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Vie et opinions de Tristram Shandy/4/30

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 81-82).



CHAPITRE XXX.

La Chose impossible.


Oui, je voulois aller droit ; — mais le pourrai-je ? — Dans ces plaines riantes, et sous ce soleil qui invite au plaisir, où dans ce moment on n’entend que des flûtes, musettes et chansons, où le peuple court à la vendange en dansant, où à chaque pas que l’on fait le jugement est surpris par l’imagination. — Dans ces plaines, dis-je, je défie, malgré tout ce qui a été dit sur les lignes droites en divers endroits de ce livre, — je défie le meilleur planteur de choux, soit qu’il plante en avant ou en arrière ; (ce qui revient à-peu-près au même, à moins qu’il n’ait une préférence secrète pour une des deux méthodes) — je lui défie de planter ses choux froidement, posément et régulièrement, un par un, en droite ligne, et à distances égales, — sans aller de guingois et perdre à chaque pas son alignement…… surtout si ces maudits trous de jupes ne sont pas recousus. — En Frize-Lande, en Finlande, en Islande, et dans quelques autres pays que je sais bien, la chose seroit peut-être plus facile. —

— Mais dans ce beau climat, où tout parle aux sens et à l’imagination, — où l’on est sans cesse maîtrisé par ses idées, dans ce pays, mon cher Eugène, — dans ce fertile pays de romans et de chevalerie, ou je me trouve en ce moment, ouvrant mon écritoire pour écrire les amours de mon oncle Tobie, tandis que de ma fenêtre je vois dans la plaine les tours et détours que parcourt Julie pour retrouver son cher Diégo, — si tu ne viens pas à mon secours, si tu n’es pas mon guide. —

Quelle espèce d’ouvrage sortira-t-il de mes mains ? —

Essayons cependant.