Aller au contenu

Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise, éd. 1920/00-2

La bibliothèque libre.
Texte établi par B. V. (Bagneux de Villeneuve, alias Raoul Vèze), Bibliothèque des curieux (p. 3-5).
À Madame D. L. R.



À
MADAME D. L. R.
très-digne abbesse de beaulieu



MADAME,

Comme il me serait difficile de ne pas exécuter ce que vous me témoignez désirer, je n’ai aucunement délibéré sur la prière que vous m’avez faite, de réduire au plus tôt par écrit les doux entretiens où votre communauté a eu si bonne part. Je m’engageai trop solennellement à cette galante entreprise, pour vouloir m’en défendre à présent, et pour m’excuser de ce travail sur la difficulté qu’il y a de rendre à la voix et aux actions le beau feu dont elles ont été animées. Je ne sais si j’aurai bien rempli mes devoirs et vos espérances ; l’exercice de deux ou trois matinées vous en découvrira la vérité, et vous fera connaître que si je n’ai pas beaucoup d’éloquence, j’ai pour le moins assez de mémoire pour rapporter avec fidélité la plus grande partie des choses passées. Je me suis tellement proposé votre satisfaction dans cet ouvrage, que j’ai passé indifféremment sur toutes les raisons qui semblaient devoir m’en éloigner ; la crainte seule qu’il ne tombât entre d’autres mains que les vôtres m’a fait un peu différer de vous l’envoyer, et j’en serais moi-même le porteur, si mes affaires présentes me le permettaient, plutôt que de confier au hasard de la poste, ou d’un messager, un paquet de cette conséquence. Car, de bonne foi, quelle confusion pour vous et pour moi, si des conférences si secrètes allaient devenir publiques ! et si des actions qui ne sont point blâmées que parce qu’elles ne sont pas connues allaient faire un nouveau sujet de critique, et fournir des armes à tous ceux qui voudraient nous attaquer ! Quelle posture et quelle contenance pourrait tenir notre belle religieuse, si le malheur l’exposait en chemise à la vue de tous les curieux ? Que d’opprobre, que de honte, que d’embarras ! Toutes ces considérations sont fortes ; mais vous avez voulu être obéie, et vous avez traité de réflexions légères et timides, des raisons solides et assurées.

Quoi qu’il arrive, je m’en lave les mains : et pour quitter un peu le sérieux, je vous dirai qu’il n’y a rien à appréhender pour sœur Agnès, quand même le mauvais destin se mêlerait de la conduite de tout ceci, puisque la peinture que j’en fais dans mes écrits ne la représente que dans une très exacte observance de tous ses vœux. Car, en effet, pour commencer par la pauvreté, peut-on être dans un plus grand détachement des biens de ce monde, que de s’en dépouiller volontairement jusqu’à la chemise ? Peut-on, dans ses paroles et dans ses actions, faire paraître la beauté de la chasteté avec plus d’éclat, qu’en se proposant pour règle la nature toute pure ? Enfin, si l’on veut faire preuve de son obéissance sans exception, l’on connaîtra qu’elle aura autant de docilité que pas une de vos novices.

Voilà, madame, une longue lettre pour un petit ouvrage, et une grande porte pour une pauvre maison. Il n’importe : j’ai mieux aimé pécher contre quelques règles, que de me gêner en vous écrivant. Faites part à vos plus intimes et aux miennes, de ce que vous jugerez à propos qu’elles sachent. Et croyez que je suis sans réserve,

MADAME,

Votre très obéissant et très affectionné Serviteur,

l’abbé DU PRAT.