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Union ouvrière/Lettre et chant de Ch. Poncy

La bibliothèque libre.
(p. 120-123).

J’avais demandé à M. Poncy un chant : il me l’envoya, et la lettre qui l’accompagnait ajoute un nouveau mérite à ce précieux don. — Elle prouve que le poète est réellement un ouvrier maçon, et que l’ouvrier maçon est un grand poète.


Madame,

Je vous demande bien pardon d’avoir mis un si long retard à vous répondre. Mais je travaille à trois lieues de la ville, sur une île où nous bâtissons un lazaret. Là, je vis loin de toute littérature, de toute politique, de toute actualité. Je vis avec quelques Génois, le ciel et la mer. Voilà tout. Ajoutez à cela que je travaille tout le jour comme un damné, et que le travail des bras ne me laisse que les très courts loisirs du soir à consacrer à mes travaux littéraires, heureux que je suis lorsque le sommeil ne s’en empare pas. Mes lettres ne m’y parviennent qu’avec les bateaux chargés de matériaux, souvent plus de quinze jours après leur arrivée à Toulon. C’est ce qui est arrivé à la vôtre. — Voici mon travail ; je suis persuadé d’avance qu’il ne vous plaira pas. Ce n’est pas un chant que vous attendiez de moi, c’était une chanson : la Marseillaise de l’UNION OUVRIÈRE. Je ne sais pas faire les chansons. Quand j’ai essayé, j’ai fait des vers tiraillés, et la chute des couplets était ridicule. Vinçard vous aurait fait mille fois mieux que moi ce chant d’Union. Néanmoins, j’ai voulu vous prouver ma bonne volonté à être agréable à vous et utile à mes frères,

………………

L’UNION.

Au peuple.


Mes frères, il est temps que les haines s’oublient ;
Que sous un seul drapeau les peuples se rallient !
Le chemin du salut ya pour nous s’aplanir.
La grande liberté que l’humanité rêve,
Comme un nouveau soleil, radiense, se lève
Sur l’horizon de l’avenir.

Afin que ce soleil de clarté nous inonde ;
Afin que chaque jour son feu divin féconde
Nos cours, où l’Éternel sema la vérité.
Il nous faut achever l’œuvre que Dieu commence ;
Il faut que nos sueurs et notre amour immense.
Enfantent la fraternité !

Il faut que l’UNION entretienne la flamme ;
O peuple ? arbore aux yeux de tous son oriflamme !
Voilà ton étendard, la seule déité.
. . . . . . . . . . . . . .
Sois uni, L’UNION te donnera la force,
Et la force, la liberté.

L’UNION, l’harmonie, ici-bas tout vient d’elles !
Ô mes frères, voyez les pauvres hirondelles,
Sur l’aile du printemps revenir vers nos cieux !
Voyez combien d’amour ces doux oiseaux contiennent,
Pour que sur l’Océan ensemble ils se soutiennent,
Quand la tempête fond sur eux !

Qu’importent les éclairs, la hache et les tonnerres,
À ces grands bois peuplés de chênes centenaires ?
Sur leurs troncs resserrés se brisent les autans ;
Et ces vastes forêts, vieilles comme le monde,
Défiant des hivers le vent qui les émonde,
Reverdissent chaque printemps.

Voyez, quand la mer veut reculer ses rivages !
Elle évoque des flots les escadrons sauvages ;
Les flots, à son appel, accourent le front haut,
Sur la sobre falaise ils tombent tous ensemble,
Et sous leur choc puissant la chaîne des rocs tremble
Et s’écroule au second assaut.

Voyez encor les fleurs, les pauvres fleurs des plaines,
De miel et de parfums leurs corolles sont pleines ;
Leur calice vit d’air, de rosée et d’amour.
Longtemps sur leurs fronts purs rayonne une auréole,
Tandis que toute fleur, qui de ses sœurs s’isole,
Naît et meurt, flétrie en un jour.

Ô mes frères ! suivons ces sublimes modèles.
Unissons nos efforts comme les hirondelles,
Comme les bois, les flots, comme les pauvres fleurs,
Unissons nos esquifs pour traverser la vie,
Cette mer orageuse ou toute âme est suivie
D’un long cortège de douleurs.

Que nos cœurs, éclairés par ces puissants exemples,
Adorent l’UNION et deviennent ses temples !
Le peuple vient d’atteindre enfin sa puberté.
Les droits qu’on lui ravit sont encore à reprendre ;
Mais la SAINTE-UNION est là pour tout nous rendre :
Gloire, bonheur et liberté !

Frères, entonnons tous l’hymne de la concorde,
À nos chants inspirés que toute voix s’accorde.
Nos glorieux efforts par Dieu seront bénis.
Des plaines du couchant jusqu’à celles de l’aube,
Mille échos répondront des quatre angles du globe :
Soyons unis ! Soyons unis !


CH. PONCY, Ouvrier Maçon.

Plusieurs pièces de vers et la Marseillaise de l’Union ouvrière m’ont été envoyées par des ouvriers, des étudiants et des femmes.

Je donne ici les deux chants ayant obtenu la majorité des suffrages.

J’avais fait aussi un appel aux compositeurs, et on ouvrit à cet effet un concours. Toutes les compositions envoyées furent soumises à un jury musical. — La composition de M. A. Thys ayant obtenu la majorité des suffrages, le prix lui a été décerné.

Ce prix est une médaille d’or offerte par M. Eugène Sue.