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Tableau de Paris/497

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CHAPITRE CCCCXCVII.

Rêves politiques.


Vous souvenez-vous de cet homme qui voulut faire gagner à Louis XIV, quatre cents millions par an, en mettant toutes les côtes de France en fameux ports de mer ? Vous riez ! Eh bien, on fait tous les jours des projets de cette force-là. L’un veut enseigner au roi l’art d’enrichir ses sujets ; l’autre trouve que le roi n’est pas assez riche pour le titre qu’il porte, il veut doubler ses revenus. Ces foux raisonnant, calculant, arrangent des mots & des chiffres, qui font sur le papier un effet merveilleux.

Je crois qu’il y a encore en France plus de têtes qui se fatiguent pour l’art du gouvernement que pour l’art de la poésie. On démontre à un rimailleur inepte, que son vers est vicieux, qu’il peche contre les regles ; mais comment prouver à un rêveur que son raisonnement politique est d’un sot. Son systême existe dans sa tête ; il veut absolument qu’il existe dans l’état : il ne voit aucun poids, aucun rouage, aucun frottement, aucune résistance, comment lui donner les premieres notions qu’il n’a pas ?

Le cardinal de Fleury rioit de tous les projets qui lui étoient offerts ; & voilà tout ce qu’il pouvoit répondre.

Depuis le projet de mettre en ports de mer toutes les côtes du royaume, jusqu’à celui de mettre une capitation sur les chiens, tous les faiseurs ont raisonné sérieusement ces plans inconcevables, & les ont regardés comme des efforts de génie & de patriotisme.

Ce qu’il y a de plus singulier, c’est que les détails de ces projets insensés sont ordinairement bien enchaînés, bien suivis, bien raisonnés, & que la folie ne gît que dans le principe.

Le gouvernement, dit-on, a commandé une comédie propre à ridiculiser cette espece d’hommes. Mais il n’est peut-être pas adroit de traiter ces rêveurs sérieux en adversaires. La discussion s’établira ; une épigramme aujourd’hui ne tient plus lieu de raisonnement. Le gouvernement devroit laisser dire, à condition qu’on le laissât faire. Pourquoi jeter le gant ? Il n’y a plus de secte dans un état, dès que le gouvernement dédaigne de l’appercevoir. Il ne doit jamais entrer ouvertement dans aucune discussion politique : il doit agir, il a le bras ; qu’il laisse la langue se remuer. Point de débats, point d’adoption de satyres publiques ; il y a auroit réaction : c’est ce que la gravité d’un gouvernement doit sur-tout éviter. Comme il ne sauroit rien gagner à la réplique, il faut qu’il évite une guerre de mots.

Ces rêves politiques abondent & passent dans des brochures, ægri somnia. Comme dans les romans les personnages ne mangent point, ne boivent point, (ce qui seroit ignoble à dire) ne sont malades que d’amour, & vivent au moyen d’une cassette toujours sous-entendue, qui voyage avec eux à l’abri de tout accident, & toujours remplie par des banquiers fideles ; de même ceux qui font des romans politiques ne s’embarrassent jamais du terrein cultivé d’un royaume. Ils ordonnent à la terre de produire ; ils vous peuplent un empire, sans songer si les habitans pourront satisfaire aux besoins de premiere & de seconde nécessité. Rien ne les arrête ; ils enrichissent le monarque, lui donnent quatre cents mille hommes de troupes & cent vaisseaux de ligne. Ils font sur le papier une nation florissante, victorieuse, riche, donnant la loi à toutes les autres ; & ils oublient de lui donner du pain.

Ces auteurs sont semblables à cet architecte qui avoit bâti une maison magnifique, où l’on admiroit les colonnes & les belles proportions qui ornoient la façade ; mais lorsqu’on voulut monter au premier étage, il se trouva qu’il n’y avoit point d’escalier.

Il y a au dépôt des affaires étrangeres une chambre ou l’on a jeté tous les papiers que les esprits à systéme ont envoyés aux ministres. On a écrit au-dessus de la porte : Projets des têtes fêlées. Tous ces projets disent en substance : si l’on ne fait pas ce que je dis, la France est perdue.

D’autres ne sont pas susceptibles de la moindre alarme : ils vont répétant que les ressources de la France sont inépuisables ; qu’on ne sauroit la ruiner, quoi qu’on fasse. On renouvelle ces axiomes ministériels qui ont régné véritablement ; & il est vrai que le tempérament robuste & vigoureux de l’état a résisté jusqu’ici aux poisons de tous les pharmaciens. Il paroît doué d’une de ces heureuses constitutions propres à se moquer éternellement des médecins. C’est ce qu’il fait ; & les médecins scandalisés voudroient le voir sérieusement malade, pour l’honneur de leur pronostic.