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Tableau de Paris/091

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CHAPITRE XCI.

Évêques.


Les évêques violent facilement & sans remords la loi de la résidence, en quittant le poste qui leur est assigné par les saints canons. L’ennui les chasse de leurs dioceses, qu’ils regardent comme un exil : ils viennent presque tous à Paris, pour y jouir de leurs richesses, &, mêlés dans la foule, y trouver cette liberté qu’ils n’ont pas dans le séjour où la bienséance les force à la gêne de la représentation.

On leur en fait un crime : mais à quoi serviroit l’opulence, si elle n’ouvroit à chacun la carriere de ses goûts ? Remettez-les à la fortune des apôtres, & vous les verrez sédentaires. On dira, comment le pasteur quitte-t-il son troupeau ? Cette vieille image ne forme plus aucun sens ; rien n’est d’un poids si leste que la charge pastorale. Les maîtres de la morale n’enseignent point la morale ; ils bravent les anathêmes des anciens conciles, & consomment, dans l’oisiveté & les délices de la capitale, des biens qui leur ont été confiés pour le soulagement de leurs ouailles infortunées. Mais toutes ces expressions, encore un coup, sont devenues gothiques.

L’ambition qui s’alimente par ce qu’elle a déjà obtenu, les pousse à la cour & dans les bureaux des ministres ; là, ils attendent le fruit de leurs intrigues & de leurs complaisances, & ils tentent de porter sourdement la main à l’administration.

Ils travaillent incessamment derriere la tapisserie, & restent sans effroi au milieu de la nouvelle Babylone, non moins criminelle que celle qui enflamma jadis le zele des prophetes.

Ainsi le Sacerdoce a des occupations purement terrestres, & songe peu à entretenir la pure morale, & à donner l’exemple de l’infatigable charité, dite apostolique.

Dès le seizieme siecle, on adressoit de pareils reproches, & de plus vifs encore, aux peres du concile de Trente. « Les églises se plaignent qu’elles sont destituées de la présence de leurs époux, dont plusieurs se comportent mal à leur égard, & plutôt comme des voleurs, qui ne les voient qu’en passant, pour prendre leurs biens & s’en aller, que comme des peres & pasteurs, qui doivent demeurer avec elles, pour les nourrir, les conduire & les consoler. »

Mais on a remarqué que les évêques qui accomplissent inviolablement la loi de la résidence (ce qui forme le petit nombre) avoient une piété minutieuse, inquiete, turbulente, toujours prête à dégénérer en fanatisme ; qu’ils vexoient les habitans de leur diocese par un zele aveugle & inconsidéré ; tandis que les autres, non résidans, avoient des lumieres, de la tolérance, aimoient la paix, & ne persécutoient personne : de sorte que tout le mal, peut-être, qui résulte de leur éloignement, c’est que l’argent qui leur vient des provinces, ne se consomme pas dans le sein des provinces même.

Ils publient de tems en tems des mandemens, ouvrage de leurs secretaires. Le style & les idées en sont prescrits d’avance. Le meilleur mot de Piron est celui-ci : Avez-vous lu mon mandement ? lui dit un évêque… Oui, monseigneur ; & vous ?