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Vie de Napoléon/78

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Texte établi par Henri MartineauLe Livre du divan (Napoléon. Tome Ip. 289-291).


CHAPITRE LXXVIII


Quoiqu’en aient dit Montesquieu et beaucoup d’autres, il n’y a que deux sortes de gouvernements : les gouvernements nationaux et les gouvernements spéciaux.

À la première classe appartiennent tous les gouvernements où l’on tient pour principe que tous les droite et tous les pouvoirs appartiennent toujours au corps entier de la nation, résident en lui, sont émanés de lui et n’existent que par lui et pour lui.

Nous appelons gouvernements spéciaux tous ceux, quels qu’ils soient, où l’on reconnaît d’autres sources légitimes de droits et de pouvoirs que la volonté générale : tels que l’autorité divine, la naissance, un pacte social exprès ou tacite où les partis stipulent comme puissances étrangères l’une à l’autre[1].

Quoique vicieuse par le fond, quoique n’étant pas même un contrat entre le peuple et un homme, comme la constitution d’Angleterre en 1688, notre charte eût satisfait tout le monde. Le peuple français est trop enfant pour y regarder de si près. D’ailleurs cette charte est passable, et, si jamais elle est exécutée, la France sera très heureuse, plus heureuse que l’Angleterre. Il est impossible dans ce siècle de faire une mauvaise charte ; il n’est aucun de nous qui en demi-heure n’en écrive une excellente. Ce qui eût été le dernier effort du génie du temps de Montesquieu, aujourd’hui est un lieu commun. Enfin toute charte exécutée est une bonne charte[2].

Il suffisait pour mettre le trône du plus sage et du meilleur des princes à l’abri des tempêtes, que le peuple crût qu’on voulait sincèrement la charte. Mais c’est ce dont les prêtres et les nobles firent tout au monde pour le dissuader.

Cent mille prêtres et cent cinquante mille nobles furieux n’étaient surveillés, comme tout le reste de la nation, que par huit imbéciles qui ne pensaient qu’au cordon bleu. Les nobles voulaient et veulent leurs biens. Quoi de plus simple que de leur rendre l’équivalent en rentes sur l’État ? Par là ces gens, qui n’ont point d’opinion et n’ont que des intérêts, étaient attachés au crédit public et à la charte comme à un mal nécessaire.

Les ministres qui n’écrivaient pas une ligne, qui ne donnaient pas un dîner, sans violer l’esprit de la charte, accumulèrent bientôt les violations matérielles. Mme la maréchale Ney ne revenait jamais de la cour sans avoir les larmes aux yeux[3]



  1. Commentaires sur l’Esprit des Lois, p. 13, 14, Liège, 1817.
  2. Idée de B[enjamin] Constant.
  3. Interrogatoire du maréchal Ney.