloquence que je ne lui en ai trouvé nulle part ailleurs. La dernière fois que je suis allé à Saint-Jean de Latran, il avait plu dans la matinée ; le sol était détrempé, et sous la lumière pâle d’un ciel recouvert de grands nuages blancs ce paysage ne laissait apercevoir que l’aspect de la tristesse et de l’abandon ; à trois heures, au moment où je sortais de la basilique, un rayon de soleil, perçant tout à coup les nuages, se liquéfia pour ainsi dire dans l’air entier comme un or subtilement dissous, et aussitôt tout se mit à resplendir avec une gaîté et une jeunesse incomparables. Je m’arrêtai frappé d’admiration, croyant assister à un de ces miracles de résurrection dont nous entretiennent les légendes des saints. Lors de mes précédentes excursions, je n’avais vu là qu’une vieille reine, superbe encore sous ses rides et attestant par ses ruines mêmes sa beauté d’autrefois, et je me trouvais tout à coup en face d’une jeune magicienne qui me disait triomphante : « Comprends-tu cette fois la puissance des sortilèges par lesquels j’enchaîne les âmes ? Circé, Armide et Alcine furent de grandes enchanteresses ; mais, pour retenir leurs captifs, elles eurent besoin de somptueux palais et de délicieux jardins : à moi, il ne me faut rien que quelques pans de vieux murs, une plaine que hante la fièvre, et des fondrières où trébuchent les chevaux. Voilà où est mon génie : cette plaine où tu grelottes te retient immobile comme la statue de la femme de Loth ; ces fondrières où je te cahote avec une malice sans pitié te paraissent allées sablées, et dis-moi si les jardins d’Amathonte auraient jamais pu parler à ton âme avec autant de puissance que mon paysage à l’aspect de cimetière ! »


II. — SANTA-MARIA-IN-COSMEDIN.

Nombreuses sont à Rome les églises qui marquent la transition du paganisme au christianisme ; mais parmi celles-là aucune n’est aussi curieuse que Santa-Maria-in-Cosmedin, toute parée, à l’antique manière romaine, des dépouilles opimes enlevées aux temples païens[2].


Santa-Maria-in-Cosmedin est un musée vivant. C’est là une épithète qu’on a rarement l’occasion d’appliquer aux musées, car, quelque riches qu’ils soient, ils ont toujours quelque chose de funèbre. Rien n’est triste d’ordinaire comme la vue de tous ces objets de provenance et d’origine diverses ; séparés de leur destination, ne remplissant plus aucun office d’utilité ou d’agrément, ils ont été par cela même touchés par le doigt de la mort. De là le léger grain d’ennui que ne manque jamais de faire naître la plus courte des promenades dans un musée. En perdant l’espèce de servitude que leur impose la vie, les beaux objets perdent en même temps une partie de leur âme ; que dis-je ? en changeant seulement de place, ils perdent une partie de leur signification. Par exemple, on a transporté au Vatican les deux magnifiques sarcophages de porphyre qui se trouvaient au baptistère de Santa-Constanza, et en effet, à considérer la grandeur, la richesse et l’importance de ces sarcophages, il semble qu’ils soient mieux à leur place dans les salles du palais pontifical que dans la pauvre petite église nue de la Porta-Pia ; je ne puis cependant m’empêcher de remarquer que, lorsqu’on les rencontre pour la première fois au Vatican, ils ont l’air de deux énigmes avec leurs sculptures singulières où le symbole chrétien de la vigne joue un si grand rôle, tandis que, placés au baptistère de Santa-Constanza, ils étaient en parfaite harmonie avec le caractère des peintures allégoriques de la voûte, où ce même symbole de la vigne et de la vendange est présenté dans une série de scènes d’une littéralité toute prosaïque ; mais à Santa-Maria-in-Cosmedin aucun maladroit déplacement n’a troublé l’unité de ce caractère de transition qui donne à cette église une physionomie si intéressante. De nombreuses parties de son mobilier religieux ont appartenu au culte condamné, et le christianisme s’est emparé de ces objets et les a sauvés de la mort en leur donnant une destination nouvelle. Ainsi préservés, ils sont deux fois attachans pour nous, et parce qu’ayant servi à un culte détruit, ils sont les témoins encore debout de la vie morale du vieux monde, et parce que, servant à un culte nouveau, ils relient les anciennes générations aux nouvelles. Les antiquités chrétiennes de cette église ne perdent rien au voisinage de ces témoins d’un culte plus ancien, car ces témoins sont des captifs qui racontent le triomphe du christianisme avec une éloquence que n’atteindront jamais les plus habiles des orateurs et des panégyristes, l’éloquence du fait, qui est là visible, tangible, incontestable.

Santa-Maria-in-Cosmedin a été bâtie originairement sur l’emplacement d’un temple de Cérès, et de nombreuses parties de ce temple sont entrées dans la construction de l’église. Le vase de porphyre en forme de baignoire qui sert de base au maître-autel fut un des ustensiles du culte de Cérès. Le vase de marbre ciselé qui tient lieu d’urne baptismale est venu d’un temple de Bacchus. Les sceptiques qui en sont encore aux théories religieuses du dernier siècle, les âmes naïves qui appartiennent aux civilisations de fraîche date, peuvent trouver un sujet de risée ou de scandale dans la destination nouvelle qu’ont reçue ces objets, provenant d’un culte tenu pour impie ; mais sceptiques et âmes naïves doivent apprendre qu’il n’y a la matière ni à risée ni à scandale. L’usage nouveau auquel ces objets ont été consacrés se trouve, fait bien curieux, en exact rapport avec leur usage ancien. Ce vase de porphyre appartenait au temple de Cérés, la mère nourricière des hommes ; c’est logiquement qu’il sert de base aujourd’hui à l’autel où s’accomplit le mystère de cette eucharistie qui, dans la foi chrétienne, est présentée comme le véritable pain de vie. Ce vase de marbre ciselé vient d’un temple de Bacchus, dieu de la vigne, symbole de résurrection, de vie transformée ; il sert aujourd’hui à contenir l’eau du baptême, qui efface la tache originelle et rachète l’homme nouveau de l’esclavage de l’homme ancien. La destination nouvelle de ces objets a donc été déterminée avec un tact aussi fin que plein de scrupules. S’étonner que ces instrumens du culte ancien aient reçu un usage nouveau est au fond aussi naïf qu’il le serait de s’étonner que les Italiens, de païens qu’ils étaient, aient pu devenir chrétiens, car en tout temps et en tous lieux les choses suivent nécessairement leur maître et doivent s’accommoder à la nouvelle vie qu’il adopte. Aujourd’hui les dogmes païens sont lettre close pour le vulgaire, qui n’y voit qu’une mythologie poétique et texte à controverses pour nos savans en symbolique ; mais pour les chrétiens des premiers siècles la tradition païenne n’était pas matière à érudition ; même longtemps après le triomphe politique du christianisme, elle était là, vivante, opiniâtre, forte de sa longue durée et de son exégèse, devenue d’âge en âge plus compliquée, plus subtile, plus morale. Beaucoup d’entre les chrétiens avaient vécu d’une vie double ; ils connaissaient les nuances les plus subtiles des symboles qu’ils condamnaient, et quand ils adoptaient pour le service du nouveau culte un objet ayant appartenu à un culte ancien, ils savaient l’emploi précis qu’ils pouvaient lui donner sans profanation ni impiété. Ce vase de porphyre et cette urne de marbre disent bien des choses instructives, entre autres celle-ci sur laquelle nos modernes radicaux pourraient réfléchir plus souvent qu’ils ne le font : c’est que jamais à aucune époque, même au milieu des crises les plus violentes, la tradition n’a pu être interrompue ni seulement suspendue. Le christianisme a été la révolution la plus radicale, la plus complètement victorieuse, la plus universelle surtout qu’il y ait eu dans le monde, et cependant il n’a détruit le passé qu’en se l’assimilant, et c’est par l’intelligence des symboles du paganisme que les plus éclairés, sinon les meilleurs d’entre eux, arrivèrent à l’intelligence des symboles du culte nouveau.

Un autre débris bien curieux de l’antiquité romaine est appuyé contre un des flancs du portique, c’est un énorme mascaron en marbre qui a perdu depuis longtemps une partie de son nez ; mais en dépit de cette mutilation cette figure conserve encore un superbe caractère. Les cheveux sont hérissés, les yeux grands ouverts, la bouche béante ; il y a dans sa physionomie quelque chose d’effaré qui la fait ressembler au visage d’un géant saisi d’un étonnement burlesque. Quelques érudits veulent voir dans cette figure une représentation du dieu Pan ; mais comme ce mascaron servait à fermer la bouche d’un cloaque, ne se pourrait-il pas que cette figure hérissée comme Apollon, d’ailleurs de belle et assez juvénile apparence, fût celle du soleil, qui dessèche toutes les fanges et purifie tous les cloaques par son action bienfaisante ? À cette figure se rattache une tradition populaire : au moyen âge, jeunes Romains et jeunes Romaines amenaient là les préférés de leurs cœurs et leur faisaient mettre la main dans la bouche béante. S’ils ne pouvaient la retirer qu’avec difficulté, c’est qu’ils avaient été infidèles à leurs sermens. De là le nom de Bocca de la Verità donné à ce bâilleur de pierre. Ce mascaron remplissait donc autrefois le même office que remplit dans Arioste la coupe enchantée où Renaud refuse de boire ; mais, hélas ! tout dégénère : de cet office si poétique il est tombé à l’emploi de Croquemitaine, et il n’y a plus que les mères et les nourrices qui conduisent leurs marmots à cet oracle. La décadence de ce mascaron serait touchante, s’il n’y avait pas à Rome bien d’autres victimes du temps, entre autres ce pauvre Pasquino que l’on voit à l’angle du palais Braschi, et que je ne pouvais jamais regarder sans commisération. Qui croirait, à le voir ainsi mutilé, sali par la pluie, noirci par le temps, que ce torse sans bras, sans jambes, à peu près sans visage, a été partie d’une statue de Ménélas ? Et où sont les gaîtés satiriques d’autrefois, quand il donnait si bien la réplique à son confrère Marforio ? Alors il pouvait ressembler à un(effronté mendiant aux joyeux propos et au franc-parler, tandis qu’aujourd’hui il a l’air d’un cul-de-jatte, survivant de la cour des miracles et des maladreries du moyen âge. Bientôt même le lieu qu’il occupe ne lui conviendra plus : sa présence ne sera-t-elle pas une offense aux yeux dans le voisinage de cette superbe place Navone, si pittoresque, si romaine, qu’on est en train d’habiller à la moderne ? Revenons à Santa-Maria-in-Cosmedin.

Les autres curiosités de l’église sont d’origine chrétienne. Sur un des murs du chœur, le sacristain vous montrera un reste de peinture de l’église primitive, ce débris date du IIIe siècle de notre ère. Les ambones, ou, autrement dit, les deux chaires en marbre des premiers siècles, élevées au-dessus du sol de quelques marches seulement, placées aux deux côtés de la nef, marquent le milieu de l’église. Tout au fond, par derrière le maître-autel, une chaise de marbre est adossée au mur ; la tradition veut que ce soit celle de saint Augustin. Enfin, au-dessus de cette chaise, se présente comme cachée aux regards du vulgaire, masquée qu’elle est par l’autel, la merveille de l’église, une Vierge byzantine qui pour nous est au nombre des choses les plus importantes qu’il y ait à Rome, où il s’en voit tant de belles.

Selon la coutume, on n’a pas manqué d’attribuer cette Vierge à saint Luc, mais une tradition beaucoup plus croyable veut qu’elle ait été apportée d’Orient en Italie au VIIIe siècle, alors que régnait à Constantinople Léon l’Isaurien, et que triomphait avec lui la secte des iconoclastes, triomphe qui eut des résultats nombreux et importans dont deux au moins méritent d’être signalés. Le premier et le plus grand, c’est qu’il fit faire un pas énorme à la puissance politique de la papauté, en l’affranchissant définitivement et pour jamais de ces liens de déférence qui depuis la chute de l’empire en Occident avaient attaché l’église de Rome à la cour de Byzance. Après la chute de l’empire, la papauté était devenue l’autorité la plus considérable et la plus certaine de Rome ; mais cette autorité était toute morale, et les Romains d’alors, la papauté elle-même, s’étaient habitués à regarder la lointaine cour de Constantinople comme le centre de leurs intérêts politiques, le lieu de dépôt de leurs traditions, rompues en Italie, le siège de leur véritable gouvernement ; après la chute du royaume de Théodoric, l’établissement de l’exarchat avait donné à ces sentimens une demi-réalité. Un jour une secte longtemps obscure, sorte d’islamisme chrétien ou de puritanisme oriental, protégée par un empereur originaire de la farouche Isaurie, étendit sur, l’empire sa propagande dévastatrice, et alla partout brisant les images chères au peuple. Ce fut une rage sans merci, car cette querelle, qui peut faire hausser les épaules à un sceptique de nos jours, avait les racines les plus profondes qui se puissent concevoir ; les iconoclastes étaient parvenus à établir la guerre civile dans l’âme grecque elle-même en mettant aux prises les deux parties dont elle se compose. En effet, née de cette subtilité grecque traditionnelle qui autrefois avait produit les sophistes et enfanté la métaphysique la plus déliée, elle s’attaquait à cet amour non moins traditionnel de la Grèce pour la beauté et la reproduction par les formes extérieures des rêves de l’âme. Non moins sensibles que les Grecs à la beauté, les Italiens purent se soustraire, grâce à l’éloignement et à la nature de leurs rapports avec Constantinople, à ce torrent de destructions ; mais dans cette querelle, il y eut au moins une idole qui fut brisée à jamais pour eux, ce fut l’idole jusqu’alors respectée de l’empereur d’Orient. Si l’autorité de la papauté resta encore toute morale, au moins à partir de ce moment elle n’eut plus à incliner la tête lorsqu’on prononçait certain nom devant elle ; l’empereur était devenu pour elle comme pour l’Italie un souverain étranger. Le second résultat de cette guerre des iconoclastes, c’est qu’elle fit pour les arts quelque chose de comparable à ce que fit pour les lettres grecques la prise de Constantinople par les Turcs. De toutes parts, on se mit à sauver, à cacher les images saintes. De tous les moyens de salut, l’émigration était le plus certain, et c’est ainsi qu’un certain nombre d’images byzantines passèrent alors en Italie, et entre autres, selon la tradition, cette madone de Santa-Maria-in-Cosmedin[3].

Ce qui fait pour nous de cette œuvre une œuvre à part parmi toutes les peintures byzantines que nous avons pu voir jusqu’à ce jour, c’est un étonnant contraste entre le sentiment et l’exécution. Visiblement, celui qui fit cette peinture avait la main libre et l’esprit captif ; il était maître de son pinceau, et serviteur intelligent, mais soumis, d’une doctrine rigoureusement théologique. Le caractère de cette Vierge est un caractère surhumain. Nous sommes bien loin ici de la Vierge attendrissante, dite de saint Luc, à la chapelle Borghèse. La Vierge de Santa-Maria-in-Cosmedin n’a rien des sentimens de l’humanité, et ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est qu’elle est cependant belle comme la plus parfaite des filles de la terre. Le calme des dieux a quelque chose de terrible pour nous, enfans du temps mobile, et ce n’est pas sans une espèce d’admiration effrayée que nous nous représentons les puissances immuables du monde métaphysique. C’est cette terreur que fait passer en nous la Vierge de Santa-Maria-in-Cosmedin. Le sérieux redoutable de son visage est, pour ainsi dire, le sceau que l’éternité lui a imprimé ; jamais cette Vierge n’a ri, pleuré, souffert, aimé, haï. Bonheur et malheur sont des expressions sans valeur pour cette figure qui semble une représentation plastique du verset solennel des psaumes : sicut erat in principio, et nunc, et semper, et in secula seculorum. C’est un être qui appartient aux régions de la nécessité, au monde des destinées ; devant elle, l’âme, toujours en mouvement, s’arrête, se replie et se tait. Elle est faite pour la plus austère contemplation, non pour la vénération et la prière. Mais est-ce une illusion de mes yeux ou un miracle dû au génie de l’artiste ? Cette Vierge a cent pieds de haut, et cependant le cadre est de taille fort ordinaire. Tel est le sentiment moral de grandeur concentré par l’artiste dans cette figure, qu’il réussit à faire naître chez le spectateur le sentiment de la grandeur matérielle ; on voit cette vierge géante parce qu’on la sent surhumaine. La dernière fois que je visitai Santa-Maria-in-Cosmedin, je pensai, devant cette image, à l’œuvre d’un artiste des jours de décadence, ce pauvre Carlo Maratta, qui a peint la gigantesque Vierge de l’horloge du palais du Quirinal. Comme l’artiste byzantin, Carlo Maratta semble avoir eu la volonté d’exprimer la grandeur morale du personnage de la Vierge ; mais, tout génie faisant défaut, il n’a trouvé d’autre moyen de faire apparaître cette grandeur qu’en exagérant la stature matérielle, et il a peint une Vierge géante qui semble originaire du pays de Brobdingnac, et fait penser aux allégories de Rabelais et à la mère du bon Pantagruel.

Oh ! que devant cette image nous sommes loin de la douce mère de nos pays d’Occident, même de la Vierge théologique du mystère de l’immaculée conception et du miraculeux privilège de l’assomption ! Avec quelle rigueur métaphysique ces Grecs subtils ont compris le christianisme, et séparé de toute humanité ses personnages humains ! Décidément nos peuples d’Occident n’ont été en cette matière que des barbares charnels qui dans les personnages divins ont vu de simples compagnons de leurs joies et de leurs souffrances. La Vierge de Santa-Maria-in-Cosmedin est, comme son fils, préordonnée par Dieu de toute éternité ; elle est une pièce nécessaire de l’ordre invisible de l’univers. Malgré cette rigueur théologique, nulle raideur et nulle sécheresse dans l’exécution, nulles étroites formes traditionnellement systématiques. Un génie individuel d’artiste s’est ici librement exprimé ; cette Vierge surhumaine est peinte à larges traits, d’un pinceau hardi et sûr. Bref, dans cette image se combinent de la manière la plus singulière et tout ce qu’on cherche dans l’art byzantin et tout ce qu’on cherche dans l’art italien. Un passage de l’Orlando me revint au souvenir pendant mes visites à Santa-Maria-in-Cosmedin, celui où l’enchanteresse Mélisse montre à Bradamante dans un miroir magique la longue série des princes de la maison d’Esté qui doivent sortir de son sein : cette Vierge aussi est un miroir magique dans lequel on voit défiler la longue procession des artistes italiens depuis Giotto jusqu’au Dominiquin, ultima Thule du grand art. C’est plus que le principe de l’art italien, c’est déjà l’art italien dans tout son épanouissement.

En dépit de sa beauté, l’impression que laisse cette image est d’un sérieux terrible, et, pour la secouer, je m’arrête à regarder longuement le petit temple de Vesta, qui fait face à l’église sur la place de la Bocca de la Verità, La vue de ce joli temple rond, avec son toit au caractère agreste, chasse loin de moi ces austères pensées byzantines, et me ramène aux souvenirs de jours plus naïfs. C’est une de ces innombrables chapelles que les Romains avaient multipliées en l’honneur de la Vesta mater, la plus célèbre des divinités indigènes de Rome. Cela me reporte à une société toute rustique, et je pense à l’antique roi sabin et à l’invocation qui termine le premier chant des Géorgiques. Pour achever de me rassurer tout à fait, je tourne autour de la fontaine que le pape Albani a fait élever au centre de cette place, et je redeviens aussi calme que si ces sirènes et ces tritons avec leur majesté de sculptures du XVIIe siècle avaient fait pleuvoir sur ma tête toute l’eau qu’ils peuvent verser en cinq minutes. Près de cette fontaine, un charron et ses apprentis sont occupés à appliquer à une roue de carriole sa ferrure de fer, car ce n’est pas à Rome que le petit peuple se gêne pour obstruer la voie publique de ses industries. Nous voilà rentrés dans la réalité la plus prosaïque ; mais, si vous n’êtes pas fatigués de grandes émotions, vous n’avez qu’à faire quelques pas, et vous vous trouverez en face d’un admirable spectacle, la vue du Mont-Aventin et du cours du Tibre au Ponte rotto. Tels sont les contrastes de Rome.


III. — SAINT-AUGUSTIN. — LA MADONE DU SANSOVINO. — MICHEL-ANGE DE CARAVAGE À ROME.

De Santa-Maria-in-Cosmedin à Saint-Augustin, le saut est considérable en apparence, car tout diffère entre ces deux églises, art, esprit, souvenir, origine. Santa-Maria-in-Cosmedin est une des plus vieilles églises de Rome, tandis que Saint-Augustin vint au monde à la fin du XVe siècle et eut pour père un Français, le cardinal d’Estouteville. Nous les rapprochons cependant, parce que ce sont les deux églises qui nous disent le mieux ce qu’il faut penser de ce paganisme qui a été tant et si souvent reproché aux Romains. Santa-Maria-in-Cosmedin nous a montré comment, durant les siècles de transition, les chrétiens firent entrer dans leurs temples, le plus naturellement, le plus logiquement et le plus innocemment du monde, certains débris du paganisme, et l’église de Saint-Augustin nous présente l’exemple le plus remarquable de ce qu’on a nommé l’idolâtrie romaine.

À l’entrée de l’église se trouve un groupe du Sansovino représentant la madone et l’enfant. Les Romains ont pris cette madone en grande vénération, ou, pour mieux parler, en grand amour. C’est l’enfant gâté de toute la population. Ils ont passé des colliers de perles autour de son cou, ils ont accroché des boucles de diamans à ses oreilles, ils ont passé des bracelets autour de ses poignets, ils ont chargé de bagues précieuses ses beaux doigts ; rarement cadeaux eurent une destination plus heureuse, car la toilette va fort bien à cette madone, et les bijoux ne font que mieux ressortir le grand air qui lui est naturel. En effet, cette madone est vraiment aristocratique ; son visage est maigre et noblement allongé, ses traits sont à la fois grands et fins ; mais ce qu’elle a surtout d’incomparable, c’est la main, une main délicate de belle dame aux doigts minces et effilés. Le peuple en raffole, et je dois avouer que j’ai pensé à son égard comme le peuple. J’ignorais son existence lorsque je suis entré à Saint-Augustin, et dès la première minute, avant même d’avoir remarqué les bijoux qui témoignent de l’amour des Romains, je me suis senti pris pour elle d’un sentiment d’involontaire sympathie. Les sentimens humains se distinguent entre eux par des nuances extrêmement fines qui peuvent aisément les faire confondre ; on fera donc entrer, si l’on veut, dans l’ordre des sentimens païens le mouvement de sympathie que j’éprouvai, mais je suis sûr qu’il n’en était pas ainsi, car dans cette sympathie il n’entrait rien de l’admiration sensuelle qu’arrache la beauté : c’est une de ces figures que l’âme a plaisir à regarder encore plus que l’œil, et dont l’aspect crée en nous une sorte de lumineux sourire dont nous sentons notre être intérieur réjoui. Comme j’ai pour principe de respecter scrupuleusement les usages des pays que je visite (rien n’étant plus ni même aussi respectable qu’un usage), j’aurais volontiers baisé le pied de cette madone, si ce pied eût été de marbre ; mais, pour le protéger contre l’action incessante des baisers, il a fallu le remplacer par une sorte de fer à repasser en cuivre, et j’ai cru devoir m’abstenir de cette dévotion, au risque de scandaliser les fidèles alors en prière, lesquels ont semblé voir mon abstention avec des yeux d’où le mépris n’était pas absent. Je me suis contenté de déposer dix sous dans son tronc, sans songer que je donnais à plus riche que moi, car, outre son air noble, cette madone possède un autre privilège des aristocraties, c’est-à-dire la richesse, et tout récemment, comme on a eu besoin de son secours pour je ne sais quelle entreprise, ses coffres ont libéralement fourni trois cent mille écus romains.

Il y a dans le fait de cette adoration quelque chose de fort singulier. Les images qu’adore le peuple sont d’ordinaire plus vénérables et surtout plus anciennes que belles. La dévotion populaire repose sur une sorte d’archéologie morale instinctive. Ce qu’il lui faut, ce sont des images auxquelles se rattache quelque souvenir miraculeux passé en légende, ou quelque opinion passée à l’état de croyance. Cette madone préserve de la fièvre, cette autre protège les femmes en couche ; quand on est dévot envers cette troisième, on gagne toujours à la loterie. La question de laideur et de beauté est d’un intérêt fort secondaire pour des images qui possèdent de tels pouvoirs. En outre l’obscurité et le vague ont toujours été chers au peuple ; il n’aime pas à connaître l’origine des choses qu’il doit respecter, en quoi il montre son grand bon sens. Pour qu’il adore une image, il est bon que l’auteur en soit inconnu, qu’elle ne porte aucun nom certain. Si cette image a été longtemps ignorée et que le hasard la fasse découvrir sous des décombres ou des toiles d’araignées, cela n’en vaut que mieux, parce qu’alors l’imagination n’est plus gênée par aucune origine. Les églises de Santa-Maria-del-Orto et de Santa-Maria-della-Scala ont même été bâties pour conserver deux de ces vénérables images, trouvées l’une dans un jardin et l’autre sous un escalier. Mais jamais on n’a vu le peuple adorer une image créée par un artiste célèbre, portant une date certaine, et, à bien considérer la chose, là serait le véritable sentiment d’idolâtrie. En effet, dans le culte d’une antique image sans auteur connu, le sentiment du respect est le seul qui soit ému, tandis que le culte d’une image créée par un grand artiste mériterait vraiment le nom de paganisme, cette adoration ne pouvant s’adresser qu’à la beauté extérieure de l’idole. La madone du Sansovino fait donc à cet égard une exception éclatante. D’où vient cette exception ? Cela ne peut tenir à sa beauté, bien que les Italiens soient plus sensibles à cet attrait que les autres peuples, car il y avait à Rome vingt images peintes et sculptées plus belles après tout que la madone du Sansovino. Piqué de curiosité, je me suis efforcé de découvrir d’où avait pu venir un tel sentiment. Ayant éprouvé le même attrait que le peuple, j’ai tâché de raisonner comme lui, et je suis arrivé à ce résultat, que, s’il a pris cette madone en vénération particulière, ce n’est pas pour sa beauté, c’est pour son grand air. J’ai dit que le caractère de cette Vierge était tout aristocratique ; les Romains ont pris plaisir à la prier parce qu’ils lui ont trouvé un aspect noble, et, comme nous dirions en France, une physionomie comme il faut. Ils se sont tenu instinctivement le raisonnement que voici : « celle-là n’est pas une belle paysanne, ou une jolie bourgeoise, c’est une vraie madame una vera madonna ; on le voit bien à ses grands traits et à ses longs doigts. C’est celle-là que nous devons prier, car elle doit être bien plus puissante que les autres auprès de Dieu pour nous faire obtenir ce que nous demandons. Une telle dame ne peut avoir qu’une très haute influence dans la cour céleste. » Ils l’ont donc adorée comme une, princesse Borghèse ou Barberini du ciel, qu’ils ont supposée logiquement être une protectrice plus efficace que la plus belle des filles du Transtevère ou de la campagne romaine.

J’ai voulu savoir jusqu’à quel point ma supposition était fondée, et je l’ai exposée un jour devant un Romain que je rencontrai à notre académie du Monte-Pincio. « Ce que vous dites est tellement vrai, me répondit-il, que je puis corroborer votre supposition par un fait dont j’ai été le témoin pas plus tard qu’hier. Je me suis arrêté au coin du Corso, devant une boutique de gravures où se trouvait une madone de Murillo, jolie brune piquante, à la physionomie à la fois vive et aimable, légèrement ébouriffée, et avec un petit air de gitana, comme toutes les vierges du maître espagnol. Deux petites blanchisseuses étaient en contemplation devant cette image et se communiquaient leurs impressions : — C’est une madone, dit l’une. — Oh que non pas ! répondit la seconde, ce n’est pas une madone, c’est une paysanne. Je t’assure bien que je ne ferais pas mes prières devant elle. » Ce mot de la blanchisseuse romaine devant la madone de Murillo nous aide à comprendre le sentiment d’adoration que le peuple de Rome a porté sur la madone du Sansovino. Si le peuple n’aime guère en tout pays que ce qui lui ressemble, en revanche il ne respecte que ce qui est entièrement différent de lui, et cette madone du Sansovino a reçu un culte précisément parce qu’elle porte une empreinte aristocratique.

Si l’on cherchait les raisons qui ont déterminé la dévotion du peuple italien pour telle ou telle image, je suis convaincu qu’on s’apercevrait que ces préférences reposent la plupart du temps sur des nuances de sentiment singulièrement délicates, profondes et subtiles, en sorte que cette idolâtrie dont on l’accuse, loin d’être chez le peuple italien un signe d’infériorité, est au contraire la preuve d’une vie morale infiniment plus poétique et surtout plus souple que celle d’aucun autre peuple de l’Europe. J’en veux citer un second exemple. L’image la plus vénérée de Rome est à coup sûr la statue de saint Pierre qui se trouve à la basilique vaticane. J’avais toujours entendu citer ce fait comme la preuve la plus convaincante du. paganisme romain. Cette image est une ancienne statue de Jupiter dont le christianisme a fait un saint Pierre, et il est certain que, lorsqu’on vous raconte une telle chose à deux ou trois cents lieues de Rome, vous vous sentez involontairement choqué, quelque peu hostile que vous soyez ; mais comme on a peu envie de se scandaliser lorsqu’on est sur les lieux mêmes, et qu’on peut se rendre compte du caractère de l’image adorée ! Cette statue était une figure de Jupiter, me dites-vous ? Je considère son attitude, sa physionomie, et je vous réponds en toute assurance : non, l’étiquette s’est trompée de sac, et je ne vois devant moi que la figure d’un vénérable sage quelconque. Où est dans cette figure cette imposante majesté qui est inséparable du père des hommes et des dieux ? où est son caractère d’impassible justice et de sévère paternité ? Peut-être en effet l’artiste païen a-t-il eu l’intention de faire un Jupiter ; mais la tradition s’était altérée, un esprit nouveau remplissait le monde, et de même que, dans le roman d’Apulée et dans la fable de Psyché, nous surprenons flottans dans l’air païen les sentimens de tendresse et d’onction propres au christianisme, de même ici l’artiste païen a imprimé à son image de bronze le cachet des vertus que l’esprit nouveau commençait à souffler sur l’humanité ; il a créé un personnage vénérable et non imposant. Loin d’être divin, ce Jupiter a quelque chose de très particulièrement populaire : combien de confesseurs, de martyrs, d’évêques de la primitive église ont dû ressembler à ce respectable sage, aux traits calmes avec une nuance de tristesse, que l’on sent fait pour l’autorité exercée par la persuasion, le conseil fraternel, la réprimande amicale ! De la vue de cette statue, nous-avons tiré cette conclusion très singulière : c’était à l’époque où l’on appelait cette statue un Jupiter que l’on se trompait, et c’est depuis qu’on l’a nommée un saint Pierre que l’on ne se trompe plus. C’est bien en réalité à un saint Pierre que les Romains adressent leurs prières ; ils peuvent l’adorer en toute sécurité de conscience ; l’esthétique le leur permet aussi bien que la tradition.

C’est dans cette église de Saint-Augustin que l’on admire, peint à fresque sur un des piliers de la nef, l’Isaïe de Raphaël ; passons sans nous arrêter devant cette belle œuvre que nous retrouverons en parlant du peintre d’Urbin, et allons dans la première chapelle à droite admirer quelque chose de beaucoup moins rare, une superbe toile de Michel-Ange de Caravage. Ce tableau représente, paraît-il, Notre-Dame de Lorette adorée par deux pèlerins ; j’ai cru longtemps qu’il s’agissait d’une adoration des bergers, ou de quelque chose de semblable. Notre erreur était excusable, car la Vierge est comme noyée sous ces vigoureuses ombres noires familières à Caravage, et les deux figures des pèlerins qui sont éclairées par ce non moins vigoureux reflet de lumière rougeâtre qu’affectionne le robuste ouvrier sont deux figures où l’énergie des bandits de la campagne romaine ou napolitaine se combine agréablement avec une expression de triviale bonhomie. Ces deux figures ont quelque chose à la fois de farouche et de câlin qui les fait ressembler à des bêtes fauves qui veulent bien replier les griffes et faire gros dos sous les caresses. Ainsi doivent se courber, adorer, sourire les thugs d’espèce inférieure lorsqu’ils font leurs dévotions devant l’image de la déesse Kali. Ce superbe et violent ouvrage est une des pages où on peut lire le plus aisément les qualités et les défauts propres au talent de ce bandit qui eut nom Michel-Ange de Caravage, dont la main d’effronté spadassin sut tenir un pinceau avec autant de fermeté qu’un poignard. Là surtout on peut surprendre les faciles secrets dont cet artiste trivial a su faire un si remarquable usage. Ces secrets sont au nombre de deux : l’énergie obtenue par la reproduction telle quelle de la réalité, le contraste vigoureusement marqué d’une ombre épaisse et noire et d’une lumière intense à rouges reflets.

C’est par haine du convenu, a-t-on coutume de dire, que le Caravage s’adressa, sans en vouloir jamais sortir, à la réalité acceptée sans choix. Dites plutôt que ce fut par impuissance de génie et surtout par bassesse native d’âme. Est-ce que jamais âme pareille fut capable de s’élever à la conception de quelque chose de noble et de grand ? La nature lui avait octroyé d’admirables dons d’ouvrier, elle lui avait refusé tout génie : là dut être pour le Caravage une source de souffrances poignantes. Posséder un incomparable instrument et n’avoir quoi que ce soit à lui faire dire, quel martyre ! Ah ! si la croyance de certains sauvages était vraie, si en tuant son ennemi on pouvait faire passer en soi son âme, s’il suffisait de poignarder, d’empoisonner, d’écumer de rage et de déborder de violence pour acquérir la tendresse d’un Dominiquin, la science de composition d’un Annibal Carrache ! Malheureusement ces miracles sont impossibles ; mais il reste une ressource : si on ne peut compter sur la magie, on peut au moins faire appel au charlatanisme. Le rôle de négateur est toujours facile ; pourquoi ne pas déclarer que tout ce que les hommes ont admiré est pure convention, science académique, violence à la nature ? Ainsi fit Michel-Ange de Caravage. S’étant gratté la tête avec frénésie sans y trouver ombre de conception quelconque, il appela à son secours un beau désespoir et descendit bravement dans la rue. Là il se campa en embuscade au coin d’une borne pour exécuter le coup qui devait le sauver de l’obscurité, et il arrêta le maçon revenant du chantier tout étoile des éclaboussures de sa truelle, le facchino aux fortes épaules, le chantre à trogne couperosée mis en goguette par l’aigre vin d’Orvieto, le mendiant hâve se rendant à son poste à la prochaine église ; puis, les ayant amenés dans son atelier, il fit leurs portraits en pied avec cette vigueur de main qui lui était propre, et il intitula le tout apôtres, disciples, saints, etc. Il est certain que ces gredins du Caravage ont malgré tout du caractère ; ces apôtres sont des apôtres à poigne, ces saints sont solides des rognons, et si ces disciples n’ont pas d’âme, il est incontestable qu’ils ont de la tripe : pardon de ces expressions ; mais pour faire comprendre le Caravage, il est absolument nécessaire d’avoir recours à la triviale énergie du langage populaire. Cependant il ne faudrait pas faire honneur de ce caractère à son génie, car toute la gloire en revient à la réalité, qu’il copia scrupuleusement. S’il se fût adressé à la réalité d’un autre pays, en suivant son système, il n’eût été que le plus plat des peintres ; mais il eut l’insigne bonheur de s’adresser à une nature dont les vulgarités elles-mêmes sont marquées d’un cachet d’énergie ; il faut louer de ce mérite l’Italie et la beauté de la race qui l’habite.

Le réalisme du Caravage est certainement le plus absolu, le plus radical qu’il y ait eu dans les arts, car il ne s’y mêle aucune nuance de fantaisie et d’imagination. Les Hollandais, qu’il faut toujours citer en première ligne quand il s’agit de l’imitation de la nature, ne sont point réalistes à ce degré-là, heureusement pour leur gloire. Van Ostade, Gérard Dow, Jean Steen, inventent en imitant ; ils font leurs paysans plus laids que nature, ils chargent leurs modèles, allongent le nez de celui-ci, exagèrent la verrue de celui-là, donnent au strabisme de ce troisième une malice bêtement diabolique, et ils créent ainsi des scènes pleines de verve, d’humour, d’agrément comique ou sentimental qui n’étaient pas dans la réalité. Caravage au contraire copie ses modèles tels qu’ils furent, sans prendre même la peine de les modifier selon l’esprit de la scène qu’il veut rendre ; il en résulte qu’en dépit de leurs traits si caractérisés, ses personnages sont surtout remarquables par une absence d’expression qu’on ne trouverait nulle part aussi complète. Ces figures aux traits si farouches et qui ont l’air de tant promettre sont cependant d’une platitude désespérante ; jamais le Caravage n’a su mettre sur une figure un atome d’esprit moral ; tout ce qu’il sait faire, c’est tirer de robustes copies de ses modèles et les grouper avec talent.

Si, comme les Hollandais, le Caravage n’eût appliqué ce réalisme qu’aux scènes tirées de la vie vulgaire, aux tableaux dits de genre, sa prétention eût été excusable, et cependant on pourrait encore lui reprocher la dimension exagérée de ses cadres. Ici nous placerons une observation qui n’a pas été faite encore, et qui a une importance pour ainsi dire d’actualité, puisque nous avons vu de nos jours, puisque nous voyons encore des artistes ressusciter le système du Caravage, et donner à des scènes de la vie vulgaire les proportions des scènes historiques ou sacrées. Quand ils firent leurs personnages de dimensions microscopiques, les Hollandais découvrirent d’instinct une des lois les plus importantes de la peinture. Le but de la peinture est d’intéresser l’esprit par le moyen des yeux ; elle se compose donc à doses à peu près égales de réalité et de poésie. Or les scènes et les personnages qu’elle nous présente ne contiennent pas à égales doses ces deux élémens : les scènes et les personnages de la vie réelle parlent aux yeux plus qu’à l’imagination ; les scènes et les personnages de l’histoire parlent à l’imagination plus qu’aux yeux. Pour donner de la poésie aux premiers, de la réalité aux seconds, il n’y a qu’un moyen, un seul, c’est de renverser leurs proportions naturelles, de transposer les dimensions sous lesquelles nous les voyons soit par les yeux de la chair, soit par les yeux de l’esprit. Pour cela, il suffira de supposer le spectateur armé d’une lorgnette et regardant les scènes historiques par le gros bout, les scènes de genre par le petit bout. Que faisons-nous au spectacle, dans un jardin, dans une nombreuse assemblée, lorsque nous nous servons du petit bout de la lorgnette pour observer des personnes et des choses qui sont tout près, trop près de nous ? Nous cherchons à nous créer une illusion charmante au sein même de la réalité la plus immédiate. Le petit bout de la lorgnette ne fait perdre à la vérité aucun de ses traits, au contraire il accuse ses moindres nuances avec plus de finesse, et il y ajoute la magie de l’éloignement et le charme du rêve : telle est la loi du tableau de genre. Que faisons-nous au contraire lorsque, solitaires au coin de notre feu, nous essayons de nous représenter les scènes et les personnages de l’histoire et de la religion ? Nous faisons sur nous-mêmes une opération de sorcellerie ; nous tâchons d’évoquer des fantômes, et les fantômes, on le sait, apparaissent toujours sous des formes colossales. Telle est la loi du tableau d’histoire. En un mot, pour conserver l’équilibre entre les deux élémens qui constituent la peinture, il est logique d’éloigner les personnages familiers aux yeux de la chair, de rapprocher au contraire les personnages qui ne sont aperçus que par l’imagination[4].

Le Caravage, dis-je, ne se contenta pas d’appliquer son facile système aux scènes de la réalité, il eut l’outrecuidance inconnue ayant lui de l’appliquer à la représentation des grandes scènes illustrées par le pinceau de tant de maîtres célèbres. Les conséquences inévitables de cette erreur monstrueuse furent d’enlever à ces scènes toute universalité pour les rapetisser aux proportions d’épisodes biographiques quelconques, d’effacer de leurs personnages tout caractère traditionnel et consacré. Aucune de ses œuvres ne montre plus clairement ces affreux défauts que son grand tableau de l’Ensevelissement du Christ, qui se voit à la galerie du Vatican, page admirable par la force d’exécution et les qualités de métier qui s’y révèlent. Il n’y a rien dans cette scène qui avertisse de l’importance qu’elle a pour le genre humain, rien qui dise : C’est le deuil de l’humanité entière, bien mieux encore, c’est le deuil du ciel et de la terre. — Et comment en serions-nous avertis ? Aucun de ces personnages n’est reconnaissable à première vue par le type qu’a fixé pour chacun d’eux la tradition, type par lequel ils ont acquis un caractère d’universalité, les générations successives des hommes les ayant connus sous les mêmes traits. Il est bien entendu que ce type consiste surtout dans le caractère moral qui, respecté, suffit pour conserver l’identité du personnage que le peintre veut présenter, et pour le faire reconnaître à l’instant du spectateur. Ainsi un peintre ne pourrait, sans pécher contre le bon sens, présenter un saint Jean vieux et laid, un saint Pierre jeune et sans gravité, un saint Paul qui n’exprimât pas l’autorité, une sainte Madeleine qui fût autre chose que tendresse et abnégation, etc. Les Flamands ont certes beaucoup osé avec ces types, car ils leur ont donné tous les caractères de leur nationalité, et cependant qui se trompe sur ces personnages ? qui ne nomme chacun d’eux à première vue ? Au contraire, je défie bien qu’on nomme sans se tromper chacun de ces personnages de l’Ensevelissement du Caravage. La Vierge seule est reconnaissable, grâce à la douleur qui se lit sur son visage. Encore cette Vierge n’a-t-elle aucune expression qui la tire d’une condition privée, et en fasse un personnage intéressant d’une manière universelle ; ce n’est point là Marie, la mère du Christ, dont la douleur est celle de tous ; c’est une pauvre veuve italienne de la petite bourgeoisie, quinquagénaire, avec des restes de beauté un peu molle, et dont la douleur n’intéresse qu’elle-même et quelques amis. Et qu’est-ce que cette fillette maigre, pâle, chétive, au profil sec et régulier, avec une expression de faiblesse énergique ? Est-ce que ce serait quelqu’une des saintes femmes par hasard ? Eh ! non, c’est une fillette des quartiers populaires de Rome ou de Naples qui assiste à l’enterrement d’un cousin ou d’un oncle. Et les personnages qui sur le devant de la scène approchent du sépulcre le cadavre du Christ, est-ce que ce sont le noble Joseph d’Arimathie et le bon Nicodème ? Non, ce sont de serviables voisins qui sont venus assister la famille en ces circonstances douloureuses. Avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de voir dans ce tableau autre chose qu’un groupe de Transteverins ou de paysans de la campagne italienne qui ensevelissent un des leurs. Cela dit, il faut reconnaître que l’énergie d’exécution de cette toile arrache l’admiration. Quelle solidité de touche ! quelle pâte vigoureuse ! comme ces personnages font saillie, et que ce coloris sombre a de force !

Pendant que le Caravage stationnait sur la voie publique pour racoler ces premiers passants venus de bonne volonté dont il a fait les personnages de ses tableaux, il eut le temps d’observer un phénomène très-intéressant, celui de la nature de la nuit italienne. Les ténèbres d’Italie ont une vigueur que nous ne leur connaissons pas dans nos brumeux pays tempérés ou dans nos froids pays du nord ; elles ont aussi une tout autre manière de faire leur entrée dans le monde. Le char de la nuit, le char du soleil ; ces expressions, purement métaphoriques en tout autre pays, sont en Italie d’une stricte réalité. Là notre gris crépuscule, avec son clair-obscur enveloppant les objets et les faisant transparaître au sein d’une ombre diaphane, est à peu près inconnu. Pour faire comprendre au lecteur combien la transition de la lumière aux ténèbres est différente en Italie de ce qu’elle est chez nous, nous sommes obligé de nous inspirer du génie de M. de La Palisse, et de dire : En Italie, tant qu’il fait jour, il fait jour, et dès qu’il ne fait plus jour, il fait nuit. Quand viennent les heures du soir, on voit le jour non pas baisser comme chez nous, mais pâlir : on dirait en toute vérité un char de flamme qui laisse derrière lui un sillage lumineux, et que l’on voit s’éloigner peu à peu ; mais en s’éloignant il ne crée pas l’obscurité ; l’air reste pur, clair, brillant. La nuit n’arrive pas à la sourdine, en s’insinuant ; elle fait son entrée brusquement et prend triomphalement possession du monde. Cette nuit est bien la fille de l’Érèbe ; vous pouvez aisément la personnifier sous la forme d’une belle femme brune, au teint bistré, à la taille robuste. C’est une nuit noire comme de l’encre, épaisse à couper au couteau, comme dit le peuple, intense, profonde, une véritable méditerranée de ténèbres. Le divin éclairage de la lune et des étoiles n’altère pas le caractère de cette nuit, qui ne sert qu’à mieux encadrer leur beauté ; il faut voir comme lune et étoiles ressortent sur ce fond de fortes ténèbres : on dirait des incrustations d’or sur une vaste surface d’ébène. Nous voilà bien loin de ces tons d’acier brillant et froid que leurs clartés prêtent aux nuits du nord. Cependant l’effet le plus magique est celui que produisent les flambeaux simplement allumés par les chétifs mortels, effet qui est dû en partie à cette intensité des ténèbres sur lesquelles la moindre lumière se détache avec une vigueur incomparable, en partie à la nature de l’éclairage qu’emploient les habitans de cet heureux pays. Les gens du peuple et les marchands en plein vent s’éclairent de préférence avec des lumières non protégées, espèces de torches ou d’énormes lumignons qui brûlent librement à l’air en lançant un jet de flamme aussi robuste que les ombres qu’il est chargé de dissiper. Tous les objets qui sont touchés par ce jet de flamme ou qui se trouvent dans son voisinage sont aussitôt arrachés de l’ombre par cette lumière crue, presque brutale, tant elle a d’énergique éclat, et illuminés comme à giorno d’un reflet rouge de cuivre qui les oblige à ne rien dissimuler de leurs formes, tandis qu’à côté et aux alentours tout reste sombre. Que de fois en traversant les rues de Rome le soir, j’ai eu occasion, devant une boutique en plein air ou devant un cabaret populaire, de m’écrier : « Allons, encore un Caravage ! » C’est là le phénomène qu’a surpris le grand ouvrier, dont il a fait la facile sorcellerie de ses tableaux, et que vous reconnaîtrez particulièrement sur la toile de l’église de Saint-Augustin représentant les deux pèlerins en adoration devant la Vierge. Son procédé consiste à plonger une partie de la scène dans une ombre noire, et à faire éclairer par contraste un ou plusieurs de ses personnages d’un reffet énergique. La première fois qu’on voit cette diablerie, on est vivement intéressé ; mais elle perd beaucoup de son attrait lorsqu’on s’est familiarisé avec le spectacle des nuits romaines. Il n’y a là aucun secret véritable de la lumière, il n’y a que la reproduction exacte d’un phénomène d’ordre secondaire. Il y a loin de cette magie de lanterne magique au clair-obscur hollandais et au rayon lumineux de Rembrandt.

C’est ce même phénomène qu’a saisi et exploité jusqu’à satiété le Hollandais Honthorst, que les Italiens ont si justement appelé Gherardo della Notte, — le contraste de l’ombre nocturne et d’une lumière artificiellement disposée ; seulement il fait ses ombres moins intenses, plus blondes, et ses lumières moins vigoureuses. Comme l’occasion ne se présentera plus pour nous de citer Honthorst, que nous avons rencontré par hasard sur notre chemin, disons que Rome possède de lui divers ouvrages qui valent la peine d’être regardés, lorsqu’ils se présentent à vous sans que vous vous soyez donné la fatigue de les chercher, fatigue que je ne conseille à personne, étant donnée la brièveté de la vie. Donc si le hasard vous conduit vers lui et que le jour soit propice, consacrez dix minutes à la Décollation de saint Jean-Baptiste de Santa-Maria-della-Scala. Il est un second tableau que vous ne pouvez manquer de rencontrer, car il est dans la même chapelle que le délicieux Saint Michel du Guide, à l’église des Capucins. Cette toile représente le moment où le Christ, après la flagellation, est salué ironiquement roi des Juifs par la canaille, qui vient de lui remettre aux mains le sceptre dérisoire de roseau. La passive résignation du Christ a été bien rendue ; c’est plutôt, il est vrai, la résignation d’un disciple de saint François que celle du Messie, fils de Dieu ; aussi, en considérant ce Christ, je pensai à ce passage des Fioretti où il est raconté comment le bon Bernardo di Quintavalle, étant à Bologne, se laissait tranquillement insulter et tirer la barbe par tous les polissons de la ville sans répondre un seul mot, lorsqu’un citoyen qui contemplait ce spectacle avec admiration vint arracher le fidèle disciple du réformateur évangélique à cet indigne traitement en disant : « Vraiment, voilà bien le plus haut état de religion dont j’aie jamais entendu parler ! » Les trémoussemens facétieux de la canaille ont aussi été fort bien rendus, et avec beaucoup de diversité drolatique. Si les capucins de la piazza Barberini regardent quelquefois ce tableau, et si le voisinage du beau Saint Michel, qu’ils sont justement fiers de montrer, ne lui nuit pas dans leur estime, ils peuvent y retrouver quelque chose de l’esprit de patience et de passive résignation qui inspira les ordres monastiques pareils à celui dont ils font partie.

Deux peintres marchèrent dans la voie ouverte par le Caravage, l’Espagnol Ribeira et le Français Valentin. Ainsi qu’il arrive souvent, les disciples dépassèrent le maître. Les deux hommes que nous avons nommés, n’eurent pas cependant à un aussi haut degré les qualités matérielles de l’ouvrier ; mais Ribeira a une tout autre portée de sentiment, et Valentin possède une sagesse, un attrait, un pathéthique original, qui furent étrangers à son maître. À la galerie du palais Sciarra, on voit un charmant ouvrage, les Petits Joueurs de cartes, qui porte le nom de Caravage ; mais d’aucuns veulent que cet ouvrage soit de Valentin, et nous serions charmé, pour notre part, que ce fût à notre compatriote que revînt la gloire de cette page spirituelle. Il nous est souverainement désagréable de penser que ce brutal puisse être l’auteur de ce gentil tableau ; c’est bien assez d’être obligé de convenir qu’il a fait dans l’Ensevelissement du Christ une peinture d’une exécution magistrale. À vrai dire, dans ce tableau, nous ne reconnaissons pas plus la couleur ordinaire à Valentin que la couleur propre au Caravage ; mais les qualités de l’œuvre sont bien françaises, et elle porte bien le cachet historique de la France de Louis XIII. Deux gentils drôles, dans la première fleur de la jeunesse, sortes d’enfans perdus de troupes irrégulières, à demi aventuriers, à demi escrocs ou peut-être pis, sont accoudés aux deux coins d’une table, jouant aux cartes ; ils paraissent discuter sur une des cartes jouées. Devant eux, tout droit debout, fièrement campé, le feutre à plumes sur l’oreille, un grand escogriffe, dont le visage est empreint d’une expression méphistophélique, prononce sur le coup en mettant son gant troué qui laisse passer significativement la pointe de son index. Rien dans ce tableau ne parle de l’Italie de cette époque, rien n’y rappelle les sujets et les types du tableau de genre italien ; tout y parle au contraire de la France de Louis XIII et y rappelle les types alors en vogue du théâtre et du roman. Ce matamore, nous le connaissons par Cyrano de Bergerac, par Scarron, par Corneille, par Callot ; ces deux petits tire-laines et coureurs de grandes routes, nous les connaissons par les deux polissons de l’odyssée du burlesque d’Assoucy, et par les aigrefins du Francion de Sorrel. Oui, l’âme de ce tableau est bien française, et non italienne, et c’est bien dans notre pays qu’il en faut chercher l’auteur.


EMILE MONTEGUT.


  1. Le palais de la place de Venise, la villa Albani, le palais Giraud, etc.
  2. J’indique encore aux curieux la vieille église de Saint-Georges au Vélabre, église toute composée de pièces et de morceaux. Sur les seize colonnes qui la soutiennent, il n’y en a peut-être pas quatre qui appartiennent au même ordre d’architecture.
  3. C’est-à-dire sainte Marie la bien parée, aux beaux atours (cosmos, ordre, monde, ornement), disent les racines grecques. Ce nom fut donné par le pape Adrien Ier à cette église qui le mérite vraiment, ne fût-ce que pour cette Vierge.
  4. Cette loi, absolue pour le tableau de genre, ne l’est cependant pas tout à fait pour les tableaux historiques ou religieux.