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Vie et opinions de Tristram Shandy/4/89

La bibliothèque libre.
Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 233-234).



CHAPITRE LXXXIX.


Quand nous serons à la fin de ce chapitre, et non pas plutôt, nous reviendrons sur nos pas pour reprendre ces deux chapitres en blanc, qui me font saigner le cœur depuis une demi-heure. — Mais auparavant, souffrez que j’ôte une de mes pantoufles jaunes, et que je la lance de toute ma force à l’autre bout de ma chambre, en déclarant :

Qu’il est très-incertain que ce que je vais écrire ressemble à ce que j’ai déjà écrit. —

C’est à-peu près comme l’écume du cheval de Protogène. Je jette ma pantoufle comme il jeta son éponge. — Il en arrive ce qui peut. — D’ailleurs, messieurs, je regarde avec respect un chapitre en blanc. Je songe qu’il y en a d’infiniment plus mauvais ; — je remarque que la satyre ne peut trouver à y mordre. —

Est-ce pour cela que vous en avez sauté deux sans les remplir ? Non.

Ici, je m’attends à être traité de sot, de fou, d’imbécille, à recevoir les épithètes les plus injurieuses, les plus méprisantes ; mais je les pardonne à mes critiques. Pouvoient-ils prévoir en effet que j’étois dans la nécessité forcée d’écrire mon quatre-vingt-neuvième chapitre avant le quatre-vingt-deuxième ?

Ainsi, je ne me fâche point contre ces messieurs. Tout ce que je désire, c’est que ceci puisse servir de leçon, et qu’à l’avenir on laisse les gens conter leurs histoires à leur mode.