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Une femme bien élevée/Préface

La bibliothèque libre.
Achille Faure, libraire-éditeur (p. i-iv).


PRÉFACE


Ce livre, qui repose sur la même donnée que Sibylle et Mademoiselle de la Quintinie, était achevé avant la publication de ces deux œuvres remarquables qui, malgré des tendances contraires et des mérites différents, devaient obtenir une égale popularité.

Tandis qu’elles attiraient toute l’attention du public, Une Femme bien élevée attendait son jour, dans les cartons de l’Opinion nationale. Publié en feuilletons au mois de février 1864, le manuscrit passa ensuite dans les casiers de l’éditeur, d’où il sort seulement aujourd’hui.

Ces évolutions peu brillantes n’étonneront point ceux qui connaissent les difficultés de la carrière littéraire à Paris pour un écrivain qui arrive de la province, sans relations et sans prôneurs. Ces circonstances sont si communes, qu’on ne peut même les taxer de mauvaises chances ou de fâcheux hasards.

Nous n’en parlerions pas, s’il ne nous avait paru que nous devions quelques explications au lecteur pour la hardiesse qui nous fait braver la concurrence redoutable qui nous a précédé. Nos raisons, les voici :

Le sujet que nous traitons, c’est-à-dire la lutte religieuse entre l’homme et la femme, est si multiple et si vaste, qu’il n’a pas été épuisé par la gracieuse composition d’Octave Feuillet, ni par la forte et admirable création de George Sand. L’écrivain de génie et l’écrivain de talent se sont tenus tous deux dans une sphère idéale qui permet à la théorie tous ses libres développements, mais qui ne la met point aux prises avec les plus épineuses entraves de la réalité.

Dans un milieu moins élevé, peut-être, mais plus agité par le courant ordinaire des choses de la vie, l’action serrant le réel de plus près, la vérité morale peut acquérir une force pratique tout indépendante du talent de l’écrivain qui a cherché à la mettre en évidence.

Cette considération est notre première raison d’être. La seconde, c’est que la situation de notre héroïne n’est point identiquement la même que celle de Sibylle et de mademoiselle de la Quintinie. Toutes les deux se refusent à contracter un mariage qu’elles considèrent comme dangereux pour l’avenir de leur foi et le repos de leur conscience. L’inexpérience d’Adrienne Dautenay ne connaît point ces hésitations : au début du livre, elle se marie, engageant sa foi à un philosophe, à un incrédule, avec une intrépidité aveugle qui dénote une plus grande force dans ses préjugés, une plus grande opiniâtreté dans son orgueil de croyante. Sibylle et mademoiselle de la Quintinie sont de religieuses jeunes filles, Adrienne Dautenay est une femme dévote.

Encore un mot, pour terminer ce rapprochement que les circonstances nous imposent, mais qui n’est point un acte de suffisance.

Sibylle et mademoiselle de la Quintinie sont venues à une heure favorable ; cette heure est-elle passée ? Adrienne Dautenay aura-t-elle perdu son actualité et son opportunité ? Malheureusement pour notre état social, non ! Aujourd’hui, comme il y a quatre ans, plus qu’il y a quatre ans peut-être, l’homme et la Révolution sont d’un côté, la femme et l’Église sont de l’autre. Ce divorce fatal, qui s’aggrave par un dédain réciproque, où toute confiance est ruinée, doit arriver, par l’isolement auquel il condamne chacun des époux, à produire les plus déplorables effets de démoralisation, en abandonnant l’homme aux caprices passionnés de son imagination et de ses sens, et la femme aux duretés de son intolérance, aux folies de sa vanité.

Mais le remède ? dira-t-on. M. Quinet vous répondra : Guerre à outrance entre la Révolution et le catholicisme. C’est un arrêt bien tranchant et bien cruel. Indifférence pour le dogme, soumission à la pratique, respect aux formes religieuses des anciens cultes, conseillera M. Renan. C’est une conclusion un peu jésuitique. Ne vaut-il pas mieux suivre l’exemple de cet ancien qui se tournait vers l’occident pour apercevoir le premier rayon du soleil levant. Croyants de l’avenir, quand nous regardons vers le passé, que ce soit avec l’espoir d’y découvrir l’aube d’une transformation religieuse qui satisfasse à la fois la raison de l’homme et la piété de la femme.

Émile Bosquet.