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Trésor littéraire des jeunes personnes/Colet

La bibliothèque libre.
M. J. Duplessy
Ad Mame et Cie, imprimeurs-libraires (p. 280-285).


MADAME LOUISE COLET.


Colet (Louise Revoil, dame) est née à Aix (B.-du-Rhône), où son père, frère de M. Revoil, un des peintres les plus distingués de l’école de Lyon, était directeur des postes. Dès sa plus tendre enfance, mademoiselle Revoil montrait des dispositions littéraires ; à six ans elle bégayait des vers qu’elle ne savait pas encore écrire ; son penchant pour la poésie, longtemps étouffé, se développait en secret sans guide, sans conseil. Elle avait à peine seize ans lorsque son père lui fut enlevé, et, peu d’années après, elle perdit sa mère, pour laquelle son amour était un culte, et que sa piété filiale veut célébrer dans un poème intitulé Ma Mère, dont il a paru quelques fragments remarquables. Mariée à M. Colet, aujourd’hui professeur au Conservatoire, madame Colet vint à Paris en 1834, et y publia son premier volume de poésies, les Fleurs du Midi ; l’accueil favorable qu’il reçut encouragea l’auteur à se livrer à la carrière des lettres, et bientôt les principaux Recueils, Revues, ou Keepsake, s’enrichirent de ses articles en prose ou en vers ; en 1839, le prix de poésie à l’Académie française fut accordé à son poëme, le Musée de Versailles, succès qu’aucune femme n’avait obtenu sans partage depuis le dix-septième siècle. Peu de temps après, madame Colet mettait au jour un second volume de poésies, Penserosa, bien supérieur aux Fleurs du Midi, sous le double rapport des idées et de la forme. Elle a sous presse un ouvrage, Charlotte Corday et Madame Roland, scènes dramatiques en vers, qui sera l’œuvre la plus considérable de l’auteur. La poésie de madame Colet a de la force et de l’élévation ; les sujets grands et sévères lui vont mieux que les sujets doux et gracieux, bien que la flexibilité de son talent puisse se plier à tous les genres.



LA VOIX D’UNE MÈRE.

Enfant, qui seras femme,
N’ouvre jamais ton âme
Qu’aux modestes vertus ;
Que ta charité sainte
Berce et calme la plainte
Des esprits abattus !

Que ta pure espérance
Relève la souffrance ;
Que ton hymne de foi,
Comme une chaste offrande,
Monte au ciel et répande
La paix autour de toi.

Sois l’ange qui console ;
De ta douce parole
Prodigue le secours ;
Au malheur tends l’oreille,
Près du malade veille,
Et près du pauvre accours.

D’une mère qui t’aime
Dieu voulut te bénir ;
Laisse-la pour toi-même
Disposer l’avenir.

Travaille, prie et chante !
Le travail t’ennoblit,
La foi te rend touchante,
La gaieté t’embellit !

Et si Dieu t’a douée
D’un esprit noble et grand,
Sois humble et dévouée,
Sois belle en l’ignorant.
Laisse à l’homme la gloire,
Les triomphes, le bruit,
Pour nous, aimer et croire
Au bonheur nous conduit.

Coule une vie obscure
Que le devoir remplit ;
L’onde à l’ombre est plus pure,
Rien ne trouble son lit.

JALOUSIE.

Jeunes femmes, parfois, quand je vais me mêler
À vos jeux… si je sens mon âme se troubler ;
Si soudain sur mon front une ride se creuse,
Si ma pensée empreint sa trace douloureuse
Sur mes traits que l’on voit se couvrir de pâleur,
Ce n’est point jalousie, ô femmes ! c’est douleur !
Du bonheur passager de la nouvelle épouse,
De ses illusions je ne suis pas jalouse.
Quand elle apparaît, j’aime à l’entendre applaudir,
À voir sous l’oranger son front pur resplendir,
Sa parure éblouir la foule qui l’entoure ;
J’aime à la croire heureuse alors qu’elle savoure
Cet encens que le monde aux femmes jette un jour,
Encens de vanité, parfumé par l’amour !…
Mais ce qui me torture et fait fléchir mon âme,
C’est de voir auprès d’elle assise une autre femme,
Jeune de son bonheur dont elle prend sa part,
Fière de ses succès, l’adorant du regard,
Et la nommant tout haut sa fille. Ô peine amère !
Je suis jalouse alors, car je n ’ai plus de mère !



MA MÈRE.


FRAGMENT.


. . . . . . . . . . . . . . .


Oh ! que ne puis-je encore habiter sous ton aile
Dans la maison des champs la chambre maternelle,
Près de toi que ne puis-je y dormir chaque nuit
Jusqu’à l’heure où surgit la lumière et le bruit ;
Jusqu’à l’heure où toujours la première levée
Tu venais en riant d’une voix élevée,

M’éveiller et finir ces rêves orageux
Qui, pour moi de l’enfance empoisonnaient les jeux !
« Enfant, me disais-tu, laisse tout penser grave
« À l’âme des vieillards. L’atmosphère est suave,
« Viens voir du jour naissant les secrètes beautés ;
« Que de naïfs plaisirs ton cœur n’a pas goûtés !
« Du luxe et des grandeurs l’âme se rassasie ;
« Mais il est une intime et simple poésie
« Que pour toi Dieu sema dans les champs d’alentour ;
« Viens, tu feras des vers sur le lever du jour,
« Et ton chant virginal, ainsi qu’une prière,
« Montera vers le ciel d’où descend la lumière. »

Et de ma couche alors levant le blanc rideau,
Ma mère, tu semblais soulever le fardeau
Qui pesait sur mon cœur ; et, soudain éveillée,
Puis, par tes douces mains avec soin habillée,
Après avoir prié pour mon père et pour toi
Le ciel où maintenant vous priez Dieu pour moi ;
Après avoir reçu de ta lèvre adorée
Ce baiser du matin dont la mort m’a sevrée,
Plus calme et ranimant mon cœur à ton amour,
Je te suivais au champ pour voir lever le jour.
Et d’abord sous cet orme à l’ombre séculaire,
Qui, sur la grande cour, dresse un toit circulaire
Comme pour abriter avec son vert manteau
Du soleil du midi les murs blancs du château ;
Sous cet orme où l’oiseau pose son lit de mousse,
Où le coq matinal chante, où la poule glousse,
Où le paon fait briller son plumage étoilé,
D’abord tu l’arrêtais en égrenant du blé ;
Et la poule et le coq, à la crête écarlate,
Accouraient en frappant le gazon de leur patte ;
Et le paon, déployant sa queue en tournesol,
Leur disputait le grain qui tombait sur le sol,

Et les oiseaux dans l’air jetaient mille ramages,
Et le soleil jouait dans leurs brillants plumages.

Je rêvais en voyant ta sublime bonté,
Embrasser la nature en son immensité,
Se répandre, depuis les douleurs du génie
Jusqu’à l’agneau bêlant, en tendresse infinie,
Et donner à tout être, hélas ! qu’on foule au pied,
Une part de ton cour, tout amour et pitié .
Je rêvais en voyant tout ce que l’homme blesse,
Misère, probité, génie, amour, faiblesse,
Dans ton âme si grande et si simple à la fois,
Trouver un sentiment, des larmes, une voix.
Cette troupe d’oiseaux à tes pieds accourue,
Peignait la pauvreté, qui, par toi secourue,
Venait à la même heure, au bord de ton chemin,
Recevoir chaque jour l’aumône de ta main.
La mère, qu’accablait le poids de ses entrailles,
Voyait doubler par toile froment des semailles ;
Tu cachais, sous l’épi, dans nos moissons glané,
La layette de lin pour l’enfant nouveau né,
Et tu disais avec un sourire céleste :
« La pauvre femme, assise à son foyer modeste,
« Ce soir en déliant les gerbes du faisceau,
« De ce fils qu’elle attend trouvera le trousseau ;
« Et l’enfant, qui déjà pressentait la misère,
« Tressaillera joyeux dans le sein de sa mère. »
La charité, l’amour, ces divines vertus,
Dont pour nous embellir Dieu nous a revêtus ;
La charité, ce mot du céleste idiome
Qu’un ange, à son berceau, fait bégayer à l’homme,
La charité qui meurt dans ce siècle du mot,
Ô ma mère ! elle était inépuisable en toi ;
Sur les tourments du corps, sur les douleurs de l’âme,
Sur tout ce qui souffrait tu jetais ton dictame.

Oui, l’amour qui console et guérit, tu l’avais…
Voilà pourquoi, marchant près de toi, je rêvais ;
Pourquoi, quand je sondais ma pensée orgueilleuse
Qui mendiait aux arts une gloire douteuse,
Je me sentais rougir de désirer si peu ;
Au lieu de tes vertus, la gloire… Oh ! non, mon Dieu !
La gloire, écho qui meurt, terre un jour éboulée,
Source qui se dessèche, après s’être écoulée ;
La gloire, qui n’a pas un ami près de soi ;
Cette gloire, ô mon Dieu ! détournez-la de moi ;
Et faites-moi chercher la charité féconde
Dont ma mère reçut la couronne en ce monde,
Et qui vint se pencher, riante à son chevet,
Le jour où son exil, ici-bas, s’achevait.