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Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise, éd. 1920/04

La bibliothèque libre.
Texte établi par B. V. (Bagneux de Villeneuve, alias Raoul Vèze), Bibliothèque des curieux (p. 108-137).
Quatrième entretien


QUATRIÈME ENTRETIEN


SŒUR AGNÈS, SŒUR ANGÉLIQUE


Agnès. — Ah ! bonjour, Angélique : comment te portes-tu ?

Angélique. — Fort bien. Dieu merci ; je suis ravie de te voir ; je songeais tout présentement à toi.

Agnès. — Eh bien ! à quoi songeais-tu ?

Angélique. — Je songeais à me venir réjouir avec toi, et pour te dire la nouvelle que j’ai apprise de sœur Cornélie.

Agnès. — Qu’as-tu appris ? L’as-tu bien reconnue ?

Angélique. — En vérité, quand elle entra dans ma chambre, je ne la reconnaissais pas, car je la prenais pour quelque personne de grande qualité, à cause qu’elle avait, ce semblait, deux pages à sa suite, et était accompagnée d’un gentilhomme fort bien fait qui l’entretenait.

Agnès. — Tu l’as donc à la fin reconnue ?

Angélique. — Oui, tant à sa parole qu’à ses gestes, et aussi à plusieurs autres choses qui m’ont tout à fait persuadée que c’était elle.

Agnès. — Eh ! dis-moi, qui était ce gentilhomme qui l’accompagnait ?

Angélique. — C’était le marquis de Grassio, natif de Florence, homme de très belle taille et fort richement habillé.

Agnès. — Dis-moi donc la nouvelle que sœur Cornélie t’a dite, et m’en fais le discours le plus bref qui se pourra.

Angélique. — Je vais vous en faire le récit. C’est que sœur Cornélie doit se marier avec Frédéric, qui est un jeune homme de fort honnête famille, qui a la taille bien faite. Je vous en pourrais faire le portrait, mais je vous dirai franchement que j’aime mieux faire celui de notre sexe que celui des hommes.

Agnès. — Eh ! pourquoi cela ? Est-ce qu’il y a si grande différence des hommes à nous ? Puisque tu ne me veux pas dire ou dépeindre les traits d’un homme, fais-moi donc le portrait de sœur Cornélie ; car il y a longtemps que je ne l’ai vue, et même je ne sais pas si je la reconnaîtrais.

Angélique. — Ah ! sœur Agnès, oui-dà et de bon cœur. Tu sauras qu’elle est assez grande de taille, et marche extrêmement bien ; elle a un très beau corps, la chair ferme et blanche comme de l’ivoire, et douillette à manier ; elle n’est ni maigre, ni grasse ; ses tétons sont bien divisés ronds, et non éloignés de l’estomac ; elle est étroite de ceinture et large de côté ; elle n’a aucune ride sur le visage ; au contraire, il est fort uni ; les bras ronds, les mains d’une longueur médiocre et minces, la cuisse grasse, les genoux petits, la jambe très belle et droite, de sorte qu’elle est merveilleusement bien assortie jusqu’au talon, auquel est conjoint un pied fort petit et bien formé. Enfin, outre toutes ces beautés que la nature lui a données, elle a beaucoup de belles qualités qui sont les plus grands charmes d’une fille.

Agnès. — Vraiment, j’ai bien pu dire que je ne la reconnaîtrais pas, car elle n’avait pas, ce me semble, toutes ces qualités, ni ces perfections de corps. Selon que tu me la dépeins, ce ne serait plus elle-même.

Angélique. — J’avoue que je l’ai trouvée fort changée ; mais il faut savoir que les compagnies donnent de grands changements aux personnes, et principalement à celles de notre sexe, quand elles veulent prendre la peine de se corriger de tous leurs mauvais gestes et de tous leurs défauts.

Agnès. — Enfin, sœur Cornélie se doit donc marier avec Frédéric ?

Angélique. — Oui.

Agnès. — Dis-moi, est-ce ce Frédéric que j’ai connu il y a six ans à Florence, chez le comte d’Arnobio ?

Angélique. — C’est lui-même, et je te jure en amie que j’y prends autant de joie et de part comme si j’y devais partager uniquement les premiers plaisirs.

Agnès. — Je suis ravie de la visite que sœur Cornélie t’est venue faire, car elle nous donne lieu de nous entretenir quelque temps sur ce sujet.

Angélique. — Tu sauras qu’outre toutes les perfections de corps et de qualités qu’elle possède, elle est aussi particulièrement savante dans l’histoire et dans les langues étrangères on ne doit pas ignorer qu’elle a connaissance des choses les plus cachées de la nature, le tout par la vivacité de son esprit.

Agnès. — Vous me surprenez, Angélique ; j’ai de la peine à croire ce que vous me dites de sœur Cornélie.

Angélique. — Hélas ! tu ne sais pas encore la moitié des choses que sœur Cornélie m’a dites. Pour nous entretenir sur ce point, tu sauras que Frédéric lui a été, entres autres, une fois rendre visite, et la trouva toute nue dans sa chambre. Elle, se retournant, lui dit en souriant : Que veux-tu ? Il répondit : Ah ! mon cœur ! ah ! mon amour ! mon unique plaisir de Vénus ! Après ces paroles, elle mit sa chemise, et s’approcha de lui. Puis aussitôt il mit la main sur cette colonne ; elle, toute surprise, lui répondit : N’as-tu pas de honte de me tenir de la sorte ? Toutes ces paroles ne servirent de rien ; car il l’embrassa d’une force tout extraordinaire, en lui disant : Baise-moi, ma bien-aimée. Il ne l’eut pas sitôt baisée, qu’il la renversa sur le lit et lui maniait fortement sa poitrine, ses tétons, etc., avec des redoublements de baisers, en lui disant : Croyais-tu pouvoir jouir d’un semblable plaisir sans les hommes ? Après qu’ils eurent achevé quelques plaisirs particuliers, je crois qu’il la baisa plus de mille fois, si bien qu’avant le jour ils redoublèrent ce même doux passe-temps plus de trois fois. Je crois aussi qu’ils se promirent de le réitérer quelques nuits ensuite ; mais c’est de quoi je ne suis pas sûre, ne les pouvant pas tout à fait entendre, à cause de la peur que j’eus d’être vue d’eux. Alors sœur Cornélie reconnut ce que c’était de la conjonction de l’homme.

Agnès. — Eh ! comment as-tu su toutes ces choses ? Il faut que sœur Cornélie te les ait racontées, ou bien que tu les aies vues et entendues au travers d’une fente, et même je crois qu’il y aura eu un flambeau dans la chambre.

Angélique. — Tu as raison, car j’aperçus de la lumière, et y vis une image de Notre-Dame, devant quoi elle faisait ordinairement ses prières tous les soirs, avant que de s’aller coucher. Je te dirai encore, sœur Agnès, que je vis sœur Cornélie qui, toute nue, cherchait des puces dans sa chemise (car c’était dans le mois de juillet) et Frédéric auprès d’elle, les reins de côté, tenant à sa main… ce qui me surprit extrêmement, m’imaginant qu’elle ne pût avoir eu tant de plaisir comme elle témoignait en avoir reçu.

Et je disais en moi-même : Hélas ! que sœur Cornélie a eu de peine ! Comment est-il possible qu’il ne la blessât point ? C’est ainsi que je me parlais ; puis je concluais : il l’a sans doute traitée fort doucement à cause de son jeune âge, car au plus avait-elle quinze ans. Tout étonnée, je l’entendais crier de douleur, et même croyais qu’elle allait mourir, ce qui me fâchait fort ; car je n’osais entrer dans la chambre, de peur de leur donner trop d’altération. Pourtant, quelques moments après, je la vis embrasser Frédéric avec ses deux bras, mais d’une force et d’une amitié très extraordinaires.

Frédéric ne lui en témoignait guère moins, en disant : Ah ! que j’ai du plaisir avec toi ! Bref, à force de se témoigner tant de chaleur l’un pour l’autre, suivie de soupirs et de gémissements. Ils se reposèrent et demeurèrent un espace de temps tous deux évanouis. Pour te faire voir l’amour excessif que sœur Cornélie avait pour Frédéric, je te dirai que nonobstant son évanouissement, elle se mit à le baiser et, s’il faut dire, partout, et lui parlait en des termes les plus doux du monde, d’où je conclus qu’elle avait eu bien du plaisir. Ce qui me donna envie d’en goûter de semblable, et même tu sauras que j’en étais devenue comme folle. À quoi pensant toute la nuit, je ne pus dormir qu’au matin, et par bonheur la fortune, qui fut assez favorable à mon souhait, m’apporta quelque soulagement. C’était le fils aîné du comte don Gracio, lequel, par fortune, jeta la vue sur moi et commença à m’aimer : toutes les fois que je le vis, je ne pouvais m’empêcher de l’aimer réciproquement. Nous commençâmes tous deux par des regards amoureux, des salutations de corps et puis de bouche ; après, par des témoignages tout particuliers d’amitié et d’amour ; mais ce qui me fâcha, c’est qu’au plus beau de nos plaisirs je fus obligée de changer de chambre, ce qui m’attrista extrêmement ; ce qui n’empêcha pas, néanmoins, qu’il ne me fit tenir par adresse une lettre dans laquelle il m’assurait qu’il brûlait d’amour pour moi et me priait d’avoir pitié de lui, en répondant à sa passion et à sa flamme. Tu peux croire avec quel saisissement (je puis dire d’amour) je lus cette lettre ; je pensai pâmer de passion et ne songeai plus qu’à jouir de mon cher don Gracio. Pour cet effet, je lui fis réponse qu’il vînt au plus tôt ; que je lui accorderais tout ce qu’il pouvait souhaiter d’une fille qui l’aimait plus que sa vie, et que je ferais tout mon possible de me retrouver à la première chambre, pour mieux jouir des plaisirs que j’attendais de lui. Il n’eût pas sitôt reçu cette agréable nouvelle qu’il partit pour me venir trouver. Je m’étais préparée à le recevoir et le faire entrer dans une chambre qui répondait à côté de celle de sœur Cornélie, là où nous nous devions donner l’un à l’autre des preuves de notre amour, il arriva qu’il fut assez heureux de rencontrer à quelques pas du logis Madelon, notre servante, qui, par bonheur pour moi, était alors ma bonne amie et confidente, par laquelle il apprit l’extrême envie que j’avais de venir aux derniers effets avec lui ; elle lui montra la porte par où il pouvait entrer. Elle me vint aussi ensuite avertir, avec beaucoup de joie, de la rencontre qu’elle avait faite de don Gracio, et me dit qu’il souhaitait de savoir de moi comment et quand il pourrait entrer sans qu’il pût être aperçu de personne ; à quoi je satisfis très ponctuellement, lui faisant dire que la porte où il avait accoutumé de me venir voir ci-devant serait entr’ouverte et que je l’attendrais toute seule en me reposant sur un lit de damas, et que, s’il m’aimait, j’espérais qu’il ne me ferait pas trop longtemps attendre, car je suis impatiente quand j’ai donné un rendez-vous. Il vint qu’il était environ onze heures et demie. Je fus fort heureuse de le voir. Je t’avoue que la première embrassade me fit pour ainsi dire peur, non à cause de l’obscurité, mais parce que je ne m’attendais pas à le voir sitôt, et son abord me saisit, non de crainte, mais de joie. Enfin, ma frayeur fut pourtant bientôt passée. Ses baisers et toutes ses caresses me firent connaître que je devais être dans peu de temps la plus heureuse fille du monde. Ma pudeur, combattant mon amour désordonné, me fit recevoir ses premières caresses, qui n’étaient qu’un commencement, avec quelque honte en moi-même ; mais quelque temps après j’y répondis d’une manière à quoi il ne s’attendait pas. C’est pourquoi m’ayant renversée sur le lit, il me rebaisa un million de fois. Je soutins ce petit badinage en véritable enfant de Vénus, et nous y retournâmes plus d’une fois, mais avec des plaisirs bien plus excellents, en me donnant des baisers capables de donner de la jalousie aux dieux. Ah ! que ces embrassements sont remplis de tendresse ! que ces attouchements sont agréables et délicieux ! Permets-moi que je place ma bouche entre ces deux tétons (c’est ainsi qu’il me parlait), et que je couvre de ma main ce mont sacré de l’Amour et de Vénus, et que je touche de l’autre ces fesses blanches et fermes !

Agnès. — Ah ! que je suis charmée, Angélique, de votre entretien ! Je préférerais ces plaisirs à ma condition, si j’étais aussi savante que toi sur ce point.

Angélique. — Le lendemain, à même heure, nous reprîmes les mêmes ébats, et de la même manière, avec des combats fort amoureux, quoique nos plaisirs fussent encore très imparfaits, me dit-il, si je n’y remédiais. — Mais, lui dis-je, vous auriez raison de vous plaindre de moi, si ma faute ne procédait pas de l’ignorance ; car je suis de mon naturel plus portée à compassion que cruelle ou insensible aux peines et aux plaisirs d’autrui, et particulièrement de ceux que j’aime. Je vous prie donc, lui dis-je, de pardonner à ma simplicité ; j’espère qu’avec le temps je pourvoirai à ce dont nous avons besoin pour jouir de nos plaisirs avec plus de commodité. Ces paroles dites, je m’en voulais aller, pour m’instruire sur ce sujet dans la lecture de quelques livres qui traitent de cette matière, mais il m’arrêta par la jupe, me priant que nous retournassions derechef à nos caresses, et de faire voir l’amour violent que nous avions l’un pour l’autre, avant que de nous quitter. Il me fit coucher de côté sur le lit, et se vint mettre auprès de moi comme tu te le peux imaginer, et me jurait qu’il m’aimait plus que sa vie, et je lui protestais que je le chérissais semblablement ; si bien que, nous étant fait chacun ces protestations d’amitié, il fallut recommencer les baisers, les embrassades et les attouchements et chatouillements, ce qui nous donna un contentement excessif.

Agnès. — Eh bien ! es-tu contente ? Ta curiosité est-elle pleinement satisfaite d’avoir perdu, à ce que je conclus de ton entretien, ta virginité ? Mais dis-moi, de grâce, Angélique, don Gracio ne courut-il pas risque de tomber malade d’avoir tant travaillé ?

Angélique. — Notre servante étant allée faire une promenade, rencontra, par cas fortuit, Catherine, servante de don Gracio, qui lui dit le malheur qui était arrivé à son maître. Elle m’apprit, avec bien de la tristesse et du chagrin, que don Gracio avait une fièvre violente qui l’avait mis au plus bas degré. Tu peux facilement t’imaginer à quel point cette nouvelle m’affligea, aussi bien que notre servante. Elle s’en alla à son affaire, et moi je méditai les moyens de réparer une si grande perte, car l’on me disait qu’il courait grand risque de mourir, vu que sa fièvre était violente, et cela arriva ainsi.

Agnès. — Te voilà donc privée de don Gracio ?

Angélique. — Oui, mais tu sauras que j’en ai recouvré un autre. Un jour de fête, allant rendre visite à madame l’abbesse de Flori, je vis arriver en cette ville Samuel, qui avait la mine d’être fort las : l’ayant aperçu, je le suivis et le vis entrer dans la même chambre où il logea il y a un an ou deux. Aussitôt qu’il fut entré, il ne fit que pousser la porte, sans la fermer, et se mit sur le lit ; ce qui me fit dire en moi-même : Hélas ! le pauvre garçon, il est sans femme, aussi bien que moi qui suis sans don Gracio. Je vois bien qu’il a envie de se servir de ce que le ciel lui a donné. Quoi ! disais-je, et que ne vais-je à lui ! S’il a besoin de quelque chose, pourquoi ne le contenterais-je pas ? C’est ainsi que je disais en moi-même. Aussi bien il n’y a personne auprès de lui.

Agnès. — Est-ce une personne d’un jeune âge et bien faite de corps ?

Angélique. — Samuel a environ vingt à vingt et un ans, et est d’une stature ordinaire. Il a les cheveux couleur d’or, les yeux fort amoureux, le visage très beau, et de fort belles jambes. Après avoir considéré tout cela au travers de la porte, et même aussi dans toutes les occasions où nous nous sommes vus (car il y a deux ans que je le connais), je me suis résolue toute tremblante de heurter à la porte, mais l’amour l’emportant sur ma crainte, me fit entrer assez hardiment, sans attendre qu’il vint ouvrir la porte. Il témoigna avoir plus de honte que moi de cette surprise. Je m’approchai de son lit, en souriant sans parler, et il me demanda en me maniant la main gauche : eh bien ! Angélique, mon cœur, mon amour, de quoi est-il question ? Puis il me tira et me renversa sur le lit auprès de lui, me regardant les tétons avec des yeux si doux et enflammés que je me doutai bien de quelque chose ; c’est pourquoi je sautai du lit pour aller fermer la porte au ressort, et boucher les trous qui étaient dans la porte ; puis, étant revenue sur le lit, je lui dis, faisant un peu la précieuse : Samuel, je prends cette précaution pour te parler en particulier d’une chose… Sur quoi, m’interrompant, il voulut… Ah ! lui dis-je, Samuel, qu’est-ce que vous voulez faire ? Ôtez cette main de là !

Agnès. — Il semble que tu faisais bien la scrupuleuse. Il y a longtemps que je t’ai pronostiqué de telles rencontres, et je ne dis rien qui ne doive arriver. Est-ce que les hommes n’ont pas le droit, aussi bien que nous le souhaitons, de chercher ce qui leur peut plaire, pour jouir de quelques plaisirs ? et même tu sais bien que notre cœur ne peut être sans quelques amusements ; et d’ailleurs, la nature lui permet de chercher quelque objet qui l’occupe, et de s’attacher à ceux pour qui on a de l’amitié.

Angélique. — J’ai vu néanmoins des personnes qui condamnaient cette liberté-là comme un grand crime.

Agnès. — Je le crois bien : il est vrai que les lois civiles sont contraires en cela à celles de la nature, mais c’est seulement pour éviter les désordres qui pourraient arriver dans le monde.

Il est vrai que, dans le commerce d’amour, il faut éviter l’éclat ; autrement ce serait faire une imprudence extrême de se divulguer si hautement. L’on peut faire l’hypocrite, faire quelques grimaces en temps et lieu, ne parler que fort peu et même ne pas témoigner trop de passion pour la personne qu’on aime, et prendre à propos l’heure du berger. Voilà les moyens dont se servent aussi celles qui veulent vivre heureuses dans la servitude du mariage, en cachant le mystère de leur cœur, et pour planter à leurs maris des cornes en abondance, sans que les pauvres maris s’en aperçoivent. C’est ainsi qu’il se faut gouverner de part et d’autre, tant les vierges que les femmes.

Angélique. — Vous me surprenez, Agnès, par cette facilité que vous avez pour tromper un homme, si vous en aviez ; vous en parlez aussi authentiquement comme si vous l’aviez déjà expérimenté. Toute votre morale ne me détournera pas de cette manière avec Samuel, ni même avec un mari ; si j’en avais un, je l’aimerais trop pour lui donner une telle couronne.

Agnès. — Hélas ! Angélique, si vous aviez encore votre pucelage, on vous pourrait croire tout à fait innocente dans ce négoce. Ne savez-vous pas qu’on se lasse de manger toujours d’un même morceau ! Le changement est pour nous ordinairement un ragoût piquant et appétissant ; et même il y a fort peu de femmes (pour ne point dire toutes) qui ne se servent de l’occasion quand elles la trouvent ; jugez donc ce que font celles qui n’ont qu’un galant, selon leur dire, de quelle manière elles se gouvernent !

Angélique. — Je vous dis encore que toutes vos paroles ne me persuaderont pas et que je suis d’humeur de garder la fidélité à Samuel. Mais dites-moi quelles sont les raisons qui vous portent à me dépersuader de Samuel.

Agnès. — Ah ! que tu es opiniâtre ! Qui est-ce, je te prie, qui peut tourner en opprobre une nécessité insurmontable ? Si ce ne sont que les destins qui nous donnent une inclination si violente, le moyen de ne pas succomber ! Minerve même ni toutes les vestales ne peuvent pas y résister.

Angélique. — Tu m’importunes tant sur cette matière que je vais changer de discours. Tu sauras qu’un soir je reçus visite de Rodolphe qui était accompagné d’une demoiselle de qualité ; son nom est Alios. Elle avait un habit de taffetas, garni de quantité de rubans de diverses couleurs, admirablement bien assortis. Sa gorge était couverte d’une gaze fort déliée, qu’elle portait à la faveur du temps qui était doux et serein ; au travers de quoi paraissaient deux globes bien formés, et sa bouche, à mesure qu’elle l’ouvrait, faisait paraître deux rangs de dents fort blanches, mais surtout ses cheveux blonds et frisés, voltigeant tout autour de son front poli et de couleur d’albâtre, relevaient de beaucoup ses belles grâces et l’amour qui paraissaient sur son visage elle me fit l’honneur de chanter plusieurs beaux airs, avec des roulements agréables et admirablement bien compassés. Elle formait une douce harmonie, à laquelle Rodolphe et moi donnions beaucoup d’attention, pour tâcher de les apprendre par cœur, principalement Rodolphe ; mais sa vue, qui d’ailleurs faisait ses fonctions sur sa personne aussi bien que sur moi, détruisit cette entreprise. Dans ce régal, Rodolphe fit amitié avec Alios (c’était aussi ce qu’il cherchait à cause que la familiarité n’était pas encore trop grande entre eux deux), la priant qu’elle eût la bonté de permettre qu’il se donnât l’honneur et qu’il pût posséder l’avantage de la voir quelquefois, espérant que cela ne lui serait pas refusé, et croyant qu’il n’était pas dans la mauvaise grâce de son père, aussi bien que dans les siennes, en continuant de lui dire que son entretien lui était fort doux et agréable ; même s’il osait, il prendrait un jour la liberté de lui aller rendre visite en sa maison des champs, où il savait qu’elle devait passer quelques jours de fêtes, mettant ce jour-là, disait-il, au nombre de ses plus heureux, et qu’il espérait tant de charité de sa personne, qu’elle aurait la bonté de lui accorder ce bonheur ; ce qu’elle fit, et lui le reçut d’une joie toute particulière, comme tu peux croire. Enfin il fut ensuite lui rendre visite dans ce lieu de plaisance qu’on peut nommer le Palais de la Volupté ; non pas pour les régularités qu’il pouvait y remarquer, mais parce qu’en la présence d’Alios son esprit se nourrissait de mille amoureux plaisirs et que bien qu’il n’osât presque l’aborder, à cause de son père, pour qui tu sais qu’il avait un peu de crainte, que par de petits artifices, il se flattait néanmoins de l’espérance, et que le temps lui ferait naître de plus heureux moments.

Agnès. — Ne lui dit-il rien autre chose ? Ne parla-t-il pas de quelques plaisirs particuliers ? Je crains fort, Angélique, que tu ne veuilles pas tout dire.

Angélique. — Je remarque bien ta malice ; je te parlerai une autre fois de tout ce qui regarde cette matière ; chaque chose a son temps. Je te dirai seulement que je prie tous les dieux et toutes les déesses, en un mot toutes les divinités qui ont été sensibles à l’amour, d’assister et de présider pour Rodolphe dans toutes les entreprises.

Agnès. — Apparemment, Rodolphe est un de tes bons amis, et je vois que tu voudrais qu’il eût achevé ses entreprises il n’est pas besoin que je dise toutes les pensées que j’ai de Rodolphe et de toi. Je dirai seulement que je crois qu’il t’a donné quelques plaisirs de Vénus.

Angélique. — Ah ! Je crois que tu te moques de moi quand tu parles de la sorte. Écoute seulement le récit que je vais te faire de ma rencontre. Tu sauras donc qu’au matin, aussitôt que je fus levée, et revêtue d’un habit neuf que je m’étais fait faire pour les jours de fêtes, nous fûmes, Alios et moi, chez le père Théodore, après que nous eûmes fait nos prières, que tu connaîtras, quand tu sauras qu’il est de ceux qui affectent une austérité de vie apparente et une sévérité de mœurs toute particulière : tu sauras aussi que tout prêche pour eux (je crois que tu entends ces termes) la mortification et la pénitence, et leur barbe qu’ils laissent croître, leur rendant le visage sec et atténué, les fait passer dans l’esprit du peuple pour de vrais miroirs de sainteté. — Eh bien ! ma chère fille, lui dit-il en l’abordant, vous avez un père qui ne veut rien épargner pour vous rendre aussi parfaite que vous devez être. Vous devez, à ce qu’il m’a appris, vous marier dans quelque temps avec Rodolphe. il faut donc nettoyer votre âme de toute tache pour vous rendre digne de la grâce céleste, qui ne peut entrer dans un cœur souillé de la moindre ordure. Vous devez savoir, continua-t-il, que si vous êtes pure, les enfants qui proviendront du mariage et que vous mettrez au monde rempliront un jour, dans le ciel, les places des anges rebelles ; mais si au contraire vous avez quelque mauvaise qualité, ils seront infectés, et iront, dans le chemin de perdition, augmenter le nombre de ces misérables. C’est à vous, lui dit-il, à choisir. Elle était si honteuse, qu’elle n’osa lui répondre. Parlez, parlez, reprit-il. — Je souhaite, lui dit-elle, d’être purifiée et que mes enfants soient bons. Il y avait dans la même chambre du père Théodore un révérend père jésuite qui, après avoir écouté quelque temps la conversation du père Théodore et d’Alios, s’en alla, dont Alios n’était pas fâchée, parce qu’elle eut plus de hardiesse à lui parler, et lui confessa jusqu’à la moindre pensée de péché dont elle crut être coupable. Quand il apprit, entre autres, ce qui s’était passé entre Rodolphe et elle, et qu’elle avait déjà à demi goûté des plaisirs que l’amour inspire, peu s’en fallut qu’il ne s’en emportât de colère. Il lui fit une sévère réprimande, après l’avoir avertie d’avoir en horreur les actions passées ; ensuite il lui donna, sans déplier, un petit paquet de cordes qu’il tira de sa manche : — Allez, lui dit-il, n’épargnez pas votre fille, servez-lui d’exemple, et ne vous soyez pas aussi trop indulgente. Après cela, nous sortîmes de la chambre du père Théodore, et nous nous en vînmes à ma chambre.

Agnès. — N’admires-tu point, Angélique, comme ces gens-là abusent de notre simplicité ? Je m’imagine qu’Alios le croit comme paroles de l’Évangile, aussi bien que son père ?

Angélique. — Dis plutôt que nous nous moquons d’eux. Aussitôt que nous fûmes arrivés dans ma chambre, le père d’Alios ferma la porte, et donna à Alios, sa fille, en riant, ce paquet de cordes à démêler, ce qu’elle fit ; je reconnus bien que c’était une espèce de fouet (car j’en avais vu ci-devant) composé de cinq cordelettes, nouées d’une infinité de petits nœuds de distance en distance. Eh bien ! ma fille, lui dit-il, c’est avec cet instrument de piété, selon que l’appelle l’Église, que vous vous devez disposer au mariage, puisque l’envie vous en prend ; il doit vous servir de purgation. Le bon père, continua-t-il, nous a ordonné à l’un et à l’autre de nous en châtier nous-mêmes : Je vais commencer, dit-il, et vous me suivrez ; mais que la vigueur avec laquelle je traiterai mon corps ne vous épouvante point ; n’ayez point de peur, et pensez seulement, aussi bien que moi, que, pendant ce saint exercice de piété, mon esprit goûtera des douceurs qui ne se peuvent exprimer.

Agnès. — Alios tremblait, sans doute, d’entendre parler son père de telle sorte ?

Angélique. — Non, et je t’avouerai que je ne croyais pas qu’elle pût avoir tant de force pour supporter, comme elle fit, ce travail si rude et si pénible.

Agnès. — En effet, on dit qu’il n’y a rien de plus fort et de plus constant que la fille, quand elle s’opiniâtre à endurer quelque chose. Elle se surmonte elle-même à supporter avec une fermeté admirable des peines qui lasseraient les hommes les plus courageux du monde ; je crois que c’est sans doute l’amour qu’elle a pour Rodolphe qui lui inspire à souffrir ce rude exercice. Mais continue, Angélique, à me raconter ce saint exercice ordonné par le père Théodore.

Angélique. — Tu sauras qu’une des tantes d’Alios arriva par aventure dans la chambre, comme Alios et son père allaient commencer cet exercice. Cette tante, qui est fort bigote, voulut bien prendre la place du père d’Alios, disant que ce n’était pas la manière que les hommes fissent de telles entreprises, et que, selon elle, c’était une gloire bien grande de se mettre à la place d’un autre pour exécuter les ordres du bon père Théodore : ce qu’elle fit aussitôt en se déshabillant jusqu’à la chemise, qu’elle releva sur les épaules ; puis, se mettant à genoux, et prenant en main le fouet dont je t’ai parlé : Regardez, ma nièce, lui dit-elle, comme il faut se servir de cet instrument de pénitence, et apprenez à souffrir par l’exemple que je vais vous donner. À peine avait-elle achevé de parler, que j’entendis frapper à la porte ; je l’en avertis. — Je sais qui c’est, dit le père d’Alios, c’est le bon père Théodore, qui vient sans doute pour nous aider dans ce saint exercice ; il m’avait dit qu’il n’y manquerait pas, s’il pouvait obtenir la permission de sortir. Il frappa une seconde fois. C’est lui-même, répéta le père d’Alios. Va, dit-il à sa fille, ouvre-lui la porte promptement. — Comment, reprit Alios, voulez-vous qu’il voie ma tante ainsi toute nue ? — Tu ne sais donc pas, dit le père à sa fille, que ce saint homme connaît ta tante jusque dans le fond de l’âme, et qu’on ne lui doit rien cacher ? La tante d’Alios baissa néanmoins sa chemise, pendant que sa nièce alla ouvrir la porte. Le père Théodore entra aussitôt et loua la tante d’Alios du bon exemple qu’elle donnait à sa nièce ; il fit ensuite un discours sur ce sujet, mais avec tant de force et d’énergie, que peu s’en fallut qu’Alios ne le prévint pour le prier de la traiter avec le plus de vigueur qu’il pourrait.

Agnès. — Ah ! Dieu ! est-il possible ! Alios était-elle si folle ? Était-elle si simple et si bigote ?

Angélique. — Tu aurais eu de la peine à ne te pas rendre, et il t’aurait sans doute persuadée. Il leur prouva par un discours poli, et apparemment étudié, que la virginité, sans la mortification et la pénitence, n’était aucunement méritoire ; que ce n’était qu’une vertu sèche et stérile, et que si elle n’était accompagnée de quelque châtiment volontaire, il n’y avait rien de plus vilain, et même de plus méprisable. Celles-là sans doute, continua-t-il, doivent rougir de honte qui se mettent nues devant les hommes, afin de se prostituer à leur convoitise ; mais au contraire les autres sont louables qui ne le font que par un principe de piété et de pénitence, et même d’un saint zèle pour la purification de leur âme. Si vous considérez l’action des premières, dit-il, en continuant de parler, vous n’y trouverez rien que d’infâme, et si vous jetez les yeux sur l’autre, vous remarquerez qu’elle renferme toute sorte d’honnêteté ; l’une ne peut que satisfaire les mortels, mais l’autre est capable de charmer les dieux. Surtout, poursuivit-il, ces sortes de châtiments sont d’un grand usage quand on sait les prendre dans leur temps : Ils sont comme une source divine, dont les eaux miraculeuses ont la vertu de nettoyer les femmes de toutes les ordures qu’elles auraient pu contracter ; elles n’ont point d’autre moyen de se purger, qu’en souffrant avec autant de fermeté et de patience la pénitence qui leur est imposée, qu’elles ont goûté avec sensualité les plaisirs qui leur étaient défendus. Enfin, il leur dit que de cette manière leur âme était nettoyée d’une infinité de péchés et de crimes que la honte et la pudeur les empêchaient souvent de révéler pour leur décharge.

Agnès. — Oh ! la plaisante morale ! Ah ! que ces préceptes sont engageants ! Apparemment il a fait, selon son dire, ce saint œuvre plusieurs fois ?

Angélique. — Après tous ces discours, Agnès, il prit le fouet à la main : la tante d’Alios se mit à genoux, et Alios se retira un peu, ayant toujours les yeux arrêtés sur elle. S’étant donc bien disposée, elle pria le père Théodore de commencer ce saint œuvre (ce fut son terme). À peine avait-elle prononcé la dernière parole, qu’il tomba une grêle de coups sur son derrière qui était tout découvert ; il la frappa ensuite un peu plus légèrement, mais enfin il la mit en tel état que ses fesses, qui étaient auparavant très blanches et très polies, devinrent rouges comme du feu, et même faisaient horreur à les regarder.

Agnès. — Eh quoi ! elle ne se plaignait point ?

Angélique. — Bien loin de cela ; elle parut insensible, elle ne lâcha qu’une fois un soupir, en disant : Ah ! mon père ! Mais cet exécuteur de la justice divine (selon lui) s’en fâcha : Où est donc votre courage ? lui dit-il. Vous donnez là un bel exemple de faiblesse à votre nièce. Il lui commanda ensuite de s’incliner la tête et le corps jusqu’en terre, ce qu’elle fit, et jamais elle ne l’a présenté plus beau. Ses fesses étaient tellement exposées aux coups qu’elles n’en échappèrent pas un ; cela dura un quart d’heure ou environ ; après quoi le bon père lui dit : C’est assez, levez-vous, votre esprit doit être content. Elle se leva, et s’en alla à sa nièce : Eh bien ! ma nièce, lui dit-elle en l’embrassant, c’est à présent à votre tour qu’il faut faire paraître que vous avez du courage. — J’espère répondit Alios, qu’il ne me manquera pas. — Que faut-il que je fasse ? dit la tante d’Alios au père Théodore. — Préparez votre nièce, dit le bon père. J’espère qu’elle sera encore plus forte et plus courageuse que vous. Cependant Alios avait les yeux baissés sans rien dire. — Ne répondrez-vous pas à mon dessein ? lui dit le père Théodore. — Je tâcherai au moins, reprit-elle. Sa tante, pendant ce discours, la déshabillait jusqu’à la chemise, qu’elle lui leva sur les épaules. Aussitôt qu’elle se sentit toute nue, la pudeur et la honte lui couvrirent le visage : elle se voulut mettre à genoux. — Il n’est pas nécessaire, dit sa tante ; tenez-vous droite. Dans ce même moment le père Théodore prit la parole : Eh bien ! Alios, voulez-vous être heureuse ? voulez-vous que je vous mette dans le véritable chemin du ciel ? — Je le souhaite, lui dit-elle. Après ces paroles, il lui donna quelques coups, mais si doucement, qu’il la chatouilla plus qu’il ne lui fit de mal. — Pourriez-vous, ma chère enfant, lui dit-il, en endurer de plus rudes ? Sa tante répondit pour elle, et dit qu’elle ne manquerait pas de courage, qu’il n’avait qu’à poursuivre ce saint exercice. Aussitôt, depuis le haut jusqu’en bas, elle se sentit chargée, mais avec tant de violence, qu’elle ne put s’empêcher de crier : Ah ! ah ! ah ! c’est assez, c’est assez ! ayez pitié de moi, ma tante ! — Prenez courage, lui dit-elle ; voulez-vous achever vous-même ce qui reste à faire de cet exercice si saint et si bon, et qui purge les âmes les plus souillées ? — Fort bien, dit le père Théodore ; voyons comme elle s’épargnera. Prenez, poursuivit-il, ce saint instrument de pénitence, et châtiez comme il faut cette partie qui est le siège du plaisir infâme, s’il faut parler ainsi. Sa tante lui montra avec sa main comme elle devait faire. Alios se donna cinq ou six coups assez rudement, mais elle ne put continuer. — Je ne saurais, dit-elle à sa tante, me faire du mal moi-même ; si vous voulez, je suis prête à souffrir tout de vous. En disant cela, elle remit le fouet dans ses mains ; elle le donna au père Théodore, parce que, disait-elle, vous aurez plus de mérite d’endurer de lui que d’un autre. Il recommença derechef à en donner à Alios, en murmurant entre ses dents je ne sais quelle prière. Elle pleurait, elle soupirait, et à chaque coup qu’il donnait, elle remuait les fesses d’une étrange manière. Enfin il la lassa tant qu’elle ne put plus y résister : elle courut d’un bout à l’autre de la chambre, pour éviter les coups. — Je n’en puis plus, disait-elle ; ce travail est au-dessus de mes forces. — Dites plutôt, reprit le père Théodore, que vous êtes une lâche et sans cœur ; n’avez-vous point de honte d’être nièce d’une tante si bonne et si courageuse, et d’agir avec tant de faiblesse ? — Obéissez, lui dit sa tante. — J’y consens, répondit Alios ; faites de moi ce que vous voudrez. À ces mots, sa tante lui lia aussitôt les deux mains avec une petite corde fine, parce qu’elles paraient ses fesses de bien des coups ; elle la coucha ensuite sur le lit, où elle fut fouettée de la belle manière. Pendant que le père Théodore la frappait, sa tante la baisait, en lui disant : Courage, ma nièce, ce saint œuvre sera bientôt achevé, et plus vous recevrez de coups, plus vous aurez de mérite. — Enfin, dit le père, voilà qui est bien : la victime a assez répandu de sang pour que le sacrifice soit agréable.

Agnès. — Ah ! Dieu, quel sacrifice, quelle boucherie et quel bourreau !

Angélique. — Enfin, quoi faire, Agnès ? C’est une maxime qui a été de tout temps. Cela étant fait, sa tante lui délia les bras, en lui donnant mille louanges de ce qu’elle avait souffert si patiemment un travail si rude pour une fille comme elle. Le père Théodore lui dit aussi plusieurs paroles fort obligeantes en s’en allant et lui donnant sa bénédiction. D’abord qu’il fut parti, sa tante l’embrassa avec beaucoup de tendresse. Il faut, ma nièce, lui dit-elle, que vous feignez d’être malade d’un mal de côté, afin de prendre le repos qui vous est nécessaire. Pour moi, continua-t-elle, je suis accoutumée à ces sortes d’exercices, et je n’en suis pas plus incommodée. Adieu, jusqu’à demain.

Agnès. — Sais-tu bien ce qu’elle fit pendant le temps qu’elle fut seule dans sa chambre ?

Angélique. — Oui. Elle alla s’amuser, après avoir reposé un peu de temps, à faire la lecture de quelques livres fort jolis, dont voici le catalogue :

La Religion de Scaramouche.

La Putain réformée, avec figures.

Le Renversement des couvents, pièce curieuse.

Le Vatican languissant.

L’Entretien du Pape et du Diable, en vers burlesques.

Le Monopole du purgatoire.

Le Diable défiguré, avec figures.

La Généalogie du marquis de Arana.

La Sauce à Robert, pièce curieuse.

La Politique des Jésuites.

En vérité, Agnès, ne voilà-t-il pas de jolis livres ? Il faut croire qu’elle se soit bien divertie en faisant la lecture de ces livres. Pour ce qui est de moi, selon les titres, je ne saurais m’imaginer autrement, sinon qu’il faut qu’ils soient fort curieux.

Agnès. — Ah ! qu’elle aurait été heureuse, et bien plus contente, si le destin lui eût fait jouir aussi des embrassements de Rodolphe ! Je crois que si Alios avait alors su où était Rodolphe, ou bien que Rodolphe eût pu savoir où pouvait être Alios, il aurait profité du temps.

Angélique. — Il se douta pourtant bien de quelque chose ; c’est pourquoi la fortune, qui lui a toujours été favorable, le fit venir dans la chambre où était Alios ; il la trouva couchée sur le lit ; elle faisait semblant de dormir ; il se jette à son col, il la baise et la manie en divers endroits de son corps ; elle, de son côté, le prend par un endroit, — ah ! je n’ose le dire ! — auquel il ne pouvait résister. Que voudrais-tu davantage, si tu avais été à sa place ? Tu te peux imaginer le reste.

Agnès. — Mais, dis-moi, comment as-tu pu apprendre des choses qui, sans doute, se sont passées en secret ? Il faut qu’Alios t’ait raconté toutes ces particularités, ou bien tu as toujours été en sa compagnie ?

Angélique. — Elle-même m’en a fait confidence, et m’a conté jusques aux moindres paroles ; outre cela, je me suis trouvée beaucoup plus de fois avec elle, et ai été témoin de diverses choses qui lui sont arrivées.

Agnès. — Il faut avouer, Angélique, que tu as eu bien du plaisir. Tu dois être fort satisfaite.

Angélique. — Tu as raison ; il n’y a que cette coutume de divertissement qui réjouisse les personnes. Si les vérités que je t’ai racontées étaient connues d’une infinité de scrupuleuses, elles renonceraient bientôt à leurs sottes opinions, et, examinant à la règle d’une droite raison les nécessités naturelles, elles trouveraient dans la vie bien plus de douceur qu’elles n’en éprouvent. Pour vivre heureuses dans ce monde, nous devons ôter toutes les préventions de notre esprit, en excommunier tout ce que la tyrannie d’une mauvaise coutume peut y avoir imprimé, et conformer ensuite notre vie à ce que la nature toute pure et innocente demande de nous.

Agnès. — Je te suis bien obligée, Angélique, puisque sans toi je serais encore dans l’aveuglement et dans l’innocence ; car l’effort de mes premières connaissances, la violence des mauvaises habitudes, et le torrent de la multitude m’auraient sans doute emportée, si les solides instructions que tu m’as données ne m’eussent fait changer de sentiment, en me faisant connaître la vérité.

Angélique. — Tu as oublié de me dire si tu approuvais cette conjonction et ce plaisir, ou si tu l’as eu en horreur comme moi ?

Agnès. — Je ferais mal de l’approuver, et quand même je ne dirais mot, la voix fulminante du Ciel me condamnerait, si je l’approuvais. Je te dirai encore ceci avant que de finir. Lucien discute ingénieusement de ces deux points ; il n’en condamne pas un, et il est même difficile de dire auquel des deux il donne la préférence. Divers autres écrivains semblent être du même sentiment ; mais ce qui m’étonne, c’est qu’aucun législateur ne les a défendus : au contraire, ils approuvent toutes les manières imaginables pour prendre le plaisir.

Angélique. — Ah ! ciel ! je suis au désespoir ! Assurément on nous a écoutées, car je viens d’entendre quelqu’un sur les montées. Mais arrive ce qu’il pourra, nous n’avons pas la langue liée ni perdue ; les démentis ne coûtent pas si cher en ce temps-ci, pour en donner à revendre à ceux qui seraient assez hardis de se prévaloir contre nous de cet entretien.

Agnès. — Tu ne te lasses point à causer, et tu ne remarques pas que voilà tantôt la journée passée. Remettons ce que nous avons à dire à une autre fois. Baise-moi, mon cœur.

Angélique. — Ah ! Agnès, je ne me lasserai jamais de ton entretien, tant je le trouve doux et agréable. J’y passerais des nuits entières sans m’ennuyer. Je m’imagine que tu dois être aussi satisfaite du mien que je le suis du tien. Ce n’est qu’avec peine et chagrin que je me sépare de toi.

Agnès. — Ah ! que tu es forte ! Je crois que tu ne finiras jamais. Adieu.