Souvenirs sur Joseph Bonaparte/01

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SOUVENIRS ET MÉMOIRES

SUR
JOSEPH NAPOLÉON,


SA COUR, L’ARMÉE FRANÇAISE, ET L’ESPAGNE EN 1811, 1812 ET 1813.

PREMIÈRE PARTIE.

Le nom de Joseph-Napoléon Bonaparte est un des premiers noms qui se soient gravés dans ma mémoire. Il se trouve mêlé aux souvenirs de ma plus tendre enfance.

Mon père commandait la place de Lunéville, à l’époque du congrès, où fut signée la paix entre la France républicaine et l’Autriche, vaincue à Hohenlinden. Le comte de Cobentzel y défendait les intérêts de l’empereur François, Joseph Bonaparte y était le plénipotentiaire du peuple français. J’avais alors quatre ans ; les ambassadeurs, quand ils ne recevaient pas chez eux, se réunissaient quelquefois le soir, ainsi que les personnes de leur suite, dans la maison de mon père.

Joseph m’avait pris en affection. Il m’en donnait souvent des témoignages sensibles pour un enfant, par de petits cadeaux de dragées et de ces confitures, si exquises en Lorraine. Je l’aimais beaucoup à cause de ses caresses et surtout à cause de ses bonbons. J’en étais si reconnaissant, que plusieurs années après, ma bonne mère me parlant des chagrins et des joies que lui avait causés mon enfance, et me rappelant quelques détails de nos soirées de Lunéville, fut très étonnée du frais souvenir que je gardais encore des bontés de Joseph Bonaparte.[1]

Ce fut au congrès de Lunéville que mon père vit pour la première fois celui qu’il devait suivre plus tard à Naples et à Madrid ; ce fut à Lunéville que commença entre Joseph Napoléon et lui cette liaison, que l’ancien roi d’Espagne, dans ses lettres, appelle encore aujourd’hui de l’amitié, amitié bien réelle et bien éprouvée, puisqu’elle a résisté à ces deux grandes choses qui, d’ordinaire, n’ont pas d’amis, le trône et l’exil.

Peu de temps après l’élévation de Joseph au trône de Naples, mon père passa à son service. Il y devint colonel de cette belle légion corse qui se distingua d’une manière si remarquable tant au siège de Gaëte que dans la poursuite et la destruction de la bande de Fra-Diavolo. Il était en outre un des maréchaux du palais. J’ai souvenir d’avoir été conduit par lui à Naples, pour remercier le roi d’une place qu’il m’avait accordée parmi ses pages. Je n’ai jamais oublié le sourire bienveillant et le regard affectueux avec lesquels Joseph accueillit l’enfant qu’il avait connu à Lunéville.

Cependant j’étais encore trop jeune pour pouvoir profiter de la faveur qui m’était faite, on me ramena en France. Quelque temps après, mon père quitta l’Italie, et suivit Joseph en Espagne.

Après plusieurs années de séjour à Paris, en mars 1811, nous partîmes, ma mère, mes frères et moi, pour aller rejoindre mon père en Espagne. Il n’était pas à Madrid. Investi du gouvernement de la province de Guadalaxara, il était chargé, avec sa brigade, de couvrir la capitale contre les attaques de la division de don Juan Martin, vulgairement nommé l’Empecinado, partisan célèbre et digne de sa célébrité.

Le roi n’était pas non plus à Madrid, quand nous y arrivâmes. Il venait de partir pour la France, où il devait rester peu de temps. Pendant notre voyage, nous l’avions rencontré. C’était aux portes de Valladolid. Le convoi dont nous faisions partie avait dû se ranger sur le bord de la route, pour laisser passer son escorte et ses équipages. Joseph voyageait rapidement. Il avait avec lui une partie des chevau-légers de sa garde. Sa voiture rasa la nôtre. J’étais à la portière, tout yeux et tout oreilles. Le roi à son passage me parut triste et préoccupé. Il parlait avec chaleur à une des personnes assises en face de lui. J’ai su depuis la cause de cet air sombre qui me surprit alors. Il me semblait qu’un roi devait toujours être gai. Joseph allait à Paris sous le prétexte apparent d’assister au baptême du roi de Rome, mais dans le but réel d’abdiquer la couronne d’Espagne, et de remettre aux mains de l’empereur le sceptre dont il ne pouvait plus se servir pour protéger efficacement ses sujets.[2].

Nous restâmes à Madrid pour y attendre l’arrivée de mon père et le retour du roi. Nous fûmes logés dans l’hôtel du prince de Masserano, ancien ambassadeur de la cour d’Espagne à Paris, et grand-maître des cérémonies de Joseph Napoléon. Cet hôtel, qui était désert quand nous y entrâmes, occupe une place dans mes souvenirs. C’était un grand bâtiment situé à l’angle de la Calle de la Reyna, près de la magnifique rue d’Alcala, sans apparence extérieure, mais dont l’intérieur était magnifiquement décoré. C’était le luxe d’un palais de roi. On y trouvait de vastes salles, à hautes croisées, à larges balcons, à lambris dorés. Partout de superbes lustres de cristal de roche, d’immenses glaces de Venise, qui doublaient la grandeur des appartemens ; partout des meubles d’un goût ancien, mais recouverts de belles tapisseries et ornés de sculptures soigneusement dorées ; des tentures en soierie de Perse ; d’amples rideaux de damas ; de riches tapis de Turquie, brillant de couleurs variées ; des coffres, des armoires en bois précieux, sculptés, dorés ou peints ; des porcelaines de la Chine et du Japon. On remarquait, dans un des salons, deux vases japonais, à peintures éclatantes, où des chimères et des animaux fantastiques paraissaient cachés parmi des fleurs inconnues. Chacun de ces vases était assez grand pour que nous pussions nous y cacher tous les trois, mes deux frères et moi. Le prince de Masserano, grand d’Espagne de première classe, avait, en partant pour son ambassade, emmené à Paris tous les gens de son service. Il avait laissé son hôtel désert, et sous la garde d’un vieil intendant de sa famille. Quoique l’Ayuntamiento de Madrid, en nous l’assignant pour logement, eût mis à notre disposition la maison tout entière, en l’absence de mon père, nous n’en occupions qu’une partie, et encore (avec le petit nombre de domestiques qu’avait ma mère) y étions-nous comme perdus. La richesse et les curiosités de notre demeure nous étonnaient beaucoup, mes frères et moi. Nous ne nous bornions pas à admirer seulement les appartemens qui nous étaient abandonnés, nous avions trouvé un trousseau de clefs qui contenait celles de toutes les salles, et l’hôtel entier était soumis à nos enfantines investigations, malgré les défenses de notre mère. Celle-ci, sévère et scrupuleuse, avait vu, pendant les guerres de la Vendée, les habitations de son père et de son grand-père livrées à la discrétion des soldats ; elle ne supportait qu’avec peine tout ce qui lui rappelait les désordres d’une occupation militaire. Nous, enfans curieux et observateurs, nous ne concevions pas ses scrupules, et nous profitions de son absence pour ouvrir les portes fermées et pour aller visiter ces richesses orientales dont les contes des Mille et une nuits nous avaient seuls jusqu’alors pu donner une idée ; mais cependant, subjugués par l’ascendant maternel, nous admirions tout de loin avec une sorte de respect et de crainte.

Ce qui me charmait alors en Espagne, outre le bonheur de voir un pays nouveau et de satisfaire ma jeune curiosité, c’étaient l’éclat du ciel et la lumière abondante, pure, pénétrante, dont tout me semblait inondé. Nous étions dans l’été de 1811, fameux par l’apparition de la grande comète. La chambre où je couchais avec mes frères, à portée de la surveillance active et toujours inquiète de notre mère, donnait sur une petite cour, pavée de larges pierres plates, entourée de portiques pareils à ceux d’un cloître, et dont le centre était occupé par un bassin d’eau limpide, sans cesse renouvelée par une gerbe jaillissante. Quelques fleurs, quelques arbustes à feuilles embaumées égayaient la tristesse de cette cour intérieure. Les rayons éblouissans du soleil l’éclairaient pendant le jour, et pendant la nuit la lueur presque solaire de la comète ne permettait pas à l’obscurité d’y pénétrer ; que de fois, après que ma mère était venue dans notre chambre faire sa visite accoutumée, voir si nous étions couchés, s’informer si nous avions besoin de quelque chose, donner à chacun de nous le baiser du soir, après que j’avais entendu mes jeunes frères s’endormir profondément ; que de fois me suis-je relevé pour m’asseoir, presque nu, sur le balcon de notre croisée, afin de jouir de la fraîcheur de l’air, d’écouter l’harmonieuse et faible rumeur de la ville assoupie, et d’admirer la comète flamboyante et les étoiles scintillant à travers le large éventail de sa queue, dont la moitié du ciel était couverte ; car dans l’air pur et sous le climat méridional de l’Espagne, je l’ai appris depuis, cette comète a paru plus grande et plus lumineuse que dans aucun autre pays de l’Europe.

Alors que de vagues pensées ! que de rêveries sans but ! que de regards perdus, jetés dans cet abîme des cieux où j’aurais voulu découvrir quelque chose derrière les étoiles ! Puis, quand je me retournais pour retomber sur la terre, je voyais dans la même alcôve, mes deux frères plus jeunes que moi, fatigués par les jeux de la journée, reposant sous leur blanche couverture et dormant d’un sommeil paisible. Souvent aussi et presque malgré moi, mes yeux s’arrêtaient sur un portrait, ouvrage de Raphaël Mengs, seul tableau oublié dans cette partie de l’hôtel, et qui était resté accroché à la muraille de notre chambre. Ce portrait, c’était Charles iii, en simple habit de chasse, décoré seulement du grand cordon bleu de ciel à lisérés blancs et de la plaque de l’ordre qu’il a créé. La lumière était suffisante pour que je pusse distinguer facilement tous les traits de son visage, ils empruntaient même de cette clarté douteuse un air de vérité, un aspect de vie que je ne leur trouvais pas pendant le jour.

Je distinguais facilement cette tête qui m’a toujours paru si bizarre, cette figure longue comme celle d’un bouc, un nez aquilin dont l’extrémité cachait la moitié d’une bouche bordée de grosses lèvres brunies par le cigarre, de grands yeux noirs presque aussi saillans que le nez, un front haut et ridé surmonté d’une petite perruque flanquée de trois maigres boudins. À voir cette face hétéroclite, cette figure grotesque, mais où brillait pourtant un regard fin et doux, je ne me doutais guère que j’avais sous les yeux un des plus sages et des plus grands monarques de l’Espagne, homme sévère et vertueux, roi philosophe et bienfaisant, chrétien pieux, religieux observateur de ses devoirs envers ses sujets, et au règne duquel appartient la majeure partie des monumens et des fondations utiles qui ont décoré l’Espagne sous la dynastie des Bourbons…

Joseph revint de Paris. Le roi d’Espagne se souvint des promesses du roi de Naples, et mes parens reçurent l’avis que j’étais nommé page de sa majesté.

C’était une faveur d’autant plus grande, qu’aucun autre Français n’y devait être admis. Dire qu’elle me combla de joie serait peu dire ; j’étais dans l’enivrement.

Peu de jours après ma nomination, ma mère me conduisit dans la Real Casa de Pages.

Mon début aux Pages ne m’inspirait ni crainte ni inquiétude. Je parlais déjà assez bien l’espagnol pour pouvoir prendre part à toutes les conversations. Ma qualité d’ancien élève du Lycée impérial de Paris me donnait une sorte de confiance en moi-même, qui m’empêchait de redouter le moment de la première entrevue avec les jeunes Espagnols dont j’allais devenir le compagnon.

Je fus d’ailleurs parfaitement reçu par eux. La coutume barbare d’accueillir par des mystifications, ou grossières, ou brutales, un camarade nouvel arrivé, était inconnue en Espagne, et je n’eus à supporter aucune de ces plaisanteries cruelles alors usitées en pareil cas à Saint-Cyr et à Fontainebleau.

Le gouverneur et les directeurs ne furent pas moins bienveillans pour moi que mes jeunes compagnons. Il fut décidé que ma présentation au roi aurait lieu le 1er janvier suivant, jour de baisemains et de grand gala.

Mon uniforme me fut apporté la veille de ce jour, mémorable pour moi. On peut aisément s’imaginer quels furent mes transports de joie en l’essayant. Je n’ai pas éprouvé de pareil plaisir, alors même que, pour la première fois, j’ai porté l’épaulette.

L’uniforme des pages de Joseph Napoléon n’avait cependant rien de cette élégance recherchée qui distinguait les pages espagnols des rois de la dynastie autrichienne, lorsque, marchant à pied, le chapeau à la main, autour du coche royal, ou bien, assis sur les portières, ils accompagnaient à la fiesta de Toros ou à la procession de San Isidro leurs graves et magnifiques souverains. Des chausses de soie noire, un juste-au-corps de velours noir que serrait à la taille une ceinture de même couleur, un large chapeau de feutre orné d’une longue plume blanche, tel était alors leur costume simple et pittoresque. Du reste, point de manteau, point d’épée, seulement on voyait suspendue à la ceinture des plus âgés une petite dague de Tolède, à poignée d’or richement ciselée et à fourreau d’argent émaillé et orné d’arabesques.

Dans sa richesse, l’uniforme des pages de Joseph Napoléon, ainsi que celui des pages de la maison de Bourbon, ressemblait plutôt à une livrée qu’à un habit de cour.

Nous portions un frac bleu foncé, galonné en or au collet, aux paremens, aux retroussis, à la taille, et dont la poitrine était couverte de larges galons à brandebourgs d’or, pareils, sauf la couleur, à ceux des grenadiers à cheval de la garde de Charles x. Les paremens et le collet du frac étaient en velours. Des culottes bleues, serrées au genou par une boucle d’or, des bas de soie blancs à grands coins, des souliers à boucles, complétaient cet uniforme, que relevaient un peu un chapeau militaire, magnifiquement galonné et doublé de plumes blanches comme le chapeau d’un maréchal de France, une aiguillette de soie blanche, brodée d’or, attachée sur l’épaule gauche, et enfin l’épée, que nous avions au côté.

Les pages de service portaient seuls la botte à l’écuyère.

Le 1er janvier, je fus prêt de grand matin. Avant de partir pour le palais, nous devions passer la revue de notre gouverneur.

C’était l’ancien gouverneur des pages de Charles iv, dont Luis de Rancaño, un colonel du génie, officier fort estimé dans son arme, et qui avait obtenu l’emploi qu’il occupait auprès de nous, comme une sorte de retraite honorable pour sa vieillesse ; d’une taille élevée, d’une belle tenue militaire ; juste, ferme, doux et bienveillant, il nous inspirait à tous du respect. J’ai eu le bonheur, depuis les évènements de 1814, de revoir à Paris cet homme vénérable, expatrié comme tous les Espagnols distingués qui avaient servi Joseph. Il supportait avec calme, sans plaintes comme sans orgueil, les peines et les misères de l’exil. La vie de Paris plaisait à cette intelligence active. Logé mesquinement, vivant sobrement, ne cherchant de récréations que dans les promenades qu’il faisait chaque jour avec le petit nombre d’amis éclairés que ses connaissances variées, sa conversation substantielle et instructive attiraient auprès de lui ; suivant avec assiduité quelques cours choisis du Collége de France, s’occupant dans une certaine mesure de géographie, de chimie, de botanique et de hautes mathématiques, il attendait ainsi, avec philosophie et résignation, la mort qui est venue le frapper peu de temps avant l’époque où les décrets de la reine Christine ont ouvert les portes de l’Espagne à tous les exilés.

Nous donnions à ce digne gouverneur le doux nom d’Ayo (père nourricier). C’était l’ancien titre de son emploi, touchante appellation que la nouvelle étiquette espagnole avait empruntée à l’ancienne.

En me voyant arriver le premier de tous, ce bon vieillard, qui ne venait au palais que pour assister à ma présentation et m’encourager par sa présence, me félicita de ma diligence et sourit lorsque je lui en avouai naïvement la cause.

M. Rancaño avait auprès de lui, comme assistente et sous-gouverneur, un jeune chef de bataillon, officier de grande distinction, nommé Landaburu. Cet officier a aussi suivi en France le roi Joseph ; mais, après le retour de Ferdinand à Madrid, il obtint l’autorisation de revenir en Espagne. Ses talens militaires et peut-être aussi quelque protection lui firent obtenir de l’emploi. Il entra dans la garde royale ; et c’est, m’a-t-on affirmé, ce même Landaburu, qui, pendant les troubles de Madrid, en juillet 1832, périt misérablement, massacré par les soldats qu’il commandait. M. Landaburu avait embrassé avec chaleur les principes et la cause de la révolution espagnole.

Placé par mon âge et par l’état avancé de mes études au nombre des pages de première classe, je m’étais lié avec un d’entre eux, appelé Domingo Aristizabal. Ce jeune homme, déjà page sous Charles iv, était fils d’un ancien vice-roi du Mexique. Son père et tous ses parens, dont il s’était trouvé éloigné et en quelque sorte abandonné au moment de l’occupation de Madrid par les Français, combattaient dans les rangs des insurgés. Il avait franchement répondu à mon amitié et m’avait promis de ne pas me quitter pendant ma réception, afin de me faire connaître toutes les personnes de la cour, dont les noms lui étaient depuis long-temps familiers.

La revue passée et l’heure du départ étant sonnée, nous nous mîmes en route, marchant militairement deux par deux, ayant en tête notre gouverneur et M. Landaburu ; Aristizabal était à mon côté.

Pour arriver au palais, nous avions à traverser une grande place, à peine nivelée et encore couverte de ruines et de décombres : c’était une des places que le roi Joseph, jaloux de l’embellissement et de la salubrité de la ville, avait ordonné d’ouvrir, et qui lui faisaient donner, par les Espagnols mécontens des innovations dont ils n’appréciaient pas alors toute l’utilité, le surnom de Rey de las Plazas[3].

Les ennemis de Joseph, ne pouvant attaquer les actes de son administration, vraiment paternelle et dirigée dans l’intérêt du pays, s’attaquaient à sa personne même. Pour exciter contre lui l’animadversion des classes infimes de la nation, il n’est sorte de calomnies odieuses, d’absurdes imputations qu’ils ne cherchassent à répandre. Ils allaient jusqu’à lui supposer des infirmités corporelles ou des habitudes grossières ; ils représentaient ce prince, qui est un homme d’une figure agréable, d’une belle stature et d’une sobriété peu communes, comme un monstre difforme, adonné à l’ivrognerie ; ils l’appelaient injurieusement el Rey tuerto, Pepe Coxo, Pepe Botellas, etc. Le peuple de Madrid savait à quoi s’en tenir sur la valeur de ces ridicules imputations, mais elles obtenaient quelque crédit dans les provinces éloignées de la capitale, et servaient ainsi la haine des ennemis du roi.

Les Espagnols aiment d’ailleurs les sobriquets et les jeux de mots. Les insurgés, comme on sait, appelaient rarement leurs chefs eux-mêmes par leur nom de famille ; des surnoms tirés le plus souvent de leur ancien état ou de quelque défaut corporel servaient à les désigner : ainsi c’étaient el Manco (le manchot), el Cura (le curé), el Pastor (le berger), el Empecinado (l’empoissé), etc. On doit bien penser qu’ils usaient d’une liberté plus grande en parlant de leurs ennemis. Napoléon, que les auteurs dramatiques des villes où siégeaient des juntes insurrectionnelles, faisaient figurer au théâtre sous les traits de Satan, était toujours appelé par la populace de Madrid Napoladron.

Le jeu de mots que je vais citer peut donner une idée du genre d’esprit des plaisanteries espagnoles de cette époque. Tout le monde sait que Napoléon avait au nombre de ses aides-de-camp, M. Mouton, aujourd’hui maréchal de France, et commandant en chef de la garde nationale parisienne. Les Madrileños, jouant sur le titre de comte de Lobau, donné au général, disaient que la puissance de l’empereur était en effet bien grande, puisque d’un mouton, il avait pu faire un loup (en espagnol lobo), de un carnero ha hecho un lobo.

J’ai dit que le palais de Madrid s’élève à l’extrémité de la place ouverte par ordre de Joseph.

Il a été construit sur l’emplacement autrefois occupé par l’ancien palais des rois de la dynastie autrichienne. Ce palais, brûlé sous le règne de Philippe v, était d’une magnificence extraordinaire. Les marbres précieux de la Grèce et de l’Italie, l’or et l’argent de l’Amérique, nouvellement découverte, avaient servi à l’ornement de la demeure des fils de Charles-Quint ; mais l’aspect sombre du bâtiment ne répondait pas à la richesse des décorations intérieures. La façade principale seule avait quelque noblesse. Le reste n’était qu’un assemblage confus d’édifices, élevés à différentes époques, séparés entre eux par de petites cours sales et obscures, où, comme dans le temple de Jérusalem, des revendeurs de toute espèce avaient trouvé le moyen d’établir leurs magasins et leurs boutiques. Le feu commença dans ces taudis mal habités, et gagna les salons du palais ; les guenilles de la populace servirent à alimenter les flammes qui consumèrent l’habitation royale.

Après la destruction de ce palais, Philippe v s’établit dans celui du Buen Retiro, situé à l’extrémité opposée de la ville. Mais, quels que fussent les agrémens de cette charmante retraite, alors ornée d’épais ombrages, d’abondantes et vives fontaines, de larges bassins, le roi ne pouvait s’empêcher de regretter la belle position du palais brûlé, qui, placé sur une colline dont le flanc escarpé est bordé par le Mançanarez, dominait d’un côté la ville entière de Madrid, et de l’autre de vastes campagnes, où s’étendent les rians jardins de la Casa del campo et les forêts profondes del Pardo. La vue n’y est bornée que par la chaîne granitique des monts Guadarrama, au pied de laquelle, par un beau temps, on peut distinguer la coupole arrondie et les immenses bâtimens de l’Escurial. Comme son aïeul Louis xiv, Philippe v avait le goût des monumens ; il voulut reconstruire l’édifice qui avait été détruit, et invita les architectes distingués de ses états d’Espagne et d’Italie, à lui soumettre leurs plans. Celui qu’il adopta n’a pas été entièrement mis à exécution ; une partie seule du palais est terminée ; mais, comme cette partie forme un tout régulier, il est douteux que l’on songe jamais à construire le reste des bâtimens primitivement projetés. Le premier des successeurs de Philippe v qui ait habité le nouveau palais, est Charles iii, et encore ne fut-ce que vers la fin de son règne.

Le palais de Madrid, tel qu’il existe aujourd’hui, offre à peu près l’aspect du Louvre. C’est un carré parfait, au milieu duquel se trouve une grande cour entourée de portiques au rez-de-chaussée, et de galeries à chaque étage. C’est par cette cour que la partie souterraine du palais reçoit du jour et de l’air ; car c’est une des singularités de cet édifice d’avoir plus d’étendue sous terre que dehors. La colline sur laquelle il est bâti a été excavée jusqu’au niveau du Mançanarez ; on entre de plain-pied dans les souterrains par le flanc qui regarde la rivière, et on y descend par des escaliers placés aux quatre coins de la cour. C’est là que sont les cuisines, les caves, les bûchers, les magasins de toutes espèces, et même quelques logemens pour les employés des cuisines, dans la partie qui s’ouvre sur le flanc de la colline. On compte ainsi jusqu’à sept étages superposés qui plongent dans les entrailles de la terre.

L’architecture du palais est noble et simple. Chacune des quatre faces, ornée de pavillons à pilastres, ressemble assez à la façade méridionale du Louvre. Toutes les précautions ont été prises pour que l’édifice ne devienne pas la proie des flammes comme celui qu’il a remplacé. La pierre, le marbre, le fer et le bronze ont été seuls employés à sa construction. Toutes les salles sont voûtées, les chambranles des portes, les encadremens des croisées, sont en marbre. La plupart des portes sont en bronze ou revêtues de feuilles de ce métal. Les parquets seuls sont en bois. Le feu prendrait dans une salle qu’il ne pourrait consumer que les tentures et les meubles qui en forment la décoration. Enfin les murailles extérieures sont assez solides pour résister à l’action de la grosse artillerie, elles ont quatorze pieds d’épaisseur.

Le rez-de-chaussée du palais a toujours été occupé par les bureaux des divers ministres, qui composent l’administration espagnole. Ils y étaient également installés du temps de Joseph. Le roi avait ainsi l’avantage de pouvoir obtenir sur-le-champ les renseignemens qu’il pouvait désirer, et de trouver, à toute heure de la journée, à sa disposition les ministres de chaque département. Les entresols étaient destinés aux logemens des officiers et employés de la maison du roi.

Au premier étage se trouvent, outre les appartemens consacrés aux princes, les appartemens du roi, séparés de ceux de la reine par les salons de réception publique. Un bel escalier de marbre, décoré de sculptures délicatement travaillées, conduit aux grands appartemens.

Ceux-ci sont extraordinairement vastes. La pièce principale est la salle du trône appelée salon de los reynos, qui communique à la chambre à coucher du roi par son cabinet et sa bibliothèque. Cette salle tire son nom d’un plafond superbe, peint à la fresque par Tiepolo, peintre vénitien d’un grand talent, et qui représente les différens costumes des peuples soumis à la monarchie espagnole. Dans cette suite de peintures pittoresques, on voit figurer des habitans de chacune des quatre parties du monde, et en les admirant, on se rappelle involontairement le compliment emphatique qu’un courtisan de Philippe ii adressait à ce monarque ambitieux : « Sire, le soleil ne se couche jamais dans vos états. » L’ameublement du salon de los reynos répond à sa destination par sa magnificence. Le dais royal et le trône, élevé sur des gradins recouverts de beaux tapis, sont ornés de broderies d’une merveilleuse richesse et entourés d’une balustrade d’or enrichie de ciselures et d’arabesques. Tous les meubles supportent des vases précieux par la matière ou par le travail, des bustes ou des statues.

À l’exception des tableaux de maîtres et des ouvrages de sculpture antique que renferme le palais, tous les objets de décoration et d’ameublement qui y sont placés proviennent des fabriques nationales. Les marbres des tables et des lambris ont été extraits des riches carrières de la Péninsule ; les vitres des croisées, aussi belles que les verres de Bohême ; les glaces, dont la grandeur est sans égale en Europe, ont été coulées dans la manufacture de San Ildefonso ; les tentures et les portières de soierie viennent des fabriques de Murcie et de Grenade (qui sont un reste de l’industrie des Maures) ; les tapisseries, exécutées d’après les meilleurs tableaux des écoles d’Italie et d’Espagne, ont été tissues dans la manufacture royale, située aux portes de Madrid ; enfin les porcelaines sortent de la manufacture de la China, au Buen Retiro. Ces tapisseries et ces porcelaines peuvent rivaliser avec ce que produisirent de mieux, il y a cent ans, les manufactures de Sèvres et des Gobelins.

Ce qui donne à la décoration intérieure du palais de Madrid un caractère de grandeur et de magnificence vraiment royales, c’est la profusion de peintures qu’on y trouve ; ce sont les tableaux nombreux, chefs-d’œuvre de Raphaël, de Michel-Ange, de Paul Véronèse, de Tintoret, du Corrége, du Poussin, de Velasquez, de Murillo, de Vandick, etc. ; ce sont les plafonds et les fresques du Titien, du Bassan, de Luc Giordano et de Raphaël Mengs.

À mon entrée dans le salon, où la place des pages était marquée, je fus un peu surpris du grand nombre d’officiers et de fonctionnaires de l’ordre civil ou de la maison du roi qui y étaient pressés. Les Français ne paraissaient pas y être en majorité, autant du moins que j’en pouvais juger par les conversations particulières que j’entendais autour de moi, et qui, presque toutes avaient lieu en langue castillane. Mon étonnement cessa lorsque M. Rancaño m’eut prévenu qu’à moins de circonstances extraordinaires, le roi Joseph parlait toujours en espagnol aux personnes admises à ses réceptions publiques.

Aristizabal, élevé à la cour de Charles iv et accoutumé au faste du palais, n’était pas frappé comme moi de l’éclat et de la richesse des costumes. Il prétendait même que les baise-mains de l’ancien roi réunissaient une assemblée plus nombreuse et plus magnifique. Dans ces grandes journées de cérémonie, le roi, la reine, assis sous le dais royal, et entourés de leur famille, attendaient les hommages des personnes admises à la cour, et qui devaient passer successivement devant le trône. Le souverain, la reine, les princes et les princesses se levaient à l’approche d’un noble revêtu de la grandesse[4] et l’embrassaient affectueusement. Quant aux marquis, aux comtes, aux barons qui n’étaient pas grands d’Espagne, aux titulos de Castilla, aux fonctionnaires de tous les ordres, et au reste des courtisans, les majestés et les altesses royales se bornaient gravement à leur tendre la main à baiser.

Malgré les réclamations des gentilshommes de l’ancienne cour, Joseph avait abandonné cette étiquette orientale. Il n’aimait pas à trôner, et après avoir reçu dans le salon de los reynos les ambassadeurs, les ministres, les conseillers d’état, les généraux et les grands officiers de la maison, il passait dans les autres salles, et allait visiter lui-même ceux qui venaient lui présenter leurs hommages. Il était accessible à tous, écoutait avec patience, répondait avec douceur, s’informait avec intérêt. Jamais personne ne le quittait sans être satisfait. Aussi Aristizabal me disait-il avec une sorte de malice, en comparant les deux cours : « Autrefois un jour de réception, c’était une procession, maintenant c’est une revue. »

Dès notre arrivée, M. Rancaño m’avait présenté au lieutenant-général baron Strolz[5], qui, en sa qualité de premier écuyer, avait la direction supérieure de la Real Casa de pages. M. le général Strolz n’avait été promu à cette charge, dans la maison du roi, qu’au départ de M. le comte Stanislas de Girardin, qui, après avoir été premier écuyer à Naples, avait suivi Joseph à Madrid, dans l’espérance d’obtenir la charge de grand-écuyer du roi d’Espagne. Ce vœu n’ayant pas pu être satisfait, parce que la constitution s’opposait à ce que les grandes charges de la couronne fussent remplies par d’autres que par des nationaux, M. de Girardin, un peu piqué, demanda et obtint la permission de rentrer en France, au réel déplaisir du roi qui avait en lui un serviteur dévoué et un ami fidèle.

M. le général Strolz sortait, comme mon père, de cette armée du Rhin, dont les officiers ont eu si long-temps à lutter contre les préventions de l’empereur. Il avait pu connaître mon père à l’état-major du général Moreau, et il me fit un très bon accueil.

Le roi Joseph n’ignorait pas la cause du mécontentement de Napoléon contre les officiers sortant de cette armée. Il savait que la plupart d’entre eux, par suite de leurs opinions républicaines, avaient refusé leur vote approbatif aux actes qui transformèrent le consulat à vie en un empire héréditaire ; mais, rendant justice à leurs talens et à leur bravoure, il avait cherché à les attirer auprès de lui, et il y avait réussi. On comptait, parmi ses généraux et dans sa garde, un assez grand nombre de ces républicains persévérans, dont les opinions, parfois franchement exprimées, n’effarouchaient pas ce roi sorti d’une république, et disposé peut-être lui-même à rendre intérieurement hommage au principe de la souveraineté populaire.

En attendant le moment de l’arrivée du roi, Aristizabal me fit admirer les tableaux qui décoraient la salle où nous étions : on y voyait, entre autres, une fort belle copie d’un tableau de David, celui où il a représenté le général Bonaparte franchissant les Alpes sur les traces effacées d’Annibal et de Charlemagne. J’aurais cru que cette peinture avait été placée dans le palais, depuis que Joseph était monté sur le trône d’Espagne. Aristizabal me détrompa, il avait vu accrocher le portrait du premier consul à la place qu’il occupait encore, et c’était Charles iv lui-même qui avait présidé à cette inauguration. Brave roi, qui ne s’apercevait pas que mettre ce portrait dans cette salle, c’était en ôter son trône !

Pendant les années qui précédèrent l’invasion, et même encore au moment de l’entrée en Espagne des Français, commandés par le grand-duc de Berg, l’enthousiasme des Espagnols pour Napoléon était à son comble. Son nom était dans toutes les bouches, ses portraits et ses bustes dans toutes les maisons. On ne l’appelait que le héros de la France, le restaurateur de la religion, le vainqueur de la révolution. On exaltait son despotisme, ami et peut-être fondateur de l’ordre ; on vantait ses grandes qualités administratives, on célébrait son génie militaire. Ses victoires en Égypte le rendaient populaire dans un pays où la haine des Musulmans a été long-temps un des traits distinctifs du caractère national. La partie la plus éclairée de la nation, indignée de la décadence de la monarchie, sous le favoritisme de Godoy, et des désordres de la cour de Charles iv, attendait de l’influence de l’empereur des Français sur le vieux monarque espagnol, une régénération féconde et une sage liberté. C’est entraîné par cette opinion, commune à tous les hommes vraiment patriotes, et aussi dans l’espoir de s’assurer un appui contre les violences du favori, que Ferdinand, en 1807, écrivit à Napoléon pour lui demander la main d’une de ses nièces. Aristizabal m’a souvent cité comme une preuve vivante de l’enthousiasme que l’empereur avait excité en Espagne, avant le voyage de Bayonne, un de nos plus jeunes camarades, qui, baptisé en 1804, avait reçu de son père, devenu en 1810 membre du parti exalté des Cortès de Cadix, le prénom de Napoléon.

Les seules décorations qui se fissent remarquer dans la foule brillante qui nous entourait, étaient, avec l’étoile de la légion d’honneur et la couronne de fer, les ordres royaux de Naples et d’Espagne, créés tous les deux par Joseph. La croix de Naples, surmontée d’un aigle d’or aux ailes déployées, se portait suspendue à un ruban bleu de ciel. La croix d’Espagne, simple étoile à cinq rayons émaillée de rubis, s’attachait à un ruban rouge ; c’était une sorte de légion d’honneur espagnole.[6]

Ce fut avec surprise que je vis entrer dans la salle du trône un petit vieillard à cheveux blancs, encore agile et droit, malgré son âge, revêtu d’un grand uniforme de maréchal-de-camp espagnol, et portant autour du cou, suspendus à une chaîne, les insignes de la toison d’or. Je savais qu’un très petit nombre d’Espagnols en avaient été décorés par les rois Charles iii et Charles iv. Je demandai son nom à Aristizabal : c’était le comte de Montézuma, grand d’Espagne. — Ce descendant des empereurs du Mexique, n’était pas un des courtisans les moins dévoués de Joseph. — Chose étrange, un Montézuma sujet d’un Bonaparte ! Son fils était maître des cérémonies du roi.

Quelques momens après, un colonel de hussards en grande tenue, dolman et pelisse bleu de ciel galonnés en argent, pantalon rouge, passa près de nous. Il avait une taille élevée, un visage coloré, des yeux petits, mais vifs, et malgré des traits communs et fortement prononcés, un air digne et ferme. Sa mine me plut ; je questionnai encore Aristizabal ; c’était le colonel Chassé, commandant le régiment des hussards hollandais. Un officier supérieur espagnol causait avec lui, c’était le chef d’escadron Moralès, commandant le corps franc des chasseurs d’Avila. Je me rappelle encore la sévère et hautaine attitude de cet ancien guérillero, rallié depuis peu à la cause de Joseph qu’il avait long-temps combattue.

L’heure où Joseph devait sortir de son cabinet approchait ; la foule augmentait de moment en moment. Aristizabal me proposa de nous placer auprès de la porte, et de là il me désignait une partie de ceux qui entraient.

Un des premiers, homme assez grand, à figure austère, dont les yeux fatigués étaient voilés par des bésicles vertes, était un ecclésiastique savant, M. Llorente, ancien secrétaire de l’inquisition, alors conseiller d’état de Joseph.

Je vis ainsi passer deux poètes espagnols assez haut placés, Melendez Valdez, qui souriait gracieusement à tous sous son habit de conseiller d’état, et Marchena, qui avait un air très farouche et la croix franco-espagnole de Joseph à sa boutonnière. Il figurait là comme chef de division au ministère de l’intérieur. Il venait, je crois, de faire jouer avec succès, vers cette époque, au théâtre del Principe, une traduction de Tartuffe.

Au milieu de cette foule bariolée, dorée et charmarrée, je ne fus pas peu surpris de voir tout à coup un jeune soldat de la garde royale, qui, avec sa pelisse de simple hussard, son dolman galonné de laine, son sabre à poignée de cuivre et ses éperons de fer, entra avec assurance au milieu de nous, et marcha droit à la salle du trône, en coudoyant les généraux. Je le regardai avec surprise, et au moment où il nous tourna le dos, je vis derrière son dolman, au milieu de la taille, pendre à un nœud de brocard une petite clef d’or sculptée. Ce hussard était un des chambellans du roi ; ce chambellan était un grand d’Espagne de première classe, le fils de la marquise d’Ariza, le duc de Berwick, un descendant des Stuart. En s’engageant comme simple cavalier dans la garde royale, il avait voulu donner une preuve de son dévoûment absolu à la personne de Joseph Napoléon. C’était, dans un autre genre, le pendant du comte de Montezuma. Les fils des empereurs du Nouveau-Monde, les descendans des rois de la vieille Europe, s’empressaient de reconnaître la souveraineté d’un roi sans aïeux, frère d’un empereur qui n’avait pour droits qu’une élection populaire et son épée victorieuse.

Mes souvenirs me rappellent encore quelques-uns des personnages qui défilèrent ainsi devant moi. C’étaient :

M. Bienvenu Clary, neveu du roi, colonel des fusiliers de la garde ; jeune officier d’une grande espérance, mort depuis à Madrid, et dont la perte a été vivement sentie.

Les deux frères Rapatel : l’aîné, major des chevau-légers de la garde ; le plus jeune, colonel d’un régiment espagnol et fourrier du palais[7].

Le duc d’Esclignac, gentilhomme français, chambellan du roi.

Le marquis de Benavente ; grand d’Espagne, premier veneur.

Le marquis de San-Adrian, grand d’Espagne, premier maître des cérémonies.

Les Espagnols, les Français et les étrangers arrivaient successivement. C’étaient :

Le duc de Soto-Mayor, grand d’Espagne, maître des cérémonies, dont le nom est connu en France parce qu’un de ses ancêtres s’est mesuré avec Bayard.

Le général Lecapitaine, qui, en 1814, a été le premier instructeur de la garde nationale de Paris, et qui, en 1815, est mort glorieusement à la deuxième bataille de Fleurus.

Le comte de Laforest, ambassadeur de France.

Le baron de Stourm, envoyé du Danemark.

Les barons de Mornheim et de Strogonoff, ministres de Russie.

Don Domingo Badia-y-Leblich, préfet de Cordoue, voyageur célèbre sous le nom de prince Ali-Bey.[8]

Beaucoup d’autres encore qui se hâtaient d’arriver, car l’heure avançait.

Bientôt la voix retentissante de l’huissier fit entendre ces mots el Rey. Nous nous empressâmes de regagner notre place auprès du colonel Rancaño. Les chuchottemens cessèrent ; un silence profond s’établit dans la foule.

La porte s’ouvrit. Le roi, qui venait de traverser la salle du trône, entra dans notre salon.

Il portait l’uniforme et les épaulettes de colonel des chevau-légers de sa garde ; frac vert, à collet, paremens et passe-poils jaunes. Deux plaques seulement décoraient sa poitrine, celles de la légion d’honneur et de l’ordre royal d’Espagne. Son petit chapeau, pareil à celui de l’empereur, n’avait pour ornement qu’une gance noire attachant sa cocarde rouge.

Aussitôt que la porte s’était ouverte, le roi avait soulevé son chapeau pour nous saluer tous.

Je fus alors frappé de son extrême ressemblance avec Napoléon. C’était le même visage d’un caractère antique, d’une beauté régulière, le même front vaste et découvert, seulement un teint plus clair, des traits moins sévères, des regards plus doux. Joseph était aussi d’une taille plus élevée que son frère ; il avait environ cinq pieds cinq pouces.

À son côté marchait le maréchal Jourdan, son chef d’état-major ; immédiatement, derrière lui, venaient les capitaines-généraux de sa garde, duc de Cotadilla et comte Merlin, et les deux aides-de-camp de service, le lieutenant-général Lafont de Blaniac et le colonel Desprez[9]. Les ambassadeurs, les ministres et divers officiers de sa maison l’accompagnaient, ainsi que plusieurs généraux de l’armée française, parmi lesquels on remarquait le comte Belliard, aide-major-général ; le comte Drouet d’Erlon, commandant en chef l’armée du centre, et le baron Dedon, fameux par ses querelles avec Paul Courrier, général d’artillerie plus estimé dans son arme que ne voudrait le faire croire le spirituel vigneron, et qui avait commandé l’artillerie française au mémorable siége de Saragosse.

Joseph s’avançait lentement, écoutant avec patience les réclamations qui lui étaient présentées, répondant avec bonté à ceux qui lui parlaient, encourageant la timidité par ses manières affables, et contenant par le respect ceux que la vivacité méridionale aurait entraînés trop loin. Il remettait à ses aides-de-camp les pétitions qu’on lui donnait, et par une parole gracieuse laissait à tous les solliciteurs une espérance consolante. C’est une qualité de roi que de savoir renvoyer tout le monde content.

J’étais dans une anxiété extrême ; il me tardait que ce fût fini, Le roi arriva enfin devant nous. Il parcourut d’un coup-d’œil la ligne que formaient les pages (nous nous présentions comme des soldats, alignés sur deux rangs), ensuite s’approchant de notre gouverneur :

« — Eh bien ! colonel, lui dit-il en espagnol, êtes-vous plus satisfait de ces messieurs ? »

Il paraît que dans le compte mensuel que M. Rancaño rendait au roi, sur la conduite des pages, il s’était plaint de quelques-uns d’entre eux.

« — Oui, sire, répondit-il en s’inclinant.

« — Quel est ce jeune homme ?

« — Sire, c’est le nouveau page admis par ordre de votre majesté, don Abel Hugo, le fils aîné du général.

« — Parle-t-il espagnol ?

« — Oui, sire.

Alors, me regardant en face, en m’examinant avec un regard qui me remplit d’embarras, Joseph m’adressa, en espagnol, ces paroles, que je puis répéter ici mot pour mot, avec la certitude de ne pas être trompé par ma mémoire.

« — M. Hugo, je vous apprends avec plaisir que, par une dépêche arrivée ce matin même, votre père m’annonce qu’il vient de battre l’Empecinado. Vous allez le revoir. Son gouvernement est presque pacifié. J’ai besoin de lui à l’état-major de l’armée, et je viens de le rappeler à Madrid. »

Je m’inclinai avec respect, en essayant de balbutier quelques mots. Le roi ajouta :

« Madame votre mère se porte sans doute bien ? assurez-la de l’intérêt que je vous porte, ainsi qu’à vos frères. »

Puis me saluant d’un signe de tête amical, Joseph continua sa marche à travers les salles encombrées d’uniformes, de broderies et d’épaulettes.

Ce ton bienveillant, ces paroles affectueuses, me causèrent une profonde émotion. Mes camarades me félicitèrent de la bonté que le roi m’avait témoignée. Nous ne tardâmes pas à reprendre le chemin de la Casa de pages. M. Rancaño m’appela auprès de lui, et pendant le trajet, il ne fut question, comme on peut bien le penser, que du roi Joseph, et des divers motifs d’affection que ses sujets devaient avoir pour lui.

Roi d’Espagne, il était devenu comme Espagnol lui-même ; et pour exprimer, à cet égard, ses sentimens d’une manière plus énergique, il avait coutume de dire : « Si j’aime la France comme ma famille, je suis dévoué à l’Espagne comme à ma religion. » Il s’était entouré de ses nouveaux sujets. Sa cour, à l’exception de quelques généraux français, dévoués depuis long-temps à sa fortune, ne renfermait que des Espagnols. Les grands officiers de la couronne, les premiers officiers du palais, sauf les généraux dont j’ai parlé, avaient tous été choisis dans les familles illustres de l’Espagne.

Ne voulant rien changer au sort des Espagnols attachés aux rois ses prédécesseurs, il avait admis dans sa maison tous ceux d’entre eux qui lui avaient offert leurs services. Les pages au nombre de quarante, que leurs fonctions particulières attachaient à sa personne, étaient tous espagnols, excepté moi. Parmi ces jeunes gens des premières familles de l’Espagne, on remarquait même, comme je l’ai dit plus haut, les fils de quelques-uns des généraux insurgés. Joseph, ne considérant pas ces enfans comme responsables de la conduite de leurs parens, leur accordait la même bienveillance qu’aux fils de ses sujets les plus dévoués : jouissant des mêmes faveurs et des mêmes priviléges que leurs camarades, quand leur tour de service arrivait, ils l’accompagnaient dans ses promenades solitaires à la Casa del campo, et dans les parties de chasse, ils avaient, comme les autres, le soin de porter et de charger sa carabine.

La garde royale, dont je parlerai plus au long dans la suite de ces Mémoires, se composait, comme celle du roi Charles iv, de régimens espagnols et de régiments étrangers. Les régimens étrangers étaient suisses ou wallons du temps de Charles iv ; pendant le règne de Joseph, ils se recrutèrent parmi les soldats français.

Joseph ne confia à aucun Français les importantes fonctions du ministère. Elles furent exclusivement réservées aux Espagnols. Tous ses ministres avaient été conseillers d’état ou ministres sous les Bourbons, c’étaient MM. Azanza, O-Farill, Cabarrus, Urquijo, Almenara, Mazarredo, etc : Les tribunaux, les municipalités, les préfectures, tous les établissemens civils, le conseil d’état (à une seule exception près), les conseils du commerce, n’étaient remplis que d’Espagnols. Les Français n’occupaient que les dignités militaires, où néanmoins l’on remarquait encore un grand nombre d’Espagnols.

Le règne de Joseph avait laissé en Espagne des germes de prospérité qui auraient pu être développés. Il a été marqué par des actes et des travaux qui passeront à la postérité. Madrid avait besoin de places et de fontaines publiques ; Joseph en a fait construire de fort belles. L’Espagne n’avait pas une population proportionnée à son étendue et à la fertilité de son territoire ; Joseph, en réduisant d’abord, et bientôt après en supprimant les couvens d’hommes, et en soumettant à son autorisation préalable les vœux des femmes qui voudraient embrasser la vie religieuse, avait jeté les fondemens d’une prompte repopulation. La dette de l’état était immense ; Joseph, par la mise en vente des domaines nationaux, la diminua considérablement, et serait parvenu à l’éteindre sans la guerre et les nouvelles dépenses qu’elle occasionnait chaque jour.

Tous ceux qui ont approché de ce prince peuvent rendre témoignage de sa bonté, de sa douceur, de son affabilité et de son égalité de caractère au milieu des évènemens les plus divers. On le voyait, dans sa prospérité, cherchant à répandre sa fortune sur tous ceux qui l’entouraient ; dans ses désastres, moins occupé de lui-même que de ceux que son malheur entraînait avec lui.

Il était brave dans le combat, et il en a donné des preuves tant en Italie qu’en Espagne. Je rapporterai en temps et lieu quelques traits qui feront connaître sa bravoure.

Sa clémence égalait son humanité[10] ; on le vit, pendant la bataille d’Ocana, parcourir les rangs français et recommander aux soldats de ménager les vaincus. Après la bataille, il fit grâce de la vie à un grand nombre de soldats espagnols qui, après lui avoir prêté serment de fidélité avaient été pris les armes à la main, combattant contre lui.

Lors de la grande famine de 1811 à 1812 ses finances étaient épuisées ; cependant il trouva moyen de venir au secours des pauvres de Madrid, en réduisant au strict nécessaire toutes les dépenses de sa maison. Tant que dura la famine, il fit servir sur sa table un pain noir et grossier, voulant, disait-il, manger du pain des pauvres. Il ajoutait en souriant : pan de soldado, pan de rey, pain de soldat, pain de roi.

Je n’étonnerai aucun de ceux qui ont approché le roi Joseph en parlant de ses talens militaires. Le vainqueur de Fleurus, le maréchal Jourdan, dont on ne contestera pas, sans doute, l’autorité en pareille matière, a dit plus d’une fois à mon père que dans la discussion des grandes opérations stratégiques, Joseph avait des conceptions qui semblaient émanées du génie de Napoléon. L’illustre général Lamarque n’accordait pas une estime moins grande à la capacité militaire de l’ancien roi de Naples et d’Espagne. Dans une lettre écrite en 1824, et qu’on ne peut croire dictée par la flatterie (on ne flatte guère les rois tombés), il appelle encore son maître et son général le prince dont il avait été le chef d’état-major.

Joseph Napoléon a été l’objet de jugemens bien divers, et rarement il a été dignement apprécié. J’aurai, dans le cours de ces mémoires, de fréquentes occasions de parler de sa personne d’après mes souvenirs, et de son gouvernement, d’après ma pensée ; je le ferai avec franchise et vérité, et si je loue souvent, c’est qu’il y aura beaucoup à louer. Il est temps, selon moi, de replacer à sa place et de dessiner avec quelque souci de la ressemblance cette remarquable figure historique de Joseph. Ce n’est pas, certes, un des moindres personnages de notre dix-neuvième siècle que celui qui a été tour à tour don Jose primero et le comte de Survilliers, que ce bourgeois américain qui a été roi des Indes. Je suis du nombre de ceux qui pensent que le frère d’un grand homme ne doit pas toujours être éclipsé dans l’histoire par le grand homme, et qu’il y avait un général dans ce frère de Bonaparte, un roi dans ce frère de Napoléon.



  1. Les intérêts de la république furent défendus avec beaucoup d’habileté par Joseph Bonaparte : une suspension d’armes, conclue en Italie par les généraux en chef, avait laissé Mantoue au pouvoir des Autrichiens, et une convention, signée à Lunéville par les plénipotentiaires, mit l’armée française en possession de cette place importante.

    C’est au sujet de cet incident remarquable des négociations que Moreau, général en chef de l’armée du Rhin, écrivit à Joseph : «  Citoyen ministre, recevez mon compliment pour la manière dont vous avez assiégé et pris Mantoue, sans quitter Lunéville. »

  2. On verra dans la suite de ces Mémoires les raisons qui avaient décidé le roi à cette résolution extrême, et par quelles promesses l’empereur Napoléon vint à bout de le faire revenir sur sa détermination.
  3. Cette place, sur laquelle donne une des façades du palais royal de Madrid, et qui est entourée de maisons est aujourd’hui une des plus belles places de la capitale.

    Croirait-on qu’avant l’arrivée de Joseph Napoléon, il n’y avait dans cette ville, peuplée de plus de cent mille habitans, que quatre places dignes de ce nom ? — La Plaza-Mayor, la plus vaste des quatre, qui servit de théâtre à toutes les fêtes, à tous les carrousels donnés sous les rois de la dynastie autrichienne, n’est guère plus grande que la place Vendôme à Paris.

  4. Les grands d’Espagne avaient le droit de se couvrir devant le roi, mais ce droit n’appartenait pas à eux seuls ; il était aussi attribué par une ancienne coutume, respectée sous les dynasties autrichienne et française, à tous les cavaliers, qui, amoureux des filles d’honneur de la reine, étaient admis à leur faire la cour dans le palais même, et à les rechercher en mariage. Ces amoureux avaient non seulement le privilège de se couvrir devant les personnes royales, mais encore celui de s’asseoir, pourvu toutefois que leurs maîtresses fussent présentes. On les traitait comme des fous, et on appelait leur droit privilegio de embebecidos. La galanterie espagnole supposait que, préoccupés entièrement de leur passion, ils étaient incapables de s’astreindre au cérémonial de la cour, et de rendre au souverain le respect qui lui était dû.
  5. Aujourd’hui membre de la chambre des députés.
  6. L’ordre royal d’Espagne avait d’abord été institué par le roi Joseph, le 20 octobre 1808, sous le titre d’ordre royal et militaire. Ce dernier mot fut supprimé par le décret d’organisation du 18 septembre 1809, et les officiers civils devinrent, comme les militaires, aptes à porter la décoration de l’ordre royal. Cet ordre devait se composer de cinquante grands cordons sans revenu fixe, mais pouvant posséder des commanderies ; de deux cents commandeurs jouissant d’une pension annuelle de 30,000 réaux (7,500 fr.) ; et de deux mille chevaliers, avec une pension de 1,000 réaux (250 fr.) par an.

    La décoration, suspendue à un ruban rouge, était une étoile d’or à cinq rayons, surmontée d’une couronne ; les rayons émaillés en rubis. Sur l’une des faces du centre de l’étoile, on voyait le portrait du roi Joseph, et sur l’autre les armes d’Espagne avec cette inscription : Virtute et fide. Les grands-cordons portaient en outre au côté gauche une plaque à rayons d’argent.

    Joseph avait conservé les armes d’Espagne, telles qu’elles existaient sous Charles iv ; seulement l’aigle impériale avait remplacé, au milieu de l’écusson, les trois fleurs de lys. C’était ainsi qu’à l’avènement de Philippe v, les fleurs de lys avaient elles-mêmes pris la place de l’aigle à deux têtes de Charles-Quint.

    Pour former une dotation à son ordre royal, Joseph supprima, par un décret daté aussi du 18 septembre, tous les ordres civils et militaires existant en Espagne, à l’exception de celui de la Toison d’or. Ces ordres étaient : celui de Charles iii, récemment institué et devenu le premier de tous, les ordres anciens et fameux de Saint-Jacques, de Calatrava, de Montesa et d’Alcantara. Une disposition du décret étendait la mesure de suppression aux langues de l’ordre de Malte.

  7. Ce dernier, M. Paul Rapatel, vient d’être nommé lieutenant-général. Il commandait une brigade française au dernier siège d’Anvers.
  8. J’ai, par la suite, très particulièrement connu M. Badia, qui avait une famille charmante. J’ai recueilli de sa bouche des détails curieux sur les motifs qui l’engagèrent à visiter l’Orient sous un nom supposé. Je dois aussi à l’amitié de M. Duran, ancien conseiller d’état espagnol, et ami lui-même de M. Badia, des notions exactes sur la cause et le but de ses premiers voyages dans l’empire de Maroc. Elles trouveront place dans ces Mémoires.

    M. Badia avait un tour d’esprit original, de la malice et de la gaîté.

    M. de Châteaubriand rapporte dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, qu’il rencontra à Alexandrie un prince africain de la famille de Mahomet, nommé Ali-Bey-el-Abassi ; à sa grande surprise, ce prince l’accueillit en prononçant les noms d’Atala et de Réné. L’amour-propre le plus modeste aurait été excité par cette preuve inattendue d’une lointaine célébrité. M. de Châteaubriand avoue franchement qu’il en fut très flatté.

    Le prince Ali-Bey n’était autre que le savant Badia, qui avait effectivement, à ce qu’il m’a dit, une admiration profonde pour le génie et les ouvrages de l’illustre écrivain, et qui s’amusa beaucoup de l’étonnement que M. de Chateaubriand manifesta dans cette entrevue.

  9. M. Lafont de Blaniac est aujourd’hui membre de la chambre des députés, et M. Desprez lieutenant-général, chef d’état-major de l’année du nord.
  10. Napoléon connaissait si bien le caractère clément de son frère, que voulant (en 1808) faire sentir à l’Espagne la nécessité de se soumettre à Joseph, et craignant que la réputation de bonté de ce prince ne lui nuisît auprès du peuple de Madrid, il menaça les Espagnols de retirer la couronne à un roi dont ils ne se montraient pas dignes, et de la joindre, sur sa tête, au diadème impérial. Voici le passage de la curieuse proclamation qui contient cette singulière menace.

    « Si tous mes efforts sont inutiles, et si vous ne répondez pas à ma confiance il ne me restera qu’à vous traiter en provinces conquises, et à placer mon frère sur un autre trône ; je mettrai alors la couronne d’Espagne sur ma tête, et je saurai la faire respecter des méchans, car Dieu m’a donné la force et la volonté nécessaire pour surmonter tous les obstacles. « Napoléon »

    L’effet de cette menace fut tel, qu’en moins de trente jours, plus de vingt-sept mille pères de famille avaient inscrit leur serment de fidélité à Joseph, sur les registres ouverts à cet effet, chez les magistrats de Madrid.