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Vie et opinions de Tristram Shandy/4/94

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Traduction par Joseph-Pierre Frenais.
Chez Jean-François Bastien (Tome troisième. Tome quatrièmep. 249-250).



CHAPITRE XCIV.

Discrétion de Trim.


Mon oncle Tobie et le caporal avoient poussé leurs opérations ; chacun de leur côté, pendant presque toute la campagne, avec aussi peu de communication entre eux, et avec une parfaite ignorance de leurs marches respectives, que s’ils eussent été séparés par la Meuse ou la Sambre.

Mon oncle Tobie se présentoit tous les jours chez Mistriss Wadman, tantôt avec son habit rouge et argent, tantôt avec son habit bleu et or ; et dans cet équipage il soutenoit des attaques sans fin de la part de la veuve, sans s’appercevoir seulement que ce fussent des attaques ; ainsi il n’avoit rien à communiquer.

Mais Trim avoit pris la place d’assaut ; ce qui lui donnoit un avantage infini, et il auroit eu beaucoup à dire ; mais la nature de ses avantages, et la manière dont il les avoit remportés, demandoient un historien plus précis que Trim n’auroit osé l’être. — Et quelque épris qu’il fût de la gloire, il auroit mieux aimé rester toute sa vie la tête nue et dépouillée de lauriers, que de blesser un seul moment la modestie de son maître. —

Ô le meilleur et le plus honnête des serviteurs ! mais je crois l’avoir déjà apostrophé. — Il ne me reste plus que ton apothéose à faire, et je la ferois à l’instant même, si je ne craignois de faire souffrir ta modestie.