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Théorie des fonctions analytiques/Partie III/Chapitre 04

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Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 360-376).
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Troisième partie


CHAPITRE IV.

De la question où il s’agit de trouver la résistance que le milieu doit opposer pour que le projectile décrive une courbe donnée. Analyse de la solution que Newton a donnée de ce problème dans la première édition de ses « Principes ». Source de l’erreur de cette solution. Distinction entre la méthode des séries et celle des fonctions dérivées, ou du calcul différentiel.

17. Pour montrer l’usage des formules que nous venons de donner, supposons qu’on demande la résistance du milieu en vertu de laquelle un corps pesant lancé dans ce milieu décrirait une courbe donnée. On regardera la résistance comme une force retardatrice qui agit dans la direction même du corps, c’est-à-dire dans celle de la tangente de la courbe ; ainsi, en nommant la résistance, c’est-à-dire l’action du milieu résistant sur la surface du corps, divisée par la masse même du corps, on aura pour les forces accélératrices qui en résultent suivant les directions des axes des les angles étant ceux de la tangente avec ces axes. De plus, si l’on nomme la force accélératrice de la gravité, et qu’on prenne les coordonnées verticales et dirigées de bas en haut, on aura pour la force accélératrice provenant de la gravité suivant les coordonnées

Donc les équations du mouvement seront

Substituant pour leurs valeurs (no 11), où vitesse du corps, est on aura celle-ci :

La première et la dernière donnent

d’où l’on tire, en prenant les fonctions primitives,

et étant des constantes arbitraires. Cette équation, étant celle d’un plan vertical, fait voir que la courbe est nécessairement toute dans ce blan ainsi, en prenant l’axe des dans ce même plan, on aura et et les équations de la courbe se réduiront aux deux premières. Mais, comme dans ces équations les variables sont supposées fonctions du temps, et que pour avoir l’équation de la courbe on doit regarder comme fonction de il faudra chercher ses fonctions dérivées dans cette hypothèse par les formules du numéro précédent.

Supposons, pour abréger, on aura

substituant ces valeurs dans l’expression de du no 16, on aura

ainsi la valeur de dépend de Or on a, par le même numéro,

mais, connaissant les valeurs de et il n’y aura qu’à prendre leurs fonctions primes pour avoir celles de et et l’on trouvera, en désignant par la fonction prime de

Par ces substitutions, les deux premiers termes de la valeur de donneront et le terme donnera de sorte que l’on aura Or, étant on fera cette substitution, et l’on en chassera et au moyen des équations et lesquelles donneront

on aura ainsi

Comme les fonctions dérivées se rapportent maintenant à la variable nous pouvons les représenter simplement par on aura donc

Or, la courbe étant donnée, on a en fonction de de là on tirera les fonctions dérivées et la formule précédente donnera, pour chaque point de la courbe, le rapport de la résistance à la gravité.

La vitesse sera

c’est-à-dire, en changeant en

Pour traduire ces formules en Calcul différentiel, il faudra changer en et en en prenant constant, parce que ces fonctions dérivées sont ici relatives à la variable

Si l’on suppose la résistance proportionnelle au carré de la vitesse et à la densité du milieu, alors, nommant cette densité dans un lieu quelconque, on aura

étant un coefficient constant ; donc, substituant la valeur de

et, mettant cette valeur dans l’équation ci-dessus, elle deviendra

par où l’on déterminera la densité du milieu nécessaire pour faire décrire la courbe donnée. Réciproquement, cette équation servira à déterminer la courbe lorsque la densité du milieu sera donnée.

Pour les projectiles lancés dans l’air, on peut supposer la densité du milieu constante ; ainsi, faisant, pour plus de simplicité, l’équation de la courbe sera

étant l’arc de la courbe, d’où l’on tire, en prenant les fonctions primitives,

étant une constante arbitraire c’est la forme la plus simple sous laquelle puisse être mise l’équation de cette courbe. On peut tirer de ces équations les différentes, approximations qui ont été données jusqu’ici pour la détermination de la courbe décrite par les boulets et les bombes ; mais les bornes de cét écrit nous empêchent d’entrer dans aucun détail sur ce sujet.

18. Nous remarquerons encore qu’on aurait pu déduire tout de suite l’équation de la courbe des équations du mouvement,

par l’élimination immédiate du temps En effet, et étant fonctions de on peut réciproquement regarder et comme fonctions de et, par la règle donnée dans le no 50 de la première Partie, si l’on regarde, en général, comme fonctions d’une autre variable quelconque il faudra substituer et à la place de et à la place de mais, en prenant pour variable principale à la place de on fera et l’on aura à substituer et à la place de et et et à la place de et

Les deux équations deviendront donc, à cause de

d’où il faudra éliminer la fonction Substituant, dans la seconde équation, la valeur de tirée de la première, elle deviendra

divisant par et prenant de part et d’autre les fonctions primes, on aura

valeur qui, étant substituée dans la première équation, donnera, comme plus haut,

À l’égard de la vitesse elle deviendra et, comme on vient de trouver la vitesse deviendra comme ci-dessus.

Si la force de la gravité était variable, alors la valeur de que l’on vient de trouver ne serait plus exacte, car, en prenant les fonctions primes de l’équation

on aurait

et la substitution de cette valeur donnerait

Cette manière d’éliminer le temps dans les équations du mouvement, pour avoir l’équation de la courbe décrite, est analogue à celle qu’on emploie dans le Calcul différentiel ; mais l’analyse du no 16, fondée sur le développement des fonctions, est, à certains égards, plus directe ; elle nous sera d’ailleurs utile pour découvrir, comme nous l’avons annoncé au commencement de cet écrit, la véritable source de la méprise où Ne\varthetaon est tombé dans la première édition des Principes, en résolvant le problème dont nous venons de nous occuper.

Quoiqu’il puisse paraître peu important de découvrir en quoi et comment Newton a pu se tromper dans une solution qu’il a ensuite lui-même abandonnée, néanmoins, comme tout ce qui a rapport à l’invention et aux premiers développements de l’Analyse infinitésimale mérite l’attention de ceux qui s’intéressent à l’histoire des sciences, j’ai cru que l’on me saurait gré de discuter de nouveau ce sujet, comme un point qui n’a pas été assez éclairci, parce qu’il tient à une distinction subtile entre la méthode différentielle et la méthode des séries, que Newton a employée dans sa première solution (liv. II, prop. X).

19. Voici la construction qui sert de fondement à cette solution. Le mobile étant parvenu à un point quelconque de la courbe, sans la résistance et la gravité il décrirait, dans un temps donné très-petit, une partie très-petite de la tangente que nous désignerons par soient le petit espace que la gravité lui ferait décrire dans le même temps perpendiculairement à l’horizon, et le petit espace dont la résistance diminue l’espace parcouru sur la tangente ; il est clair que le rapport de à sera celui de la résistance à la gravité. Ainsi le corps, dans le temps qu’il aurait parcouru sur la tangente l’espace serait descendu verticalement de la quantité par conséquent, sera la flèche de l’arc Maintenant, si l’on considère le corps comme partant du même point et rebroussant chemin pour décrire en sens contraire le même arc de courbe qu’il a parcouru, il faudra regarder la résistance comme négative, et par conséquent comme une force qui accélère le mouvement au lieu de le retarder : Le mobile décrira ainsi, dans le même temps très-petit, l’espace sur la même tangente dans une direction contraire, et descendra verticalement par le même espace en vertu de la gravité. Par conséquent, sera la flèche de l’arc pris de l’autre côté du point de la courbe dont il s’agit. Or les flèches étant, pour les arcs infiniment petits, comme les carrés des arcs ou des tangentes, la flèche de la portion de l’arc sera donc la différence des flèches pour les arcs égaux pris de part et d’autre du point donné de la courbe, sera

Nommons cette différence on aura

à cause que la petite ligne parcourue d’un mouvement uniformément accéléré, est infiniment plus petite que la ligne parcourue dans le même temps d’un mouvement uniforme.

Tel est le raisonnement de Newton, présenté de la manière la plus claire, et le résultat que nous venons de trouver s’accorde avec celui du corollaire II du problème cité, où il est visible que les lignes et sont ce que nous avons nommé et et que la différence est ce que nous avons nommé

Maintenant, en prenant les abscisses horizontales et les ordonnées verticales et dirigées de bas en haut, Newton suppose que, pour l’abscisse l’ordonnée exprimée en série est

et il remarque que la partie de la tangente qui répond à la partie de l’axe est et que la flèche, c’est-à-dire la partie de l’ordonnées comprise entre la courbe et la tangente, est En faisant négatif, on aura la flèche qui répond à la même partie de la tangente, prise de l’autre côté du point de contact, et qui sera, par conséquent, et la différence des deux flèches sera Or il est visible que les quantités et répondent à celles que nous avons nommées et donc la quantité qui exprime le rapport de la résistance à la gravité, deviendra, en divisant le haut et le bas par

la quantité infiniment petite s’évanouissant à côté de la quantité C’est aussi le résultat trouvé par Newton dans l’exemple premier du même problème.

Suivant notre notation, lorsque devient devient

donc, comparant avec la série de Newton, on a

substituant ces valeurs dans la formule précédente, le rapport de la résistance la gravité deviendra au lieu que nous l’avons trouvé ci-dessus (no 17) D’où il suit que la solution de Newton est fautive.

Il est remarquable que, si l’on substitue simplement ou pour on a un résultat exact : c’est ce qui a fait croire aux Bernoulli, qui ont découvert les premiers l’erreur de Newton, et à tous ceux qui en ont parlé depuis, que cette erreur venait de ce que Newton avait pris les termes de la série pour les différences premières, secondes et troisièmes de l’ordonnée, tandis que ces termes ne sont égaux qu’à ces différences divisées par Mais il est facile de voir que la solution de Newton est indépendante de la considération de ces différences et que la substitution des termes de la série dont il s’agit à la place des quantités et dans la formule est légitime ; ainsi l’erreur doit être dans cette formule même, qui donne le rapport de la résistance à la gravité, et ce qui doit le prouver sans réplique, c’est que, si la gravité était variable, la même formule aurait encore lieu, puisque dans les deux mouvements direct et rétrograde le corps est censé descendre verticalement de la même ligne Ainsi, dans ce cas, on devrait aussi avoir une solution exacte par la substitution de à la place de ce qui n’est pas, comme on le voit par la valeur de que nous avons trouvée pour ce cas dans le numéro précédent.

20. Pour découvrir la source de l’erreur, nous allons réduire la solution de Newton en analyse. En nommant la vitesse dans un point de la courbe, est l’espace que le mobile parcourrait dans la tangente pendant le temps sans la gravité et la résistance. Nommant la force absolue de la gravité et celle de la résistance, et seront les espaces parcourus en vertu de ces forces, regardées comme constantes pendant le temps supposé très-petit. Ainsi le corps aura parcouru, suivant la tangente, l’espace et, suivant l’ordonnée verticale l’espace lequel représente la flèche qui répond à la tangente Supposons maintenant, comme Newton, que le mobile rebrousse chemin avec la même vitesse et sur la même tangente, dans le temps il décrirait l’espace parce que la résistance doit être prise en sens contraire ; c’est l’espace pris négativement qui répond au temps et la flèche correspondante serait et, si l’on veut que les deux espaces décrits de part et d’autre soient égaux, comme Newton le suppose, on aura l’équation

d’où l’on tire, aux près,

Substituant cette valeur dans la flèche elle devient et la différence des deux flèches sera c’est la quantité que nous avons nommée ci-dessus D’un autre côté, il est clair qu’on a, suivant les dénominations employées ci-dessus,

donc

de là, en faisant et prenant pour les deux flèches, ce qui donne on a

comme Newton l’a trouvé par sa construction.

21. Maintenant il est aisé de voir que ce résultat vient des équations

ou bien simplement de celles-ci,

en prenant et positivement et négativement, ce qui revient à vérifier ces équations indépendamment de la valeur de qui en effet doit demeurer indéterminée, étant supposée très-petite.

La première équation donne, aux termes du troisième ordre près, et étant du premier,

Cette valeur étant substituée dans la seconde, on a, au quatrième ordre près,

et la comparaison des termes homogènes en donne

De la première on tire et, cette valeur étant substituée dans la seconde, on a le résultat de Newton :

Mais nous devons remarquer que ce dernier résultat, étant tiré de la comparaison des termes affectés de dans la transformée de l’équation ne saurait être exact, parce que le premier membre cette équation, qui est l’expression de la flèche en temps, n’est luimême exact qu’aux près, de sorte qu’à la rigueur il n’y a d’exact que le résultat tiré de la comparaison des termes du second ordre. Pour avoir de cette manière la valeur exacte de en la déduisant des termes affectés de il faudrait que l’expression de la flèche en fût elle-même exacte jusqu’aux mais, le terme qui devrait suivre n’étant pas donné immédiatement par les principes de la Mécanique, on ne peut le trouver que par la loi de la dérivation, de la manière suivante.

22. Puisque, suivant l’hypothèse de Newton (no 19), croissant de croît de et que et (numéro précédent), étant l’accroissement du temps correspondant à l’accroissement de l’abscisse il s’ensuit que, devenant devient

et devient

Or, en rapportant à les fonctions dérivées lorsque devient et deviennent en général

donc, comparant avec les formules précédentes, on a

D’un autre côté, puisque et deviennent en même temps et on aura aussi

Donc, comme la flèche est exprimée en général par son expression en sera

ou

Les deux premiers termes se réduisent à par la substitution des valeurs de pour avoir le terme suivant, il n’y aura qu’à chercher les valeurs de d’après celles de Or on a

d’où l’on tire

Pour avoir je prends l’équation

qui résulte des valeurs et trouvées ci-dessus, d’où l’on tire

donc

Il résulte de là que l’expression de la flèche, au lieu d’être simplement sera Ainsi, au lieu de l’équation

on aura celle-ci,

qui est exacte jusqu’aux quantités du troisième ordre. En y substituant la valeur de du numéro précédent, qui est exacte jusqu’aux quantités du second ordre, on aura, au quatrième ordre près,

savoir,

d’où l’on tire, par la comparaison des termes,

Substituant dans la seconde équation la valeur de tirée de la première, et qui est la même qu’on avait trouvée plus haut, on en déduira

C’est la valeur que Newton a donnée ensuite dans la seconde édition de ses Principes (liv. II, prob. III), et l’on voit qu’en mettant dans cette valeur à la place de comme dans le no 19, elle devient

telle que nous l’avons trouvée dans le no 17.

23. Si l’on voulait suivre la première marche de Newton, mais en prenant pour la flèche qui répond au temps très-petit l’expression plus exacte que nous venons de trouver, on aurait, pour la flèche qui répond au temps substituant pour sa valeur en elle deviendrait et la différence des deux flèches serait alors qu’il faudrait prendre pour les valeurs de et seraient également, aux près, et l’on aurait, par la substitution,

Prenant maintenant, comme Newton,

on aurait le résultat exact

Comme Newton n’est parvenu à ce second résultat qu’en suivant une marche analogue à celle du Calcul différentiel et en considérant deux tangentes successives ou deux côtés successifs de la courbe, au lieu que, dans la première solution, il n’avait considéré qu’une seule tangente prolongée de part et d’autre du point de contact, nous avons cru devoir montrer comment, sans s’écarter de l’esprit de cette solution, mais en la rectifiant par la méthode des séries, on pouvait aussi arriver à un résultat exact. En effet, on peut toujours trouver, par cette méthode, les premiers termes de l’ordonnée en série d’une courbe, ou en général du développement d’une fonction, lesquels satisfassent aux conditions mécaniques ou géométriques du problème proposé, et la loi de ces termes donnera l’équation du problème. C’est en quoi consiste la méthode qu’on peut appeler, d’après Newton, méthode des séries, pour la distinguer de la méthode des différences ou des fonctions dérivées, par laquelle on arrive directement à cette équation sans le circuit des séries et sans employer d’autres termes que ceux qui doivent y entrer, comme on le voit par l’analyse du no 18.

24. Il est à remarquer, au reste, que la construction employée par Newton dans sa seconde solution mène à une formule semblable à celle de la première, que nous avons représentée par et que nous avons vue n’être pas exacte, mais avec cette différence que la quantité au lieu d’exprimer, comme dans la première solution, la différence des flèches qui répondent à des portions égales de la même tangente, prises de part et d’autre du point de contact, et dont les parties correspondantes de l’axe des sont et doit exprimer, au contraire, la différence des flèches de deux tangentes consécutives, prises du même côté et répondantes à des parties de l’axe égales à Pour avoir ces flèches, Newton représente l’ordonnée qui répond à l’abscisse par la série

mais il les détermine par la méthode différentielle, en prenant la différence d’une ordonnée intermédiaire et de la demi-somme des deux ordonnées adjacentes. Ainsi, en considérant les trois, ordonnées qui répondent aux abscisses il a la flèche et les ordonnées qui répondent aux abscisses donnent la flèche et la différence des deux flèches est Cette valeur étant prise pour et faisant, comme dans la première solution (no 19), on a

expression exacte, comme on l’a vu plus haut.

Suivant nos dénominations, lorsque devient devient

La partie de la tangente qui répond à est c’est la valeur de La partie interceptée entre la tangente et la courbe, ou la flèche, est c’est la valeur de Ainsi l’on a, dans les deux solutions,

À l’égard de dans la première solution, c’est la différence des flèches qui répondent à et à laquelle est mais, dans la seconde solution, c’est la différence des flèches qui répondent à et à Or, devenant devient donc, négligeant les la seconde flèche sera et la différence des flèches sera Substituant dans la première valeur de ou la seconde on a les deux résultats

dont le premier est fautif et le second exact (no 19).


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