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Tableau de Paris/310

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CHAPITRE CCCX.

Chapeaux.


Le Parisien change avec la même facilité de systême, de ridicules & de modes. La figure de nos chapeaux, comme toutes les choses humaines, a subi le sort de la variation. Les coëffures, dans les boutiques des marchands, se succedent comme les nouvelles méthodes dans l’empire des lettres. Le chapeau haut & pointu a prévalu quelque tems, ainsi que le style académique, qui tombe enfin, & que l’on n’imite plus.

Ce penchant pour tout ce qui varie, cette passion qui nous pousse à créer de nouvelles modes, nous fait adopter ce que les princes imaginent en se jouant, ou par fantaisie ; tantôt c’est l’invention d’une énorme paire de boucles, tantôt c’est celle d’un frac. Ainsi Alcibiade donna son nom à une sorte de souliers ; & sa vanité étoit flattée, lorsqu’il entendoit dire qu’elle étoit de sa création.

Quelquefois des intérêts particuliers font naître une mode ; l’origine des paniers fut inventée pour dérober aux yeux du public des grossesses illégitimes, & les masquer jusqu’au dernier instant ; les grandes manchettes furent introduites par des frippons qui vouloient filouter au jeu & escamoter des cartes.

Nous avons rogné insensiblement le haut bord de nos larges feutres ; nous les avons ensuite rendu petits ; & enfin nous avons fait disparoître ces trois cornes si incommodes. Aujourd’hui nos chapeaux sont ronds ; & voilà les chapeaux à la mode.

On ne les porte plus le matin sous le bras. Ils couvrent la plus noble partie du corps, & pour laquelle ils sont faits. A-t-on vu le Turc mettre le turban sous son bras, les évêques tenir leurs mitres à la main ? Mettons donc constamment notre chapeau sur notre tête, pour garantir nos foibles cerveaux des rayons du soleil, & que ce précieux dôme s’oppose aux évaporations de notre cervelle. N’étoit-il pas ridicule de l’employer incessamment à la main à des exercices de civilité & de minauderie ?

Je ne ferai point ici l’histoire des chapeaux ; je ne remonterai point aux chapeaux gras de Louis XI, qui les portait tels par saleté & par avarice ; je ne parlerai point de la vertu magique, concentrée dans tels chapeaux ; les uns font d’un mauvais prêtre un grand seigneur, & les autres un docteur d’un idiot. On sait l’effet que produit tel chapeau fourré, mis sur la tête d’un grenadier ; & le diadême enfin n’est-il pas un chapeau qui produit une certaine ivresse ?

J’ai vu des chapeaux dans ma jeunesse, qui avoient de très-grands bords ; & quand ils étaient rabattus, ils ressembloient à des parapluies : tantôt on releva, tantôt on rabaissa ses bords par le moyen des gances. On leur a donné depuis la forme d’un bateau. Aujourd’hui la forme ronde & nue paroît la dominante ; car le chapeau est un Protée qui prend toutes les figures qu’on veut lui donner.

Demandez-le à nos femmes qui, après tant d’essais multipliés, ont définitivement adopté le chapeau anglois, malgré leur antipathie pour l’Angleterre ; je leur conseille de s’y tenir ; qu’elles l’ornent de perles, de diamans, de plumes, de cordons, de rubans, de houppes, de boutons, de fleurs ; que les poëtes dans leur langage y attachent des astres & des cometes ; qu’elles les portent rouges, verds, noirs, gris, jaunes : mais qu’elles gardent constamment le chapeau anglois ; les laides y gagnent, & les belles aussi.

Nous n’avons donc plus ni chapeau pigmée, ni chapeau colossal ; les dames avoient élevé ridiculement leurs coëffures, au moment que les hommes avoient arboré les petits chapeaux ; aujourd’hui que les hommes en ont augmenté & arrondi le volume, les coëffures ont prodigieusement baissé.

Un poëte disoit alors :

J’ai vu Chloris, j’ai vu la jeune Hélene ;
Des rubans de Beaulard leurs fronts étaient ornés :
Le moule étroit de la baleine
Faisoit gémir leurs corps emprisonnés.
Leurs cheveux hérissés fuyoient loin de leur tête ;
Un panache orgueilleux en surmontoit le faîte.
Près de là j’apperçus la Vénus Medicis ;
Sa taille libre & naturelle
Déployoit aisément ses contours arrondis.
Tout en elle étoit simple & tout charmoit en elle.
J’admirai tant de grace, & tout bas je me dis :
L’art enseigne à Chloris à devenir moins belle.

Hommes & femmes se coëffent beaucoup mieux. Si nous sommes dans une voiture, il nous est permis du moins d’enfoncer la tête dans le coin du carrosse, & nous ne risquons pas d’éborgner notre voisin avec les pointes de notre ancien triangle.

C’est toujours celui-là qu’on porte sous le bras, lorsqu’on est habillé ; mais on ne s’habille plus qu’une ou deux fois la semaine, les jours de grandes visites. On voit les gens comme il faut, à l’heure même du spectacle, le chapeau sur la tête.

Le dernier caprice, je crois, est le meilleur ; il a influé sur la couleur. Les chapeaux ne sont plus noirs : on les porte blancs, comme font les carmes & les feuillans depuis plus d’un siecle ; & sur-tout en été, le soleil échauffe moins la tête. L’œil qui s’étonne d’abord, s’accoutume à tout : on porteroit des chapeaux rouges & bleus, verd-pomme & lilas, qu’on s’y feroit ; chacun arboreroit sa couleur favorite. Ce seroit un nouveau coup-d’œil.

On commence par condamner les nouvelles modes ; chacun se récrie sur la folie changeante : au bout d’un mois elle est adoptée par ses plus violens contradicteurs ; & tel qui la fronde aujourd’hui, prendra demain les idées qu’il avoit combattues.

Puisque c’est à nous à inonder la terre de nouveaux bonnets, jouissons de notre génie inventif, plaçons nos chapeaux d’hommes sur les têtes suissesses & hollandoises. Continuons de donner toujours la loi prédominante des coëffures. Toutes les femmes ont pris nos chapeaux : il s’agit de les faire adopter définitivement à Vienne, à Berlin & à Pétersbourg. Et qui sait si nous n’étendrons pas encore plus loin, en triomphateurs heureux, nos illustres conquêtes ?