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Union ouvrière/Projet d’un journal hebdomadaire intitulé l’union ouvrière

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(p. 131-135).

PROJET D’UN JOURNAL HEBDOMADAIRE
DESTINÉ PARTICULIÈREMENT AUX OUVRIERS[1].


Plus j’étudie la classe ouvrière et recherche la cause de ses maux, plus je reste convaincue que, dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, le mal provient uniquement de l’IGNORANCE où elle est plongée. — Il faut donc à tout prix tirer la classe ouvrière de cet état d’ignorance, à moins qu’on ne veuille risquer l’avenir du pays.

Pour combattre l’ennemi (l’ignorance), un des moyens les plus efficaces serait de créer un organe rédigé par des hommes de cœur et d’intelligence, ayant l’amour de la justice et par conséquent de leurs semblables. — J’en ai la certitude, on trouverait encore des âmes généreuses pour travailler avec ardeur et conscience à une telle œuvre !

Le journal dont j’ai conçu l’idée aurait pour but : 1o De représenter et d’instruire sur ses droits, ses devoirs et ses intérêts la partie la plus nombreuse, la plus utile, la plus forte et la plus importante de la nation. (Trente millions de prolétaires sur quatre, au plus, de propriétaires.)

2o De faire connaître les souffrances, les besoins, les intérêts de ces trente millions de prolétaires, et cela uniquement en vue de l’amélioration et du bonheur de tous et toutes, riches et pauvres ;

3o De réclamer pour les trente millions de prolétaires, toujours dans l’intérêt général du pays, et dans la forme pacifique et légale, des droits sociaux et politiques.

La classe prolétaire, c’est-à-dire, en réalité la nation, a été jusqu’ici tellement abandonnée, tellement dédaignée, et est restée tellement nulle dans le mouvement politique et social qu’elle n’a eu encore aucun organe sérieux, spécial, ayant mission de la représenter, de réclamer ses droits et de défendre ses intérêts. — Je crois que le jour est venu où cette classe doit enfin créer un organe digne de la représenter.

Manquant d’espace, je ne puis entrer ici dans aucun détail. Je me bornerai donc à donner le titre du journal. Pour ceux qui savent saisir tout un ordre d’idées dans une simple formule, ce titre et les épigraphes suffiront pour leur faire comprendre parfaitement l’esprit dans lequel je voudrais que cette feuille fût rédigée.

Pour qu’on ait une idée bien précise de l’importance des questions que je me propose de traiter, et de l’ordre dans lequel elles seraient placées, je donne ici un sommaire analytique des matières qui se trouveraient, à quelques variantes près, dans chaque numéro :

1o Des intérêts généraux (c’est-à-dire des intérêts internationaux européens et du monde entier ; des intérêts des gouvernements et des peuples, des riches et des pauvres, etc., etc., — démontrant clairement l’étroite solidarité qui existe entre les intérêts généraux et les intérêts particuliers des nations, des gouvernements, des classes et des individus). — 2o Des droits et des devoirs des gouvernements et des peuples, des riches et des pauvres (toujours en vue du bien-être de tous). — 3o Des doctrines religieuses morales et philosophiques (envisagées sous ce triple rapport : quelles améliorations peuvent-elles opérer dans les mœurs des peuples ? dans leur bien-être matériel et leur bonheur). — 4o De l’égalité de droits entre l’homme et la femme (démontrant qu’il ne peut y avoir pour l’homme ni liberté, ni sécurité, ni dignité, ni bonheur possible, tant que cette égalité ne sera pas reconnue par la loi). — 5o Éducation (prouvant que jusqu’ici l’humanité n’a pas eu encore d’éducation). — 6o Revue des journaux (faite de manière à épargner la fatigue de les lire, et pourtant à tenir le lecteur au courant de tout ce qui s’est fait et dit dans la semaine, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur). — 7o Nouvelles diverses et tribunaux (faisant ressortir des faits un enseignement utile). — 8o Indication de travaux, d’émigrations, d’emplois, demandes d’ouvrages et demandes d’ouvriers — (toutes choses qu’il est important aux ouvriers de tous les pays de connaître. Nous avons à ce sujet un plan spécial, qui offrira aux ouvriers et aux maîtres de grands avantages). — 9o Amusements (des fables, des contes, des chansons, des scènes dramatiques dialoguées, des proverbes, le tout contenant un enseignement.)

Chaque mois, un feuilleton faisant connaître les ouvrages remarquables et les pièces de théâtre ayant un but social. On rendra compte des découvertes scientifiques, industrielles et autres, dont l’utilité sera manifeste.

LA PARTIE FINANCIÈRE.

Aujourd’hui pour fonder un journal avec chance de succès, il faut, selon moi, réunir trois conditions indispensables. — 1o Avoir une idée, un but bien déterminé et grouper autour de ce but, les intérêts moraux, intellectuels et matériels de la majorité de la nation. — 2o Attirer au journal, par la noblesse de son but, des rédacteurs probes, courageux, assez énergiques pour entrer franchement dans la voie du progrès, abordant de front les questions de l’ordre social les plus avancées et ne craignant pas de donner sur ces questions des solutions claires et précises. — 3o De l’argent, non versé par un seul bailleur de fonds, mais de l’argent fourni par des milliers de personnes coopérant à l’œuvre en devenant chacune, en raison de son petit apport, propriétaire intéressée à la réussite du journal.

L’UNION OUVRIÈRE posséderait déjà les deux premières conditions, — car elle aurait l’idée, le but, et trouverait facilement des rédacteurs tels qu’il le faudrait. — Il ne lui manque donc plus que la troisième condition : l’argent, moteur indispensable dans toutes les entreprises.

Si les prolétaires, petits bourgeois et ouvriers, comprenaient bien qu’il y va de leurs propres intérêts à ce que leur existence de citoyens soit enfin représentée, leurs droits d’hommes soient enfin discutés et réclamés, par des écrivains sérieux, honnêtes et dignes, je n’en doute pas, chacun comprenant l’importance de l’œuvre, s’empresserait d’y concourir, et dès lors l’argent nécessaire à la fondation d’un journal tel que celui-ci se trouverait en quelques semaines. — Mais hélas ! personne aujourd’hui, dans la société, soit propriétaire, soit prolétaire, ne comprend ses véritables intérêts.

Cherchant à avoir le plus d’actionnaires possible, je pense qu’on pourrait créer une série d’actions ainsi divisées. — 1re : 500 fr. — 2e : 250 fr.. — 3e : 100 fr. — 4e : 50 fr. — 5e : 25 fr. — 6e : 15 fr. — 7e : 10 fr. — 8e : 5 fr. — D’après ce mode, le prix des actions se trouverait à la portée de toutes les bourses, depuis celle des riches, pouvant prendre une action de 500 fr., jusqu’à celle du pauvre ouvrier, pouvant atteindre à une action de 5 fr..

Les actions porteront intérêt à 4 pour 100, et le dividende selon les bénéfices viendra ajouter au revenu.

Le prix de l’abonnement serait de 15 fr. par an. — Les ouvriers du même atelier et du même voisinage pourront s’associer 3, 4, 5 et 6 pour prendre un abonnement, ce qui serait pour chacun une très petite dépense.

Je jette ici l’idée de ce journal sans en espérer la réalisation ; cependant il ne faut désespérer de rien ; ce que les hommes ont repoussé hier, ne comprennent pas aujourd’hui, demain, peut-être ils l’accepteront, et se mettront à l’œuvre pour réaliser une chose toute simple, qui, pendant des siècles, aura été réputée utopie et impossible.

  1. Les ouvriers et ouvrières, les commis marchands, les employés dans certaines administrations, et beaucoup d’autres classes de travailleurs, n’ont pas le temps de lire un journal quotidien. Pour cette classe, il faut donc un journal paraissant le samedi soir, afin qu’elle puisse le lire le dimanche, le lundi et pendant la semaine aux heures des repas.