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Vie et opinions de Tristram Shandy/3/31

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 93-94).



CHAPITRE XXXI.

La Tristrapédie.


« Le premier devoir d’un écrivain, Yorick, dit mon père quand il fut réveillé, c’est de ne rien avancer sans preuve ; — autrement, et s’il se livre à tous les écarts de son imagination, son ouvrage ne sera qu’un amas bizarre de faits et d’idées sans liaison, dont l’assemblage sera monstrueux.

» Mais dans ma Tristrapédie ! — je pose en fait que je n’ai pas avancé un seul mot qui ne soit aussi clair et aussi démontré qu’une proposition d’Euclide. — Va, Trim, va me chercher ce livre sur mon bureau. — J’ai souvent eu le projet, continua mon père, de le lire, tant à vous, Yorick, qu’à mon frère Tobie ; et je crains même d’avoir manqué à l’amitié en différant aussi longtemps. Mais si vous le voulez, nous en lirons un ou deux chapitres aujourd’hui, autant demain, et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’ayons achevé ». — Mon oncle Tobie qui étoit la complaisance même, et Yorick qui étoit sans fiel, approuvèrent par une inclination ; et le caporal, quoiqu’il ne fût pas compris dans le compliment, mit la main sur sa poitrine, et salua comme les autres.

La compagnie sourit. — Ce garçon, dit Yorick, paroissoit avoir envie de dormir. — Le pauvre diable, dit mon oncle Tobie, a été si fort occupé tout le jour au boulingrin ; — et moi-même….. Je ne sais comment cela s’est fait ; mais je suis bien sûr que cela ne nous arrivera plus. — En même-temps mon oncle Tobie alluma sa pipe, Yorick rapprocha sa chaise de la table, — Trim moucha la chandelle, — mon père ranima le feu, prit le livre, toussa deux fois, et commença.