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Une seconde mère/12

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette (p. 129-142).


La bonne fille engageait avec les enfants d’interminables parties de loto.

XII

Préparatifs de voyage


La convalescence de Gina faisait, chaque jour, des progrès surprenants. La première fois qu’on la mit debout, on fut tout étonné de la trouver extrêmement grandie. Toutes ses robes étaient trop courtes, il fallut se dépêcher de lui en faire faire d’autres, avant le départ.

Bientôt, elle put prendre l’air, ce qui la fortifia beaucoup, et enfin descendit à la salle à manger, pour les repas.

À présent, elle reprenait ses jeux avec Jacques ; et Mlle Herminie, qui avait quitté son poste de garde-malade, venait encore souvent pour la distraire. La bonne fille laissait alors de côté son éternel tricot, plantait ses aiguilles dans son chignon et engageait, avec les enfants, d’interminables parties de loto, de jeu d’oie, de dominos et de cartes, qu’elle intéressait avec une image, une carte postale illustrée, ou tout simplement avec une pastille de menthe tirée de sa bonbonnière de buis.

Jacques n’aimait pas perdre, cependant il avait la gentillesse de faire en sorte que Gina eût la joie de gagner, ce qui la ravissait.


Mme de Hautmanoir voulut faire, à sa petite-fille, un cadeau à l’occasion de son retour à la santé. Gina, qui était adroite, demanda une machine à coudre, petite mécanique à main qu’elle fit marcher aisément.

Gina.

Tu vois, Jacques, avec ma machine à coudre, je vais confectionner un trousseau complet pour ma poupée. Grand’mère a cherché, pour moi, dans ses affaires, tous ses morceaux d’étoffe, il y en a une montagne.

Jacques.

Que feras-tu ?

Gina.

D’abord trois chemises.

Jacques.

Mais ce n’est pas beaucoup, trois chemises.

Gina.

Oh ! pour une poupée, c’est bien suffisant. Je lui ferai encore trois pantalons, deux jupons : un en percale, avec de la dentelle au bord, l’autre en soie, à volants ; puis aussi une robe de chambre à carreaux écossais, une robe de mousseline décolletée, une robe de velours bleu-saphir, une robe de drap vert-bouteille soutachée, et une robe de soie rose. Hein ! elle sera belle ainsi, ma fille ?

Jacques, un peu taquin, pour rire.

Et des bas, est-ce qu’elle marchera les pieds nus ?

Gina, interdite.

C’est vrai…, des bas !…

Mlle Hermine.

Ne vous tourmentez pas, Gina, je me charge de vous en tricoter deux paires : une en soie gris perle, l’autre en coton à raies bleues et blanches, plus une paire de petits chaussons rouges.

Gina, sautant au cou de Mlle Herminie.

Oh ! vous êtes trop bonne, Mademoiselle, vous me gâtez toujours.


Un jour, à déjeuner, Mme de Hautmanoir dit à son gendre : « Il serait convenable, il me semble, Gérard, que nous fissions tous, avant de partir, une visite au château des Bouquets. Nos voisins ont été tellement bons et aimables pour nous, pendant la maladie de Gina, que nous ne pouvons moins faire que d’aller les remercier. »

M. de Brides.

Très volontiers, ma mère, c’est absolument mon avis, et je suis entièrement à vos ordres. Il fait un temps superbe aujourd’hui, ce serait peut-être le cas d’en profiter.

Mme de Hautmanoir, aux enfants.

Eh bien, mes petits, soyez prêts pour trois heures, n’est-ce pas ?

Jacques, très rouge.

Mais, grand’mère, j’ai beaucoup de devoirs en retard. Je préférerais rester pour les faire, si vous le permettez.

La grand’mère et le père se regardèrent, fort étonnés de ce zèle inaccoutumé.

On se leva de table.

Gina et Jacques sortirent ensemble.

Gina.

Pourquoi ne viens-tu pas, tantôt, avec nous, Jacques ? Ce serait bien plus amusant.

Jacques.

Tu l’as bien entendu, je l’ai dit à grand’mère : j’ai beaucoup de devoirs à finir et des tas de choses à préparer pour le voyage : mes pêchettes, mon filet à papillons, mon album de cartes postales, mon appareil à photographie, que sais-je, moi !

Gina n’insista pas, Jacques savait bien ce qu’il avait à faire.

À trois heures, Gina, gentiment habillée d’un costume de drap bleu foncé à boutons d’or et à grand col de guipure, monta en voiture avec sa grand’mère et son père.

Ils trouvèrent, au château des Bouquets, Mlle Solange et sa mère au salon. Mme de Saint-Rambert, dans un fauteuil, faisait de la tapisserie et Solange, assise en face d’elle, finissait une jolie capote en satin blanc coulissé.

Elles se levèrent, en voyant entrer les visiteurs et s’exclamèrent sur la bonne mine de Gina.

Mlle Solange.

C’est un bonheur de la voir si fraîche et si gentille, car elle nous en a donné des inquiétudes, la petite vilaine ! dit-elle en l’embrassant joyeusement.

Mme de Hautmanoir, jetant les yeux sur l’ouvrage de Solange.

Que faites-vous là, Mademoiselle ? Oh ! la jolie petite capote, c’est un amour.

Mlle Solange.

C’est pour ma filleule, l’enfant de ma sœur de lait, que l’on va baptiser ces jours-ci. (Plantant la coiffure sur son poing fermé) elle sera mignonne comme tout avec ça sur sa petite tête.

Mme de Hautmanoir

Vous êtes adroite comme une fée, Mademoiselle Solange.


Mme de Saint-Rambert, pendant ce temps, avait sonné pour commander le thé. Bientôt le maître d’hôtel parut, avec un grand plateau tout couvert de vaisselle et de gâteaux.

Mme de Saint-Rambert.

Que prendra la petite Gina ? du thé ?

Mme de Hautmanoir.

Oh ! du lait tout simplement, si vous le voulez bien, Madame.

Mlle Solange.

Peut-être préférerait-elle le prendre tout chaud, au moment où on vient de le traire ? Aimez-vous cela, Gina ?

Gina.

Oh ! oui, Mademoiselle, beaucoup.

Mlle Solange.

Si vous le permettez, Madame, je vais emmener Gina à la basse-cour, c’est justement l’heure où l’on rentre les vaches à l’étable. N’est-ce pas, maman ?

Mme de Saint-Rambert.

Mais oui, certes, et cela amusera sans doute beaucoup plus cette chère petite que de rester enfermée au salon.

Mlle de Saint-Rambert et Gina se dirigèrent donc vers la basse-cour et virent, à l’appel de la vachère, les vaches rentrer une à une. Solange les nommait à mesure : « Voici Blanchette, la Caille et la Bringée, à la queue-leu-leu. »

Pendant que les autres arrivaient à la suite, la vachère prit un grand seau et commença à traire Blanchette.

Une minute plus tard, Mlle de Saint-Rambert présentait à Gina un bol de bon lait écumeux qui lui parut exquis.

Puis on fit le tour de la basse-cour. Gina vit les poules, les dindons, qui, avec des airs furieux, secouaient leurs crêtes rouges ; les canards, et les paons, tout glorieux de leurs belles queues déployées en éventail.

Solange montra à Gina sa chèvre favorite : Biquette, et, tout à coup, de la bergerie, s’échappa un mouton qui vint présenter sa grosse tête blanche frisée aux caresses de la jeune fille.

Mlle Solange, souriant.

Ça, c’est Roussel, mon ami Roussel.

Gina, étonnée.

Il s’appelle Roussel ?

Mlle Solange.

Oui, c’est un drôle de nom pour un mouton, n’est-ce pas ? Il m’a été donné par un bûcheron qui se nommait ainsi et qui, par malheur, s’était gravement blessé d’un coup de serpe à la jambe. Un moment, on crut qu’il faudrait la lui couper, mais je le soignai sous la direction du docteur Esculape et j’eus la grande joie de le guérir.

Pour me témoigner sa reconnaissance, le pauvre homme, il m’apporta ce mouton qui venait d’être sevré :

« Appelez-le Roussel en souvenir de moi, Mademoiselle, je vous en prie. » Ainsi fut fait, comme vous voyez.

Gina s’amusait beaucoup.

Quand elle rentra à Brides, elle raconta à Jacques les incidents de la visite. Inutile de dire que Jacques regrettait beaucoup de n’avoir pas été de la partie, mais il eut soin de n’en rien laisser paraître.

Jacques.

Pour moi aussi, le temps a passé vite et je suis bien content d’être resté à Brides.

Au fond, il était très vexé !


Le jour du départ arriva.

Lison entra, le matin, dans la chambre des enfants, la figure bouleversée, les yeux très rouges. Elle fit les malles tout de travers ; on sentait qu’elle n’était pas à son affaire.

Jacques et Gina eurent beau lui demander à plusieurs reprises :

« Mais qu’as-tu donc, Lison ? »

Lison se contentait de secouer la tête et ne répondait rien.

Lorsque Mlle Herminie arriva pour dire adieu aux enfants, Lison éclata tout à coup et soulagea son cœur devant la compatissante vieille fille.

Lison.

Ah ! Mademoiselle, vous qui êtes bonne, vous me plaindrez, j’en suis sûre… Telle que vous me voyez, je suis aussi pauvre que Job, à l’heure qu’il est.

Mlle Herminie

Que Job ?

Lison.

Que Job, oui, mademoiselle Herminie. Cette infâme Matelote m’a dépouillée, elle m’a volée, elle me fait mourir de chagrin.

Mlle Herminie, indignée.

La Matelote ? Comment, Lison, vous êtes retournée chez la Matelote ?

Lison, pleurnichant.

Hélas ! oui, Mademoiselle, j’ai eu cette sottise !… Elle a su si bien m’enjôler !

Un jour, elle m’a fait lui donner dix sous et elle m’a rendu dix francs, en me disant qu’elle avait changé l’argent en or. Un autre jour, elle a fait la même chose pour une pièce de vingt sous et m’a rendu vingt francs. Alors, n’est-ce pas ? ça m’a donné confiance. Elle m’a affirmé que toutes les pièces d’argent que je lui donnerais deviendraient ainsi, entre ses mains, des pièces d’or.

Mlle Herminie.

Et alors ?

Lison.

Alors, je réunis tout ce que je possédais : mille francs. Elle les prit, les porta dans un petit coin de son jardin et les enterra, puis elle alla chercher un arrosoir qu’elle remplit de je ne sais quel liquide noirâtre et le versa sur la terre. Ensuite, elle appela son chat, lui dit un las de paroles incompréhensibles et l’installa sur la place.

« Là, dit-elle, le voilà devenu gardien de votre trésor. Il ne le quittera pas que le sortilège n’ait opéré. Lorsque l’argent sera devenu de l’or, il miaulera afin de m’appeler.

— Mais quand cela ? lui dis-je.

— Oh ! pas ce soir, demain tout au plus, mais ne vous inquiétez pas. Je vous préviendrai aussitôt. »

Mlle Herminie.

Quelle rouerie infernale ! Et après ?

Lison.

Elle vit que je n’étais pas tranquille et, pour me donner confiance, elle me dit : « Écoutez, mademoiselle Lison, je suis bonne femme, je vous en donnerai la preuve : je vous avais promis de vous dire si celui que vous épouserez doit être un joli blond ou un beau brun, eh bien ! je vais vous l’apprendre ; cette fois ce sera gratis, sans rien vous faire payer, vous m’entendez : gratis. » Elle prit ma main, en regarda la paume un instant et me jeta au nez : « Il sera roux et louchera des deux yeux ! »

Mlle Herminie et les enfants retinrent une forte envie de rire, mais ils se continrent par égard pour Lison dont la désolation faisait pitié.

Lison.

Vous pensez, Mademoiselle, si j’étais contente, moi !

Mlle Herminie.

Eh bien, et le lendemain, qu’a-t-elle fait, la misérable ?

Lison.

Le lendemain, lorsque je suis retournée chez elle, sa porte était fermée. Les voisins me dirent qu’il n’y avait personne, qu’elle était partie.

Mlle Herminie, levant les bras au ciel.

Oh ! c’est abominable !… Qu’est-elle devenue ?

Lison.

On ne le sait pas. Personne ne l’a revue, sa maison est vide, il n’y a plus un meuble dedans.

Mlle Hermine.

Malheureuse Lison ! Êtes-vous assez punie de votre légèreté et de votre crédulité ! Comment ne compreniez-vous pas que vous aviez affaire à une voleuse, à une coquine de la pire espèce ?…

On ne revit jamais la sorcière dans le pays. Un vieux berger goguenard raconta bien qu’il l’avait aperçue un jour, à la tombée de la nuit, traversant les airs à califourchon sur son chat. Les paysans ne manquèrent pas de dire que Belzébuth, son petit Bel, comme elle disait, l’emmenait en Enfer, ce à quoi Mlle Herminie répondait : « Ça, mes amis, c’est de la superstition. »