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Traité de la résolution des équations numériques de tous les degrés/Note 04

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NOTE IV.

SUR LA MANIÈRE DE TROUVER UNE LIMITE PLUS PETITE QUE LA PLUS PETITE DIFFÉRENCE ENTRE LES RACINES D’UNE ÉQUATION DONNÉE.


La détermination de cette limite est nécessaire pour pouvoir former une suite de nombres dont la substitution successive fasse connaître d’une manière certaine toutes les racines réelles de l’équation proposée (no 6). Le moyen le plus direct d’y parvenir est de calculer, comme nous l’avons proposé, l’équation même dont les racines seraient les différences entre celles de l’équation donnée, et de déterminer ensuite, par les méthodes connues, la limite de la plus petite racine de cette équation. Mais, pour peu que le degré de l’équation proposée soit élevé, celui de l’équation des différences monte si haut, qu’on est effrayé de la longueur du calcul nécessaire pour trouver la valeur de tous les termes de cette équation, puisque, le degré de la proposée étant on a coefficients à calculer, et que, pour employer les séries du no 8, il faudrait en tout calculer termes.

Comme cet inconvénient pourrait rendre la méthode générale presque impraticable dans les degrés un peu élevés, je me suis longtemps occupé des moyens de l’affranchir de la recherche de l’équation des différences, et j’ai reconnu en effet que, sans calculer en entier cette équation, on pouvait néanmoins trouver une limite moindre que la plus petite de ses racines, ce qui est le but principal du calcul de cette même équation.

1. En effet, soit l’équation proposée en

que je représenterai, pour plus de simplicité, par

qu’on en déduise cette équation en du degré (no 8)

dans laquelle

savoir,

étant les fonctions dérivées de ou les coefficients différentiels

On a vu dans le problème du no 8 que, si l’on substitue dans cette équation en à la place de une quelconque des racines de l’équation elle aura alors pour racines les différences entre cette racine et toutes les autres racines de la même équation. Donc, si l’on y substitue successivement les racines de l’équation on aura équations en dont les racines seront toutes les différences possibles entre les racines de l’équation proposée par conséquent, il ne s’agira que de trouver une quantité plus petite que la plus petite racine de chacune de ces équations.

Donc, si l’on fait ce qui changera l’équation en en celle-ci

ou bien, en multipliant par et divisant par

tout se réduira à trouver une limite plus grande que la plus grande des racines de cette dernière équation, en supposant qu’on y substitue successivement pour chacune des racines de l’équation proposée car, cette limite étant trouvée, si on la nomme il est visible que sera la limite cherchée plus petite que chacune des racines.

2. Or on sait (no 12) que le plus grand coefficient des termes négatifs d’une équation, pris positivement et augmenté d’une unité, est plus grand que la plus grande de ses racines positives. Ainsi, pour avoir la limite il n’y aurait qu’à trouver la plus grande valeur négative qui pourrait résulter de la substitution des racines de l’équation à la place de dans les coefficients de l’équation en ou une quantité plus grande que cette valeur.

Si ces coefficients ne contenaient que des puissances de sans dénominateur, on pourrait résoudre la question en substituant à la place de dans les termes positifs, une limite plus petite que la plus petite des valeurs positives de et, dans les termes négatifs, une limite plus grande que la plus grande de ces valeurs ; car il est visible qu’on aurait, par ce moyen, des quantités négatives plus grandes que les valeurs négatives que chaque coefficient pourrait recevoir par la substitution de chacune des racines positives de la proposée en et, pour avoir égard aux racines négatives de la même équation, il n’y aurait qu’à changer dans les expressions des mêmes coefficients en et substituer ensuite dans les termes positifs une valeur de plus petite que la plus petite racine négative de cette équation, prise positivement, et dans les termes négatifs une valeur de plus grande que la plus grande de ces racines.

La plus grande des quantités négatives trouvées de cette manière, prise positivement et augmentée de l’unité, pourrait sans scrupule être employée pour la limite cherchée

Toute la difficulté vient donc du dénominateur qui contient aussi l’inconnue J’avais proposé autrefois de prendre pour une valeur plus petite que chacune de celles qui pourraient résulter de la substitution des racines de l’équation à la place de mais la difficulté était d’avoir cette limite, et il ne paraît pas possible de la trouver autrement que par l’équation même dont les différentes valeurs de seraient racines. Pour avoir cette équation, on ferait et l’on élimineraitx au moyen de l’équation et de celle-ci, l’équation résultante en serait du ième degré, et la limite plus petite que la plus petite de ses racines serait la quantité qu’on pourrait prendre pour mais cette équation en peut encore être fort longue à calculer, soit qu’on la déduise de l’élimination, soit qu’on veuille la chercher directement par la nature même de ses racines.

3. J’ai fait réflexion, depuis, qu’on pouvait toujours éliminer l’inconnue du polynôme en le multipliant par un polynôme convenable du même degré et en faisant disparaître, au moyen de l’équation toutes les puissances de plus hautes que

En effet, si l’on prend un polynôme tel que

que nous nommerons pour abréger, et dans lequel les coefficients soient arbitraires, et qu’on multiplie le polynôme par celui-ci, on aura un polynôme du degré Or, l’équation donne d’abord la valeur de et avec cette valeur on pourra former, en multipliant successivement par et substituant à mesure la valeur de toutes les puissances de supérieures à jusqu’à On substituera donc ces valeurs dans le polynôme et il s’abaissera à la puissance on fera alors disparaître tous les termes qui contiennent en égalant à zéro chacun de leurs coefficients, ce qui donnera équations linéaires en , lesquelles serviront à déterminer ces inconnues dont le nombre est aussi nommant le terme ou les termes restants et tout connus, on aura et par conséquent

L’équation en deviendra, par cette substitution,

et, comme les coefficients ne contiennent plus que des puissances de sans dénominateur, on pourra y appliquer la méthode proposée ci-dessus et trouver une limite plus grande que la plus grande des valeurs de .

On pourra réduire aussi les polynômes à ne contenir que des puissances de moindres que par les mêmes substitutions des valeurs de et des puissances supérieures Cette réduction n’est pas absolument nécessaire, et l’on peut sans inconvénient employer les polynômes tels qu’ils résultent de la multiplication de par mais elle est utile pour simplifier le calcul et avoir une limite plus approchée.

4. Il est bon de remarquer encore que, comme les valeurs de qui représentent les différences entre les racines de l’équation proposée peuvent être également positives et négatives, les valeurs de pourront l’être aussi, puisque nous avons fait d’où il s’ensuit que la limite des valeurs positives de le sera aussi des valeurs négatives prises positivement, et réciproquement celle des plus grandes valeurs négatives prises positivement le deviendra des plus grandes positives.

On pourra donc, dans l’équation en prendre également positif ou négatif, et par conséquent prendre le second, le quatrième, le sixième, etc. termes de l’équation en avec des signes contraires, si, de cette manière, il en résulte pour une limite moindre.

5. Ayant ainsi trouvé la limite on aura pour la limite plus petite que la plus petite différence entre les racines de l’équation proposée, et l’on pourra faire (no 6) pour avoir la suite des nombres dont la substitution successive fera connaître sûrement toutes les racines réelles de la inême équation et donnera leurs premières limites.

Si la quantité était nulle, on aurait pour une quantité infinie, et la limite deviendrait zéro ce qui indiquerait l’égalité de deux ou plusieurs racines dans l’équation proposée. En effet, s’il y a deux racines égales, il est clair qu’il y aura une des valeurs de qui sera nulle ; donc le dernier terme de l’équation en deviendra nul en y substituant pour une des racines de l’équation donc cette équation aura lieu en même temps que l’équation c’est-à-dire ou ce qui revient à ce que l’on sait depuis longtemps. Donc l’équation résultante de celle-ci par l’élimination de aura lieu aussi. Or, il est facile de voir que cette équation n’est autre chose que l’équation car, puisque le produit devient par le moyen de l’équation on aura et, par conséquent, l’équation donnera

Lorsqu’on sera assuré par là que l’équation en a des racines égales, on les trouvera en cherchant le commun diviseur des équations et (no 15) ; ensuite l’équation en donnée ci-dessus, étant multipliée par et divisée par deviendra, à cause de

à laquelle on pourra appliquer la même méthode pour trouver une limite plus grande que les valeurs de et ainsi de suite.

Au reste, comme, avant d’entreprendre la résolution d’une équation par quelque méthode que ce soit, il est toujours nécessaire de s’assurer si elle a des racinés égales, parce que ces racines peuvent se déterminer à part d’une manière rigoureuse, on voit que le calcul de la quantité est indispensable lorsqu’on ne calcule pas l’équation des différences, car l’équation est proprement celle que l’on trouve par les méthodes ordinaires lorsqu’on cherche les conditions de l’égalité des racines. Ainsi, à cet égard, la méthode que nous proposons n’allonge point le calcul nécessaire pour la résolution des équations.

6. La quantité étant connue, tout se réduit à chercher une quantité égale ou plus grande que la plus grande valeur négative des quantités coefficients de l’équation en pour cela, on substituera à la place de une quantité plus petite que la plus petite des racines positives de l’équation dans les termes positifs de ces coefficients, et une quantité plus grande que la plus grande de ces racines dans les termes négatifs ; ensuite, ayant changé dans ces mêmes coefficients en on substituera de même dans les termes positifs une quantité plus petite que la plus petite des racines négatives, et dans les termes négatifs une quantité plus grande que la plus grande des racines négatives de la même équation, en prenant ces racines positivement. Le plus grand résultat négatif qu’on aura de cette manière, étant pris positivement et augmenté de l’unité, donnera la valeur de la limite que l’on cherche.

Pour avoir ces quantités plus grandes et plus petites que les racines de l’équation on pourrait prendre tout de suite le plus grand coefficient des termes négatifs de cette équation, augmenté de l’unité, pour la quantité plus grande que ses racines positives ; ensuite, après avoir échangé dans la même équation en et fait disparaître par la multiplication les puissances négatives de on prendrait de même le plus grand coefficients des termes qui seraient de signe différent du premier, et l’unité divisée par ce coefficient augmenté de l’unité serait la quantité plus petite que les mêmes racines. À l’égard des racines négatives, on changerait dans l’équation en pour les rendre positives, et l’on trouverait de la même manière les quantités plus grandes et plus petites que ces racines.

Mais, quoique les limites qu’on trouvera par cette méthode soient toujours exactes, elles peuvent néanmoins être trop éloignées entre elles, ce qui aurait l’inconvénient de donner pour la limite une quantité trop grande, et par conséquent pour la différence des termes de la suite une quantité trop petite d’où résulterait un trop grand nombre de substitutions successives à faire dans l’équation proposée pour en découvrir toutes les racines (no 6).

7. Il est donc utile d’avoir des limites plus resserrées, et l’on pourra les trouver par la méthode exposée dans le no 12. Suivant l’esprit de cette méthode, il ne s’agira que de chercher d’abord une valeur de qui rende positives les valeurs des fonctions ce qui n’est pas difficile en commençant par la dernière, où n’est qu’à la première dimension, et remontant successivement à celles qui précèdent. Cette valeur sera la limite plus grande que toutes les racines positives de l’équation Pour avoir ensuite une limite plus petite que ces racines, on transformera la fonction en y substituant à la place de et la multipliant par pour faire disparaître les puissances négatives, et, si le terme où est se trouve négatif, on changera tous les signes pour le rendre positif. On prendra cette nouvelle fonction pour et, en ayant déduit les fonctions on cherchera de nouveau la valeur de qui rendra toutes ces fonctions positives. L’unité divisée par cette valeur donnera une limite plus petite que toutes les racines positives de la même équation Enfin on changera dans ces deux séries les fonctions en en changeant en même temps tous les signes, si la plus haute puissance de se trouve affectée du signe et les valeurs de qui les rendront toutes positives seront les limites plus grandes et plus petites que les racines négatives de la même équation prises positivement.

8. Pour donner un exemple de la méthode que nous venons d’exposer, nous l’appliquerons à l’équation

que nous avons résolue dans le no 27.

On aura donc ici

et les fonctions dérivées seront

donc

et l’équation en sera du second degré.

On prendra pour le polynôme indéterminé du second degré

et, en le multipliant par le polynôme on aura

Mais l’équation donne

donc

Faisant ces substitutions, on aura

On fera donc

d’où l’on tire

Ainsi, puisque la quantité n’est pas nulle, on en conclura d’abord que l’équation n’a pas de racines égales.

Maintenant on aura

et de là, en multipliant par et substituant pour sa valeur,

de sorte que les deux coefficients de l’équation en seront

et il ne s’agira plus que de trouver une quantité égale ou plus grande que la plus grande valeur négative que ces coefficients puissent avoir sans connaître les valeurs de or c’est à quoi on peut parvenir par le moyen des limites de ces valeurs.

9. Pour cela, on commencera par chercher des limites plus grandes et plus petites que les valeurs de tant positives que négatives. Je remarque d’abord que, le plus grand coefficient des termes négatifs dans l’équation en étant on pourrait prendre pour la limite plus grande que les racines positives ; mais on peut trouver une limite moindre par la considération des fonctions savoir,

en cherchant une valeur de qui les rende toutes positives on trouve que satisfait à ces conditions, de sorte que sera une limite plus grande que les racines positives.

Si l’on change dans ces mêmes fonctions en en changeant en même temps les signes, s’il est nécessaire, pour que le premier terme soit toujours positif, on a celles-ci

et l’on voit que, pour les rendre toutes positives, il faut faire en nombres entiers mais, en nombres fractionnaires, il suffit de ainsi sera une limite plus grande que les racines négatives prises positivement.

On transformera maintenant la fonction par la substitution de à la place de et, l’ayant multipliée par pour faire disparaître les puissances négatives, on aura, après avoir divisé par coefficient du premier terme, cette fonction transformée

dont les deux fonctions dérivées seront

qu’il faudra rendre positives pour une valeur supposée de Or on trouve que satisfait à ces conditions ; mais on peut y satisfaire par un nombre moindre, comme Ainsi sera une limite plus petite que les racines positives.

Enfin, en changeant dans ces mêmes fonctions en et changeant en même temps tous les signes de la première et de la troisième pour rendre les premiers termes positifs, on a celles-ci

et l’on trouvera aisément qu’elles deviennent toutes positives en faisant d’où il s’ensuit que sera une limite moindre que les racines négatives prises positivement.

On a donc, pour les limites des racines positives, les nombres et et, pour celles des racines négatives prises positivement, les nombres et

On substituera donc d’abord, à la place de dans les termes positifs et dans les termes négatifs des deux quantités

et l’on trouvera les résultats et comme le premierde ces deux résultats est le plus grand, il est bon de voir si, en changeant tous les signes de la première quantité, ce qui la réduit à

et substituant de même dans les termes positifs et dans les termes négatifs, au lieu de on aurait un résultat moindre ; mais on trouve celui-ci qui est au contraire plus grand, et par conséquent inutile.

On changera maintenant dans ces mêmes quantités en ce qui les changera en celles-ci

et l’on y substituera à la place de dans les termes positifs, et dans les termes négatifs ; il viendra ces résultats et et, comme le résultat de la première quantité est moindre que l’un de ceux que nous avons déjà trouvés, il est inutile d’en chercher un autre en changeant les signes de cette quantité.

Puisque est le plus grand résultat négatif, on aura

pour la limite cherchée, moindre que la plus petite différence entre les racines de l’équation proposée.

Nous avons trouvé par l’équation même des différences (no 27) ; d’où l’on voit que la méthode précédente donne à la vérité une limite un peu plus petite, mais que la différence est peu considérable. Au reste, quoique pour une équation du troisième degré il n’y ait guère rien à gagner par cette méthode sur la longueur du calcul, il n’en sera pas de même pour les équations des degrés supérieurs, car le nombre des opérations que cette méthode exige n’augmente que comme le degré de l’équation, au lieu que celui des opérations nécessaires pour calculer l’équation des différences et en déduire la limite cherchée augmente comme les carrés de ce même degré.


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