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Théorie des fonctions analytiques/Partie I/Chapitre 10

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Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 118-126).
Première partie


CHAPITRE X.

De l’emploi des fonctions dérivées dans l’analyse et de la détermination des constantes arbitraires. Application à la sommation des suites et à la résolution des équations du troisième degré.

64. Par les principes que nous venons d’établir à l’égard des constantes arbitraires, on voit que ces constantes forment la liaison entre les équations primitives et les équations dérivées ; celles-ci sont par elles-mêmes plus générales que les équations d’où elles dérivent, à raison des constantes qui ont disparu ou qui peuvent avoir disparu ; elles équivalent proprement à toutes les équations primitives qui ne différeraient entre elles que par les valeurs de ces constantes.

On peut donc toujours passer d’une équation regardée comme primitive à une de ses dérivées d’un ordre quelconque, et réciproquement revenir de celle-ci à celle-là, pourvu que cette dernière opération introduise toujours des constantes arbitraires et qu’on ait soin de déterminer ces constantes d’une manière conforme à l’équation primitive, comme nous en avons déjà donné des exemples (nos 49 et suivants). Avec cette attention, on pourra employer dans l’Analyse les opérations relatives aux fonctions, comme on y emploie les opérations ordinaires d’Algèbre.

Ainsi, ayant une équation en et on pourra immédiatement en déduire des équations dérivées d’un ordre quelconque ; mais, pour revenir de celles-ci à une équation en et il faudra tenir compte des constantes arbitraires et les déterminer de manière que les valeurs de et de ses dérivées soient les mêmes pour une valeur donnée de comme que celles qui résultent de l’équation donnée.

Si l’équation proposée n’était que du premier ordre en alors, cette équation ne pouvant fournir que les valeurs de en et ces valeurs, pour contiendraient la valeur indéterminée de par conséquent, les constantes arbitraires dépendraient alors de cette valeur, qui serait elle-même une constante arbitraire_1, de sorte que, dans ce cas, toutes les constantes arbitraires se réduiraient à une seule. Elles se réduiraient à deux, par la même raison, si l’équation proposée était du second ordre en et et ainsi de suite.

65. Pour faire mieux sentir l’esprit et l’usage de ces opérations, nous allons les appliquer encore à quelques exemples qui serviront en même temps d’exercice de calcul.

Soit proposée la série

dont on demande la somme.

Supposons-la égale à en sorte qu’on ait une équation en et je multiplie cette équation par ce qui donne

Je prends les fonctions primes de tous les termes ; j’ai

où l’on voit qu’il a disparu un facteur du dénominateur de chaque terme.

Je multiplie maintenant l’équation précédente par j’ai celle-ci

Je fais le premier membre égal à étant la fonction prime de et je prends l’équation primitive ; j’ai

Je n’ajoute point de constante arbitraire ici, parce qu’elle peut être censée renfermée dans

Maintenant, en comparant cette nouvelle série avec la proposée, qu’on a supposée égale à il est visible qu’on aura l’équation

prenant les fonctions primes, et substituant pour sa valeur on aura cette équation du premier ordre linéaire en

laquelle se réduit à cette forme

Cette équation étant susceptible de la méthode du no 55, on pourra donc trouver la valeur en qui sera, par conséquent, la somme de la série proposée ; mais cette valeur devra contenir une constante arbitraire, qu’on déterminera de manière que soit égal à lorsque comme il résulte de la série donnée.

Si la série n’avait contenu que des facteurs simples, comme

on eût trouvé, par les mêmes opérations,

Or on sait que

donc on aurait, dans ce cas,

prenant les fonctions primes et substituant la valeur de on aurait

savoir

équation également linéaire du premier ordre.

Cette méthode s’applique à des séries plus compliquées et peut conduire à des équations linéaires d’un ordre supérieur au premier. J’ai cru devoir au moins l’indiquer, étant presque la seule méthode générale pour la sommation des suites.

66. Soit maintenant proposée l’équation

dans laquelle on demande l’expression de en Cette expression peut s’obtenir par la formule connue pour la résolution des équations du troisième degré. Voici comment on y peut parvenir par la théorie des fonctions.

En prenant les fonctions primes et secondes, on aura

si donc je forme la quantité

sont des coefficients arbitraires, j’aurai un quadrinôme

qui contiendra les puissances et et je pourrai faire évanouir les termes multipliés par chacune de ces puissances ; j’aurai ainsi une équation du second ordre de la forme

sera une quantité constante ; et cette équation renfermera encore deux coefficients indéterminés.

Je pourrai donc encore faire en sorte qu’étant multipliée par elle ait une équation primitive ; car, pour cela, il suffira de faire et l’équation primitive sera

étant une constante arbitraire qu’on déterminera, comme nous l’avons dit, en supposant et mettant pour et leurs valeurs tirées de l’équation proposée. Or elle donne, dans ce cas, donc, faisant ces substitutions dans l’équation précédente, elle donnera

Ainsi l’on aura cette équation en du premier ordre

ne monte qu’au second degré, circonstance sans laquelle on n’aurait rien gagné pour la détermination de en

Mais, avant d’aller plus loin, il faut satisfaire aux conditions, nécessaires pour que la quantité

après la substitution des valeurs de devienne égale à une constante Cette substitution donne la quantité

développant, ordonnant les termes suivant les puissances de et éga-

lant à le terme sans et les autres à zéro, on aura

d’où l’on tire

Retenons, pour plus de simplicité, les quantités et et substituons celles de et dans l’équation ci-dessus ; elle deviendra, en tirant la valeur de

Il faut maintenant en déduire l’équation primitive en et mais, pour éviter les imaginaires, on doit distinguer deux cas, l’un où les radicaux sont réels, l’autre où ils sont imaginaires ; car, puisque toute valeur réelle de donne pour et des valeurs réelles, il est visible que les deux radicaux de l’équation précédente seront réels ou imaginaires ensemble.

Supposons donc, en premier lieu, que soit une quantité réelle ; il faudra donc que par conséquent, on pourra supposer

ce qui donnera

et, prenant les fonctions primes,

substituant ces valeurs dans l’équation précédente, elle deviendra, en divisant par

dont l’équation primitive peut être mise sous la forme

étant une constante arbitraire qu’il faudra déterminer en sorte que donne conformément à la proposée. Soit la valeur de lorsque on aura donc les deux équations

et

par lesquelles on déterminera d’abord ensuite Après quoi on déterminera par l’équation

et l’on aura

et, comme au même sinus de répond aussi l’angle augmenté d’une ou de deux circonférences, on aura les trois valeurs de en prenant pour ces trois valeurs dénotant la circonférence du cercle.

C’est le cas qu’on appelle irréductible et où les trois racines sont réelles.

Supposons, en second lieu, que le radical soit imaginaire ; il n’y aura qu’à multiplier le numérateur et le dénominateur de l’expression de par et l’on aura

quantité toute réelle.

Ici j’observe que, si l’on fait

et qu’on prenne les fonctions primes, en regardant toujours comme fonction de on aura

de sorte qu’on pourra réduire l’équation précédente à cette forme

dont les deux membres ont pour fonctions primitives et On aura donc cette équation primitive

étant une constante arbitraire, et, passant des logarithmes aux nombres, on aura

Pour déterminer on fera de nouveau et Or devient et devient donc on aura

Maintenant, ayant la valeur de en il est aisé d’en tirer car, en carrant l’équation

on en déduira sur-le-champ

par conséquent, en mettant pour la valeur trouvée en savoir on aura

Cette expression ne peut donner, comme l’on voit, qu’une seule valeur réelle de c’est le cas où l’équation a deux racines imaginaires.

Si l’on fait les formules qu’on vient de trouver dans les deux cas se simplifient beaucoup et se réduisent aux formules connues pour la résolution des équations du troisième degré, privées du second terme mais nous ne nous arrêterons pas davantage sur ce problème, qui appartient proprement à l’Algèbre, et que nous n’avons traité ici qu’en passant et pour montrer, par différentes applications, la manière d’employer l’algorithme des fonctions.


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