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Un remords (RDDM)/03

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Un remords (RDDM)
Revue des Deux Mondes3e période, tome 26 (p. 368-400).
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UN REMORDS

TROISIÈME PARTIE[1].

XI.

Le lendemain, au grand jour, Manuela put se faire une juste idée du lieu où elle allait passer sa vie. La maison, considérée du reste comme somptueuse, semblait saupoudrée de charbon, ce qui ajoutait encore à la tristesse de ton d’une sorte de marbre ardoisé très abondant en ce pays et que l’on emploie dans la construction au lieu de pierre de taille ; le sable même de la cour était noir par suite du voisinage des usines situées de l’autre côté du chemin, si près que de chez lui M. Walrey aurait pu à la rigueur promener l’œil du maître sur ses ouvriers. Les deux rives de la Sambre, cette rivière trouble aux bords droits frangés de roseaux rouilles que Manuela en arrivant avait prise pour un canal, sont bordées de hauts fourneaux, de laminoirs, de forges, de filatures, de raffineries, de scieries de marbre, de manufactures de toute sorte, mais où la métallurgie domine. Le fer et le charbon régnent dans le paysage ; ce sont à perte de vue des files interminables de bâtimens très bas et enfumés, pareils à autant de hangars, des cheminées gigantesques d’où s’échappe en spirales une fumée qui se déroule comme un dais sur la campagne obscurcie. Le sol ne forme que de faibles ondulations mal pourvues d’arbres généralement, la nature étant en révolte contre les miasmes de l’industrie humaine ; sur les eaux tristes de la petite rivière utilisée à chaque pas, harcelée par les moulins, fouettée par des roues innombrables, défilent lentement des transports de houille, d’ardoises ou de betteraves. Mieux vaut encore le sinistre flamboiement des feux de la nuit que cette monotonie d’un horizon plat, terne et fangeux entrevu à travers les brouillards du matin.

— La ruche n’est pas très riante peut-être, dit M. Walrey en Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/375 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/376 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/377 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/378 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/379 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/380 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/381 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/382 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/383 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/384 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/385 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/386 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/387 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/388 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/389 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/390 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/391 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/392 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/393 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/394 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/395 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/396 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/397 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/398 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/399 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/400 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/401 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/402 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/403 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/404 Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 26.djvu/405 moins bien traité la petite parente pauvre tombée si malencontreusement à leur charge, rivalisaient de soins envers la riche, l’élégante Mme Francis Walrey, qui cette fois ne profitait de leur hospitalité qu’en passant. Quant à Morton, il était loin de Paris comme elle l’avait prévu. En apprenant qu’elle ne s’était pas trompée sur ce point, Manuela avait ressenti à la fois un certain repos d’esprit dont elle ne manqua pas de s’enorgueillir et une déception secrète qu’elle ne voulut pas s’avouer.

Bientôt cependant la jeune femme devint moins communicative.. ses lettres n’avaient plus le même abandon, la même note franche ; on y démêlait une sorte de gêne.

— Elles ne sont plus aussi jolies que les premières, dit naïvement Walrey qui avait l’habitude de les lire régulièrement à sa mère comme des chefs-d’œuvre de grâce et de gentillesse.

— C’est que le temps lui manque sans doute, d’ailleurs je ne trouve pas… elles sont plus courtes, voilà tout.

Un matin le facteur apporta, en même temps que l’épître quotidienne de Manuela, une enveloppe qui n’était ni parfumée, ni glacée, ni coquettement griffonnée à l’encre bleue, bref qui ne venait pas. d’elle et qui cependant portait le timbre de Paris. Walrey l’ouvrit avec insouciance, puis tout à coup il étouffa une sourde exclamation et relut attentivement les deux ou trois lignes d’une grosse écriture ronde qui s’étalaient devant lui. Il se frottait les yeux, comme s’il n’eût pu croire à ce qu’il voyait, il relisait encore…

— Une mauvaise nouvelle, dit sa mère tout effrayée.

D’abord il ne répondit pas, puis, ayant mouillé dans son verre ses lèvres sèches, il réussit à répondre en secouant la tête : — Non… non, — mais sa voix était étrange.

— Quoi donc ?

— Rien.

— Mais enfin…

— Il faut, prononça lentement M. Walrey, que je prenne le train de midi, et je n’ai que le temps tout juste.

— Le train de midi est celui de Paris…

— C’est bien à Paris que je vais.

— Manuela vous réclame donc ?

— Non, une affaire… une affaire urgente.

Il partit sans vouloir en dire davantage.

Th. Bentzon.

(La dernière partie au prochain n°.)

  1. Voyez la Revue du 15 février et du 1er mars.