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Tableau du royaume de Caboul et de ses dépendances dans la Perse, la Tartarie et l’Inde/Tome 2/Mœurs générales de la nation

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MŒURS GÉNÉRALES
DE LA NATION.

Lamanière de vivre de ces peuples n’est pas uniforme ; elle varie considérablement dans chaque tribu, mais voici quelques points qui sont communs à toutes.

La nation se partage en deux grandes classes, les habitans qui vivent sous des tentes, et ceux qui logent dans les maisons. C’est surtout dans l’ouest que se trouvent les habitans des tentes, et ils composent la moitié de la population. Dans l’est, presque tous les habitans vivent dans des maisons.

Un célèbre voyageur, M. Volney, prétend que si l’habitude peut rendre agréable la vie errante, il est deux causes qui ont pu, dans l’origine, engager des peuples à l’adopter ; d’abord la mauvaise qualité du sol, qui oblige de se déplacer sans cesse pour trouver des subsistances ; en second lieu, l’organisation vicieuse du gouvernement qui force ses sujets à fuir l’oppression par un mouvement continuel. Cependant, je dois avouer que cette théorie n’est pas confirmée par l’exemple des Afghans. Chez eux la vie pastorale est estimée la plus heureuse ; ils s’y livrent avec délices, et l’abandonnent avec regret. Outre l’avantage de l’exemption des taxes royales, les pasteurs mènent une vie aisée, tranquille, et sans soucis ; ils n’ont pas besoin de se livrer à des travaux assidus, et sont recréés par des changemens continuels.

Un petit nombre de familles, réunies par les liens du sang, se trouvent ainsi en possession d’un vaste territoire, sans être gênées par l’autorité ou la censure des magistrats. Le principal motif qui les force à renoncer à un genre de vie aussi désirable, est précisément celui qui, suivant M. Volney, porteroit les hommes à l’embrasser, la difficulté de se procurer des subsistances. Un nombre donné de bergers trouvera moins aisément à vivre sur une certaine étendue de pays, qu’un nombre pareil de cultivateurs.

Je décrirai plus loin les différentes sortes de tentes et de maisons. Ici je me bornerai à dire que la plus grande partie des maisons est bâtie en briques cuites au soleil : elles n’ont qu’un étage de hauteur. Le toit est une terrasse soutenue par des chevrons, ou par une petite coupole des mêmes matériaux que les murailles. Les tables et les chaises étant inconnues, il n’y a guère d’autres meubles que de grossiers tapis de laine ou de feutre.

Ce sont les femmes qui fabriquent ce feutre, avec de la laine tirée des vieux tapis ou des vieilles étoffes ; après l’avoir laissé tremper dans l’eau, elles la roulent et la pétrissent avec leurs mains, jusqu’à ce qu’elle ait acquis quelque consistance. Ce feutre est doux et pliant ; il a depuis trois jusqu’à six lignes d’épaisseur ; celui destiné à l’habillement du peuple est beaucoup plus mince. On le teint en gris ou en noir. Les maisons des riches en emploient qui est d’une contexture fine, d’un brun clair, et orné de fleurs coloriées.

Les Berdouraunées s’asseyent sur des lits très bas, dont le fond est garni de peaux ou de cordes tressées. Dans les villes, on s’assied sur de larges bancs, appelés sophas, ou saufeh, dressés autour de la chambre ; mais la coutume la plus générale est de s’asseoir à terre.

Lorsqu’on est tranquille chez soi, on s’assied, les jambes croisées ; s’il y a lieu à plus de cérémonies, on se place dans l’attitude d’un homme à genoux, accroupi sur les talons, et de manière que les jambes sont entièrement cachées par les vêtements. Cette manière de s’asseoir est insupportable pour un Européen ; mais les Asiatiques ont les membres si souples que, bien que leurs jambes touchent la terre, ils resteroient des journées entières dans cette posture.

Les Afghans se plaisent beaucoup à la conversation ; ils font circuler une pipe dont on prend une ou deux gorgées, et on la passe à son voisin. Les pipes communes de l’Afghanistan sont en terre cuite ; leur forme est celle d’une grosse bouteille à large col. Les personnes aisées en ont de verre ou d’étain, avec des fleurs et d’autres ornemens en bronze. On remplit ce vase d’eau, et l’on y introduit deux tuyaux enjolivés ; l’un, perpendiculaire, se termine par un foyer contenant du tabac et du charbon ; l’autre sert à aspirer la fumée après qu’elle a passé dans l’eau, où elle se purifie et se dégage des particules huileuses.

Tous les Persans font usage de cette pipe, à de courts intervalles, dans la journée. Ils en ont d’une élégance plus recherchée que les Afghans.

Ces derniers n’aiment pas non plus à fumer autant que les Persans. Une foule d’entr’eux se privent de ce délassement, et il y a des villages où l’onne voit pas d’autre instrument pour cet usage qu’une pipe banale, que l’on tient à la disposition de tous ceux qui veulent s’en servir. En revanche, ils prennent beaucoup de tabac en poudre. Leurs tabatières ne sont point plates, comme les nôtres, elles sont rondes ou ovales, et formées des coques d’un fruit dont on fait venir exprès de l’Indoustan des quantités considérables. Elles n’ont pas de couvercle, mais elles sont percées en haut, d’un petit trou par lequel on verse le tabac. Quelquefois elles sont travaillées avec le plus grand luxe.

Lorsqu’un Afghan fait une visite, il dit à la compagnie : La paix soit avec vous ! On lui répond : Et que la paix soit en toi ! Le maître de la maison se lève, et prend l’étranger par la main, en disant : Vous êtes le bien venu : puissé-je vous voir plus souvent ! L’étranger réplique en souhaitant à son hôte toutes sortes de prospérités. Le maître de la maison indique ensuite un siège à l’étranger, et, après quelques informations sur les santés respectives, on entre en conversations Toutes ces cérémonies sont observées strictement par les pauvres gens. Les personnages au-dessus du commun négligent fort l’étiquette ; il règne entre eux un certain degré de gravité, mais ils ne renoncent point pour cela à une franche gaîté : elle va quelquefois jusqu’à rire aux éclats.

Les Afghans aiment beaucoup les repas, sans parler des festins de mariage, et de ceux qui ont lieu en des occasions semblables ; ils invitent à dîner cinq ou six personnes, toutes les fois qu’ils tuent un mouton.

Lorsque les convives sont arrivés, le maître de la maison leur fait présenter de l’eau pour se laver les mains, et le repas commence. On sert ordinairement du mouton bouilli, et le bouillon dans lequel a cuit la viande, mais sans autre assaisonnement que du sel, ou tout au plus du poivre. On trempe du pain dans le bouillon, et l’on en fait ainsi de très-bonne soupe. La boisson la plus commune consiste en lait ou en sorbet. En certains cantons, ils boivent une liqueur fermentée, tirée du lait de brebis ; ce breuvage excite la gaîté sans produire l’ivresse.

Pendant le dîner, l’Amphitryon vante les différens mets, provoque l’appétit des convives, et les prie de ne point se gêner, parce qu’il y a de tout en abondance. On récite des prières avant et après le repas, et lorsqu’il est fini, les convives rendent grâces au maître du logis. On forme ensuite un cercle pour fumer, chanter, ou raconter des histoires. Les vieillards sont tous de grands conteurs ; leurs récits portent sur des histoires de rois ou de visirs, de génies ou de fées ; mais ils s’occupent principalement de guerre et d’amour. Il en est de même des chansons qui, presque toutes, ont pour objet de célébrer la gloire des guerriers ou les plaisirs amoureux.

On accompagne les voix au son de la flûte, d’une espèce de luth ou de guitare, de deux sortes de violons, et d’un hautbois appelé sournaun.